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1423La présidence russe vient de prendre la décision de classer comme “secret d’État” les informations concernant les pertes de forces militaires opérant dans le cadre d’“opérations spéciales” en temps de paix. (Il s’agit essentiellement de ce qu’on nomme d’une façon générale les “forces spéciales”, dépendantes aussi bien de commandements militaires réguliers que de services spéciaux, notamment le service de renseignement militaire GRU.)
Le site FortRus donne (le 29 mai 2015) une traduction anglaise d’un commentaire de Boris Rozhine, du site “Colonel Cassad” qui est l’une des très bonnes sources d’information sur la situation opérationnelle et politique en Ukraine. Pour Rozhine, la décision est non seulement normale, mais tardive, car elle aurait dû être prise à l’été 2014. Il ne fait évidemment aucun doute pour Rozhine que la décision est liée à l’activité de “forces spéciales” russes en Ukraine, particulièrement en Ukraine orientale, et elle était alors impérative, dès que les évènements d’Ukraine avaient pris une tournure d’affrontement (été 2014)...
«The only thing that surprises me is how late this is taking place – the need for it was obvious already in August-September 2014, when after the well known story about the “lost” paratroopers, both within and outside Russia there ensued a massive campaign aimed at demonstrating Russian military presence on the territory of the Donbass.
»The amendments block access to, and dissemination of, information related to secret operations by special services and losses suffered by them, and they represent another information security barrier for Russia's hybrid war in Ukraine. The threat of criminal prosecution for disclosing state secrets ought to motivate “talky” folks to keep their opinions to themselves. It's also clear that the “GRU spetsnaz” hysteria, and the unfavorable indicators of Ukraine-related information work, also motivated the decree. The local “fifth column” is trying to earn points in this area, and its information activity is being countered unimaginatively and even belatedly.
»Within the rules of hybrid war adopted by both sides, the participation of various special advisors and instructors, intelligence activity, private military companies, technical support, are officially denied and will be officially denied. Both sides will continue to accuse one another of transforming indirect participation into direct, and both sides will continue to deny these allegations, calling the occasional revelations of participation of its “specialists” a provocation by the other side, instead describing their advisors and instructors as observers and “monitoring group members.”
»In fact, everyone who more or less understands the real situation on the Donbass, understands that the junta's war with Novorossia is only the first, visible layer of conflict which is covered by the fog of war, behind which there hides the less visible battle between special services, information war groups, “private contractors”, and “representatives” of armed forces. Neither Russia nor the US will officially admit to this simply because there's a hybrid war going on. And of course the US has adopted similar secrecy measures concerning its operations outside the US. We know what these measures look like from the well known case of Bradley Manning.»
• Sur le site du Saker-US, qui constitue une autre source importante prorusse (et d’obédience russe) d’informations techniques précises sur la situation en Ukraine, on trouve une très substantielle interview d’un ancien officier des Spetsnaz du GRU, qui se présente sous le nom de code de Ramzes, ce 29 mai 2015. Ramzes se présente comme ayant servi pendant 5 ans, de 1994 à 1999, dont la dernière année comme officier commandant un groupe de 20-25 soldats de la 16ème brigade Spetsnaz du GRU. (Le terme de Spetsnaz est devenu générique et désigne tous les types de “forces spéciales” russes. Ramzes réclame la parenté du terme au seul GRU jusqu’au début des années 1990, période à partir de laquelle le mot est devenu effectivement générique pour désigner tout ce qui prétend être une unité d’élite des forces russes, aussi bien dans les forces armées que dans la police et les services de renseignement.)
Les réponses de Ramzes tendent très clairement à écarter l’idée que les unités Spetsnaz du GRU soient engagées dans des combats, ce qui n’est d’ailleurs pas leur fonction puisqu’il s’agit d’unités de reconnaissance et d’action secrète...
« As for there being Spetznas in Donbass – you can have it both ways. It is extremely unlikely, but however, well anything is possible. Just as it is possible that GRU Spetsnaz can be in the USA, Canada, Germany, Israel, Saudi Arabia at this moment. They might even be in China, Venezuela or Iran etc… [...] «Reconnaissance is one of our main missions. Our tactics are to never engage in direct battle, we will only engage once we are shot upon... [...] Maybe there are retired ex-military Spetsnaz personnel who are acting independently trying to help the people of Donbass, if the Ukranians catch retired personnel and discover the previous identities than they may make such claims, but it is NO active GRU unit would be involved in such manners. That is not our function...»
... Néanmoins, ces précisions catégoriques n’empêchent nullement que s’affirment l’impression, voire la perception que l’ensemble de l’interview permet de mieux comprendre la puissance et la diversité non seulement des unités spécifiques (les Spetsnaz du GRU, dont Ramzes semble très jaloux de la spécificité), mais des “forces spéciales” russes en général. L’on comprend dès lors qu’il s’agit d’un exposé catalogué, extrêmement précis, extrêmement suggestif, des capacités d’action clandestine/secrète (ou “couvertes”, pour covert) de la Russie, notamment en Ukraine, notamment dans la partie orientale du pays. Il s’agit d’une situation de ce qu’on nomme désormais de l’expression-tendance de “guerre hybride” (avec les variantes du type “invasion-stealth), où l’utilisation du système de la communication joue un rôle central et directeur, mais où des actes tactiques de type-militaire ou paramilitaire sont effectivement posés. Dès lors, le rapport est rapidement fait entre cette interview et la décision annoncée de la classification secrète des pertes de personnel dépendant de la sécurité nationale russe. L’impression prévaut assez fortement pour suggérer l’hypothèse que cette interview dépend aussi, dans une certaine mesure, d’une démarche indirecte ou d’une ouverture indirecte de tel ou tel organisme (le GRU en l’occurrence) pour permettre de diffuser, par des voies rendant difficile les détails de l’opération de communication, voire l’identification de cette opération, des précisions nombreuses et détaillées sur les capacités d’actions clandestines russes dans la “guerre hybride”, et tout cela avec la suggestion implicite et assez aisément admissible que ces actions ont effectivement lieu ou vont avoir effectivement lieu sur un mode structurel.
Il ne s’agirait donc pas de la reconnaissance de quelque façon que ce soit que la Russie intervient en Ukraine selon les règles d’une invasion classique, comme la chose est affirmée depuis un an par tous les outils de communication-Système du bloc BAO, mais de faire diffuser avec prudence l’idée qu’il y a bien intervention selon les règles courantes de la clandestinité qu’utilisent tous les grands services des puissances impliquées (il y en a plusieurs en Ukraine). On peut poursuivre l’hypothèse qu’il s’agit là d’une politique de communication nouvelle des Russes, peut-être suivant l'activation d’une politique d’intervention clandestine plus marquée et plus importante depuis un certain laps de temps qui se mesure en semaines. Il y a, in fine l’idée qui dit que “puisque l’idée de l’invasion russe de l’Ukraine est totalement intégrée dans la narrative du bloc BAO, eh bien il n’y a plus grand’chose à perdre à effectivement élargir et institutionnaliser une intervention active, mais dans les règles de la clandestinité chère aux forces spéciales”. Dans ce cas, l’équilibre doit être minutieusement déterminée entre d’une part l’application d’une politique d’intervention qui serait appliquée d’une façon plus structurelle, et d’autre part la poursuite déterminée du refus de la narrative-BAO sur l’invasion russe de l’Ukraine.
Il nous semble logique de voir dans ce contexte une hypothèse générale selon laquelle la Russie s’installe dans une situation de confrontation larvée et clandestine beaucoup plus “institutionnalisée” en un sens à la jointure Russie-Ukraine. Il s’agit d’un affrontement comme nous l’avons décrit dans notre F&C du 26 mai 2015 sur “la guerre totale”, où le système de la communication est de loin l’acteur principal, avec cette “guerre totale” d’abord exprimée par l’affrontement général, bien au-delà de l’Ukraine, dans ce champ de la communication (l’affaire du “scandale de la FIFA”, avec comme objectif du bloc BAO d’attaquer le régime russe et Poutine par le biais de la Coupe du Monde 2018, est le plus récent champ de bataille ouvert dans ce conflit). L’activité paramilitaire ou clandestine qu’on décrit pour l’Ukraine en est le substrat dans ce domaine. Il faudrait donc alors s’attendre, avec l’Ukraine, à une sorte de “stabilisation” paradoxale, une stabilisation dans l’affrontement (une “stabilisation dans la déstabilisation permanente”) qui pourrait prendre des formes plus diverses, éventuellement plus amples, et où la Russie devrait jouer un rôle beaucoup plus organisé et beaucoup plus affirmé si elle veut conserver le contrôle de la situation en Ukraine orientale et même sur sa frontière. L’Ukraine s’installe comme le cimier opérationnel de la crise structurelle fondamentale entre les USA/le bloc BAO et la Russie, ou bien encore le Système versus l’antiSystème.
Une certaine insistance russe, – celle de Poutine principalement, – à ne pas croire à l’inévitabilité et à l’inéluctabilité de cette “guerre totale” est un facteur absolument remarquable qui fait parfois s'interroger à propos des capacités du président russe à assumer toutes ses responsabilités historiques. (A certains moments, on loue sa “patience” extraordinaire, à d’autres on craint que cette “patience” ne se transforme, lors d’une circonstance capitale, en un aveuglement fatal.) En fait, les incidents de ces derniers jours ont montré aux Russes que l’apaisement apporté par Kerry à Sotchi ne signifiait rien de fondamentalement changé quant à l’hostilité US vis-à-vis de la Russie. D’où la remarque précédente, qui devrait plutôt s’énoncer de la sorte : quand Poutine admettra-t-il qu’il a en face de lui, non pas les USA ni le bloc BAO, mais des puissances animées et contrôlées par le Système, et que son seul espoir, sa seule “mission” possible en un sens, est de tenir une position antiSystème sans compromis. C’est là le véritable problème de la direction russe, – mais l’on voit tout de même qu’elle est poussée, peu à peu, à le considérer pour ce qu’il est d’un point de vue opérationnel, – même si elle hésite encore à le considérer pour ce qu’il est d’un point de vue fondamentalement conceptuel.
Mis en ligne le 31 ma 2015 à 16H57
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