Medvedev s’en va-t-en-guerre, Trump chancelle

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Medvedev s’en va-t-en-guerre, Trump chancelle

En Russie, les deux plus récentes protestations contre les agitations du bloc-BAO/des USA et les ahurissantes nouvelles concernant le flot des sanctions antirusses des USA, sont le fait du Premier ministre Dimitri Medvedev. Il s’agit de déclarations extrêmement fermes, de type contre-offensif et qui ne reculent pas devant une certaine bellicosité montrant un raidissement certain de la position russe, et de celle de Medvedev bien sûr.

(Par ailleurs, les mesures US sont telles que ce raidissement est objectivement quasiment inévitable, – mais justement, cette question de l’inévitabilité du durcissement est depuis longtemps un débat en Russie...) 

• La première des protestations est celle où Medvedev affirme, le 6 août, quasiment pour le dixième anniversaire de la guerre en Géorgie, que l’entrée dans l’OTAN de la Géorgie qui est une option actuellement étudiée serait une catastrophe pas loin d’équivaloir à une déclaration de guerre à la Russie. « “Cela [l'adhésion de la Géorgie à l'Alliance atlantique] peut déclencher un terrible conflit, c’est incompréhensible”, a-t-il déclaré dans une interview diffusée ce 6 août sur les ondes de la radio Kommersant ».

• La seconde est du 9 août, quand Medvedev dénonce les nouvelles et nièmes sanctions US contre la Russie, qui viennent d’être décidées par le Congrès pour “punir” ce pays pour son action dans l’affaire Skripal. (Argument absolument affabulatoire, “action” totalement imaginaire-fantasy dans une affaire probablement-certainement montée de bout en bout par des officiers du MI6, qui parviennent eux aussi au niveau des « connards maladroits » des Géants de l’internet, type-GAFA & Cie). La question est de savoir si ces sanctions, et d’autres à suivre (il s’agit d’un flot continu) vont affecter le secteur bancaire et financier et le secteur de l’énergie, ce qui serait selon Medvedev le signal d’une “guerre économique”.

« “S'ils introduisent quelque chose comme une interdiction des opérations bancaires ou l'utilisation de quelque monnaie que ce soit, nous considérerons cette mesure comme une déclaration de guerre économique. Et nous devrons y répondre en conséquence, – économiquement, politiquement ou de toute autre manière si nécessaire”, a déclaré M. Medvedev lors d'un voyage dans la région du Kamtchatka. “Nos amis américains ne devraient pas s'y tromper”, a-t-il souligné.

» Medvedev a noté que la Russie a une longue histoire de survie aux restrictions économiques et n'a jamais cédé à la pression dans le passé. “Notre pays a vécu sous la pression constante de sanctions depuis un siècle”, a déclaré M. Medvedev, accusant les États-Unis et leurs alliés de recourir à des sanctions pour saper la concurrence mondiale. “Rien n'a changé.” Le Premier ministre a déclaré qu'en ciblant les exportations de gaz de la Russie vers l'Europe, Washington souhaitait expédier ses propres expéditions de GNL vers le continent. “C'est une mesure anti-concurrence absolument déloyale visant à étrangler nos capacités.” »

Il est assez inhabituel que les réactions russes aux agressions venues des USA soient confiées à Medvedev, alors que d’habitude c’est Poutine qui intervient. Le “temps des vacances” ne suffit certainement pas à expliquer ce fait singulier. Au contraire, il nous semble qu’il faut considérer le fait comme d’une importance politique très significative, justement parce que ces réactions sont nécessairement très dures.

Il est bien connu que Medvedev fait partie de l’aile “libérale”, dit “Atlanticiste” et de tendance “globaliste”, du pouvoir russe, – et sa présence dans l’équipe au pouvoir est dénoncée de longue date par les nationalistes, y compris les plus modérés. (C’est souvent une critique adressée par eux à Poutine de conserver une si forte présence de cette tendance dans son gouvernement.) Mais dans le cas qui nous occupe, cette “couleur politique” de Medvedev devient une indication tangible de l’importance et de la gravité de l’affaire pour les dirigeants russes, quelle que soit leur tendance.

Medvedev s’adresse à « Nos amis américains », c’est-à-dire aux gens de la tendance globaliste à Washington avec lesquels sa propre tendance entretient des liens de proximité sur la vision générale de l’organisation du monde. Sa mise en garde est donc beaucoup plus impressionnante, signifiant que, désormais, devant la gravité des sanctions et mesures décidées ou envisagées, le pouvoir russe retrouve son unité pour considérer que la sécurité nationale du pays est directement menacée, et que la menace sera traitée comme telle. La même précision, dans les deux cas (« déclencher un terrible conflit » pour le Géorgie, « ou de toute autre manière si nécessaire » pour les sanctions), montre que, dans la rhétorique employée, le recours aux moyens militaires ne peut plus être écartée pour la riposte russe.

Des experts russes, interrogés par RT, observent effectivement que l’actuelle séquence est d’une gravité extrême. Des mesures comme le rappel de l’ambassadeur russe à Washington sont évoquées, mais la gravité de la situation conduit à des observations bien plus alarmistes. L’expert « Vladimir Kornilov s’inquiète non seulement des mesures prises par le Département d’État, mais aussi d’une nouvelle initiative législative visant à empêcher les banques russes d’opérer avec des clients américains et prévoyant de désigner la Russie comme État parrain du terrorisme. “Il ne s’agit pas seulement d’aggraver les relations, cela équivaudrait à une rupture des relations diplomatiques entre Moscou et Washington. Cela serait aller au-delà de toutes les ‘lignes rouges’ concevables. J'espère que les Américains vont reprendre leurs esprits et prendre du recul”, a déclaré l'analyste. »

« ...[R]eprendre leurs esprits et prendre du recul » ? On comprend que Kornilov émette ce vœu mais on comprend également que nous l affublions aussitôt du qualificatif de “pieux”. Les nouvelles en provenance de Washington ne sont pas encourageantes, surtout celles qui disent que Trump se trouve dans la position, qu'il a lui-même favorisée, d’être manœuvré par le duo Pompeo-Bolton, avec la complicité active du Congrès conduit par des démocrates pourtant minoritaires (mais complétés par des républicains bellicistes) pour aggraver considérablement et jusqu’à l’irréparable notamment les relations entre les USA et la Russie. Plusieurs commentateurs US sont d’accord sur ce point, qui est d’ailleurs l’évidence même, démontrée il y a une semaine par l’enchaînement des déclarations dans la crise iranienne,– lorsqu’un Pompeo expliqua toutes les conditions que les Iraniens devraient remplir pour espérer une rencontre avec Trump quelques minutes après que Trump venait d’annoncer qu’il était prêt à rencontrer Rouhani sans aucune condition préalable... 

• L’ancien diplomate du département d’État Jim Jatras, donc à propos de l'intervention de Pompeo : « C’est une demande politique [...] qui vise à saper les ouvertures de l’administration Trump pour le président Trump directement, ainsi que celle du sénateur Rand Paul – actuellement à Moscou – pour relancer de bonnes relations avec la Russie. »

• Résumant la situation, Michael Maloof, ancien responsable du Pentagone, explique que « vous avez maintenant la politique étrangère de Donald Trump et la politique étrangère de l’administration Trump, faite essentiellement pour le coincer ».

Une question intéressante s’impose à la lumière de ces divers constats, et après l’annonce que la visite de Rand Paul à Moscou avait aussi pour but, en plus d’une rencontre avec des parlementaires, la remise d’une lettre personnelle de Trump à Poutine. D’une façon assez significative, Trump n’a pas transité par l’ambassade US pour la remise de cette lettre, ambassade qui dépend de Pompeo. On est donc fondé à s’interroger de savoir 1) si cette lettre ne porte pas sur la position actuelle de Trump, isolé au sein d’une administration actuellement verrouillée par les extrémistes, – fort probablement, et 2) s’il y a eu des propositions de Trump ou/et des suggestions de Poutine concernant cette situation intérieure du président.

(Cette “technique” de brûler les canaux diplomatiques classiques a toujours existé dans les administrations divisées aux USA. Ainsi, durant les années 1969-1973 et surtout 1973-1974, selon le témoignage personnel recueilli par PhG, Michel Jobert, comme secrétaire général de l’Élysée puis ministre des affaires étrangères, avait un accord avec Henry Kissinger, conseiller pour la sécurité nationale de Nixon, pour faire transiter ses messages et leur correspondance hors des canaux gouvernementaux, – dans ce cas par l’intermédiaire d’un ex-général de l’USAF devenu représentant de Boeing à Paris.)

 

Mis en ligne le 10 août 2018 à 12H17