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246711 juillet 2016 – Le sommet de Varsovie, c’est juré et nous-même, et moi-même, y croyions, devait être le terrible rugissement à la fois de l’aigle (US) et du lion (UK), et du coq (franchouillard), contre l’ours vicieux et horrible. Il n’en fut rien, en aucune façon, sinon du bla-bla de convenance et sans conséquence. La montagne a accouché d’une souris d’une espèce particulière, qui est un peu monstrueuse, qui a des ailes de poisson et des pattes de limace. Je le jure, pour la première fois depuis très, très longtemps, j’ai écouté en traduction française, l’une et l’autre conférences de presse du dernier en date des SecGen de l’OTAN, désormais formatés au charme fascinant des politiciens gris-souris des petits pays froids du Nord de l’Alliance. Finalement, j’ai retrouvé le texte en anglais (la traduction française étant aussi détestable que le texte original est insipide).
Tout cela était accidentel, certes, puisque je suis convaincu depuis longtemps qu’il n’y a strictement rien à retenir de leurs discours qui sont effectivement vide et sans rapport avec l’essence de quelque pensée que ce soit, mais mon attention avait été attirée par un fragment de texte publié sur Tass le 9 juillet. Je voulais retrouver l’original, parce qu’avec les Russes il y a toujours une entourloupe sous roche, vous savez bien, depuis l’Ukraine-Maidan et Fiodor Dostoïevski on sait bien qu’ils ne savent que mentir ; je l’ai retrouvé, Tass n’avait pas inventé, et d’autre part je me suis saisi au passage d’un autre fragment... Je vais vous présenter les deux choses et, ensuite, je vous donnerai mon interprétation.
Dans les deux cas, il s’agit donc d’interventions du SecGen Soltenberg, dont je vous confirme qu’il est aussi excitant qu’une arapède de la Mer Morte (pour paraphraser très, très librement Rogozine, “pris individuellement, ce sont des [braves] types comme les autres, mis ensemble ils ressemblent à une colonie d’arapèdes de la Mer Morte incarnant le diable, [dont on se doutera qu’il s’agit d’une version assez peu vigoureuse]”). Dans les deux cas, je mets mon grain de poivre noir, en mettant en gras les extraits qui importent à mon propos.
La première porte sur la situation générale de l’OTAN, et du bloc-BAO pris dans sa globalité dialectique, vis-à-vis de la Russie ; elle a lieu, cette intervention de Soltenberg, lors d’une conférence de presse du 9 juillet. « We don’t see any imminent threat against any NATO ally. Russia is neither the strategic partner we tried to, or we are not in a strategic partnership with Russia which we tried to develop after the end of the Cold War but we are neither in a Cold War situation. We are in a new situation which is different from anything we have experienced before. The dinner yesterday was an informal dinner where leaders were able to discuss in a very frank and open way and the main message from that dinner is that the Alliance is united, that we stand together in our approach based on defence, strong defence and constructive dialogue... » (bla bla bla)...
La seconde, ainsi classée parce qu’elle est moins importante que la première, plus accessoire si l’on veut ; elle porte sur les missiles antimissiles, d’une conférence de presse du 8 juillet, et elle dit ceci : « Today we have decided to declare Initial Operational Capability of the NATO ballistic missile defence system. This means that the US ships based in Spain, the radar in Turkey, and the interceptor site in Romania are now able to work together under NATO command and NATO control. Importantly, the system we are building is entirely defensive. It is designed to shield against attacks from outside the Euro-Atlantic area and represents no threat to Russia’s strategic nuclear deterrent. »
... Ce que j’ai d’abord et décisivement à l’esprit, c’est bien la première citation, avec la phrase mise en évidence (« We are in a new situation which is different from anything we have experienced before ») ; elle sonne brutalement et comme une trompette de Jericho, au milieu de cette mer déchaînée de platitudes nécessairement privées du moindre sens, comme un éclair de lumière, ce que l’on nomme sur ce site une “vérité-de-situation”. (Appréciez le contraste voulu comme significatif entre un déchaînement, signifiant mouvement furieux, de haut en bas, chaotique et violent, avec le sens voulu de bouleverser le monde ; et les platitudes, par définition sans le moindre relief ni mouvement, châtrées nécessairement du moindre sens, robotisées, qui composent ce déchaînement.) Je veux dire que la phrase, sa composition, les mots choisis (“qui est différent de tout ce que nous avons connu jusqu’ici”), avec un ensemble signifiant l’inconnu complet, l’absolue terra incognita, offrant toutes les possibilités d’un monde incroyable et hors de toutes mesures humaines, recélant des tempêtes et des injonctions divines, propose un contraste absolument saisissant et choquant avec le langage otanien ; le langage otanien, c’est-à-dire langage-Système par excellence, qui est la certitude de soi, l’autosatisfaction moutonnière sans manifestation particulière, la sensation poussiéreuse et presque débilitante de non seulement tenir mais dessiner dans le sens de l’absence de sens le destin médiocre du monde dans ses mains, et ce destin composé absolument et complètement de “platitudes”. Je suis sûr que c’est une phrase qui a échappé à l’excitant Soltenberg, ou bien possiblement (que m’importe) à la petite plume qui l’a conduit ; en vérité une phrase qui est venue d’ailleurs, comme dans la phénoménologie des logocrates que décrit Steiner, repris dans un texte du Journal-dde.crisis, et qui ne fait pas mystère de ce que cet “ailleurs” est.
(« Le point de vue “logocratique” est beaucoup plus rare et presque par définition, ésotérique. Il radicalise le postulat de la source divine, du mystère de l’incipit, dans le langage de l’homme. Il part de l’affirmation selon laquelle le logos précède l’homme, que “l’usage” qu’il fait de ses pouvoirs numineux est toujours, dans une certaine mesure, une usurpation. Dans cette optique, l’homme n’est pas le maître de la parole, mais son serviteur. Il n’est pas propriétaire de la “maison du langage” (die Behausung der Sprache), mais un hôte mal à l’aise, voire un intrus... »)
J’ai cité aussi la description du système BMDE parce qu’elle est, dans l’esprit de la chose, dans la signification profonde par rapport à l’exemple central que je viens de décrire, une démonstration à peine cachée de cette incertitude eschatologique qui est soudain apparue. Décrire le BMDE comme quelque chose qui doit prévenir “une attaque venue d’en-dehors de “l’ère Euro-Atlantique”, c’est ne plus parler de l’Iran ni d’aucun autre acteur supposé belliqueux, mais d’une entité abstraite, désincarnée, d’une façon qui traduit dans le même sens un désarroi de l’OTAN.
(On ne parle pas ici en termes de communication stratégique et encore moins en termes stratégiques, voire de “complotisme stratégique” si l’on veut assaisonner la sauce. On sait que la justification du BMDE [contre l’Iran, contre la Corée du Nord] est une énorme blague qui n’amuse plus personne et ne mérite pas qu’on s’y attarde une seconde, et que la Russie a toutes les justifications d’être inquiète ; non, cela n’est absolument pas l’objet de ma réflexion car il s’agit selon moi d’un aspect futile même si des risques catastrophiques peuvent s’y loger ; le vrai, à mon sens, étant dans cette occurrence que le BMDE est développé, – nous en venons au principal, – selon le mouvement automatique, et les dividendes du CMI bien entendu, renvoyant à la nature absolument postmoderne de l’OTAN telle que proposée dans le texte sur l’OTAN selon Rogozine : l’OTAN comme artefact atéléologique, – « Cette logique paradoxalement finaliste (le but est de n’avoir pas de but, le sens est de n’en point avoir, la “cause finale” ou “fin dernière” est de n’avoir ni cause ni fin, et ainsi de suite, à l’infini si l'on peut dire) convient parfaitement à l’OTAN, comme à toute production du Système bien entendu, dans tous les domaines. »)
... Plus encore, pour ce BMDE : ayant parlé d’une “menace” venue du dehors de “l’ère Euro-Atlantique” et ajoutant aussitôt le refrain que la Russie n’a rien à craindre, c’est comme s’il (Soltenberg) disait que la menace étant “du dehors de ‘l’ère Euro-Atlantique’” et que la Russie n’ayant rien à craindre, par conséquent la Russie fait partie de “l’ère Euro-Atlantique” et elle est “des nôtres”, alors que par ailleurs on l’insulte en la dénonçant comme agressive, violatrice de la souveraineté, annexionniste, et quasiment préparant une guerre d’agression. Ainsi, la Russie qui est “des nôtres” est bien celle qui est “agressive, violatrice de la souveraineté, annexionniste, et quasiment préparant une guerre d’agression” ; et la Russie qui est “agressive, violatrice de la souveraineté, annexionniste, et quasiment préparant une guerre d’agression”, est également “des nôtres” et d’ailleurs « We don’t see any imminent threat against any NATO ally », – laquelle “threat”, dans le contexte, ne pourrait venir que de la Russie. Le même désordre de confusion peut être constaté dans une autre réponse de la même conférence de presse du 8 juillet, avec le contraste entre les deux premiers paragraphes, presque idyllique, avec transparence (vis-à-vis de la Russie), dialogue (avec la Russie) et petits oiseaux qui roucoulent, tout cela mielleux et plein de sucre-candie, donc la Russie qui est “des nôtres” ; et le dernier paragraphe consacré sans la moindre hésitation ni exclamation de rien du tout, sans transition, de but en blanc, à décrire par le menu la Russie “agressive, violatrice de la souveraineté, annexionniste, et quasiment préparant une guerre d’agression”...
« I strongly believe in transparency, in predictability, to avoid escalating the situation and increasing tensions, therefore NATO has been transparent and predictable all the way. And one of the reasons why we believe that the NATO-Russia Council is important, and why the NATO-Russia Council was established as an all weather forum to be used also when tensions are high and the situation is a bit difficult is exactly for this reason.
» So dialogue is always important but it is especially important now and therefore we will, as I said, use the council to inform, update Russia on our decisions, because we are transparent, we have nothing to hide, and we will tell them to avoid misunderstandings, to avoid miscalculations and to as I say contribute to transparency.
» I will not speculate on how long it will be necessary to have this kind of forward presence. What we have seen is a Russia which has invested heavily in modern defence capabilities over many years, which has modernized its forces, its equipment, and has used military force against a sovereign nation in Europe, violating Ukraine's territorial integrity and sovereignty, and that's the reason why we have increased our presence in the eastern part of the alliance. »
Certes, je sais, je sais... Des milliers de textes vous expliquent, depuis des années, que tout cela n’est que ruses fort habiles, calculs géopolitiques absolument calibrées, duplicité remarquable et complots bien huilés, pour mettre la Russie à terre, voire la désintégrer. Franchement, cette sorte de dialectique, sans cesse remise au goût de l’écume du jour selon les mêmes arguments usés comme un fond de culotte d’un garnement qui redouble, provoque chez moi une lassitude qui ne cesse de grandir. Vous savez que cela fait quinze ans, depuis 9/11, que l’on produit ces subtiles et profondes analyses ; nous devrions être, depuis lors, nucléarisés, ou bien rassemblés dans des camps, ou bien soumis à la torture et à une surveillance de contrainte comme dans vaste prison, avec un Eltsine 2.0 à la place de Poutine, avec les grandes plaines russes couvertes de Wall Mart, avec Rogozine et Douguine envoyés en Sibérie pour gérer les mines de sel du Goulag 2.0, etc., et les USA entourés de son fidèle bloc-BAO savourant les fruits de son inéluctable victoire au cours d’une parade où Michelle O., la FLOTUS, mènerait joliment les “pom-pom girls”. Rien de cela ne s’est produit, et vraiment, – fuck you une bonne fois pour toutes, les commentateurs, – c’est le contraire qui ne cesse de se produire et de reproduire, jusqu’à la nausée. Ils auront l’extrême bonne grâce, ces commentateurs qui débrouillent les fils rationnels de l’effondrement du monde où triomphent les effondrés, surtout dans ces années où l’on planche avec tant de zèle pour prévoir l’effondrement de la Russie à cause des complots divers, ils auront la bonne grâce de comparer, aujourd’hui même, à cet instant, la situation interne d’ordre et de cohésion des USA, avec la situation interne d’ordre et de cohésion de la Russie.
Mais je m’emporte pour peu de choses... Je m’emporte pour éviter tel ou tel commentaire sur tel ou tel détail de ce texte, essentiellement sinon exclusivement à l’envers ou complètement à contre-sens, et de toutes les façons hors de propos. Dans ce texte, je parle en logocrate, cherchant dans la terne communication-postmoderne des improbables bureaucrates-gris les petits diamants qui soudain brillent de toutes leurs nuances, – un mot, une phrase, qui nous dit tout d’une vérité-de-situation. Ceux qu’on a vus, selon ma perception, mon oreille collée au sol pour entendre le grondement de la cavalcade des Quatre Cavaliers, distinguent l’extraordinaire vulnérabilité de l’OTAN atéléologique à la pénétration des forces qui la réduisent à ce qu’elle est en vérité, à l’im-monde entité visqueuse et sans le moindre sens, sans la moindre puissance, sans la moindre structure cohérente, sans le moindre principe, farcie jusqu’à l’épuisement de narrative et de déterminisme du même type, cette immense simulacre qui se réduira en poussières diverses au moindre choc qui aura pour but d’accomplir ce sacrifice ultime.
Le sommet de Varsovie devait être un rugissement, il se réduit à un pet de souris accouchée par une montagne-bidon, de carton-pâte, et encore de la souris vue plus haut (“d’une espèce particulière, qui est un peu monstrueuse, qui a des ailes de poisson et des pattes de limace”). Toutes les incohérences de Stoltenberg par rapport à la musique comme on les a relevées viennent, diront les mêmes rationnels et raisonnables commentateurs trempés dans l’expérience d’un monde qu’il croit encore comprendre bien qu’il ait été pulvérisé depuis quelques années, démontrent les incertitudes de ses membres, les flottements des analyses devant cette situation étrange... On connaît la musique et l’on sait que la partition exige qu’aucun, je dis bien aucun, n’ait la capacité d’exiger de faire prendre en compte sa “vision” qui est plutôt un spasme qui n’a ni sens, ni substance, ni essence, que ce soit les Polonais hystériques, la virgule-poire qui nous sert de président et qui priait pour le victoire de la France à l’Euro-2016, ou l’Obama qui s’en fout. Ce qui a touché ce sommet et l’a transformé en une bouillie pour les souris monstrueuse, c’est ce qui vient du « logos [qui] précède l’homme, [et la transformation du sommet a montré] que “l’usage” qu’il fait de ses pouvoirs numineux est toujours, dans [une mesure absolument certaine pour ce cas], une usurpation. »... C’est la mesure de l’entité postmoderne atéléologique face à l’effet de la logocratie : percée comme une outre, prenant eaux de toutes parts, Titanic pathétique et morne s’enfonçant dans les platitudes d’une mer qui s’est soudain déchaînée...
La postmodernité et l’OTAN au fil de l’eau déchaînée du courant diluvien, comme un piètre rat crevé... C’était Varsovie, messieurs les grands de ce monde si réduit à la plus inexistante des expressions. (Zut, la France n’a pas gagné ! C’était pourtant l’occasion pour notre virgule-poire de se transformer en point virgule avec quelques points de sondage en plus.)
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