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2346Il est incontestable que le dernier sommet, en Chine, de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), a été d’une très grande importance avec l’admission conjointe comme membres à part entière de deux grands pays asiatiques, voisins résultant de la division de l’Inde sous la situation coloniale britannique et depuis traditionnellement ennemis jusqu’à des conflits sporadiques, jusqu’à un affrontement majeur au début des années 1970. Ces deux puissances asiatiques sont également des puissances nucléaires, ce qui porte l’effectif de l’OCS à quatre puissances nucléaires sur les huit membres qu’elle comprend désormais avec l’Inde et le Pakistan. Le poids démographique de l’OCS est colossal : plus de trois milliards de personnes.
Nous n’avons guère parlé de ce sommet pourtant si important de l’OCS parce qu’en même temps se déroulaient le G7 avec les incidents qu’on y a connus, et qu’alors incontestablement le centre et le moteur de la dynamique tourbillonnaire constante (tourbillon crisique) de la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES) se trouvaient sans aucun doute à cette réunion(le G7) et dans la problématique fondamentale qu’elle révélait d’une très grave crise de fracture qu’elle mettait à jour. Au contraire, le sommet de l’OCS montrait une unité remarquable et tout se passe comme s'il semblait fournir l'archétype de la formule de la résolution de tous nos désordres d'affrontement en opérant l’introduction dans une dynamique de coopération des trois puissances jusqu’ici hostiles, inconfortables, antagonistes, que sont la Chine, l’Inde et le Pakistan.
Martin Sieff, l’auteur du texte que nous reprenons ci-dessous, est un ancien d’Associated Press qui avait acquis la place de commentateur central de cette agence de presse et qui, depuis une dizaine d’années, s’en est éloigné pour se rapprocher de la presse antiSystème. Il a ainsi amené avec lui ses talents professionnels d’analyste doté d’une vision très large et sachant distinguer les éléments qui comptent des autres. Son texte est remarquable dans ceci qu’il explique d’une façon très fine le rôle que tiennent les uns et les autres dans cet ensemble, et notamment le rôle d’accommodateur et de réconciliateur que joue la Russie dont l’alliance à la fois avec la Chine et l’Inde (et avec le Pakistan, réaffirmée plus récemment) en fait une véritable coordinatrice, voire une inspiratrice de l’OCS.
(On notera ainsi une des grandes différences entre l’OTAN et l’OCS, souvent surnommée “l’OTAN de l’Est” : le statut assez égalitaire, avec leurs indépendances et leurs spécificités souveraines respectées, de ses membres, et certainement des principaux d’entre eux. En comparaison, l’OTAN est un rassemblement de basse-cour sans valeur ajoutée ni unité, avec les jalousies et les concurrences communes aux serviteurs empressés de montrer leurs bassesses, conduits par la baguette d’un maître totalement dépourvu du moindre sens diplomatique et de la moindre finesse psychologique, dont le mode d’expression favorite est la brute force, comme ils disent si justement.)
Par conséquent, en douceur, stealthily, la réunion de l’OCS a provoqué des changements fondamentaux dans l’autre partie du monde, la partie hors-BAO... On observera que nous n’irions pas jusqu’à dire anti-BAO, par respect pour le discours mesuré et accommodant des membres de l’OCS, mais l’évidence aveuglante des choses nous dit, sans discussion possible, que la pesanteur des forces qui font s’affronter Système et antiSystème parle bien plus haut que tous les discours humains et qu’elles disent que c’est bien de l’anti-BAO, c’est-à-dire de l’antiSystème même si l’OCS ne conteste pas vraiment le Système puisque ses membres ont un [assez-gros] pied en-dedans, un pied en-dehors. Ainsi vont les réalités écrasantes de la GCES, qui écartent toutes les arguties et règlent absolument le jugement qu’on doit avoir sur les événements du monde.
Ces changements se trouvent, comme on l’a deviné, dans l’entrée de ces deux nouveaux membres dans l’Organisation, essentiellement encore plus en accomplissant une évolution d’une réelle importance pour le cas de l’Inde. Quelques mots là-dessus...
L’Inde est l’objet, depuis deux ou trois ans, d’une offensive “de charme” des USA pour faire de cette puissance un “partenaire stratégique” contre la Chine, – c'est-à-dire un “outil stratégique” manipulé par les USA. Le Pentagone, qui ne doute de rien et surtout pas de ses gros sabots, a transformé le nom de son commandement du Pacifique (US PACOM) en commandement Indo-Pacifique (US INDOPACOM) selon l’argument angélique et stratégique, selon le ministre Mattis, que, voyez-vous, l’Océan Indien est de plus en plus connectée stratégiquement avec l’Océan Pacifique. Bien entendu, cette brillante manœuvre stratégique n’ajoute pas un navire de plus à l’U.S. Navy, ni à sa Vème Flotte (Océan Indien), ni à sa VIIème Flotte (Pacifique) ; par contre, cela est censé donner aux Indiens l’ivresse d’une sorte de partenariat quasiment à égalité avec “le plus grand de tous les grands”. On s’est donc agité ces derniers temps, à Delhi, en découvrant qu’un acronyme, fut-il du Pentagone, ne fait pas le printemps. C’est ainsi qu’Andrew Korybko souligne la chose dans Oriental Review.
« New Delhi a peut-être pensé qu'il pourrait récupérer les usines américaines qui quittaient la Chine voisine du fait de la détérioration des relations commerciales entre Pékin et Washington, mais à sa grande surprise, Trump est resté fidèle à sa promesse de campagne qui veut que les entreprises américaines retournent dans leur pays au lieu de s’installer dans une autre location “offshore”.
» En conséquence, l'Inde ne se considère plus comme indispensable aux plans américains du XXIe siècle visant à “contenir” la Chine comme elle le pensait auparavant, puisque la dimension économique de ce grand partenariat est délibérément négligée en faveur de la Chine au profit des seuls aspects militaro-stratégiques. Les plans de l’Inde pour devenir une puissance mondiale sont insoutenables sans la forte croissance qu'apporterait un partenariat économique semblable à la Chine des années 1990 avec les États-Unis, et ses dirigeants commencent maintenant à craindre les conséquences de rester indéfiniment le “partenaire junior” des États-Unis. pour le reste du siècle.
» C’est avec ces inquiétudes à l'esprit – et la menace toujours présente des sanctions du CAATSA si l’achat de S-400 devait être conclu avec la Russie - que le Premier ministre Modi a rendu des visites informelles à ses homologues chinois et russes pour fournir à l'Inde l'option d'un “rééquilibrage” eurasien dans le cas où son pivot pro-atlantique des dernières années n'aboutirait pas aux dividendes globaux attendus.. »
Il semble donc bien que l’Inde en revienne de plus, après son “vertige américaniste” de ses 2-3 dernières années. La seule chose qui laisse pantois est que des dirigeants comme ceux d’un pays de l’expérience de l’Inde puisse encore se laisser prendre aux promesses US de cette sorte, impliquant notamment une parité stratégique dans une sorte d’égalité. Croire cela des USA, dans la période que nous connaissons, c’est pure folie, ou candeur qui confine à la démence. Il faut que le tissu de l’influence et de la corruption US soit extrêmement puissant à Delhi, ce qui est d’ailleurs le cas, pour avoir fait considérer cette hypothèse comme sérieuse par les dirigeants indiens. Par rapport aux époques de Nehru et d’Indira Gandhi, on ne peut que constater la décadence des capacités des directions indiennes. Les bons rapports avec la Russie, qui sont la seule référence solide et durable de la politique indienne, devraient sans doute éviter à l’Inde de s’engager plus avant dans la folie de l’alliance US, et l’opération d’entrée dans l’OSC en porte certainement la marque.
Il est désormais assuré que l’OSC représente une structure imposante, un point de référence et de stabilité qui témoigne de l’émergence, de la puissance et de la stabilité d’un centre de puissance considérable. Une appréciation générale, d’ordre économique, politique et géostratégique, est d’affirmer qu’il s’agit là du pôle alternatif au bloc-BAO en cours d’effondrement, et le centre d’un Nouvel Ordre Mondial. La thèse ne manque pas d’argument, et elle est notamment défendue avec brio par Pépé Escobar (voir le 11 juin 2018). Pour autant, nous ne la suivons décidément pas, toujours selon la même logique que ce qui est en jeu aujourd’hui est le Système, qu’il s’agit d’un phénomène global qui affecte les affaires humaines mais également les affaires planétaires de l’équilibre d’un ensemble global, que les membres de l’OSC en font partie tout de même et suivent ses règles, et donc qu’ils ne constituent pas une alternative à ce phénomène (le Système) qui n’en souffre aucune. Le Système est promis à l’autodestruction et tous seront touchés, certes dans des mesures différentes mais bien assez pour que les organisations qu’ils ont formées doivent être complètement bouleversées, revues, éventuellement servir de base à autre chose ou disparaître.
Pour l’instant, l’OCS joue son rôle, qui est de miner radicalement la puissance du bloc-BAO, donc le Système. En cela, elle est antiSystème, bienvenue, et elle doit être applaudie. Aller au-delà et en faire une structure déjà prête à former un “Nouvel Ordre Mondial” nous paraît aller trop loin, en ne tenant pas compte des effets de bouleversements mondiaux, globaux, qui vont accompagner l’effondrement du Système.
En attendant, mi-figue mi-raisin, cet événement colossal, on lira avec intérêt le récit parfaitement informé et révélateur que Martin Sieff fait de la transformation de l’OCS avec l’entrée dans l’Organisation de l’Inde et du Pakistan, sur Strategic-Cullture.org le 22 juin 2018.
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The world transformed and nobody in the West noticed. India and Pakistan have joined the Shanghai Cooperation Organization. The 17 year-old body since its founding on June 15, 2001 has quietly established itself as the main alliance and grouping of nations across Eurasia. Now it has expanded from six nations to eight, and the two new members are the giant nuclear-armed regional powers of South Asia, India, with a population of 1.324 billion and Pakistan, with 193.2 million people (both in 2016).
In other words, the combined population of the SCO powers or already well over 1.5 billion has virtually doubled at a single stroke.
The long-term global consequences of this development are enormous. It is likely to prove the single most important factor insuring peace and removing the threat of nuclear war over South Asia and from 20 percent of the human race. It now raises the total population of the world in the eight SCO nations to 40 percent, including one of the two most powerful thermonuclear armed nations (Russia) and three other nuclear powers (China, India and Pakistan).
This development is a diplomatic triumph especially for Moscow. Russia has been seeking for decades to ease its longtime close strategic ally India into the SCO umbrella. This vision was clearly articulated by one of Russia’s greatest strategic minds of the 20th century, former Premier and Foreign Minister Yevgeny Primakov, who died in 2015. In the past China quietly but steadfastly blocked the India’s accession, but with Pakistan, China’s ally joining at the same time, the influence of Beijing and Moscow is harmonized.
The move can only boost Russia’s already leading role in the diplomacy and national security of the Asian continent. For both Beijing and Delhi, the road for good relations with each other and the resolution of issues such as sharing the water resources of the Himalayas and investing in the economic development of Africa now runs through Moscow. President Vladimir Putin is ideally placed to be the regular interlocutor between the two giant nations of Asia.
The move also must be seen as a most significant reaction by India to the increasing volatility and unpredictability of the United States in the global arena. In Washington and Western Europe, it is fashionable and indeed reflexively inevitable that this is entirely blamed on President Donald Trump.
But in reality this alarming trend goes back at least to the bombing of Kosovo by the United States and its NATO allies in 1998, defying the lack of sanction in international law for any such action at the time because other key members of the United Nations Security Council opposed it.
Since then, under four successive presidents, the US appetite for unpredictable military interventions around the world – usually bungled and open-ended – has inflicted suffering and instability on a wide range of nations, primarily in the Middle East (Iraq, Syria, Libya and Yemen) but also in Eurasia (Ukraine) and South Asia (Afghanistan).
The accession of both India and Pakistan to the SCO is also a stunning repudiation of the United States.
The US has been Pakistan’s main strategic ally and protector over the past more than 70 years since it achieved independence (Dean Acheson, secretary of state through the 1949-53 Truman administration was notorious for his racist contempt for all Indians, as well as for his anti-Semitism and hatred of the Irish).
US-Pakistan relations have steadily deteriorated even since the United States charged into Afghanistan in November 2001, but through it all, US policymakers have always taken for granted that Islamabad at the end of the day would “stay on the reservation” and ultimately dance to their tune.
The United States has courted India for 17 years since President Bill Clinton’s state visit in 2000, which I covered in his press party. Current Indian Prime Minister Narendra Modi addressed a Joint Session of Congress in 2016, the ultimate accolade of approval by the US political establishment for any foreign leader.
US policymakers and pundits have endlessly pontificated that India, as an English speaking democracy would become America‘s ideological and strategic partner in opposing the inevitable rise of China on the world stage. It turned out to be a fantasy.
During the era of the Cold War, the “loss” of any nation of the size and standing of India or Pakistan to a rival or just independent ideological camp and security grouping would have provoked waves of shock, hurt, rage and even openly expressed fear in the US media.
However, what we have seen following this latest epochal development is far more extraordinary. The decisions by Delhi and Islamabad have not been praised, condemned or even acknowledged in the mainstream of US political and strategic debate. They have just been entirely ignored. To see the leaders and opinion-shapers of a major superpower that still imagines it is the dominant hyper-power conduct its affairs in this way is potentially worrying and alarming.
The reality is that we live in a multipolar world – and that we have clearly done so at least since 2001. However, this obvious truth will continue to be denied in Washington, London and Paris in flat defiance of the abundantly clear facts.
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