L’irritant Erdogan avec ses S-400

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L’irritant Erdogan avec ses S-400

Cela fait un certain temps que l’on nous annonce que la Turquie, décidément, ne veut pas s’équiper des missiles américains standards, notamment les Patriot bien connus depuis des décennies pour leurs ratages hollywoodiens. La chose est assez mal vue à l’OTAN, où les Turcs, et l’OTAN elle-même d’ailleurs, se trouvent dans une posture étrange puisque certains généraux turcs qui occupent des postes hors de la juridiction de leurs pays (au Secrétariat International, au commandement interallié SHAPE, etc.) sont en résidence comme des “réfugiés politiques”.

Il s’agit de généraux plus ou moins poursuivis par les autorités turques après la tentative de coup d’État de l’été (2015) 2016, et qui préfèrent rester dans les pays où ils travaillent, notamment en Belgique. C’est une curieuse situation puisque statuts nationaux et non-nationaux se mélangent sous le bienveillant regard d’un Secrétaire Général de service, exécutant la chorégraphie qui lui est fraternellement suggérée par les parrains de “D.C.-la-folle”. Mais un S-400, c’est bien plus important qu’une poignée de généraux turcs... Car il s’agit bien de S-400 russes, et ainsi revenons-nous au constat initial du désamour turc pour les Patriot et autres missiles antimissiles US dont les pays de l’OTAN sont fraternellement invités à s’équiper pour défendre la liberté... Car un Patriot est fait, orienté, programmé, dirigé, guidé pour défendre la liberté, tandis qu’un S-400, ce serait plutôt le contraire : il aurait comme une sorte d’impulsion fondamentale dans sa nature d’attaquer tout ce qui ressemble à la liberté, y compris des missiles américanistes et de l’OTAN attaquant la Russie pour défendre la liberté.

Cela fait plusieurs années que les Turcs parlent d’acheter des missiles non-US pour le réseau antimissiles que l’OTAN a imaginé, grâce à la chaleureuse et sympathique pression des amis d’Outre-Atlantique, pour défendre l’OTAN contre les attaques russes, – pardon, iraniennes. Il a d’abord été question de S-300, puis de missiles chinois, et puis voilà les S-400. Cette fois, l’affaire a l’air plus sérieuses et les parrains américanistes prennent en effet l’affaire, – c’est le cas de le dire, très au sérieux. Dans tous les cas, on a bien cru le comprendre avec une déclaration du Général Petr Pavel, telle que nous la transmettait Defense News, puis reprise par Antiwar.com le 28 octobre 2017, sous une forme plus civilisée :

» While NATO was initially just complaining the S-400 was incompatible with their own systems, top NATO General Petr Pavel told reporters this week that Turkey is likely to be punished by the alliance for not buying American. “The principal of sovereignty obviously exists in acquisition of defense equipment, but the same way that nations are sovereign in making their decision, they are also sovereign in facing the consequences of that decision,” Pavel insisted.

» Pavel dismissed reporter questions about the Turkish government’s recent anti-democracy moves, insisting nobody is perfect. Apparently the same leeway does not apply for the question of buying American weapons. »

En effet, il faut bien comprendre de l’intervention de Pavel, selon la remarque que fait Jason Ditz d’Antiwar.com, qu’on se fiche bien que la Turquie ne soit pas impeccablement démocratique selon les principes vertueux de l’OTAN/Bloc-BAO, mais qu’il n’est par contre pas question de n’être pas parfait lorsqu’il s’agit de l’achat d’armement, c’est-à-dire de ne pas acheter américain. Pavel est le président du Comité Militaire réunissant les chefs d’état-major des vingt-huit pays-membres, il est tchèque et, comme tous les chefs militaires de l’OTAN qui se trouvent dans cette position de “dé-souverainisation” qu’impliquent les fonctions supranationales, il sait vers où tendre l’oreille lorsqu’il s’agit de philosopher sur les achats d’armement : “de la même façon qu’un général de l’OTAN est souverain en matière de déclarations, il est aussi souverain lorsqu’il s’agit de faire face aux conséquences de ces déclarations” ; d’où ceci que les remarques de Pavel, général extrêmement prudent, ont un irrésistible parfum venu des couloirs affriolants du Pentagone et un bruit charmant de courroie de transmission.

L’affaire est doublement sérieuse puisque les échos à son propos ne viennent pas seulement de l’OTAN, mais aussi du Congrès à “D.C.-la-folle” via une interview du directeur du Valdaï Club Fund Dimitri Souslov, faite à l’agence Tass le 28 octobre 2017. Souslov indique que les sanctions antirusses que s’apprêterait à voter le Congrès porteraient sur les sociétés d’armement russes, mais aussi sur les sociétés non-russes qui coopèreraient avec ces sociétés russes. Cela implique que des sanctions seraient prises selon un argument indirect, mais fort directement, notamment contre des sociétés turques impliquées dans le contrat S-400 (mais aussi, puisqu’on y est, avec des sociétés saoudiennes, si les contrats d’armement entre l’Arabie et la Russie se concrétisent).

Voici ce qu’écrit Tass à ce propos :

« “The published list affects future of Russia’s military-technical cooperation with foreign countries, including Turkey, Saudi Arabia and others, as it contains the leading Russian companies in the industry, like Almaz-Antey, Splav, Rostec, MiG, Sukhoi, Tupolev – the enterprises, which are playing the key role in design of the Russian military equipment,” [Suslov] said. “The problem here is the US sanctions are extra-territorial and the foreign companies, which develop cooperation with the enterprises on the list, may also find themselves under the US sanctions - this, apparently, may shrink the military-technical cooperation with Russia.”

» According to the expert, the US sanctions are not binding and the US would be implementing them as required politically. “For example, today the US-Turkey relations are getting worse, the Americans are indignant at Turkey’s decision to buy Russian S-400 systems. In this situation, the United States may announce sanctions against Turkey as a buyer from the Russian companies on the new list,” he explained. By having the new sanctions, the US would be able to settle its own economic problems, as Russia is its key competitor on the international arms market, the expert added. »

Résumons : la perfection démocratique se révèle finalement dans l’achat d’armement US de préférence à tout autre, achat de “tout autre” (c’est-à-dire russe) qui relèverait, lui, d’une quasi-violation des droits de l’homme quasiment équivalente à un “crime contre l’humanité”. En conséquence, il serait bien possible que les compagnies non-russes travaillant avec les compagnies russes qui recevraient les commandes de leurs pays d’origine, seraient elles-mêmes l’objet de sanctions.

L’expert Souslov relève que cette démarche, si elle avait lieu, reviendrait à institutionnaliser quasi-définitivement, – le Congrès ne revenant jamais sur une stupidité qu’il a votée, – la Guerre froide 2.0 et à tenter de verrouiller les marchés d’armement pour le profit des seuls US, – ou gare ! Les groupes de porte-avions seront prêts à appareiller. Dans cette occurrence, il est bien possible que le président et le Congrès soient d’accord, parce que cette façon de faire marketing et promotion pour les produits US n’est certainement pas étrangère ni désagréable au rude tempérament de Donald J. Trump ; le président sortira sa calculette comme d’autres dégainent leur Colt et conclura que cette achat d’armements US rattrape à peine tous les formidables efforts de défense que les États-Unis déploient pour protéger le monde libre contre les terribles menaces qui pèsent sur lui.

Il est difficile, avec cette description de la possible extension de “la guerre des sanctions”, de trouver meilleur exemple de la course forcenée à l’extrémisme dans tous les actes de politique extérieure que pose “D.C.-la-folle” aujourd’hui. Cette dynamique tend à placer tous les pays concernés, et il y en a de plus en plus et il y en aura de plus en plus, devant le fameux chantage énoncé par GW Bush : “Qui n’est pas avec nous est contre nous”, – traduit pour ce cas par un “Qui achète des S-400 n’est pas avec nous et est donc contre nous”.

Dans tous les cas, il sera extrêmement intéressant de voir quelle sera l’attitude, d’un Erdogan sans aucun doute, de la maison des Saoud peut-être, ainsi que d’autres dans le même cas d’une position dite “entre deux chaises” devant de telles perspectives. La Turquie est de toutes les façons le cas le plus extrêmement intéressant par définition, si cette affaire des S-400 va à son terme (alors qu’elle est sérieusement engagée). Ainsi en est-il d’un membre de l’OTAN qui s’équipe de missiles antimissiles dans le pays censé être le pays ennemi par excellence de l’OTAN, et menacé sinon soumis à des sanctions quasiment “de guerre” par un autre pays de la même alliance pour cet acte... Partout règne le “tourbillon crisique”, partout s’offrent à nous des situations extrêmement singulières et particulièrement originales sinon exotiques.

(Tout cela est observé sans faire mention de la situation militaro-politique que tout le monde connaît dans la région, et qui renforce bien entendu le cas décrit ici. L’action des USA, erratique et incompréhensible, et partout dépréciée, pousse la plupart des acteurs à chercher à établir de bonnes relations avec la Russie. C’est évidemment le cas au premier chef de la Turquie, de plus en plus tentée par un rapprochement avec la Russie, qui impliquerait également des liens resserrés avec l’Iran et un intérêt sans cesse grandissant pour toutes les entreprises eurasiatiques et les organisations telles que l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai.)

Il faut enfin fixer la culpabilité dans cette incroyable affaire de maladresse dans la stratégie politique. On sait qu’on peut reprocher beaucoup de choses à Erdogan dans le domaine de l’inconsistance, de l’impulsivité, de l’irresponsabilité, mais il est dans tous ces domaines très largement battu par “D.C.-la-folle”. On ne peut trouver dans l’histoire cas plus éclatant dans la façon de “cochonner”, de démolir, de déconstruire, de faire éclater dans un délire d’hybris sans la moindre substance ni consistance psychologique l’ensemble d’alliances et de sujets tenus sous influence dont on dispose, à cause de l’action telle qu’on la voit faire par le pouvoir éclaté et totalement dissolu de “D.C.-la-folle” actuellement.

 

Mis en ligne le 30 octobre 2017 à 18H05