Métaphysique de la psychologie de l’américanisme

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Métaphysique de la psychologie de l’américanisme

D’abord, présentation du sujet… Richard N. Haas est trempé dans le fer-blanc inoxydable du Système. Cet homme fut directeur du service de planification du département d’Etat (Policy Planning), le service prestigieux mis en place par George Keenan à la fin des années 1940. Haas servit aussi bien sous Clinton que sous GW Bush. Il a quitté le service public et s’est reclassé dans la fonction glorieuse de directeur du Council of Foreign Affairs (CFR), le père de tous les think tanks inspirateurs de la politique expansionniste, belliciste et moralisatrice du Système. Haass exsude la pensée-Système.

…Pour cette raison, nous n’allons pas nous attarder à la signification de son texte du 5 mai 2011, sur Aljazeera.net. C’est une nième version de la chansonnette déjà entendue avec Joseph S. Nye, dont le thème est, après l’assassinat internationaliste et légaliste de Osama ben Laden, – “Alleluïa, America is back”. Par contre, nous nous arrêtons à un paragraphe, qui concerne l’insatisfaction palpable du Pakistan de la façon dont les USA s’arrangent de sa souveraineté lorsqu’il s’agit d’aller sauver l’avenir du monde en liquidant, à-la-Capone, Osama ben Laden.

«There will be Pakistanis who protest against the recent American military action, arguing that it violated Pakistan's sovereignty. But sovereignty is not an absolute; it involves obligations as well as rights. Pakistanis must understand that they will forfeit some of those rights if they do not meet their obligation to ensure that their territory is not used to shelter terrorists.»

Ce passage-là, que nous avions repéré de nous-mêmes nous le jurons, l’a été également par un lecteur de Haas, qui laisse un message de commentaire. Il s’agit d’un nommé Mike, et voici ce qu’il écrit :

«“There will be Pakistanis who protest against the recent American military action, arguing that it violated Pakistan's sovereignty. But sovereignty is not an absolute; it involves obligations as well as rights. Pakistanis must understand that they will forfeit some of those rights if they do not meet their obligation to ensure that their territory is not used to shelter terrorists.”

»But the US has sheltered Latin American terrorists and leaders of death squads. Does anyone accept the right of some Latin American state to fly into the States with a special forces brigade, and extract said terrorists? No. The one sided nature of this rule is astounding.»

Il est très difficile, – et, d’ailleurs, nous n’y résistons pas, – de résister à la tentation de faire figurer ce jugement assorti de conseils aux Pakistanais, de Haass, concernant la souveraineté. Certes, Haas n’est pas Talleyrand, mais il est néanmoins américaniste, – et si c’est dans le sens négatif, au moins ceci compense cela. Passons rapidement sur le fait qu’il soulève la question de la souveraineté à propos d’une action qui est un assassinat pur et simple, prémédité, assumé, proclamé, etc. On ne peut se trouver plus bas dans la fange de la bassesse par rapport aux “principes”, – justement nous allons y venir, – dans lesquels se vautrent nos “démocraties-Etats de Droit”. (Que les autres du bloc BAO, Sarko et UE en tête, aient suivi en applaudissant à la forfaiture internationale de cet assassinat, selon le principe de la claque, ne nous inquiète pas outre mesure. Ils sont tous égaux à eux-mêmes, sans pli ni tracas. Leur pensée est au bon niveau, celui de “la fange…”, etc.)

Haass proclame que la souveraineté “n’est pas un absolu”. Qu’est-ce que cette affirmation, du docteur en philosophie qu’est Richard N. Haas, vient faire dans le débat ? Passons et précisons, pour notre propos : la souveraineté est un principe, directement liée aux deux autres principes de l’identité et de la légitimité. L’identité est ce qui donne une existence, une âme, une spécificité à une entité ; la légitimité est ce qui transcrit cette identité en termes de droit et de politique ; la souveraineté est le champ de la manifestation dans le temps et dans l’espace de cette identité légitimée. Pour poursuivre et terminer, nous ajouterons que l’addition de ces trois principe donne un caractère fondamental à l’exercice du pouvoir, qui est l’autorité, – non pas la force, non pas la puissance, mais ce caractère qui fait qu’on est fondé de poser les actes qu’on pose à la lumière des trois principes. La souveraineté n’est certes pas un absolu puisqu’elle dépend d’autres principes, mais elle est néanmoins un principe devant lequel, à partir du moment où on l’accepte, les manigances conjoncturelles de la politique, des intérêts, de la force, doivent le céder. Ainsi, on observera qu’il doit aller sans dire, et encore mieux aller en le disant, que le respect de ces principes concerne bien des principes ; c’est-à-dire que le respect de la souveraineté implique qu’on respecte celle des autres autant qu’on fait respecter la sienne.

…Au reste, Haas, qui s’y perd un peu, ne doit pas être complètement en désaccord puisque, à partir du moment où il a repoussé l’idée d’“absolu” pour qualifier la souveraineté, il ajoute aussitôt, comme s’il y voyait le triomphe de sa thèse, qu’elle implique des obligations aussi bien que des droits, ce qui signifie effectivement qu’il s’agit d’un principe. Et le voilà admonestant le Pakistan parce que, semble-t-il, ce pays n’a pas rempli les obligations de sa propre souveraineté ; par conséquent, Haas implique donc que la première obligation de ce principe de la souveraineté serait, pour le Pakistan, d’assassiner ben Laden ; et puisque le Pakistan ne l’a pas fait, les USA se chargent donc de la première obligation de la souveraineté pakistanaise en assassinant ben Laden, c’est-à-dire en violant en large et en travers ce principe de la souveraineté pakistanaise… Ainsi, la principale conséquence découlant de la souveraineté, c’est le droit, sinon le devoir de violer la souveraineté.

Cette confusion sophistique d’un des grands esprits du Système à Washington ne peut pourtant étonner. Laissons de côté l’explication du cynisme ou du mensonge délibéré. Ces esprits-là ne sont pas de cette sorte. L’explication de cette confusion à l’échelle de la grandeur américaniste repose sur les caractères essentiels de la psychologie américaniste, l’“inculpabilité” et l’“indéfectibilité”. Ces deux caractères additionnés font qu’un esprit américaniste, en présentant cette étrange explication tordue sur la souveraineté, veut nous éclairer sur la vertu de la démarche qui fait qu’en violant la souveraineté pakistanaise, les USA ont défendu la souveraineté pakistanaise. Ces deux caractères psychologiques essentiels forment le soubassement du sentiment américaniste général qui fait prendre à cet esprit la vision subjective du monde par l’Amérique pour la vision objective du monde en soi, par le reste du monde autant que par l’Amérique. Il s’en déduit que rien de ce que fait l’Amérique dans le reste du monde ne peut être objectivement mauvais pour le reste du monde. Ben Laden étant identifié comme l’ennemi n°1 de l’Amérique, il s’en déduit que ben Laden est l’ennemi n°1 du reste du monde, et notamment du Pakistan ; par conséquent, sa présence au Pakistan viole la souveraineté du Pakistan ; par conséquent, en intervenant pour l’assassiner, et en exerçant une violation de la souveraineté du Pakistan pour ce faire, l’Amérique protège la souveraineté du Pakistan. L’Amérique pousse la grandeur d’âme jusqu’à ne pas demander de remerciements pour cette intervention.

Cette sorte de raisonnement est si répandu, si profondément admise dans les esprits des serviteurs du Système, que cela doit nous arrêter comme une des marques essentielles de l’infection de la psychologie humaine par le Système. Que les Américains en soient les principales victimes, et les victimes si complètement parfaites à cet égard, ne peut étonner celui qui connaît l’histoire de ce pays construit à partir d’une démarche profondément déstructurante (la destruction des souveraineté des Etats au profit d’un “centre” bâti sur la puissance [“idéal de puissance”] et non sur la légitimité que donne l'adoubement de la continuité historique, et dépourvu de dimension régalienne) ; ce pays formé au moment où se nouent les conditions présidant au “déchaînement de la matière” et au début de la “contre-civilisation”, à la fin du XVIIIème siècle ; ce pays offrant lui-même une des trois “révolutions” (avec la Révolution Française et la révolution du choix de la thermodynamique pour la production d’énergie), qui permet cette rupture du “déchaînement de la matière” et du début de la “contre-civilisation”.

Par conséquent, il nous apparaît très probable que ces caractères monstrueux de la psychologie américaniste (inculpabilité et indéfectibilité) sont en réalité des caractères directement issus du Système, et imposés au sapiens par le Système. Ils ont été instillés dans la psychologie américaniste avec d’autant plus de succès que cette psychologie ne disposait d’aucune défense sérieuse, notamment contre le “persiflage” qui permit l’ouverture de la psychologie à son invasion par les travers du dehors. Notre appréciation de plus en plus renforcée est que ces traits psychologiques ne sont pas la dégénérescence ou une évolution maligne de traits normaux, mais des traits psychologiques spécifiques formés à partir du Système, qu’il est impossible de modifier. Ni l’expérience ni, bien entendu, la réalité n’ont aucune espèce d’effet sur eux ; ils restent et resteront ce qu’ils sont, induisant de plus en plus dans l’erreur ceux qui en sont affectés, les dirigeants américanistes, à mesure que la puissance US s’effondrera et rendra à son tour, dans une sorte de cercle vicieux, ces mêmes traits d’autant plus insupportables et producteurs d’erreurs catastrophiques. Ils sont la garantie que l’effacement et l’effondrement américanistes ne peuvent en aucun cas se dérouler dans un certain ordre, un certain rangement, mais qu’ils seront au contraire un ébranlement majeur et catastrophique, et peut-être décisif pour l’ensemble du Système.

 

Mis en ligne le 7 mai 2011 à 13H21