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269917 août 2009 — Obama risque-t-il sa seconde présidence, voire sa vie, dans cette étrange bataille des “soins de santé” (“Healthcare”)? La situation psychologique de l’Amérique se marque par un nouveau paroxysme, en une espèce de crise qui semblerait totalement décalée par rapport à la réalité, où le FBI ne craint rien de moins qu’on attente à la vie du président, où le président annonce qu’il ira jusqu’au bout au risque d’être battu en 2011. (“Décalée”, parce qu’il y a tant d’autres crises, en pleine activité, comme des volcans en éruption, qui portent bien plus de menaces immédiates et fondamentales. Cela n’est pas pour déprécier la situation tragique des Américains du point de vue de leur couverture-santé, ou plutôt de leur non-couverture-santé, mais pour situer le contexte.)
…En même temps, comme s’il s’agissait de démontrer une deuxième absurdité de cette situation, la position de BHO, comme c’est de plus en plus l’habitude avec lui, s’enlise de plus en plus entre l’extrême du possible, proche de la caricature, pour une véritable législation de santé publique et une complète compromission avec le système (dans ce cas, les grands groupes pharmaceutiques, qui entendent faire valser les $milliards). Ralph Nader prend la plume pour attaquer Obama là où il le peut, là où il le doit. La situation montre combien Obama est totalement laminé s’il ne radicalise pas sa position, en s’appuyant sur la seule position naturelle qui lui soit possible.
Dans sa diatribe, Nader avance justement le parallèle de Franklin Delano Roosevelt, qui devrait être le modèle de BHO, que BHO ne parvient pas à se décider à imiter. Dans le climat actuel aux USA, où la pathologie semble la règle (le fameux «The Democrats have moved to the right, and the right has moved into a mental hospital» de Bill Maher), cette voie semblerait n’être même plus une question de morale politique ou de tout ce qu’on veut de la sorte, mais bien une question à terme désormais assez court de survie politique – voire de survie tout court.
Nader écrit sa diatribe dans CommonDreams, ce 15 août 2009. Après avoir rappelé les constants contacts d’Obama avec les grands groupes pharmaceutiques, et les concessions qu’il leur a faites, qui leur font la vie belle quoi qu’il arrive, Nader écrit:
«By stark contrast, President Obama has never invited to the White House the leading consumer-patient champions in this country who favor full Medicare and free choice of physician and hospital-often called “a single payer” system. Open to the corporate barons who have failed decade after decade to deliver what patients need, the White House door is closed to the likes of Dr. Quentin Young-a founder of the Physicians for a National Health Program and an old Chicago friend of Obama's, Dr. Sidney Wolfe, who heads Public Citizen's Health Research Group, Drs. Marcia Angell, Stephanie Woolhandler, and David Himmelstein, who are nationally known and accomplished single payer advocates or Rose Ann DeMoro, executive director of the fast-growing California Nurses Association.
»Mr. Obama even tried to exclude any advocate of a single payer system-previously favored by Obama and still favored by a majority of the American people, doctors and nurses-from his roundtable meetings convened to receive the views of different constituencies.
»“Make me do it” was the advice of Franklin Delano Roosevelt to reformers when faced with legislation he desired but did not have the votes for in Congress. Mr. Obama is not exerting that plea for people power. Were he to do that, he would be encouraging daily public hearings in the Senate and the House on the bureaucratic waste, greed, overbilling, collusion, and fraud that many in the corporate world have inflicted with their costly, pay or die health care industry.
»Such publicized hearings would keep him on the offensive. It would arouse the public and focus energies on the main problem-the corporatization of medicine. This commercialism has left tens of millions of people without health insurance, caused 20,000 fatalities a year, and cost Americans twice or more per capita than have full Medicare systems in western countries, which have better health outcomes than the U.S.»
Non seulement cette position de BHO, son refus d’engager la voie populiste à l’image de FDR, est profondément critiquable, mais en plus elle risque d’être inefficace, sinon contre-productive en conduisant peut-être à une impasse dont les effets pourraient être dévastateurs – pour tous, pour BHO en premier. Après avoir noté la position de complète opposition de certains parlementaires au projet en cours d’élaboration, qui donne tant de garanties aux groupes pharmaceutiques, Nader observe encore, en lançant un appel à la riposte des électeurs:
«So is gridlock around the corner? Will there be a health insurance reform of any stripe signed into law this year? It depends on the alliances that settle for the lowest corporate denominators being blocked by the unyielding principled stands of the progressives who want something that puts patients above the failed profiteering vendors.
»The guess here is that Obama will sign anything which squirms through a cowardly Congress that cannot give to the American people in 2009 the health care system Congress stopped President Harry Truman from establishing in 1950.
»It is up to the people of our country to “make him do it” whether this year or next. A mere one million immediate calls to members of Congress by one million assertive citizens will start sobering up these legislators who think they can get away with another sale of our public trust.»
Voilà un des versants du débat, selon le cliché: Obama, homme des trusts (“marionnette”), contre le peuple. L’autre versant du débat, autre cliché, c’est “Obama socialiste”, voire communiste, voire tueur de malades dont il voudrait que la législation publique les forçât à se soigner selon ses propres prescriptions, tel qu’il est accueilli dans nombre d'occurrences par des groupes ad hoc. Cette fois, c’est le versant “conspiration” de la droite haineuse, évidemment extrémiste, cette droite dont Maher dit qu’elle a émigré vers les hôpitaux psychiatriques; c’est la “right-wing rage”, supposée venir des républicains, supposés zélés soutiens de tout ce qui est Big Money aux USA, ce qui permet aux “libéraux” de l’establishment (rien à voir avec Nader) de se refaire une vertu à bon compte. Du coup, ni le New York Times, ni le Washington Post ne se prive – on ne refuse rien à la vertu – d’articles dénonçant cette “rage”, qui a aussitôt l’allure d’un complot. L’affaire est d’autant plus lestement torchée que la “rage” en question est absolument phénoménale, et l’idée du “complot” encore plus séduisante qu’on sait que des groupes et milices diverses, d’obédience suprématiste, nazie, etc., s’agitent, et qu’aux USA cela menace toujours de déboucher sur une violence déstabilisatrice.
Ainsi Rick Perlstein, spécialiste des complots de la droite US quand elle joue au populisme, publie-t-il un article qu’il caractérise par le constat qu’aux USA, la folie est une condition sine qua non de l’action politique populaire – ce qui n’est pas mal vu si l’on en juge à fronts renversés, jugeant pour la droite, le centre, la gauche et même ailleurs. L’on observerait qu’il faut avoir une certaine dose de folie pour s’attaquer en militant à la forteresse de conformisme et d’autisme démagogique que représentent les employés du systèmes, politiciens et plumitifs, “à droite, au centre, à gauche”, etc. (En effet, le système est, il ne faut pas l’oublier, du modèle classique, quoiqu’en plus sophistiqué selon la tradition moderniste américaniste, du “système à parti unique”.)
Le 16 août 2009, Perlstein écrit dans le Washington Post:
«In Pennsylvania last week, a citizen, burly, crew-cut and trembling with rage, went nose to nose with his baffled senator: “One day God's going to stand before you, and he's going to judge you and the rest of your damned cronies up on the Hill. And then you will get your just deserts.” He was accusing Arlen Specter of being too kind to President Obama's proposals to make it easier for people to get health insurance.
»In Michigan, meanwhile, the indelible image was of the father who wheeled his handicapped adult son up to Rep. John Dingell and bellowed that “under the Obama health-care plan, which you support, this man would be given no care whatsoever.” He pressed his case further on Fox News.
»In New Hampshire, outside a building where Obama spoke, cameras trained on the pistol strapped to the leg of libertarian William Kostric. He then explained on CNN why the “tree of liberty must be refreshed from time to time by the blood of tyrants and patriots.”
»It was interesting to hear a BBC reporter on the radio trying to make sense of it all. He quoted a spokesman for the conservative Americans for Tax Reform: “Either this is a genuine grass-roots response, or there's some secret evil conspirator living in a mountain somewhere orchestrating all this that I've never met.” The spokesman was arguing, of course, that it was spontaneous, yet he also proudly owned up to how his group has helped the orchestration, through sample letters to the editor and “a little bit of an ability to put one-pagers together.”»
Nous voilà donc complot contre complot; le classique “Obama marionnette” du Big Business (les groupes pharmaceutiques après Wall Street) et, d’autre part, la droite, avec l’actif soutien organisationnel des républicains (lesquels sont pourtant les amis préférés du Big Business, en temps normal, comme nous l’a montré l’ère GW Bush, dont l’un des piliers, Rumsfeld, avait et a de très gros intérêts dans l’industrie pharmaceutique). La situation est compliquée, si l’on y ajoute les questions habituelle de sécurité, la vie du président menacée, etc. Stricto sensu, elle représente une nouvelle version de la politique de raison contre la “politique de l’idéologie de l’instinct”, et d'ailleurs sans qu’on puisse dire laquelle des deux est, objectivement parlant, la plus vertueuse pour ce qui est des résultats objectivement obtenus.
Il est arrivé que l'un ou l'autre de nos lecteurs s'inquiétât à propos de notre position vis-à-vis d'Obama. Le mot de “fascination” (éprouvée par nous, pour BHO) a été parfois proposé. (Il y a deux ans, de la même façon, nous étions soupçonnés d’être “fascinés” par Sarko. Les jugements expéditifs sont prompts à se manifester.)
Nous ne sommes pas fascinés par BHO. Nous fûmes accessoirement et épisodiquement fascinés par GW Bush, oui, parce qu’il y avait en lui quelque chose d’extrême, d’une attitude sans le moindre intérêt pour la nuance, de brut (comme on dit “brut de fonderie”), qui suscitait la fascination à notre sens; lorsqu’une psychologie humaine, complexe par définition, semble se réduire à des sentiments archétypiques de l’hollywoodisme et du prêche de pasteur télévisuel, et que tout cela est à la tête des USA, il y a un puissant motif pour entraîner à une fascination, qui ne serait effectivement qu’épisodique et accessoire. Pour BHO, nous sommes absolument confrontés à une énigme, et donc conduits par un sentiment peu ordinaire d’incertitude et d’incompréhension qui n’est en rien une fascination.
BHO est une énigme considérable. Il est évident que cet homme a des qualités brillantes, exceptionnelles pour le milieu politique US (certes, la référence est assez basse mais c’est celle dont nous disposons). D’une certaine façon, un esprit rationnel pourrait juger d’une façon réaliste (laissons les jugements de valeurs) qu’il manœuvre assez bien entre les uns et les autres, notamment entre les diverses pressions des groupes d’intérêt, qui constituent le seul tissue sérieux du système. Nous ne sommes pas de cet avis, fondamentalement, mais nous admettons sans hésitation qu’un tel jugement peut être posé. Par contre, nous sommes affirmatifs: le résultat est, pour Obama, catastrophique – et nous parlons toujours d’un point de vue réaliste, sans jugement de valeur. Il est catastrophique parce la situation psychologique des USA, dans des crises multiples et profondes, ne permet pas la réussite de cette sorte de manœuvre. C’est là que l’énigme BHO est le plus, disons, “énigmatique” – c’est-à-dire que c’est bien une énigme qu’il ne comprenne que la politique courante est une impasse ( et peut-être la solution de cet énigme se trouve-t-elle dans son caractère).
Bien sûr, Nader a raison de rappeler l’exemple de FDR s’appuyant sur le peuple pour faire pression, et faire céder les groupes de pression justement. (Ce que FDR en a fait ensuite, là aussi une autre affaire puisque nous nous cantonnons pour l’instant à la tactique politique.) C’est l’argument constant que nous développons pour Obama: ou être l’“American Gorbatchev” (ou un deuxième FDR, qu’importe), ou être encalminé par un alignement sur les forces d’argent qui, de toutes les façons, ne fera qu’accentuer les diverses crises et le conduira à un échec qui pourrait être turbulent.
Ici notre “fascination” (bien dans le sens de «profonde impression éprouvée par quelqu’un»), car nous en éprouvons aujourd’hui, effectivement, et plus intéressante que celle, anecdotique, que nous avions pour Bush. Elle va à une époque, à un temps “maistrien”, à une situation où un homme doit suivre son destin ou bien “tomber ignoblement”. A nouveau cette citation de Maistre: «On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.» Nous aurions tendance à juger que le mot de “scélérat” est un peu sévère pour BHO, et d’autres doivent penser le contraire. Ce n’est pas ce qui importe; ce qui importe, c’est la situation, c’est elle qui nous fascine; et, pour l’instant, BHO en est l’acteur central: ou bien il se soumet à son destin, qui est “de conduire la révolution” anti-système d’une façon ou l’autre, ou bien il “tombera ignoblement” – et la révolution se fera sans lui. Ce qui est fascinant, c’est que l’Histoire fait de BHO, qu’il le veuille ou non, un homme qui pose des mines destinées à exploser, qu’il veuille ou non leur explosion.
La question est de savoir comment (comment la “révolution” se fera avec ou sans lui). Dans notre époque de communication, nous l’avons déjà écrit, les circonstances extraordinaires de mouvement de l’information par la communication interdisent les actes révolutionnaires parce que “spontanés” dans leur caractère soudain décisif et alors incontrôlables dans leur déroulement, puisqu’au contraire la communication interdit cette spontanéité-là des événements. Par contre, la communication, qui brouille tout, rend aussi les événements incompréhensibles, et les attitudes psychologiques vis-à-vis d’eux idem. Ce que la psychologie ne peut exprimer directement par une “révolution”, elle l’exprime, d’une façon chaotique, à d’autres occasions, d’une façon complétement fortuite. La soudaine agitation US, sidérante, incompréhensible, autour de la question des “soins de santé”, est-elle une de ces circonstances? Suivons-là comme si c’était une possibilité. Jusqu’ici, il faut observer que certains de ses prolongements, y compris la dramatisation de la position de BHO, ne démentent pas cette interprétation. Pour la suite, on verra.
Terminons par la thèse BHO-“marionnette”, que nous ne refusons pas complètement même si nous la regardons avec un certain scepticisme lorsqu’elle nous est présentée comme un fait brut, bien informé, irréfutable. Nous la regardons avec un certain scepticisme parce qu’elle est nécessairement limitée à des situations absolument stables et absolument contrôlées; la situation de “marionnette” n’est pas une situation contractuelle qui vous menace des tribunaux si vous ne remplissez pas votre rôle jusqu’au bout; c’est une circonstance politique et politicienne d’un moment, correspondant à des répartitions de nécessités et d’intérêts. Ce que nous voulons dire est que, dans tous les cas, elle ne préjuge en rien du comportement de la “marionnette”.
On aurait pu dire de FDR, lorsqu’il fit campagne en septembre-novembre 1932, qu’il était une de ces “marionnettes”, parce qu’il avait paradoxalement le soutien de Wall Street, mécontent que la crise pèse gravement sur ses bénéfices et mécontent de Hoover (président-sortant, adversaire de FDR) qui ne parvenait pas à y mettre un terme. Qui a un peu de mémoire voudra bien se rappeler ce qu’on jugeait d’une façon écrasante, chez les analystes et autres penseurs, de Gorbatchev en 1984, 1985, 1986… Quand Thatcher disait (décembre 1984) que monsieur Gorbatchev était “un homme avec qui on pouvait parler” (par rapport aux membres du Politburo, tous vieillards séniles), elle ne signifiait pas une seconde qu’elle voyait en lui un réformateur radical, puis liquidateur du communisme, mais un dirigeant communiste classique doté d’un bon dynamisme et d’un esprit ouvert pour le dialogue. En fait, pour 99,5% des observateurs qu’on dit si qualifiés et authoritarive, Gorbatchev était une “marionnette du KGB” (son parrain politique étant Andropov, ancien président du KGB, centre de pouvoir très autonome du Kremlin). On sait, pour les deux (FDR et Gorbatchev), ce qu’il est advenu des “marionnettes”.
Par conséquent et pour l’immédiat, suivons sans les préjugés qu’on présente toujours, même si involontairement, un peu trop comme nécessaires, l’affaire des “soins de santé”. La folie américaniste, c’est-à-dire la folie d’une psychologie aux abois, s’y déploie dans toute son irrationalité. Dans cette ersatz de crise s’expriment toutes les frustrations des autres crises, dont certaines fondamentales, qui semblent ne provoquer aucun effet remarquable. Surveillons-là avec attention car c’est par un de ces biais incontrôlables que peut éclater le ferment révolutionnaire anti-système. Rien de plus, rien de moins.
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