L’euro et l’enfer de Dante

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L’euro et l’enfer de Dante

Nous voici donc en marche pour une nouvelle épreuve européenne, la réponse que l’Italie apportera à la Commission européenne qui a rejeté son budget 2019 et lui a demandé une version révisée pour la mi-novembre. Rien ne montre que l’Italie s’exécutera et certains, comme Olivier Delamarche qui fait partie de la branche antiSystème des économistes, estiment que ce pays sortira de l’euro en faisant porter à la Commission la responsabilité de cet acte. Ci-dessous, on trouve un texte de Fabien Buzzanca qui s’appuie essentiellement sur une interview de Delamarche expliquant son jugement prospectif sur une possible sortie italienne de l’euro.

Les diverses circonstances, détaillées dans le texte, montrent que le cas italien est loin d’être évident, et qu’ainsi se trouve renforcée l’hypothèse que la Commission a d’abord agi pour des raisons politiques, pour faire plier le gouvernement populiste, largement eurosceptique, qui dirige l’Italie depuis le printemps. On observera que le moment n’est pas nécessairement bien choisi, lorsqu’on voit les agitations partout autour de cette question du populisme et les effets qui, généralement, ne font que renforcer le dit-populisme. On observera également qu’il ne s’agit pas finalement d’une question de “choix”, que les événements sont tellement pressants et littéralement “déconstructeurs” pour l’Europe institutionnelle que cette Europe-là vit en état de siège permanent et voit dans n’importe quel événement sortant de la norme, – des normes qu’elle-même impose, – une agression contre son ontologie, c’est-à-dire son autorité et sa légitimité.

En effet, l’Europe institutionnelle, l’UE, vit dans le mythe selon lequel elle constitue une essence propre et que, par conséquent, elle dispose d’une autorité et d’une légitimité indiscutables, – sorte de “droit divin” postmoderne, d’une postmodernité pourtant activement athée. Le problème pour ce cas est bien que cette affirmation implicite, à peine “entre les lignes”, se heurte aux conditions de diverses vérités-de-situation très défavorables, et qui lui sont de plus en plus défavorables parce les préceptes de son autorité ne cessent de s’affaiblir, et de ce fait les contestations d’augmenter ; et là-dessus, plus les contestations augmentent et s’étendent, plus l’UE s’estime à la fois assiégée et menacée, à la fois victime d’un complot d’imposteur qui veulent s’attaquer à sa légitimité de “droit divin”, et plus elle trente de riposter plus fort en ne parvenant qu’à dramatiser la situation à son désavantage. Cercle vicieux, si l’on veut.

L’Europe institutionnelle riposte à chaque événement qu’elle perçoit comme une attaque par les moyens habituels toujours plus affirmés, qui sont les diverses pressions et narrative diffamatoires clamées d’une posture de toute-puissance et de haute valeur morale complètement fabriquées, et dont l’effet principal est d’être perçues par ceux qui les subissent comme des transgressions de plus en plus insupportables des souverainetés et des indépendances... Elle est comme un boxeur acculé, qui frappe de plus en plus fort mais de plus en plus dans le vide, en aveugle.

En fait, plus l’UE, l’Europe institutionnelle s’affaiblit sous les coups qui lui sont portés de l’intérieur de sa sphère, plus elle affirme une dureté et des exigences qui sont de plus en plus aléatoires et infondées, et qu’elle n’a évidemment aucun moyen matériel de justifier, encore moins de forcer à appliquer. (« ...Que vont-ils faire ? Envoyer les chars ? », s’exclame Delamarche, évoquant le cas où l’Italie refuserait de payer en cas d’éventuelles sanctions de l’UE si son budget est confirmé.)

Là-dessus, et pour faire sentir combien nous approchons d’un nouveau “moment de vérité”, de plus en plus menaçant, de plus en plus explosif, on comprend aisément que l’Italie est un très gros morceau, une noix d’une dureté épouvantable à se mettre sous la dent ; rien à voir avec la Grèce, et de même pour les dirigeants italiens qui sont d’une autre pointure que Tsipras et sa bande. Ces conditions objectives font que le climat psychologique est profondément différent, qu’il n’est plus question des postures avantageuses des Juncker, Schultz & Cie du début 2015, lors de l’arrivée de Tsipras au pouvoir.

En 2015, l’UE, la Commission, les Allemands en cavalerie lourde d’appui, les Français en moralisateurs si intelligents pour expliquer comment capituler et collaborer, tous parlaient à la Grèce comme l’on s’adresse à un mauvais élève sans véritable importance, de toutes les façons coincé dans son coin, près du radiateur, sous les yeux méprisants du reste de la classe. Aucune possibilité de s’échapper, le cancre n’en avait ni l’esprit ni les tripes. Aujourd’hui, l’UE affronte l’Italie comme s’il s’agissait d’un adversaire autonome, puissant, qu’elle tente de rabaisser mais sans guère de succès, comme s’il s’agissait d’un élève-chef de bande comme l’on a aujourd’hui, qui nargue sa prof en agitant un pistolet à plomb sous son menton pour la terroriser, et qui y parvient. Pendant ce temps, l’Allemagne est très loin, dérivant entre Charybde et Scylla ; la France est représentée par un petit roquet querelleur mais trop petit, désormais en permanence en procès dans son propre pays.

C’est-à-dire qu’on se demande qui est le plus seul, le plus isolé dans ce combat, de l’Italie ou de l’Europe institutionnelle ; et si l’UE, à force d’enrager et de dénoncer à mesure qu’elle s’affaiblit, ne va pas bientôt se retrouver elle-même l’objet de toutes les accusations et de toutes les mises en cause. L’affaire italienne est une belle démonstration que cette situation crisique européenne continue en accélérant sa chute dans le trou noir du tourbillon crisique.

Le texte ci-dessous, de Fabien Buzzanca pour Spoutnik-français est du 3 novembre 2018, sous le titre complet de « Crise entre l’Italie et l’UE: “L’Italie fera défaut et sortira de l’euro” »

dedefensa.org

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« L’Italie fera défaut et sortira de l’euro »

L’Italie a entamé un bras de fer avec Bruxelles. Il lui reste deux semaines pour présenter un budget 2019 qui satisfasse la Commission européenne. Mais les jours passent et Rome ne flanche pas. Pour Olivier Delamarche, membre des Éconoclastes, le but des dirigeants italiens est de sortir de l’euro, tout en rendant l’Europe responsable.

« Tout cela va mal finir. L’idée derrière la tête des dirigeants italiens, c'est au final de sortir de l’euro. Le tout en mettant la responsabilité sur l’Europe. »

Olivier Delamarche, dirigeant de Triskelion Wealth Management, propose une analyse «Éconoclaste» de la crise que traverse Bruxelles et Rome. Depuis que la Commission européenne a refuséle budget présenté par l'Italie pour 2019, une première, les relations entre les deux parties se sont quelque peu tendues. Bruxelles ne veut rien entendre. Les 2,4% de déficit proposés par le projet italien sont loin des 0,8% promis en juin dernier.

Du côté de Rome, la coalition au pouvoir veut appliquer les réformes promises aux électeurs. Création d'un revenu citoyen de 780 euros pour les plus défavorisés, réduction des impôts, baisse de l'âge de départ à la retraite, relance de l'investissement public sont autant de points que le Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio et la Ligue de Matteo Salvini veulent appliquer. Depuis, la liaison Bruxelles-Romme grésille. La Commission veut une nouvelle mouture d'ici mi-novembre. Les Italiens ne souhaitent pas, pour le moment, changer la moindre virgule de leur budget. Le clash est-il inévitable et qui portera le chapeau?

«Tout cela ne va pas être un long fleuve tranquille. Une sortie non préparée, non organisée de l'euro, ce n'est pas quelque chose qui se fait la fleur au fusil. [Les Italiens] ont tout intérêt politiquement à rendre l'Europe responsable pour l'opinion publique», prévient Olivier Delamarche.

Mais la Commission pourrait elle-même se retrouver en posture délicate. Il lui est difficile de céder : cela créerait un dangereux précédent. Si l'Italie peut sortir des clous budgétaires, demain d'autres pays en délicatesse avec leurs finances pourraient en faire de même.

Cependant, le Portugal et l'Espagne ont d'ores et déjà pris leurs distances avec les velléités d'indépendances italiennes, de peur de se faire sanctionner par les marchés. Ces derniers n'ont pas encore mis de pression insurmontable sur l'Italie. Le “spread” (différentiel entre les taux sur les obligations à 10 ans allemandes et italiennes) n'a pas encore atteint le seuil jugé critique. Véritable boussole qui indique la confiance des marchés, il évolue au-dessus de 300 points depuis le début du mois d’octobre. C’est à 400 points que la côte d'alerte serait atteinte.

Vers un défaut de l'Italie? 

Que se passerait-il si aucun accord n'était trouvé mi-novembre ? L’Italie s’exposerait alors à l'ouverture d'une “procédure pour déficit excessif”. Elle pourrait devoir s’acquitter d’une amende d’un montant équivalant à 0,2% de son PIB. En prenant les chiffres de 2017, cela représente 3,4 milliards d'euros. « À ce stade, nous ne sommes pas dans les sanctions. Si, au terme d'une procédure pour déficit excessif assez longue et inédite, car engagée sur le critère de la dette, les Italiens continuaient à ne rien changer, alors oui théoriquement, il y aurait des sanctions possibles », souligne un « très bon connaisseur des questions budgétaire » cité par nos confrères du Figaro.

« Vous pouvez toujours sanctionner, mais il faut que le pays décide de payer. Dans le cas contraire que vont-ils faire ? Envoyer les chars ?», s'interroge avec ironie Olivier Delamarche.

Mais c'est surtout les marchés qui pourraient s'occuper du travail de sape. L'agence de notation Moody's a récemment dégradé la note de la dette italienne. Elle est passée de “Baa2” à “Baa3”, le dernier échelon avant la catégorie spéculative.

La Banque centrale européenne (BCE) pourrait aussi faire pression sur Rome. Et il y a un précédent. En 2015, avant l'arrivée de Syriza au pouvoir en Grèce, les banques hellènes pouvaient se fournir en liquidité auprès de la BCE par la procédure normale. Elles devaient simplement apporter en garantie les obligations de l’État qu’elles détenaient. Sauf qu’à l'époque, les obligations grecques n’avaient pas le niveau de sécurité exigé d'ordinaire par la BCE. Le passe-droit avait pris fin lors de l'arrivée d'Alexis Tsipras au pouvoir. La Grèce avait alors bénéficié du mécanisme de financement d'urgence de la BCE (Emergency liquidity assistance). L'institution basée à Francfort avait relevé à plusieurs reprises le plafond de ce plan d'aide, seule source de financement des banques d'Athènes pendant un temps. Si Mario Draghi, le président de la BCE, reste pour le moment en retrait et parle d’“épisode italien”, l’opération pourrait très bien se répéter et cette fois avec les banques italiennes dans le viseur.

Plus largement, les taux obligataires pourraient s'envoler pour la péninsule et rendre son financement trop difficile voire impossible. Dans ce cas, le mécanisme de l'OMT (ou opérations monétaires sur titres) de la BCE pourrait rentrer en action. Jamais utilisé auparavant, il prévoit que la BCE achète des obligations d'un pays en difficulté, via les banques centrales nationales, afin de faire baisser les taux d'emprunt et lui éviter de devoir sortir de la zone euro. Mais encore une fois, pour bénéficier d'un tel mécanisme, l’Italie devrait plier.

« Si les Italiens sont vraiment prêts au bras-de-fer, il faudra à un moment faire défaut sur leur dette, qu'ils cessent de rembourser. C'est ce qu'il va se passer à mon avis. Ils feront défaut et sortiront de l'euro. De plus, vous avez une bonne partie de la dette italienne qui est détenue par l'étranger. »

Cette dernière, qui culminait fin mars à 2.302,3 milliards d'euros, représente 132 % de son produit intérieur brut (PIB). Seule la Grèce fait pire en Europe. La dette italienne est détenue pour moitié environ par des créanciers étrangers dont la Banque centrale européenne à hauteur de 17%.

Le scénario envisagé par Olivier Delamarche ferait trembler dans les couloirs de Bruxelles. Troisième économie de la zone euro, l'Italie est indispensable à la survie de la monnaie unique d'après l'expert qui en profite pour adresser une pique au Commissaire européen aux affaires économiques et monétaires et ancien ministre français de l'Économie Pierre Moscovici:

« Si l'Italie sort, l'euro éclate. Et si l'euro éclate, des gens perdront leur boulot. Des boulots très lucratifs pour des individus incompétents comme monsieur Moscovici. Ils ont évidemment la trouille que tout d'un coup la poule aux œufs d'or arrête de pondre. Il n'y a pas d'autres alternatives. On voit que l'euro a échoué. C'est devenu un enfer pour la Grèce, cela a fait reculer le niveau de vie des Espagnols, en Italie c'est pareil. Je ne pense pas que l'on puisse objectivement dire le contraire. Mais tout ce que l'on propose c'est plus d'euro. Curieux cheminement intellectuel que de vouloir plus d'une chose qui a échoué. »

Le spécialiste souligne notamment que la prévision de déficit de la France pour 2019 est supérieure à l'italienne et que les transalpins ont dégagé des excédents budgétaires primaires (hors service de la dette) de manière quasi-ininterrompu depuis 1992 (+1,7% en 2017):

« C‘est tout de même extraordinaire. L'UE est en train de dire aux Italiens: “Ce n‘est pas bien ce que vous faites, vous proposez un déficit de 2,4%”. En France on est à 2,8%. De plus, je rappelle que l'Italie a un excédent budgétaire primaire. Il faut arrêter, tout ceci est purement politique. Les dirigeants européens n'acceptent pas que les Italiens aient voté pour des eurosceptiques voire europhobes. Il n'y a pas de considération économique là-dedans. »

Reste que les dirigeants Italiens ont récemment dit leur attachement à l'euro, Matteo Salvini et Luigi Di Maio compris. De l'enfumage pour Olivier Delamarche: « C'est de la comédie. Cela leur permettra une fois sortis de l'euro de dire: "Ce n'est pas de notre faute, nous étions attachés à l'euro"

Mais concrètement, que signifierait pour l'Italie de faire défaut sur sa dette et de sortir de la monnaie unique? Les européistes promettent l'enfer au pays de Dante et des marchés qui n'accepteront plus de financer l'économie. Encore une fois, Olivier Delamarche est en désaccord total et cite l'exemple argentin:

« L’Italie récupèrera sa souveraineté économique et sa propre monnaie. Cependant, cela ne va pas régler tous les problèmes. Mais pour ce qui est des marchés, que croyez-vous qu'ils vont faire ? Ils vont pouvoir prêter à un pays qui n'a pas de dette. Évidemment qu’ils vont foncer. Au lendemain du défaut de l’Argentine en 2001, les investisseurs faisaient la queue. C'est pour essayer de faire peur que les européistes vous disent: “Vous vous rendez compte, s'ils font défaut, plus personne ne va leur prêter d'argent”. C’est faux. Le but aujourd'hui est d'effrayer au maximum pour que personne n'ait l'idée de se poser la moindre question sur les bienfaits de l'euro. L'euro c'était censé être la croissance et moins de chômeurs. En Europe, on a peu de croissance et beaucoup de chômeurs. »

Fabien Buzzanca