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3624« Ce sont les deux seuls avions que le Patriot ait jamais abattus », disait après la deuxième Guerre du Golfe (Iran, 2003) l’analyste de GlobalSecurity.org John Pike, cité dans le Guardian du 23 avril 2003, du temps où ce quotidien était fréquentable. Ces deux “seuls avions” que le missiles US sol-air Patriot ait donc descendus au cours d’opérations de guerre sont un Tornado de la RAF britannique le 23 mars 2003 et un F/A-18 de l’U.S. Navy le 3 avril 2003, tous deux en Irak. Pike encore : « Sans aucun doute, le plus gros ratage technologique dans cette guerre est le Patriot. [Un de ses plus importants problèmes] est sa capacité à distinguer une cible amie d’une cible ennemie. » Non seulement, le Patriot ne distingue pas entre “amis” et “ennemis” mais il a une nette préférence pour ne se payer que “les amis”.
Pike aurait pu dire une chose assez semblable après la première Guerre du Golfe (1990-1991), et il pourrait nous le répéter aujourd’hui, – pour ce qui est du “ratage technologique”. Le Patriot est sans nul doute la plus opiniâtre et coûteuse merde technologique que la nation exceptionnelle qui s’y connaît pourtant dans ce domaine ait produite, mise en service, utilisée en opérations de guerre, exportée et glorifiée à la fois, – depuis 1984, tout de même, date d’entrée en service du premier modèle della famiglia. En conséquence, elle (la nation exceptionnelle) vend plus que jamais du Patriot. (Dernier contrat, autour de $3 milliards de Patriotil y a quelques jours, avec les Polonais que le passage du Pacte de Varsovie à l’OTAN semble avoir figé dans une incommensurable bêtise saluée d’un bêlement à la fois proaméricaniste et sans fin.)
Ce que disait Pike est toujours vrai : deux avions à l’actif des multiples Patriot qui protègent le monde tout au long de sa carrière sans fin, et toujours les deux “amis”. Par contre, le bruit a couru qu’il n’avait pas son pareil pour abattre les missiles de troisième zone qui égaient épisodiquement les guerres de seconde zone et jusqu’aux guerres asymétriques. En général, et même dans tous les cas particuliers, ce qui est annoncé est rapidement reconnu comme tout simplement faux, – même aujourd’hui. (« Le 25 mars [2018], les forces Houthi au Yémen ont tiré sept missiles sur Riyad. L'Arabie Saoudite a confirmé les lancements et a affirmé avoir réussi à intercepter les sept. C’est faux », selon Jeffrey Lewis, – voir plus loin.).
Cette constance des exploits du Patriot dans la “vraie guerre” comme l’on dit “la vraie vie” remonte à 1990-1991. Il y a peu encore, nous rappelions un épisode qui mériterait d’être fameux : « Un texte de WSWS.org du 7 février 2003 rapporte un épisode fameux, que l’on a par ailleurs entendu décrit par le ministre israélien de la défense d’alors Moshe Arens, où Arens rencontrant Bush père se permit de contester devant lui le succès des Patriot durant la première guerre du Golfe (1990-1991) avant d’être vertement remis à sa place par le président. Alors que Raytheon affirmait un succès considérable dans l’interception de nuées de Scud qu’on imaginait tirés par centaines, Arens estimait lors de cette interview que le taux de réussite de 20% des Patriot officieusement avancé par les Israéliens pour les tirs contre Israël était encore plus bas. En fait, Arens parlait tout simplement d’aucun Scud détruit par les Patriot [en Israël], soit un taux de réussite de 0%, les tirs irakiens se résumant aux 39 Scud qui touchèrent Israël en 1991... »
Malgré ces très remarquables performances durant la première guerre du Golfe (taux net de 0% de réussite), de nouvelles versions, sinon de nouvelles “générations“ du Patriot ont été développées. Cela permit, à la fois, de dépasser les coûts de développement prévus, de remplacer des batteries qui n’avaient eu aucun usage puisqu’elles étaient défaillantes par de nouvelles, à des coûts supplémentaires et en forte augmentation de prix de vente ($2-$3 millions le missiles, à la tête du client), pour obtenir de nouveaux systèmes qui purent montrer et montrent plus que jamais, comme très logiquement, les mêmes faiblesses fatales que ceux qu’ils remplaçaient. En général, les dirigeants de Raytheon et les généraux adéquats du Pentagone étaient et sont au courant de toutes ces évolutions vertueuses, tandis que les dirigeants politiques, comme Bush père devant le ministre Arens, gobent et exaltent tous les bobards que leur rapportent les premiers cités.
Dans CounterPunch, Jeffrey St-Clair écrivait le 17 avril 2003, pour saluer la “deuxième Guerre du Golfe du Patriot” (2003) :
« Ce qui est plus troublant, c'est que le Pentagone savait tout cela et le couvrait, comme Raytheon, le fabricant. Au lendemain de la guerre du Golfe [de1990-1991], l’armée américaine a publié deux évaluations sur la performance du système de missiles Patriot : une sur le Patriot contre les Scud irakiens en Israël et une autre sur le même affrontement en Arabie Saoudite. Initialement, le Pentagone revendiquait un taux de réussite de 80% en Arabie Saoudite et de 50% en Israël. Quelques mois plus tard, cela était ramené à 70% et 40%. Un an plus tard, le Pentagone a admis qu'il avait un haut degré de confiance dans un pourcentage de réussite de “10%”.
» Pourquoi cette dissimulation initiale des véritables résultats ? Les guerres américaines ont servi de démonstrations “live” des armements. Le battage médiatique sur le Patriot, que les médias américains ont avidement ingurgité, a directement servi à la promotion des ventes à l’exportation du système. [...] “Le Pentagone sait depuis plus d’une décennie que le Patriot ne peut pas distinguer ses cibles de nos propres avions amis”, a déclaré Danielle Brian, directrice exécutive du Project on Government Oversight, un groupe de surveillance du Pentagone. “C’est un outrage qu'ils n'aient pas réparé ce défaut fondamental, mais continuent à l’acheter et à le vendre à nos alliés, et ont le culot de promouvoir cette arme dans les deux guerres du Golfe comme une star alors qu’ils savent que c’est une catastrophe dangereuse pour nos propres forces...” »
L’aventure s’est donc poursuivie après la deuxième Guerre du Golfe de 2003 et l’on est désormais conviés aujourd’hui à assister aux exploits unanimement salués des Patriot livrés par les USA aux Saoudiens contre les attaques de missiles houthis. (Les Saoudiens en sont si satisfaits qu’ils en ont remis une couche en glissant leur lot habituel de Patriot dans l’énorme commande de plus de $100 milliards d’armements US qu’ils viennent de passer à l’intense satisfaction du président Trump venu à Ryad, il y a dix mois, faire son boulot de commis-voyageur.) Les mêmes exploits ont été salués par la presse officielle, cette célébration précédant de peu l’habituelle mise au point selon laquelle les volées de Patriot tirées contre deux attaques de missile houthis ont tout raté avec une constance qui montre de quel bois l’on se chauffe lorsqu’il s’agit de défendre la civilisation.
On lira deux extraits de textes concernant ce dernier chapitre des aventures du système d’arme le plus exemplaire du fonctionnement de la technologie militaire US. Le Patriot est d’une génération précédant celle du JSF, mais il est si exceptionnel et si en avance sur son temps, qu’on pourrait le considérer comme une sorte de “galop d’essai” parfaitement réussi de l’extraordinaire capacité d’échec de la technologie militaire US, accompagnée de l’extraordinaire capacité de dissimulation de cet échec par la communication, le tout étant couronné par l’extraordinaire capacité de corruption vénale et psychologique de tous les pays qui continuent à acheter des armements US, jusqu’à ce récent mariage Pologne-Patriot en si belles et grandes pompes.
• D’une part, des extraits d’un texte de The Moon of Alabama, du 26 mars 2018 (traduction du Sakerfrancophone, de Dominique Muselet, le 31 mars 2018) :
« Deux incidents survenus la nuit dernière montrent une fois de plus que la défense antimissile est du gaspillage. Ça ne marche presque jamais. La défense antimissile stratégique, que les États-Unis fabriquent, pour détruire les missiles intercontinentaux, ne protègera jamais personne contre les nouvelles armes que la Russie et d’autres pays développent actuellement. L’armée étasunienne l’avoue elle-même. Après que Poutine a présenté les nouveaux systèmes d’armement russes, l’administration Trump a hissé le drapeau blanc et a soudain appelé au renouvellement du dialogue sur le contrôle des armements.
» Hier soir, l’armée yéménite a lancésept missiles balistiques contre l’Arabie saoudite. Trois d’entre eux visaient la capitale Riyad, quatre visaient des cibles militaires et des infrastructures. A Riyad, les forces saoudiennes ont tiré un certain nombre de missiles surface-air Patriot et ont affirmé que ces derniers avaient intercepté avec succès les missiles yéménites. Le système Patriot Advanced Capabilities-2 (PAC-2) saoudien est fabriqué par la société étasunienne Raytheon, qui emploie également d’anciens soldats américains comme « techniciens de terrain des batteries Patriot » pour actionner et entretenir les systèmes saoudiens.
» Les premières allégations saoudiennes d’interceptions réussies se sont avérées fausses. Les petites ogives des missiles yéménites se séparent du gros corps des missiles et sont difficiles à repérer. Les systèmes fournis par les États-Unis ciblent les gros corps vides des missiles.
» Cette fois-ci, plusieurs vidéos en provenance de Riyad montrent qu’au moins sept missiles intercepteurs ont été tirés contre les trois missiles entrants. Au moins deux des intercepteurs sont complètement passés à côté de leur cible. Les cinq autres semblent s’être autodétruits en altitude. Il n’y a aucun signe de la moindre interception véritable... »
• Le deuxième extrait vient d’un texte de Jeffrey Lewis, publié par ForeignPolicy.com le 28 mars 2018. (Lewis est directeur du East Asia Nonproliferation Program au Centre James Martin des Etudes du Non-Prollifération, Institut des Etudes Internationales Middlebury, à Monterey, en Californie.)
« Le 25 mars, les forces Houthi au Yémen ont tiré sept missiles sur Riyad. L'Arabie Saoudite a confirmé les lancements et a affirmé avoir réussi à intercepter les sept.
» C’est faux. Ce ne sont pas seulement la chute de débris à Riyad qui a tué au moins une personne et envoyé deux autres à l'hôpital. Il n'y a aucune preuve que l'Arabie Saoudite ait intercepté des missiles. Et cela soulève des questions inconfortables non seulement pour les Saoudiens, mais aussi pour les États-Unis, qui semblent leur avoir vendus – de même qu’au public américain lui-même, – un grossier simulacre de système antimissile.
» Les images des médias sociaux semblent montrer que les batteries Saudi Patriot tiraient des intercepteurs. Mais ce que ces vidéos montrent ne sont en rien des coups au but. Un intercepteur explose de façon catastrophique juste après le lancement, tandis qu'un autre fait demi-tour dans les airs puis revient dans un bruit d’enfer vers Riyad, où il explose sur le sol.
» Il serait possible d’affirmer que l'un des autres intercepteurs ait fait le travail, mais j’en doute d’une façon catégorique. Mes collègues de l’Institut d’Etudes Internationales Middlebury et moi-même avons examiné de près deux attaques de missiles différentes contre l'Arabie saoudite entre novembre et décembre 2017.
» Dans les deux cas, nous avons constaté qu'il est très improbable que les missiles aient été abattus, malgré les déclarations contraires des officiels. Notre approche était simple : nous avons cartographié l'endroit où les débris, y compris la cellule du missile houthi et l’ogive, sont tombés et où se trouvaient les Patriot. Dans les deux cas, un schéma clair est apparu. Le missile lui-même tombe à Riyad, tandis que l'ogive se sépare, survole la défense et atterrit près de sa cible. Une tête militaire est tombée à quelques centaines de mètres du terminal 5 de l'aéroport international King Khalid de Riyad. La deuxième ogive, tirée quelques semaines plus tard, a presque démoli un concessionnaire Honda. Dans les deux cas, il était clair pour nous que, malgré les revendications officielles saoudiennes, aucun missile houthi n’avait été abattu. Je ne suis même pas sûr que l'Arabie saoudite ait tenté d'intercepter le premier missile en novembre.
» Le fait donc est qu’il n’y a aucune preuve que l’Arabie Saoudite a intercepté des missiles Houthi pendant le conflit au Yémen. Et cela soulève une pensée inquiétante : y a-t-il une raison de même penser que le système Patriot fonctionne, – tout simplement ? »
La forme de pensée de Lewis est inquiétante : il faudrait donc des preuves pour confirmer ce qu’une narrative-Système avance sans que rien, surtout rien du tout, ne vienne la confirmer ? Au contraire, l’absence de preuve ou de confirmation constitue évidemment les meilleurs signes du monde de la véracité de la narrative, et une incitation quasi impérative, dans ce cas comme tant d’autres, de décider de nouvelles sanctions contre la Russie...
Cela bien compris, admis et applaudi par tous, il faut aussitôt faire le constat de l’exceptionnelle durabilité du simulacre de communication et de l’imposture technologique que constitue le cas du Patriot MM104. Comme on l’a dit, à partir d’un développement datant de la fin des années 1960 il a connu ses premiers déploiements en 1984 comme missile anti-aérien. Ses évidentes qualités jusqu’alors dissimulées, – en même temps que s’imposait l’effondrement par dissolution accélérée du programme de la Strategic Defense Initiative, dite “guerre des étoiles”, de Reagan, appelant des simulacres de remplacement, – conduisirent Raytheon et l’US Army à lui rajouter par collage sur le fuselage l’étiquette antimissiles à partir de 1988.
Ses défauts catastrophiques évidents dès les opérations de la Guerre du Golfe de 1990-1991 se sont perpétués avec un souci religieux de la tradition tout au long des nouvelles versions qui se sont succédées ; cela nous conduisant jusqu’au cri de soulagement et de triomphe des Polonais de pouvoir ainsi gaspiller quelques $milliards en achetant le Patriot comme s’il s’agissait d’une nouvelle espèce technologique miraculeusement apparue pour stopper net l’offensive russe...
Il est incontestable que lePatriot fut et reste absolument en avance sur son temps, voire sur tous les temps, comme une sorte de pionnier de la capacité de mouvement perpétuel du simulacre. En effet, il a fallu attendre la nouvelle “génération du simulacre” du JSF et de ses pairs pour rencontrer des programmes aussi catastrophiques, auxquels on prête tant de vertus sans nécessité de preuve ni même d’emploi, qu’on parvient à présenter comme de formidables réussites technologiques et opérationnelles, et tout cela sans ciller, sur une durée aussi grande. Et le public du bloc-BAO, des généraux aux ministres en passant par les scribouillards de la presseSystème, d’applaudir, ébloui et ébahi, à ce nouveau triomphe de la postmodernité.
Mis en ligne le 1eravril 2018 à 13H58
Note
On peut lire quelques textes sur les capacités du Patriot dans la période jusqu'en 2003 et la deuxième Guerre du Golfe, le 21 avril 2003 sur ce site.
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