L’hypothèse d’un “tourbillon cyclique”

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L’hypothèse d’un “tourbillon cyclique”

17 mars 2017 – Ils ont “le simulacre-Vérité pour dénoncer la post-Vérité”, nos zombies-Système opérant dans leurs chaleureuses officines de rédaction-délation parisiennes, ou dans les organes feutrés de la Grey Lady (le New York Times). Ce passage, nous l’écrivions avant-hier à propos de l’équipage Tulsi Gabbard-Rand Paul, vaillants et héroïques combattants au milieu du cloaque de mensonges du Système :

« Il s’agit d’un effort qui s’attaque à la fiction de la narrative, au procédé de l’inversion, à la démonstration que l’offensive des zombies-Systèmes anti-Trump contre l’ère dite de “la post-Vérité” soi-disant installée par le nouveau président est en grand risque d’être culbutée par derrière, par la mise à jour du simulacre-de-Vérité qui sert de référence à ces mêmes zombies-Système... Le simulacre-Vérité pour dénoncer la post-Vérité ? »

Ce formidable relativisme du mensonge maquillé et achalandé en narrative si vicieuses qu’elles entortillent ceux-là mêmes qui les composent nous invite à ouvrir toutes grandes les portes de l’hypothèse audacieuse, de la référence à la conviction, de l’imagination couplée à l’expérience pour parvenir à isoler les vérités-de-situation, tout cela à la lumière de l’intuition haute que nous espérons avoir toujours pour guide. Nous ne nous sentons liés par aucune de leurs règles de soi-disant déontologie, leurs règles d'une morale du rien, leurs règles arrangées selon l’esprit policier qui les caractérise, sorties péniblement des extraordinaires cloaques que le Système aménage pour composer ses partitions, cette sorte de Cloaca Maxima de la postmodernité, symbolique par le mensonge et le simulacre de cet immense trou à excrément qu’est devenue notre civilisation. Ce commentaire quelque peu courroucé introduit pourtant une démarche qui entend s’élever avec grâce, – espérons-le, la Grâce de l’Histoire, – vers une réflexion sans rapport avec la “cloaquisation du monde” que nous offrent les temps postmodernes.

(Il est vrai que l’amoncellement de mensonges comme un immense bidonville dialectique à l’échelle de la planète où nous sommes forcés de vivre et dont il nous faut constamment nous dépêtrer finit par ressembler à une sorte d’immense défécation du Diable. Aucune meilleure comparaison ne donne une idée suffisante de ce phénomène que celle des matières fécales, notre contre-civilisation comme à la fois cloaque de la Bête qu’elle est devenue, comme à la fois simulacre du Cloaca Maxima [le Cloaca Maxima de Rome marchait bien, le nôtre barbote dans les défécations de notre arrogante incompétence, et il ne cesse de se boucher]. Il faut s’extirper de ce simulacre du Cloaca Maxima par une pensée audacieuse et vengeresse, qu’aucune de leurs pseudo-règles de bienpensance de zombies-Système ne peut un instant empêcher.)

C’est de cette façon, c’est-à-dire dans certains cas avec une brutalité sémantique absolument nécessaire, qu’un esprit sain ayant évité de verser dans l’aveuglement enfermé ou dans l’hystérie de l’hybris paranoïaque, entend à la fois déterminer une analyse harmonieuse et équilibrée de notre situation, et rechercher les voies permettant d’envisager une issue brusquement vertueuse. Le fait est qu’on ne peut parler que de rupture, et que ce mot est implicitement présent dans le slogan de Trump, “Draining the Swamp” (“drainer le cloaque”), ce qui nous rapproche de Bannon, du Bannon dont nous parlions le 14 mars en nous promettant de revenir à lui. Bannon, effectivement, est un de ces hommes qui pensent à la radicalité des solutions ultimes pour échapper à la situation courante :

« L’on sait également que Bannon a déjà beaucoup suscité de commentaires avec certaines de ses conceptions, notamment et précisément son idée selon laquelle il faut “détruire tout le Système” (cette expression étant une interprétation de certaines déclarations et écrits, qui s’éclaireront plus loin)... »

Effectivement, nous avons pris grand intérêt au texte de présentation de Stephen Bannon que nous offrait Alastair Crooke sur ConsortiumNews du 10 mars. On rappelle ici l’essentiel de cette analyse qui est de faire de Bannon un guénonien persuadé que nous nous trouvons dans le quatrième et dernier âge du cycle civilisationnel, l’âge qui serait nécessairement celui de la crise et de l’effondrement à la fois, de notre civilisation (“contre-civilisation”), du Système.

« Bannon est extrêmement influencé par les travaux de deux commentateurs de la sorte que nous nommerions “crisologues” tant le concept de crise (crisologie) est au centre de toutes nos réflexions, Neil Howe et William Strauss, auteurs de ‘An American Prophecy’, en 1997. Les deux auteurs adoptent une approche de l’actuelle situation,  – la grande Crise se faisant déjà sentir dès la fin du communisme avec la mise en cause radicale de la notion de Progrès, – qui se réfère aux théories cycliques de la Tradition. [...]

» [Howe et Strauss] identifient quatre phases (quatre Turnings) dans le cycle, High, Awakening, Unravelling et Crisis, – étant entendu et étant évident que nous nous trouvons dans une quatrième phase du cycle donné qui voit évoluer notre civilisation et notre destin. Bien entendu, cette schématisation est irrésistiblement identifiable comme étant de type guénonien, c’est-à-dire selon la référence classique, et considérée par Guénon lui-même comme “universelle” du Manvatara hindouiste des quatre âges (Or, Argent, Airain et Fer), et référence effectivement de la Tradition et de toutes les doctrines qui s’y rapportent. Bien entendu encore, cette sorte de conception s’oppose d’une façon fondamentale et universelle à toutes les idées et conceptions de type moderniste. On a là, bien entendu toujours, une clef solide et fort bien ciselée pour expliquer la haine absolument diabolique, – le qualificatif sonne bien et juste, – qui accompagne Trump, son administration, et bien sûr son conseiller Bannon identifié comme le Diable en personne. (Ce qui est somme toute inacceptable comme on le comprend aisément, car il doit être admis que le Diable ne peut supporte ni admettre d’être plagié ni imité de quelque façon que ce soit...) »

Attendu que les conceptions de Bannon semblent en bonne partie partagées par Trump, d’ailleurs pour une part à partir d’une réflexion personnelle, il devient nécessaire d’observer d’un œil différent les dynamiques politiques en train d’être lancées par l’administration Trump. Sans nous faire l’avocat du diable-désordre en aucune façon, et même au contraire, nous serions conduits à considérer que les dynamiques politiques lancées semblent si catastrophiques, sans pour autant apaiser les querelles internes (notamment l’opposition haineuses des dominantes extrémistes à Washington D.C. qui devraient pourtant être satisfaites du cours politiquebien peu compatibles avec ses promesses électorales de Trump), qu’elles pourraient fort bien figurer comme un effort visant à accroître les mises à jour des vices du Système, et pousser vers les catastrophes qui en découlent. Est-ce possible ? Une idée de Bannon est qu’avant d’espérer d’être, selon le slogan du patron, Great Again, l’Amérique doit s’apprêter à souffrir (conseil valant pour the Rest Of the World, indeed...) :

« Now we have entered the “Fourth Turning”: “All the easy choices are back of us.” The “system” still lacks courage. Bannon says this period will be the “nastiest, ugliest in history.” It will be brutal, and “we” (by which he means the Trump Tea Party activists) will be “vilified.” This phase may last 15 – 20 years, he predicts. »

Bien entendu, ce point de vue et ce qu’il nous dit de la profondeur vertigineuse à la fois de la réalisation de la forme de crise que nous affrontons, à la fois des événements qui mèneront à la conclusion de cette crise, et cela dans le chef d’un homme placé au plus près du pouvoir actuel des États-Unis, nous font nécessairement nous interroger sur la politique actuellement suivie par la nouvelle administration. L’on sait que cette politique est si confuse, si désordonnée, si inintelligible, si catastrophique dans certains de ses axes, qu’on en viendrait à la qualifier de “non-politique”, ou plutôt d’“antipolitique” qui pourrait accroître le chaos washingtonien déjà bien implanté. Il faut alors se demander si cette confusion, ce tourbillon qui nous semblent insensés, ne sont pas le résultat d’une volonté par enchaînement des forces installées sinon par réflexe éclairé, – volonté ou réflexe que l’on pourrait aussi bien juger inconscient que conscient, – de faire évoluer les choses dans un sens (une absence de sens rationnel), avec pour effet d’accélérer le processus de paroxysme de la crise et d’ainsi œuvrer selon la logique de cycle qui nous est exposée.

La “politique du chaos” fut longtemps considérée par une partie importante des commentateurs antiSystème comme une sorte de complot universel d’une fraction (en général les neocons) répondant aux consignes du Système, ou plus prosaïquement à un projet d’une psychologie exacerbée de refonte des conditions du monde à l’avantage de l’hégémonie exclusive et quasi-éternelle du pseudo-“Empire”. (Certes, dans ce cas et comme toujours, “Empire” et Système s’équivalant, bien entendu, et “Empire“-simulacre par conséquent.) Cette vision, qui faisait la part belle à la puissance et à l’habileté des machinations humaines, s’est depuis révélée dans le constat que les effets du prétendu-complot donnaient le résultat inverse à celui qu’on attendait, qui est finalement de frapper en un effet-retour (“blowback”) principalement l’“Empire” lui-même et son pouvoir, où le chaos règne comme jamais aucun Empereur, aucun “président-Empereur”, n’aurait pu établir par ses simples erreurs courantes.

D’où le nécessaire changement de la perception : l’“Empire du chaos” selon l’expression de Pépé Escobar, qui génère le chaos d’abord pour lui-même comme dans un acte suicidaire, ne devient-il pas comme un instrument dans une main dont on ignore à qui elle appartient, pour générer effectivement ce chaos accélérant la mécanique de surpuissance du Système pour qu’elle se transforme en finalité autodestructrice ? C’est dans tous les cas en bonne, en très bonne voie. A cette lumière, les considérations de Bannon, qui peuvent paraître énervées ou excessives à beaucoup, acquièrent du sens et éclairent combien l’antipolitique/non-politique prend tout son sens métahistorique : l’on dirait qu’“en un sens” l’absence de sens d’une non-politique dans une époque qui n’a aucun sens prend tout son sens, de même que “moins plus moins” donne “plus” en algèbre ; “absence de sens plus absence de sens” révèle “un sens” comme résultat.

L'entente Toynbee-Guénon

A notre connaissance pour cette catastrophique et maléfique séquence postmoderniste, c’est la première fois qu’un homme politique dans une position de si haute puissance, tout proche de celui qu’on a coutume de désigner comme “l’homme le plus puissant du monde”, exprime publiquement sa croyance dans le caractère à la fois inéluctable, catastrophique et nécessaire de la crise du Système, devant nécessairement s’achever par l’effondrement du Système. C’est encore plus la première fois, toujours à notre connaissance, que cet homme appuie cette conception sur la théorie cyclique de la Tradition, tout cela sous-entendant nettement par logique inversée le caractère destructeur, catastrophique et diabolique de notre civilisation dans la course où elle se trouve engagée aujourd’hui.

Du coup, ce serait également la première fois qu’un tel dirigeant politique en viendrait à envisager ce que pourrait être ou devrait être une “politique” métahistorique allant dans le sens de ce changement radical et cosmique d’une fin de cycle. A cette lumière, bien entendu, l’équation surpuissance-autodestruction est elle-même authentifiée tant il est manifeste dans l’esprit de ces constats que c’est l’activité même de notre Système, ou de notre civilisation, qui conduit le développement de l’évolution cyclique parvenant à son terme.

Ces constats doivent être considérés en fonction des caractères complètement singuliers de notre civilisation, – ce que nous avons baptisé “contre-civilisation” à cause de la dynamique systématique d’inversion qui la caractérise et de l’influence maléfique évident qu’elle dégage dans la surpuissance de son évolution. Ces caractères de notre contre-civilisation sont nécessairement sans précédent ni équivalent (SPSE) de toutes les façons possibles, de tout ce que nous avons connu et de tout ce que nous connaissons. Ils sont principalement au nombre de deux, correspondant aux deux systèmes annexes, ou bien disons sous-systèmes, constituant les bras armés du Système : le système de la communication et le système du technologisme, avec des connexions évidentes entre les deux (le système de la communication a connu et connaît l’expression qu’on sait grâce à la puissance du technologisme).

• Le premier de ces caractères est que le système de la communication permet de suivre et de voir en temps réel l’évolution de la situation du monde. Nous ne disons pas la réalité, car l’on sait combien ce concept est à notre sens complètement pulvérisée, mais bien “situation” du monde, là où il nous faut distinguer des “vérités-de-situation”. Quoi qu’il en soit, le moyen de voir directement cette évolution existe, et il permet notamment de percevoir à l’instant où ils se produisent les plus grands événements (le reste étant évidemment une question d’interprétation).

Nous avons été sensibilisé à ce fait, évidemment, depuis 9/11 : l’attaque du 11 septembre 2001 s’étant déroulée sous nos yeux, pratiquement comme si nous vivions l’événement, et en même temps l’embrassions dans sa totalité. (Fabrice à Waterloo ne voit qu’une toute partie de la bataille dans la confusion, Napoléon [ou Wellington ?!] l’embrasse tactiquement, Talleyrand la perçoit stratégiquement ; aujourd’hui, la possibilité nous est donnée d’être instantanément et tout uniment, Fabrice, Napoléon-Wellington et Talleyrand...) Certes, il s’agit de “possibilité”, et nul ne peut être assuré du bon usage de cette possibilité, — au contraire, comme l’on voit chaque jour, les plus grotesques narrative tentent d’écarter le constat des situations gênantes, – mais des narrative de plus en plus grotesques justement, tant la tâche du faussaire devient difficile devant le déferlement des caractères extraordinaires de la situation du monde ;  car, certes, la disposition de cette possibilité est une révolution cosmique dans la perception...)   

« Cette idée-là ne nous a jamais quitté, – cette idée selon laquelle cette époque était exceptionnelle parce que, à cause de diverses circonstances, capacités, etc., nous étions en position d’observer le destin du monde. Nous l’écrivions déjà en 2003 ([Philippe Grasset], Chroniques de l’ébranlement, Mols, 2003), et cette réflexion peut être conservée telle quelle, sinon ‘rafraîchie’ de quelques mots et concepts empilés depuis dans notre ‘arsenal dialectique’ :

« “D'abord, il y a ceci: en même temps que nous subissions cet événement d'une force et d'une ampleur extrêmes, nous observions cet événement en train de s'accomplir et, plus encore, nous nous observions les uns les autres en train d'observer cet événement. L’histoire se fait, soudain dans un déroulement explosif et brutal, nous la regardons se faire et nous nous regardons en train de la regarder se faire...” » (dedefensa.org, le 18 juillet 2014.)

• Le second de ces caractères est que système du technologisme est conçu par nous dans les plus vastes proportions possibles. Il constitue ce vaste ensemble qui rassemble la science et son application “opérationnelle” qu’est la technique, ainsi que l’esprit qui y préside. L’idée que nous voulons proposer ici, à partir d’une conception du philosophe de l’histoire Arnold Toynbee, est depuis longtemps dans de nombreux texctes dans ces colonnes, puisqu’elle se trouve déjà dans un texte du 27 juillet 2002, repris dans notre Glossaire.dde du 10 décembre 2015. (Elle est également développée dans la Cinquième Partie de La Grâce de l’Histoire, Tome-II.)

Toynbee a développé l’idée d’une succession cyclique des civilisations, les civilisations suivant elles-mêmes une évolution cyclique se terminant par une décadence (une chute, un effondrement) qui permet à une autre civilisation de lui succéder. Il constate alors, – même s’il n’en tire pas en 1948 toutes les conséquences que nous devons en tirer en 2017, – que nous sommes, avec la civilisation occidentale, dans un blocage parce que la surpuissance de cette civilisation (le technologisme, ou “la technique”) empêche toute autre civilisation de se développer et maquille notre décadence sous divers artifices permis par le technologisme, ainsi nous faisant survivre par “acharnement thérapeutique”, alors que le sens même de cette civilisation se rapproche comme on le voit chaque jour d’une sorte de néant entropique. (Déjà, Toynbee notait en 1948 le « regard déformé d'un contemporain occidental dont “l'horizon historique s'est largement étendu, à la fois dans les deux dimensions de l'espace et du temps”, et dont la vision historique “s'est rapidement réduite au champ étroit de ce qu'un cheval voit entre œillères, ou de ce qu'un commandant de sous-marin aperçoit dans son périscope”... »)

Voici ce que nous notons notamment à propos du blocage de cette civilisation occidentale, dans les deux textes référencés plus haut : « Allons à un autre point que Toynbee met en évidence dans ces analyses, qui concerne particulièrement notre civilisation occidentale. Il parle de “ce récent et énorme accroissement du pouvoir de l'homme occidental sur la nature, — le stupéfiant progrès de son ‘savoir-faire technique’ — et c'est justement cela qui avait donné à nos pères l'illusoire imagination d'une histoire terminée pour eux”. Cette puissance nouvelle a imposé l'unification du monde et permis à l'homme occidental de prendre sur le reste, quel qu'il soit et quelle que soit sa valeur civilisationnelle, un avantage déterminant. Cette puissance constitue un avantage mécanique fonctionnant comme un verrou et donnant l'avantage décisif dans les rapports de forces, quelque chose que les lois de la physique et autres des mêmes domaines du fonctionnement du monde interdisent de pouvoir changer.

» Ce fait a bouleversé la marche cyclique par laquelle Toynbee définit les rapports des civilisations, et par laquelle il mesure la possibilité pour l'humanité de progresser au travers cette succession de civilisations. “Pourquoi la civilisation ne peut-elle continuer à avancer, tout en trébuchant, d'échec en échec, sur le chemin pénible et dégradant, mais qui n'est tout de même pas complètement celui du suicide, et qu'elle n'a cessé de suivre pendant les quelques premiers milliers d'années de son existence? La réponse se trouve dans les récentes inventions techniques de la bourgeoisie moderne occidentale.” Voilà le point fondamental de Toynbee: notre puissance technicienne, transmutée aujourd'hui en une affirmation soi-disant civilisatrice passant par la technologie, révolutionne l'évolution des civilisations et bouleverse leur succession. [...]

» Résumons les arguments que nous donne Toynbee :

» • Son idée d'une approche en partie cyclique de l'évolution des civilisations nous paraît très intéressante. Elle implique qu'on ne peut envisager l'évolution des civilisations indépendamment les unes des autres, qu'il existe une certaine continuité de l'ordre du spirituel autant que de l'accidentel ; que toute civilisation, c'est l'essentiel, a une sorte de responsabilité par rapport à l'histoire, y compris dans son décadentisme, dans sa façon d'être décadente ...

» • Sa deuxième idée concernant notre civilisation est que, la disposition d'une telle puissance technique et technologique utilisable dans tous les recoins et dans une géographie terrestre totalement maîtrisée et contrôlée impose à notre “civilisation” (les guillemets deviennent nécessaires, par prudence) une ligne de développement même si ce développement s’avère vicié et qu’elle interdit tout développement d'une civilisation alternative et/ou successible.

» • Une autre idée, implicite et qui nous semble renforcée de nombreux arguments aujourd'hui, voire du simple constat de bon sens, est ce constat, justement, que l'hypertrophie technologique de notre civilisation s’est accompagnée d'une atrophie des comportements et des valeurs intellectuelles et spirituelles de civilisation, que ce soit du domaine de la pensée, de la croyance, de la culture au sens le plus large. »

Ainsi y a-t-il deux facteurs psychologiques en action dans cette dualité qui constitue le caractère unique de notre civilisation (“contre-civilisation”). Il y a d’une part la possibilité de la perception immédiate et directe de l’évolution de notre contre-civilisation, avec acceptation ou refus, ou simulacre, etc., de cette perception, donc la possibilité de la perception immédiate de la décadence, de l’effondrement, de la chute. Cela ne signifie pas que nous saurons, que nous savons aussitôt, parce qu’il existe une possibilité infinie de trucages, de dénis, etc. ; cela signifie plus simplement mais radicalement que nous pouvons effectivement voir cette décadence/chute/effondrement. Cela implique qu’il existe un lien psychologique direct, conscient ou inconscient, entre nous en tant qu’acteurs, ou dans tous les cas en tant que figurants ou observateurs, et le processus final du cycle.

Il y a d’autre part ceci qui est un élément nouveau par rapport au constat de Toynbee, le prolongeant jusqu’au terme de sa logique, certes cette perception du blocage de la domination de notre contre-civilisation par la technique mais qui s’est prodigieusement et exponentiellement trouvée équilibrée, compensée, voire, de plus en plus, remplacée par le sentiment de l’absence de sens, de vide spirituel, etc., directement lié à cette puissance du technologisme. En même temps, ce système du technologisme donne des signes d’essoufflement sinon de blocage (des choses telles que l’avion JSF), voire des signes de démence (développement d’une sorte d’idéologie post-postmoderne qu’on pourrait baptiser “robotisme”, produisant des automates et des robots pouvant aller jusqu’à concevoir selon leur logique la nécessité d’une rentabilité entropique par l’élimination de l’espèce humaine). Le système du technologisme exerce toujours sa dictature, mais une dictature rouillée, contestée, cahotante, en cours accéléré de dissolution.

On se trouve dans une situation de crises multiples, littéralement dans la dynamique d’un “tourbillon crisique” des composants de la civilisation, explicitant la Grande Crise Générale de notre civilisation devenue contre-civilisation, s’insérant par conséquent parfaitement dans une logique cyclique du genre de celle qui est perçue par Bannon, ou renvoyant plus généralement à la conception immuable de la Tradition où le dernier quartier du cycle est nécessairement celui de la décadence/chute/effondrement. Ces différents éléments, qui sont effectivement d’abord du domaine de la perception psychologique, doivent effectivement agir sur la psychologie et convaincre un nombre croissant d’esprits qu’il existe une nécessité d’action pour accélérer le processus de chute, selon la logique cyclique envisagée ici. Nombre de signes dans l’observation qu’on peut faire des psychologies collectives aussi bien que de divers cas individuels, montrent qu’effectivement la perception, l’état de la psychologie, la pensée et le jugement au bout du compte, évoluent vers cette sorte de position et d’argument. Ainsi le “tourbillon crisique”, qui est en soi catastrophique, devrait évoluer en un “tourbillon cyclique” capable de créer une situation où pourrait se forger un renouveau sur les ruines de la catastrophe accomplie.

A notre sens, il reste un facteur déterminant qui conditionne tout, qui est la clef de cet événement cosmique. Il ne nous semble évidemment pas que l’on puisse réduire notre crise civilisationnelle, avec une civilisation devenue contre-civilisation et manifestement influencée par des forces maléfiques, aux seuls facteurs de la réalité cognitive que sont la communication et le technologisme (même si pour radicalement modifier en quelque sens que ce soit l’un ou/et l’autre). Il y a la question du sens qui domine le tout selon nous, c’est-à-dire la question de l’absence de sens, c’est-à-dire la nécessité d’un choc spirituel fondamental qui doit accompagne, orienter, diriger sinon provoquer cette fin de cycle et cette chute de la contre-civilisation, pour créer les conditions d’un renouveau, c’est-à-dire la réapparition du sens cosmique de notre aventure dans le chef d’une autre civilisation. Ainsi le Cloaca Merdata sera-t-il drainé...

Dans ce cas, bien entendu, nous quittons le seul facteur humain pour entrer dans celui du Mystère et de l’Unité primordiale. L’on verra alors évidemment qu’il ne s’agit pas seulement, – bien loin de là, – d’être Great Again. S’il est ce que l’on dit qu’il est, Bannon doit bien se douter de cela.