Merkel et son “Moment décisif” : quels effets ?

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 2027

Merkel et son “Moment décisif” : quels effets ?

29 mai 2017 – Après la réunion du G7 devenu G6+1 et qu’on pourrait aussi bien désigner comme le “G7-1”, on ne parle que de ce “moment décisif”, le “Watershed Moment” d’Angela Merkel ; lorsque, rentrée du sommet en Sicile et venue à Munich pour un discours dans le cadre de la campagne électorale et notamment sur le sujet du Brexit étendu bien entendu aux derniers événements, elle nous annonce (hier) que, « bien entendu nous avons besoin de relations amicales avec les USA et avec le Royaume-Uni, et avec nos autres voisins, y compris la Russie ... [Pour autant,] nous devons nous battre nous-mêmes pour notre propre futur »

Pour l’AFP, « Merkel [nous] a avertis que les USA et le Royaume-Uni ne sont plus des partenaires fiables », tandis que ZeroHedge.com prend la peine de citer une phrase directement en allemand, pour en tirer la substantifique moelle : « die zeiten, in denen wir uns auf andere völlig verlassen konnten, sind ein Stück vorbei », ce qui donnerait à peu près cette adaptation selon laquelle “les temps où nous pouvions complètement dépendre des autres sont en train de se finir”, assorti de ce commentaire personnel venu  tout droit du G7-1 : « J’ai expérimenté la chose durant ces derniers jours ». Catastrophiste et apocalyptique comme à l’habitude, WSWS.org ajoute : « Le fait que ces mots aient été prononcés à une fête de la bière à Munich, rappelant les débuts de la carrière politique d’Adolphe Hitler, ajoute à leur signification. »

• Les réactions aux déclarations de Merkel sont donc très nombreuses, toutes dans le même sens, surtout en provenance du monde anglo-saxon. D’une façon générale, il s’agit à la fois de prendre acte, à la fois de mettre en évidence que ces déclarations constituent une évolution jugée peut-être décisive de la politique allemande, souvent avec le rappel de l’époque d’avant la Deuxième Guerre mondiale comme le fait WSWS.org :

« Reactions to Merkel's striking comment came pouring in from the likes of Edward Snowden who called her speech an “era-defining moment”, the president of the Council on Foreign Relations. Richard Haass, who called it a “watershed moment”, the editor of the Financial Times, calling it a “big moment in transatlantic relations”... and many others: in short, it seems that the time for a New-er World Order may be at hand, and many are not too happy. » (ZeroHedge.com)

« Henry Farrell, professor of political science and international affairs at George Washington University, noted in the Washington Post, that Merkel’s comments were “an enormous change in political rhetoric.” While the “special relationship” between Britain and the US had assumed more public prominence, “the German-US relationship has arguably been more important.” One of the purposes of NATO, Farrell wrote, was to “embed Germany in an international framework that would prevent it from becoming a threat to European peace as it had been in World War I and World War II.” He recalled the words of the first NATO secretary-general, Hastings Ismay, that the alliance aimed “to keep the Russians out, the Americans in, and the Germans down.” Now, Germany was seeking to play a more independent role than at any time since the end of World War II.

» The immediate cause of the rift at the G7 was almost universally described as Trump’s “boorish” behaviour. But his actions are only the latest, and so far most graphic, expression of the deepening tensions between the major imperialist powers. » (WSWS.org)

• Dans le dernier paragraphe du texte de WSWS.org, ci-dessus, on voit tout de même le rappel que le comportement de Trump est la cause “universellement appréciée” de la querelle qui s’est développée durant les deux sommets successifs, mais aussi le rappel implicite que cette “attitude” n’est que l’extrême des effets de la logique du comportement des USA au moins depuis 9/11. Le texte rappelle la mésentente entre l’Allemagne et les USA en 2001 pour l’attaque de l’Irak, – en omettant tout de même, ce qui n’est pas rien et qui est même l’essentiel, que ce comportement allemand était alors complémentaire et suiviste de l’action de la France qui menait sans le moindre doute la fronde contre la politique d’agression US. Cette précision nous éloignerait décisivement du simple jeu du rapport des forces entre l’Allemagne et les USA, avec l’appréciation, courante ces derniers temps, que l’Allemagne veut jouer un rôle global (IIIème Reich, le retour) et qu’elle se heurte de plus en plus aux USA. Ce jugement n’est certainement pas le nôtre, comme nous l’avons répété à plusieurs reprises : l’Allemagne représente certes un poids économique considérable et elle exerce un leadership de fait en Europe, mais cela ne lui donne aucune capacité d’action ni d’influence, ni sur le terrain stratégique et militaire, ni sur le terrain de la dplomatie et de l'influence active ; d’une façon générale, d’ailleurs, ce leadership doit être apprécié comme une sorte d’état de fait et la conséquence de l’impuissance et de la dissolution politique et souveraine des autres (la France en première place, certes). Quant à l’Europe sous direction allemande, son impuissance est flagrante, y compris dans ses entreprises d’expansion qui se terminent en général, à l’image de ce qui reste son modèle, qui est la méthode bruissante d'intelligence de la puissance US, de catastriophe en catastrophe comme l’on peut voir avec l’Ukraine, et indirectement avec la Libye.

Un exemple de notre sentiment si souvent exprimé sur les ambitions allemandes, et qui reste toujours valable, on le trouve par exemple dans ce commentaire du 20 décembre 2013 où l’on parlait déjà, ou encore, de la domination européenne de l’Allemagne et de ses supposées ambitions mondiales : « Cela ne signifie pas que nous fassions l’hypothèse de la résurgence d’une puissance hégémonique suivant l’affirmation bruyante de sa supériorité économique, d’une puissance comme celle qui se manifesta entre 1864 et 1945. La dimension militaire et stratégique est absente. Répétons-le, l’Allemagne d’aujourd’hui n’a pas la Wehrmacht et le reste, ni une structure capable d’en constituer le noyau (pas d’état-major général, pas d’intégration stratégique des armées, l’OTAN ayant à cet égard son mot à dire pour ce pays-là, vaincu de 1945, précisément) ; elle n’a ni les moyens technologiques ni le temps nécessaire, ni sans doute l’idée, d’en reconstituer une, etc. De toutes les façons, l’Allemagne distinguerait rapidement les désavantages d’une telle orientation, qui trouverait la Russie sur sa route sans lui apporter quelque avantage que ce soit en Europe, par rapport à sa position dominante actuelle. »

• Adam Garrie, dans TheDuran.com le 28 mai 2017, élargit un peu le problème en ne singularisant plus l’Allemagne comme on a trop tendance à le faire selon des références d’il y a trois-quarts de siècles. Il parle plutôt des deux “blocs”, – les USA et l’Europe, – et de leurs évolutions possibles en fonction des événements récents, évolution notamment par rapport à la Russie.

« It is unlikely that under Donald Trump NATO troops will leave Europe any time soon, but the ideological agenda of neo-liberal Europe and the very bureaucratic and technocratic method that the EU conducts business is simply anathema to Donald Trump.

» Whether the much welcomed strain in the hegemonic alliance between the US and EU powers leads to a thaw in US relations with Russia is largely up to Donald Trump’s ability to whether the storm of Russiagate on the domestic front. However, ironically if America really is going to grow manifestly distant from Europe, it could have the ironic effect of forcing Europe closer to Russia, the country on which Europe depends for much of its energy supplies.

» During the Obama years, Europe was a political colony of the US and its political elite were all too happy to act as colonial Viceroys. Now things have changed. The style questions means that the leaders of Europe and the American leadership have little in common. It remains to be seen whether the substance will follow the style into this chasm. »

Processus de déstructuration-dissolution du bloc-BAO

Bien que les supputations de Garrie soient, selon notre point de vue, plus satisfaisantes que les réflexions sur les seuls rapports de force entre USA et Allemagne, elles ne nous satisfont pas pour autant dans leur fondement. Lorsque Garrie dit que « durant les années Obama, l’Europe était une colonie politique des USA », etc., à notre avis il fait un faux-sens fondamental par rapport à ce que nous estimons être la situation générale qui a prévalu depuis 2008-2010, à partir de la période crise financière/automne 2008-“printemps arabe”/fin 2010. (On peut même avancer que la crise géorgienne [Géorgie-Russie] d’août 2008, gérée du côté américaniste-occidentaliste essentiellement par l’UE, marque le début de la période.) Cette période est celle que nous avons baptisée pour tout ce qui est américaniste-occidentaliste de “Bloc Américaniste-Occidentaliste”, ou “bloc-BAO”, et elle a pour particularité fondamentale de voir disparaître la prépondérance absolue des USA qui se dilue dans un ensemble englobant les USA, l’OTAN, l’UE et les divers organisations financières et humanitaires y afférant. Certes, les avantages considérables amassées par les USA durant plus d’un demi-siècle, comme le renseignement, l’infrastructure militaire, l’usage du dollar, etc., ont subsisté, mais d’ailleurs avec des contraintes de plus en plus grandes pesant sur eux, et dans nombre de domaines des désavantages coûteux contribuant à la “décadence du [pseudo-]empire”. Mais le cœur même de la dynamique, ce que nous nommons politiqueSystème, est devenu commun à tous les éléments constituant le bloc-BAO, avec ses diverses contraintes pesant sur tous les éléments constitutifs.

En un sens, on pourrait certainement donner l’interprétation que le bloc-BAO est devenu la transcription opérationnelle du globalisme, domaine où il n’y a aucune supériorité décisive marquée d’un des éléments constitutifs sur les autres, même s’il peut y avoir des querelles internes, des divergences, etc., lesquelles se terminaient jusqu’à il y a peu toujours par un arrangement, un compromis, etc. C’est bien entendu ce que Merkel et ses acolytes reprochent à Trump, qui est décidément une bestiole assez particulière : la disparition brutale, furieuse, prédatrice pour le bloc, de cette volonté d’arrangement et de compromis. Bien que dépourvu de la moindre pensée politique, de la moindre conception structurée, etc., Trump est viscéralement un anti-globaliste encore plus qu’un America-Firster, mais cela le conduisant à une attitude qui s’apparente souvent (pas toujours) à celle d’un America-Firster. Cela n’est donc pas l’Allemagne (renaissante) de Merkel contre les USA de Trump perdus dans un délire à propos d’une hégémonie d’un autre temps mais les globalistes avec Merkel comme porte-drapeau et l’UE en bandouillère contre Trump, avec le Deep State US de plus en plus tenté de suivre cette voie et de rallier Trump sur ce terrain particulier, ne serait-ce qu’à cause des avantages électoraux qu’on y récolte.

Voilà pour les positions théoriques... Dans la pratique, ce à quoi nous assistons, avec un passage effectivement très important, c’est à la poursuite simultanée de la déstructuration et de la dissolution du bloc-BAO, et nullement sous la seule forme de deux blocs (Europe et USA) se séparant en position d’affrontement mais sous la forme de l’éloignement de deux constituants (US et Europe) eux-mêmes en cours de dissolution interne (“guerre civile” à Washington D.C., rupture du public avec l’establishment ; positions très différentes sur les questions de souveraineté notamment entre États-membres de l'UE et là aussi rupture entre le public et les establishment globalistes). (Cela n’empêche ni n’empêchera nullement des affrontements qui prendront à certains moments l’allure “de bloc à bloc”, mais cela ne sera que dispositions tactiques.)

Tout cela s’additionne et s’empile pour affecter l’ensemble du bloc-BAO, et le “Watershed Moment” d’Angela Merkel n’est nullement une rupture impliquant un éventuel tournant complet dans l’orientation de la dynamique en cours, mais un événement important pour accélérer encore plus la dynamique en cours, de même que l’élection de Trump et le mirobolant exercice du pouvoir par le nouveau président constituent un autre événement de cette sorte, accélérant de son côté la même dynamique.

(On mentionnera un addendum assez tristounet concernant l’entrée dans le jeu international du président Macron marqué par deux événements sur lesquels il n'est pas utile d'exercer quelque ironie excessive (“à vaincre sans gloire...”) : la poignée de main avec Trump, où Macron a tenu plus longtemps serrée la main de son interlocuteur, remportant ainsi une incontestable victoire à mettre à l’actif de la France ; et l’annonce que, lors de sa rencontre avec Poutine de ce jour, Macron devrait tenir ferme sur les sanctions contre la Russie, justifiée par une guerre absolument extraterrestre menée par Russie en Ukraine, ou plus précisément dans le royaume enchanté de Wonderland qui fait l’objet de constructions extraordinaires des services de renseignement occidentaux, sanctions dont plus personne n’est capable d’expliquer la Cause Première, la fonction, la cohérence, la logique, l’utilité, le but et finalement la Fin Dernière. Bref, c'est d'autant plus beau que personne n'y comprend rien à part de nous dire que “les Russes sont vraiment méchants”.)

Anatomie du bloc-BAO

Pour mieux expliciter nos conceptions, il nous paraît bon, non seulement de renvoyer à l’article du Glossaire.dde sur le bloc-BAO (du 10 décembre 2012), mais également de reprendre ci-dessous quelques extraits de ce sujet donnant un aperçu de l’un de ses principaux caractères qui concerne l’un des aspects les plus importants de cette entité telle que nous la concevons...

« Le deuxième aspect de cette politique est l’égalitarisation, le nivellement de la politique qu’est la politique du bloc BAO, avec notamment l’effacement, d’ailleurs naturel et comme allant de soi, de la prépondérance US. En fait, plus personne n’a vraiment besoin d’imposer une “politique commune” qui semble couler de source et naître d’elle-même… Il existe désormais, depuis 2008-2010, une remarquable unité de pensée, de réflexe, d’attitude, entre tous les pays du bloc. (Le retour de la France au bercail fut le grand événement rupturiel à cet égard. Là aussi, nous croyions, dans notre grande naïveté, que cela serait l’épisode d’un homme, dito Sarko, comme l’on crut à l’épisode Bush aux USA, mais non cela était fondamental et substantiel. Trahissant tous les principes, comme cette exceptionnelle nation a l’habitude de faire dans ses périodes de basses eaux où elle devient le double inverti, l’épouvantable caricature de sa grandeur, la France a sombré dans la subversion d’elle-même et s’est imposée comme un des pôles du bloc ; comme une fille et comme une midinette, sans s’apercevoir de son infamie, toute fiérote de se croire l’égale d’elle-même avec sa si fameuse intelligence réduite au slogan ânonné par les salons parisiens. Son ralliement, qui est presque vécu dans leurs esprits réduits aux acquêts comme une affirmation de la grandeur et de l’indépendance françaises, a constitué le verrou ultime qui cimente le bloc. Dont acte.)  [...]

» La politique disons “atlantiste” ou “occidentale”, avec domination des USA, est devenue la “politique du bloc BAO” en adoptant des thèmes centraux qui n’ont plus de rapports avec la politique de force qu’affectionnaient des gens comme Kagan et autres neocons du début de la décennie 2000 (du type “les USA sont sur Mars, l’Europe est sur Vénus”). Ces thèmes centraux sont essentiellement moraux, dans le registre humanitariste. Il ne s’agit plus de la “démocratie conquérante” de l’époque Bush, mais du “droitdel’hommisme” dans toute sa plénitude, laquelle inclut une dimension démocratique posée comme une évidence vertueuse objective comme l’est une patte molle. C’est une politique véritablement inspirée de caractères exceptionnellement mous, sinon caoutchouteux et adhérant à n’importe quelle circonstance, exprimés par une voix mâle, martiale et superbe (qui ne pense pas à BHL, ou Bernard-Henri Levy, se verrait difficilement pardonné), justifiant l’emploi de la force comme une chose qui va de soi et qui devrait l’être idéalement sans aucune contrainte. La vertu affichée de cette “politique” crée le Droit à chaque instant et selon les circonstances (le Droit constamment recréé selon la partition du bloc BAO, avec une seule constante qui est la majuscule) ; elle objective ceux qui s’en réclament en les dégageant de toute responsabilité. [...]

» [...Cette] politique est devenue, bien entendu, complètement soumise à l’affectivité, selon ce que nous en avons largement dit le 11 juin 2012 [et aussi le 5 octobre 2016, l’“affectivité” étant devenu “affectivisme”]… A ce point, on peut repousser complètement le soupçon de “féminisation“ qui nous ferait classer parmi les relaps de la modernité et excommunier vite fait : tous, absolument tous, les hommes aussi bien, sont frappés par cela, et il n’y a plus de “féminisation” à cet égard mais, simplement, une pression constante de l’affectivité qui devient comme une formule universelle de tout acte politique. On comprend, bien entendu, à relire le texte auquel nous faisions référence, qu’il s’agit là du point fondamental de cette “politique du bloc BAO”, qui implique une soumission complète des psychologies au Système, et cela passant par cette prépondérance de l'affectivité sur la raison subvertie et devenue “idiote utile”. [...]

» Dans ce cadre totalement délétère, et pour ce qui nous concerne, “nous-Européens”, il n’étonnera personne que nous ajoutions un volet concernant une poussée vers l’abdication des souverainetés, qu’il faut résolument placer dans le cadre de cette constitution du bloc BAO. Aujourd’hui, l’idée du transfert de souveraineté des nations vers les institutions européennes pour renforcer une “politique étrangère commune” est l’un des grands thèmes en vogue des discours et des divers documents de réflexion dans les milieux européens... »