L’OTAN “holistique” : “plus on est faible, plus on est fort”

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L’OTAN “holistique” : “plus on est faible, plus on est fort”

Il se trouve que le journaliste Sydney J. Freedberg Jr., du site Breaking Defense (voir le 19 janvier 2018) rencontra le Vice-Amiral Clive Johnstone, commandant le MARCOM de l’OTAN, c’est-à-dire les forces navales de l’Alliance. Il eut un entretien avec lui et en ressortit, nous semble-t-il, un tantinet étonné, – même si, en bon journaliste de la presse à laquelle il appartient, il est tenu de ne pas trop montrer du tout cette sorte d’étonnement qui met en cause le bon sens des étoiles otaniennes.

Freedberg a entrepris l’amiral sur ses conceptions opérationnelles stratégiques en cas de guerre avec la Russie, puisque, chez les militaires de l’OTAN on ne parle que de cela (de guerre avec la Russie). Le raisonnement obtenu de la part de l’amiral est assez surprenant : d’une part, la reconnaissance que les Russes sont très supérieurs à l’OTAN dans nombre de matières navales (« guerre anti-sous-marine, défense antimissile, stocks de munitions, transport maritime, cybersécurité, et même dans le domaine des capacités de commandement et de contrôle de son propre quartier-général de 300 personnes ») ; d’autre part, l’affirmation que les forces navales de l’OTAN doivent tenir une position très “en avant”, offensives et qu’on devine proches d’être provocatrices vis-à-vis d la Russie (« faire croiser des navires à 15 miles au large de la base russe de Tartous, en Syrie, par exemple »). D’une certaine façon, on pourrait baptiser cette doctrine de “plus on est faible, plus on est fort” ; l’amiral, très philosophe, la qualifie d’“holistique” (partout et dans tous les domaines) et nous pourrions apporter notre contribution en la complétant par un autre qualificatif, en disant qu’elle est d’un holisme orwellien.

« J'ai demandé à l'amiral lors d'une réunion du Conseil de l'Atlantique si les eaux côtières à portée des missiles terrestres russes – comme la Méditerranée orientale près de la Syrie, le nord de la mer Noire et toute la Baltique – ne devraient pas être des zones interdites aux forces navales de l'OTAN en cas de guerre ; si un navire de l'OTAN se trouvait dans ces zones pendant une crise, ne serait-il pas effectivement pris en otage par les Russes ?

» “Non et non”, a déclaré Johnstone. “Nous ne cédons pas un pouce de terrain et nous n’acceptons pas que quiconque soit pris en otages...”

» Au contraire, a fait valoir l'amiral, les forces navales de l'OTAN doivent patrouiller de façon assurée dans ces régions, en contester le contrôle et ne pas “céder de l'espace” aux Russes. Cela signifie, a-t-il dit, qu’il faut faire faire croiser des navires à 15 miles au large de la base russe de Tartous, en Syrie, par exemple. Au lieu de considérer la mer Noire comme un “lac privé” de la Russie et y envoyer seulement des navires auxiliaires légèrement armés, l'OTAN doit envoyer des navires de guerre puissants, capables de se défendre contre les attaques aériennes et les missiles, comme récemment avec le HMS Duncan. un destroyer britannique de type 45. Cela signifie planifier une campagne aérienne et navale “holistique” dans la Baltique pour établir et maintenir une présence avancée là-bas, en commençant bien avant le premier coup de feu.

» Une fois la guerre commencée, “progresser et parvenir à la présence nécessaire dans ces zones serait militairement très difficile”, a déclaré Johnstone avec une sous-estimation typiquement britannique. “Nous avons envisagé cela”, a-t-il dit, mais il est préférable d'avoir des forces sur place dès le départ. »

Les détails donnés sur les faiblesses de l’OTAN par rapport aux Russes sont impressionnants, en nombre et en précision. Aucun doute là-dessus, et sans véritable étonnement, l’OTAN est très largement inférieure aux Russes et son renforcement éventuel en cas de conflit serait poussif si même un consensus politique était atteint à cet égard (celui de partir en guerre), – ce qui est vraiment très loin d’être acquis. Mais l’amiral s’en fiche bien, il navigue comme si de rien n’était, dans “une attitude typiquement britannique” nous dit Freedberg, mais également qui a tout à voir avec le suprémacisme anglo-saxon, otanien, et éventuellement américaniste-occidentaliste... Weak or Wrong, my NATO...

Nous avons en effet la conviction que rien dans tout cette information et cette évaluation n’est faux, ni fabriqué, parce que tout cela correspond à ce qu’on sait et ce que l’on voit depuis plusieurs années des conditions générales, tant au niveau opérationnel qu'à celui de la perception, et donc des psychologies. Il s’agit d’une part de la dégradation accélérée des forces du bloc-BAO, USA en tête mais l’Europe pas très loin derrière ; il s’agit d’autre part de la modernisation et du renforcement constants des forces russes depuis 2007-2008, de la supériorité opérationnelle et manœuvrière grandissante des Russes, de leurs très grandes capacités notamment dans les domaines des missiles de défense et d’attaque, et de la guerre électronique, en milieu naval, etc.

Tout cela est confirmé et réaffirmé par Johnstone. Et là-dessus, cette surprenante affirmation : c’est pour cela, parce que nous sommes si faibles, qu’il faut être sur place, prêts à la guerre, quasiment sous le nez des Russes, en train de les provoquer, “parce que sans cela, nous ne parviendrions pas à la zone de combat où, grâce à notre faiblesse, nous anéantirons les Russes”. Il semble inutile de lui faire remarquer qu’avec un tel déploiement, la flotte s’offre, dès le début d’un conflit, aux coups des Russes dans la plus faible position possible, qu’elle va au-devant de son anéantissement.

Il semble inutile de dire cela, interviendrait une raison normale, simplement parce qu’il n’est pas question de guerre, que les Russes n’y tiennent en aucune façon, et qu’ils repoussent depuis des années les accusations du bloc-BAO qui vient conforter l'OTAN dans ce sens. Mais ce n’est pas si simple. Nous parlons à nouveau à partir de notre conviction intuitive, alimentée par une expérience déjà solide à cet égard de la démonstration faite par les événements, les déclarations, les attitudes, etc. : notre conviction est bien que, parvenus au degré de simulacre où nous nous trouvons, et qu’a fameusement démontré le Russiagate mabufacturé à “D.C.-la-folle”, tout ce beau monde étoilé de l’OTAN, poussé par les hystériques les plus à l’Est, croit vraiment à des intentions agressives des Russes.

On se trouve alors devant un territoire étrange, une énigme si l’on veut, qui renvoie à une psychologie où l’affectivisme et l’hystérie brouillent tout ce qui pourrait permettre à la raison d’opérer. Un cloisonnement existe entre les constats des faits et les attitudes dictées par ce que l’on ne peut même plus nommer “préjugés”, mais qui est devenu une véritable vérité-de-situation faussaire, une vérité-de-simulacre. Comme il existe la conviction que les Russes veulent la guerre, – et voyez comment et combien ils s’arment, jusqu’à être bien plus forts que nous ; il existe également la conviction de la suprématie assurée du bloc-BAO, une sorte d’arrogance d’au-delà de l’arrogance, qui transforme la forme de la pensée et modèle une autre vérité de sa façon (“vérité-de-simulacre”). Ainsi, en même temps qu’on affirme être le plus faible face à un adversaire qui prépare la guerre et frappera donc à son heure, on entend se déployer devant lui, jusqu’à le frôler, le toucher, l’insulte à la bouche et les yeux menaçants, comme si l’on disposait d’une puissance infiniment supérieure... Mais, bien entendu et dans tous les cas, et pour nous rassurer, tonnerre !  – il s’agit d’une puissance et d’une supériorité morales, où le bloc-BAO est imbattable, inatteignable et inarrêtable.

Il y a sans aucun doute un domaine où le suprémacisme américaniste-occidentaliste est sans aucun doute incontestable : c’est celui de l’autosuggestion, du simulacre. Au-delà, et sans contestation possible, il (le suprémacisme) ne fait après tout que suivre la description guénonienne du Diable, et d’autant plus juste qu’avec notre état d’esprit, nous sommes quasiment dans le champ du religieux, donc qu’il s’agit bien de théologie, – et, par conséquent, citation d’autant plus justifiée : « On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature... »

Le vice-amiral Johnstone, héritier d’Horatio Nelson, pourrait en faire son miel : le voilà, à défaut d’être guénonien, fort justement campé.

 

Mis en ligne le 20 janvier 2018 à 15H53