Les USA se replient face au “danger intérieur”

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Les USA se replient face au “danger intérieur”

Il semble donc bien que nous aurons un sommet entre Poutine et Trump, dans trois petites semaines, le 16 juillet à Helsinki, ville fameuse pour avoir donné son nom à l'accord de 1975 qui transforma les rapports de la Guerre froide en ouvrant la voie aux conditions sociétales qui pèsent d'un poids si lourd aujourd'hui sur la politique extérieure. John Bolton a rencontré hier Poutine à Moscou et a catégoriquement affirmé que, “malgré tout le bruit que cela pourrait faire”, le sommet aurait lieu parce qu’il est dans l’intérêt de la sécurité nationale des États-Unis.

Bien entendu, il y a la nouvelle du sommet, et il y a aussi (et surtout, dirions-nous, pour la situation interne de Trump) John Bolton en organisateur de la chose. La colonel Pat Lang en fait des gorges chaudes, voire brûlantes, dans son article du 28 juin 2018, où il détaille également les mesures possibles d’un arrangement en Syrie et au Moyen-Orient qui seraient les principaux sujets où les deux présidents voudraient trouver un accord. Envoyer Bolton pour préparer cela, c’est, selon Lang, “un coup de génie” :

« John Bolton est un archi-néocon, un néocon au carré. Trump l'a envoyé à Moscou pour organiser un ordre du jour, la date et le lieu d'une réunion avec Vladimir Poutine. Selon mon opinion, c'est un coup de génie. Ce que Trump fait fait est de mettre un ennemi de bonnes relations américano-russes en charge de l'organisation du calendrier des discussions pour améliorer les relations américano-russes. Dans la vulgate assez leste de LBJ[Lyndon Baines Johnson], on dira que Bolton va être à l’intérieur de la tente en train de pisser réglementairement au lieu d’être en-dehors en train de pisser sur la tente. Après avoir organisé la réunion, il sera personnellement engagé pour assurer son succès. Comme c'est doux à imaginer ! »

C’est effectivement ce que nous avions présenté, dans le même sens, la tactique dite “cul-par-dessus-tête”, lorsqu’il fut annoncé que Bolton irait effectivement à Moscou, sans doute pour préparer un sommet (la rencontre n’était pas encore officiellement annoncée).

« L’autre[événement “cul-par-dessus-tête”], après tout, c’est de voir le terrible Bolton, l’homme à la moustache entre les dents, porter la bonne parole à Moscou pour éventuellement préparer une chaleureuse et amicale rencontre, type Kim-Trump à Singapour, avec Poutine.

» Depuis que Bolton est là, la “diplomatie” de Trump n’a cessé d’aller dans le sens objectivement antiSystème de tout faire pour briser l’unité du bloc-BAO, et pour se rapprocher des parias qui complotent contre le dit-bloc. Il y a eu la déclaration de Bolton selon laquelle on pouvait envisager le “modèle libyen” pour la Corée du Nord, prestement ravalée avec sa moustache sur mise au point de La Maison-Blanche, et depuis Bolton marche droit. Tant il est vrai qu’une des tactiques classiques pour faire taire les enragés qui réclament du sang, c’est de les engager à votre service si l’on a assez d’autorité et de poids pour cela, ou bien simplement la communication convaincante ; il semble qu’à cet égard, Trump ait plutôt réussi son coup avec Bolton, ce qui rend plus difficile la critique extrémiste, neocon, etc., contre lui ; rien ne vaut le vertige du pouvoir... »

Ainsi semblerait-il bien que ce sommet pourrait voir se mettre en place les principaux facteurs d’une stabilisation de la situation au Moyen-Orient, particulièrement en Syrie où les USA reconnaîtraient la victoire du régime Assad et de ses alliés. (Le premier signe de cette entente étant le refus US de soutenir les forces anti-Assad contre la puissante offensive syrienne soutenue par l’aviation russe.) Décidément, Trump veut un désengagement et finirait par l’avoir, avec l’active coopération des Russes, avec la coopération étrange de personnalités absolument belliciste comme l'est normalement Bolton, avec les Israéliens qui devraient être “satisfaits” comme ils l’auraient fait savoir par la garantie que ni le Hezbollah, ni les Iraniens ne participeront à ces opérations proches de la frontière israélienne.

(C’est certainement là l’élément le plus fragile du marché, les engagements et promesses des Israéliens étant toujours des actes relatifs et aisément sujets à révision. Cette fois pourtant, les augures sont aussi bonnes qu’elles peuvent l’être dans cette crise si intensément tortueuse et sanglante. La Russie et les USA sont tous deux proches d’Israël, chacun à sa façon, et Israël peut difficilement se permettre de trahir d’un seul coup ces deux partenaires.)

Il n’est guère question dans ces tractations des Européens dont Trump se fiche du tiers comme du quart sinon pour applaudir les populistes eurosceptiques. Désormais, les Européens sont pour Trump au mieux des concurrents, et plus normalement dit des adversaires, et manifestement il préfère de bonnes relations avec Poutine. Les Européens, eux, ne se font plus d’illusion. Leur perception de Trump est parfaitement exposée dans une lettre que le président de l’UE, le Polonais Tusk, a envoyé à tous les chefs d’État et de gouvernement réunis en sommet aujourd’hui et demain, complètement sinon de pire en pire dans la ligne de sa retentissante déclaration du mois de mai (« Avec des amis comme ça, nous n’avons pas besoin d’ennemis »)... Le point remarquable de sa communication est que l’affirmation que la dégradation des relations transatlantiques va bien au-delà sur simple commerce, – Tusk pense aux questions dites sociétales comme à celles de la sécurité commune, c’est-à-dire le sort de l’Alliance atlantique qui aura à faire face à un sommet particulièrement “chaud“ au mois de juillet :

« Le président du Conseil européen Donald Tusk a appelé mercredi l'UE à se préparer aux scénarios les plus pessimistes avec les États-Unis de Donald Trump, à la veille d'un sommet européen de deux jours à Bruxelles.

«“Je crois que, tout en espérant le meilleur, nous devons être prêts à préparer notre Union aux pires scénarios» avec Washington, écrit-il dans une lettre d'invitation aux chefs d'État et de gouvernement de l'UE, qui se retrouvent jeudi et vendredi pour discuter des relations avec les États-Unis, mais aussi de la question migratoire ou des réformes de la zone euro. “Malgré nos efforts inlassables pour préserver l'unité de l'Occident, les relations transatlantiques sont soumises à d'immenses pressions en raison de la politique du Président Trump. Malheureusement, les divisions vont au-delà du commerce», poursuit le Polonais, cité par l'AFP. »

Bien entendu, la Syrie est une crise majeure, et sa possible résolution au travers d’un net réchauffement des relations USA-Russie constituerait un évènement important. Mais l’on ne doit pas se cacher qu’il y a derrière ces intentions d’arrangement des nécessités particulièrement inquiétantes, particulièrement pour Trump et les USA. Il s’agit essentiellement de la situation intérieure des USA, qui requiert de plus en plus toute l’attention de la direction washingtonienne. Nous parlons ici de la pression des événements qui ne cesse de grandir, bien plus que du plan de l’un ou l’autre partie, ni même de l’éventuelle stratégie d’un président qui nous a habitués à n’en pas avoir...

PhG parlait hier d’une “Guerre Civile soft” aux USA. Un exemple fulgurant des conditions politiques nouvelles en train de s’établir aux USA, c’est un cas illustrant la pénétration du parti démocrate, dans sa structure institutionnelle, des éléments les plus extrémistes qui mènent la campagne anti-Trump dans une orientation de désordre grandissant. Il s’agit de la victoire aux primaires démocrates pour désigner le candidat démocrate à la Chambre (élections de novembre prochain), du 14èmeDistrict de New York d’une jeune femme de 28 ans, dont la campagne s’est faite sur un programme dit “démocrate-socialiste” qui n’est pas loin d’être du communisme pur et simple. Il s’agit d’Alexandria Ocasio-Cortez, dont le nom indique l’origine ethnique, qui a largement battu l’un des caciques du parti...

« Alexandria Ocasio-Cortez, âgé de 28 ans, a battu le député sortant Joe Crowley, 56 ans, aux élections primaires de New York mardi soir, faisant tomber le candidat titulaire représentant depuis 10 ans le quatorzième district du Congrès de New York (58% contre 42% avec 88 pour centde votants des militants démocrates). La victoire d'Ocasio-Cortez marque la cinquième victoire de socialistes démocrates féminines contre des candidats masculins dans des primaires démocrates. [...]

» La défaite de Crowley, le 4ème démocrate à la Chambre en tant que président du Caucus démocrate et successeur présomptif de la leader démocrate à la Chambre Nancy Pelosi, rappelle aux observateurs la défaite de 2014 du leader républicain Eric Cantor par un membre du Tea Party dans la primaire républicaine de Virginie. Cela permet d’envisager un changement de pouvoir générationnel attendu depuis longtemps chez les démocrates de la Chambre. [...] Ocasio-Cortez est un membre des Socialistes Démocrates d'Amérique qui dispose d’une plate-forme de type communiste... » 

Ce cas de victoires de candidats clairement “gauchistes”, ou marxistes-culturels (Ocasio-Cortez représente aussi bien la tendance politique d’inspiration communiste que la mouvance LGTBQ mariant dans son cas le féminisme et les minorités ethniques) indique que l’agitation anti-Trump depuis trois ans a désormais largement pénétré l’électorat démocrate bien au-delà de l’antitrumpisme. Le but de cette gauche marxiste-culturelle est de faire de l’“entrisme” dans la plus pure tradition trotskiste, mais dans ce cas en visant les plus hautes instances du parti, soit le DNC (Democratic National Committee), qui assure la gestion des désignations des parlementaires et toutes les grandes affaires du parti démocrate, et qui fut au centre du scandale WikiLeaks-Russiagate de juillet 2016.

Tout cela indique que les élections mid-term de novembre 2018 prennent une importance grandissante, qui va voir des affrontements féroces entre la gauche radicale et un parti républicain pour l’instant flottant, mais qui va devoir se radicaliser lui-même, autour de Trump, pour espérer ne pas être battu, ou bien au risque d'être débordé sur sa droite. Si les démocrates l'emportent, il est tout à fait probable que dès le lendemain ils prépareront une procédure de destitution contre le président, qui pourrait déboucher sur une situation d'émeute civile

Ainsi peut-on observer que l’espèce de “révolution-désordre” né avec les présidentielles de 2016 et l’élection de Trump semble devoir continuer et s’étendre dans tous les sens aux USA, et de plus en plus dans le sens d’une structuration d’affrontement. Dans ces conditions, Trump suit assez logiquement une politique visant à un désengagement général de l’extérieur pour mieux affronter à l’intérieur des conditions d’antagonisme extrême, où les hypothèses de guerre civile, – soft pouvant devenir hard, – ne sont plus si extrêmement exagérées qu’on pouvait le penser jusqu’ici.

(Par ailleurs, bien entendu, cette évolution rencontre sa tendance isolationniste/protectionniste America First d’ores et déjà à l’œuvre dans les matières commerciales, et dans l’activisme économique général comme l’on voit avec ses menaces interventionnistes contre Harley-Davidson  qui veut délocaliser sa production pour éviter la taxation à l’exportation de ses produits fabriqués aux USA.)

On a alors l’impression qu’existe une conviction nouvelle que les jeux habituels de détourner l’attention du public par des foucades extérieures, des conflits-simulacres, etc., – du type Wag the Dog, – pourraient ne plus fonctionner comme à l’ordinaire parce que l’évolution du parti démocratique peut impliquer une fracture de l’establishment, ou du DeepState si l’on veut. Il s’agirait d’un phénomène sans précédent qui romprait l’habituel jeu du public en colère qu’il s’agit de distraire par l’action d’une direction qui s’unit pour maintenir le système de l’américanisme en place. Il y a peu d’occurrence d’une telle situation aux USA, sinon, – par exemple et exemple provocateur, – pour celle qui précéda la Civil War (que nous nommons Guerre de Sécession).

 

Mis en ligne le 28 juin 2018 à 16H59