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1793L’atmosphère est nucléaire au sein de la coalition qui gouverne l’Allemagne, singulièrement et spécifiquement au sein des deux partis-“frères” CDU et CSU. Spiegel Online écrivait vendredi dernier, sur le ton catastrophiste qui convient parfaitement à nos temps crisiques : « La chute de la chancelière, la fin de la grande coalition, la fin de la communauté de la CDU et de la CSU, tout est possible dans la capitale aujourd’hui ».
Des commentateurs évoquent une crise rappelant les jours les plus sombres de la République de Weimar, au bord de la désintégration. Si l’analogie alimente évidemment l’habituel réflexe de l’allusion à la montée du nazisme qui conditionne toute réflexion bien con-formée sur les affaires politiques de l’Allemagne, elle n’en est pas moins juste au niveau de la description d’un régime en pleine crise de déstructuration et de dissolution, avec une psychologie exacerbée et des tensions de personnes étalées sur la place publique, c’est-à-dire sur les réseaux du système de la communication. L’insupportabilité existante aujourd’hui entre Merkel et son ministre de l’Intérieur, soit les chefs respectifs et fraternels de la CDU et de la CSU, en constitue le symbole le plus remarquable en même temps qu’une situation politique difficilement tenable sur le long, le moyen et le court terme autant que sur l’instant précis... « Ich kann mit der Frau nicht mehr arbeiten », martèle Herr Seehofer qui a définitivement sorti sa langue de sa poche et ne semble plus pouvoir parler à sa supérieure hiérarchique de circonstance que sur le mode de la quasi-insulte méprisante...
« Le quotidien allemand Die Welt a rapporté le 17 juin une sortie fracassante de Horst Seehofer [CSU], le ministre allemand de l'Intérieur. Alors qu'il expliquait avoir des difficultés à s'accorder avec la chancelière allemande Angela Merkel [CDU]sur la question migratoire, il a résumé cette communication difficile en ces termes : “Je ne peux plus travailler avec cette femme.” [“Ich kann mit der Frau nicht mehr arbeiten”]
» Le ministre allemand a confirmé ce 18 juin que, faute d'un accord européen à la fin juin, il souhaitait fermer les frontières allemandes aux migrants dès le mois de juillet. Horst Seehofer s'est ainsi exprimé : “Si le rejet immédiat des migrants à la frontière n'est pas possible, j’ordonnerai immédiatement à la police de refouler tout individu qu’il ait une interdiction d'entrée ou une interdiction de rester” et le ministre allemand de poursuivre : “Nous souhaitons bonne chance à la chancelière.”
» Angela Merkel a immédiatement rejeté cet ultimatum déclarant qu'il n'y aurait aucune fermeture automatique, même en cas d’échec au niveau européen. »
Si l’on comprend bien, si Merkel ne rapporte pas dans deux semaines un accord européen unanime pour une fermeture à double tour des frontières de l’UE avec exécution immédiate, HerrSeehofer boucle instantanément les frontières, puis décroche son téléphone pour entendre la chancelière lui dire qu’il doit quitter son poste, cela entraînant l’entrée en dissidence de la CSU... Ainsi fonctionne aujourd’hui la plus grande puissance européenne, à coups d’ultimatums et d’invectives haineuses étalées dans la sphère publique : “Berlin-la-folle” après “D.C.-la-folle” ? Plus on est de fous...
La crise actuelle a déjà deux semaines de tension paroxystique derrière elle mais ne fait en vérité qu’illustrer d’une façon violente le caractère forcé et contraint d’un arrangement politique qui a été formé il y a trois mois pour sortir d’une impasse menant à de nouvelles élections qui auraient vu une nouvelle montée du parti d’extrême-droite AfD jusqu’à la seconde place derrière la CDU-CSU sur l’échiquier politique allemand. Ce gouvernement est né d’une crise irrésolue et n’a constitué lui-même qu’une continuation sous une autre forme de cette situation crisique, jusqu’à l’actuel point que certains pourraient se risquer à qualifier “de rupture”.
La question centrale qui déchire les dirigeants allemands étant la crise de la migration, qui existe pour toute l’Europe mais aussi sur d’autres continents, notamment en Amérique du Nord et aux USA, les pressions extérieures à l’Allemagne sont également très fortes. Elles s’exercent en général sur Merkel, tenue pour principale responsable du traitement libéral sinon libertaire de la crise migratoire depuis 2015, et ne cessent de renforcer l’opposition à Merkel en lui donnant un caractère international. Deux évènements l’ont montré hier.
• La visite du Premier ministre italien Conte, du nouveau gouvernement populiste, a confirmé la ligne très dure des Italiens sur la question migratoire, avec un ministre de l’Intérieur (Salvini) qui a déjà montré sa résolution sur la question migratoire en refusant l’accès à un port italien du navire Aquarius transportant des migrants. Salvini a déjà rencontré Seehofer à Berlin, à l’invitation de l’Allemand, selon une structure désormais fameuse : « “Il existe un axe des trois ministres de l’intérieur à Rome, Vienne et Berlin ”... [...L]e plus important est ceci, qui est l’apparition d’une nouvelle forme de structure transnationale suscitée par la crise des migrations ; pour résumer notre idée par une formule un peu loufoque : “Allons-nous vers un Parti Européen des Ministres de l’Intérieur ?” »
Conte, qui est un Premier ministre de compromis dépendant fortement des principaux axes des deux partis formant son gouvernement, n’était donc devant Merkel que le messager porteur du message du leader de La Ligua, Salvini : « Reçu avec les honneurs militaires dans la capitale allemande, Giuseppe Conte ne s'est pas laissé pour autant attendrir. “Il faut des solutions européennes, sans quoi les initiatives bilatérales [entre États] signeront la fin de Schengen”, a-t-il prévenu, cité par le quotidien italien La Repubblica. “Nos frontières sont aussi celles de l'Europe : l’Italie ne peut pas continuer à agir toute seule”, a encore martelé le chef du gouvernement italien. »
• L’initiative la plus spectaculaire et la plus tonitruante, mais certes ni surprenante ni inattendue et parfaitement efficace dans ses intentions tactiques de communication, est venue de l’inévitable Donald Trump. Le président US, qui a déjà malmené Merkel à plusieurs reprises, s’est directement invité dans la crise allemande avec un tweet du 18 juin 2018, – lequel a aussitôt déclenché une énorme polémique/controverse, etc., autant dans les réseaux sociaux que dans la presseSystème, – certainement à la plus grande satisfaction de Trump... « Les citoyens allemands se tournent contre leurs dirigeants alors que la crise de la migration est en train de secouer la coalition de Berlin déjà si fragile. La criminalité en Allemagne est en hausse. C’est une grave faute qu’on retrouve partout en Europe d’avoir permis à des millions de personnes de s’y installer, avec leurs cultures si fortement et si violemment différentes ! »
... Ainsi, il s’agit bien entendu d’une crise allemande, il s’agit aussi d’une crise européenne, et tout cela tend à s’élargir en crise civilisationnelle avec la question des migrations, où le président des États-Unis, ici ennemi mortel de l’Europe dans toutes ses composantes par le biais (protectionnisme) de la dénonciation d’un système de relations pourtant mis en place par son pays, se faisant là complice actif des populismes européens, objectivement et dans la circonstance des antiSystème qui s’attaquent aux structures et aux conceptions de l’Europe-UE. Au centre de tout cela, la chancelière, la Kaiserin de l’Europe-UE il y a peu encore, aujourd’hui bouc-émissaire et symbole de l’Europe-UE sur laquelle tout le monde tire à vue.
Il s’agit d’une situation extrêmement dangereuse, – une de plus, – pour l’Europe-UE de nos braves “ultra-libéraux-sociétaux-progressistes” et éventuellement bureaucrates et mondialistes. Le problème est que plus la crise dure plus elle s’aggrave, plus elle s’“internationalise” du seul fait de la communication, plus elle s’élargit à des sujets fondamentaux qui sont directement liés à la crise du Système. Tout cela se fait à partir d’une responsabilité personnelle, celle de la Kaiserin qui n’a pas eu la grandeur de vision qu’il faut pour comprendre qu’à partir d’un certain moment, une impopularité viscérale qui est plutôt du domaine de la perception intuitive que de la statistique traficotée-Système dépasse complètement l’habileté politicienne et l’ambition de type stalinien (ou de type-STASI) qui s’avèrent d’habitude suffisantes pour se maintenir, dans nos démocraties très-vertueuses.
C’est désormais une habitude avec nos dirigeants-zombie... La faiblesse psychologique engendre donc, une fois de plus, un enchaînement catastrophique de type nucléaire (fission nucléaire) pouvant faire déboucher ce qui aurait dû rester une crise interne très-délicate mais pas insurmontable sur un drame politique de grand standing, avec dommages collatéraux garantis, européens, institutionnels, transatlantiques, etc. Le plus fort, et peut-être même le plus beau tant la connerie des temps-en-cours a des aspects esthétiques incontestables, c’est que, quoi qu’il arrive dans l’immédiat, même si Merkel sauve sa triste peau d’ici la fin du mois en faisant naître d’un coup de baguette magique une unanimité européenne qui satisfasse pour deux ou trois semaines Messieurs Seehofer, Salvini & Cie, elle est irrémédiablement condamnée comme bombe à retardement pas trop long, comme kamikaze du Système à abattre à tout prix ; et plus ce règlement de comptes prendra de temps, plus les dégâts causés s’empileront, plus la crise s’aggravera et s’élargira, accélérant encore notre tourbillon crisique général.
Mis en ligne le 19 juin 2018 à 14H41
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