Micron aurait dû inviter Fillon à La Rotonde

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Micron aurait dû inviter Fillon à La Rotonde

25 avril 2017 – Fidèle à mes habitudes qui tournent dans les moments extrêmes à l’obsession et à la répulsion, je n’ai quasiment pas consulté à ce propos la TV-News et la presseSystème depuis l’élection, – oups, pardon, la qualification, – de Micron. (Oups ! Ce “a” qui continue à sauter de mon clavier [*].) Tout de même, j’ai trempé le bout du doigt de pied dans l’eau hurlante, notamment et principalement par le biais de la consultation des ordures-traîtres de la presse russe, RT et Sputnik les deux cornes du diable, ainsi que l’un ou l’autre site français antiSystème. (Il est important que je passe par les Russes en cette occurrence, pour que l’on puisse établir la passionnante narrative des lignes brisées des complicités, car l’antirussisme a besoin de ces circonstances obscures pour se justifier d’exister et il faut veiller à son entretien.)

Bref, je n’ai vu que très peu de choses sur les événements depuis le premier tour mais figurez-vous que cela me suffit pour me faire l’une ou l’autre idée qui me satisfait dans la compréhension de l’essentiel de cette affaire de si grande importance. Je vais même jusqu’à me permettre d’offrir, ci-dessous et entre autres, des extraits d’un texte français, qui m’est parvenu par le biais de RT-français, qui est de Pierre Lévy, du site de gauche antieuropéen Rupture sur lequel on retrouve le texte.

Là-dessus et avant d’enchaîner, je vous dirais que, concernant Fillon, j’ai eu vent par Radio-Moscou de son adhésion hyper-rapide à Micron, suivi de son annonce de son entrée en modestie comme on entre au couvent (il ne sera pas candidat aux législatives, il deviendra un « modeste militant »). Pauvre vieux-jeune homme, liquidé comme un linge sale qui pue, ou disons plus-tendance : comme “un fromage-qui-pue”. Je n’en reviens pas d’avoir écrit ce que j’ai écrit sur Fillon in illo tempore et, en même temps, je vous l’assure, je suis moi-même assuré de ne pas avoir été trompé une seule seconde par la main qui guide ma plume sur la réflexion de ce moment-là. Pour quelques jours, pour quelques heures, Fillon a connu la grâce authentique ; ensuite, inconscient de la charge qui lui était échue, pfutt, dissolution du personnage qui ne sut même pas montrer quelque habileté lorsque Hollande fit en sorte que la presse absolument-libre, bien huilée et coordonnée, mît à nu ses petites cochonneries. (Comme les choses vont vite, et les occasions, aussi rapides que fondamentales, et ratées jusqu’à l’effondrement si on ne les saisit pas, comme la grâce elle-même qui est une chose essentielle jusqu’à l’illumination mais aussi fugace qu’une plume dans le vent.)

Comme son maître à penser originel Fillon est un véritable et authentique loser, mais avec tellement moins d’allure et d’héroïsme que Séguin, puisque pris la main dans le pot de confiote comme il l’a été, et incapable de se débarbouiller de la confiture. (Et puis, la différence est bien que Séguin, malgré ses appétits de gros ripailleur, n’aimait pas la confiture.) (Ci-dessous, donc dans RT-pourri type FakeNews, dans un texte significativement écrit directement en français à mon sens, nullement adaptation et traduction d’un Russe, quelques mots sur le parcours du combattant de Fillon le soir du premier tour.)

« Tandis que Jean-Luc Mélenchon, adversaire déclaré de Marine Le Pen, déserte le champ de bataille sans donner de consigne de vote, c'est François Fillon qui appelle à voter sans ambages contre le Front national (FN). “Il n'y a pas d'autre choix que de voter contre l'extrême droite”, a ainsi martelé François Fillon depuis son QG le 23 avril. Après les premières estimations des instituts de sondage en cette soirée de défaite, il n'aura pas fallu une heure à François Fillon pour appeler ses électeurs du premier tour à voter pour Emmanuel Macron. “Il nous faut choisir ce qui est préférable pour notre pays. Je ne le fais pas de gaieté de cœur. Mais l'abstention n'est pas dans mes gènes”, a-t-il déclaré gravement.

» Le ralliement express de François Fillon s'inscrit en effet en rupture avec la tradition instaurée chez Les Républicains par Nicolas Sarkozy, qui avait édicté la règle du “ni-ni” lors des élections départementales et régionales de 2015, interdisant aux candidats Républicains de se désister en faveur d'un candidat socialiste en cas de triangulaire avec le Front national. Ironie du sort, c'est Jean-Luc Mélenchon, qui en 2002, avait pourtant appelé à voter contre Jean-Marie Le Pen, “même avec des gants” et qui, en 2017 laisse ses électeurs libres de choisir. »

Voilà où se trouve le hic : pourquoi Fillon ne s’est-il pas, sitôt bannière baissé, rendu au rendez-vous de La Rotonde, où Micron accueillait tous ses amis pour une bamboche effrénée, une bacchanale exaltante et exultante ? Moi qui suis l’extrême sceptique du complotisme, je vais me faire complotiste pour un soir et vous assurer, sans aucune source nécessaire pour recouper ce qui est simplement et uniquement fantasmagorique hypothèse de mon esprit-frondeur, qu’un soir récent, dans la pénombre glacé d’un printemps qui ne parvient pas à faire jaillir ses Cent-Fleurs, sur un banc usé et crasseux du fond du Bois de Boulogne, un émissaire de Micron sinon Micron lui-même, col relevé de sa gabardine sombre des polars des années cinquante, communiqua à un autre émissaire, celui-là de Fillon sinon à Fillon à lui-même, que son ralliement-express, une heure après le résultats, lui vaudrait quitus de la part de l’institution judiciaire française et incorruptible, de toutes les enquêtes diverses concernant ses divers grands-écarts, de façon à lui éviter le sort des SDF de la politique. Que voulez-vous faire sinon accepter cette offre généreuse, car l’on n’en est pas moins homme ? C’est pourquoi je m’étonne diablement qu’il n’ait pas été convié, dans un grand élan de réconciliation nationale, à la Caverne d’Ali-Baba, sise à La Rotonde, boulevard du Montparnasse : ainsi les pistes eussent-elles été brouillées...

Car ce que je retiens finalement d’absolument proéminent et d’exceptionnellement symbolique de ce premier tour, sans aucun doute et sans la moindre originalité, c’est cette inoubliable soirée à La Rotonde, offerte par le candidat-déjà-président comme s’il était président. C’était “Le Fouquet’s-le retour” exactement dix ans plus tard, mais avec une sacrée nuance qui mesure combien les temps vont vite, et combien le Système en prend à l’aise avec la chronologie, et combien il sait aller, en la devinant avec quelle prescience, au-devant de la volonté du peuple... L’“inoubliable soirée”, donc, fêtant la victoire à la fin de la première mi-temps et non à la fin du match, ou bien si vous voulez encore la “troisième mi-temps” d’un match de rugby après la première et avant la seconde. Pierre Lévy, signalé plus haut, intervient pour nous en faire la description surtout dans l’esprit de la chose, effectivement très exotique.

« L’image était terrible. Lors de la soirée électorale du 23 avril, les caméras de France 2 (notamment) ont diffusé pendant d’interminables minutes la traversée de Paris du cortège d’Emmanuel Macron : une flopée de motards, une dizaine de véhicules toutes sirènes hurlantes et gyrophares en bataille. Même le commentateur en direct s’est étonné de ce convoi brûlant tous les feux rouges. Comme une hallucinante caricature de la continuité, et d’arrogance digne de l’Ancien Régime.

» Et comme un symbole subliminal d’une évidence : le « système » a déjà installé son candidat au pouvoir. Le système, c’est-à-dire l’appareil économico-politico-médiatique qui entend assurer la domination de l’oligarchie mondialisée via ses représentants nationaux. L’ancien énarque et banquier de chez Rothschild incarne celle-ci jusqu’à l’outrance. Sur la forme d’abord, au vu de son lancement marketing et médiatique littéralement sans précédent. Et sur le fond, bien sûr, tant ses thèmes de prédilection collent étroitement aux priorités des « élites mondialisées ».

» A commencer par l’Europe, bien sûr. Concluant l’un des débats de la soirée de France 2, Laurence Parisot – l’ancienne présidente du patronat a fait de l’anti-lepénisme l’affaire de sa vie – a jugé que le plus grand mérite de M. Macron était de vouloir « refonder le plus beau projet qui soit, le projet européen ». Au même moment, les messages affluaient pour saluer la victoire annoncée du jeune banquier : du président de la Commission européenne, du porte-parole de la chancelière allemande et du ministre fédéral des Affaires étrangères, de la chef de la diplomatie européenne, de Michel Barnier (responsable pour Bruxelles des négociations sur le Brexit), et de tant d’autres… Tous ont indiqué au peuple français quel serait le « bon choix » pour le second tour. »

Les détails de cette “troisième mi-temps” d’avant la deuxième mi-temps sont certes croustillants pour qui a beaucoup d’appétit. J’ai à nouveau consulté les fourbes Russes qui en donnent ici et là divers détails rassemblés pour nous restituer l’ambiance de la soirée, aussi bien qu’une fidèle retranscription d’Europe n°1. Le candidat-déjà-président avait donc rassemblé quelques “petites mains” et autres porte-flingues de sa campagne (Attali, Arditi, Line Renaud, Frédéric Mitterrand, Cohn-Bendit & Cie) et pas du tout de pipole contrairement à l’agité du Fouquet’s (selon l'expression célinienne).

« Pour fêter sa victoire à l’issue du premier tour, Emmanuel Macron a choisi une brasserie parisienne plutôt chic et invité quelques célébrités. Sputnik vous propose de regarder comme si vous y étiez la “dolce vita” du meneur d’En Marche! Hier soir, Emmanuel Macron a porté quelques toasts suite à sa victoire au premier tour de la présidentielle française, un moment de détente d'ailleurs amplement mérité. Le vainqueur du scrutin a choisi la brasserie La Rotonde, située sur le boulevard du Montparnasse, dans le 14e arrondissement de Paris, endroit emblématique ayant accueilli la célébration de la victoire à la primaire socialiste de François Hollande en octobre 2011.

» Peu après son discours de victoire, le couple Macron a retrouvé certains membres d'En Marche!, des hommes politiques et quelques vedettes dont Jacques Attali, François Berléand, Stéphane Bern, Daniel Cohn-Bendit, l'écrivain Erik Orsenna, l'architecte Roland Castro et l'actrice Line Renaud, selon les informations du Parisien.

Pourtant, la soirée festive a suscité certaines critiques que M. Macron a rejetées d'un revers de main : “Je n'ai pas de leçon à recevoir du petit milieu parisien”, a-t-il tranché. “Si vous n'avez pas compris que c'était mon plaisir ce soir d'inviter mes secrétaires, mes officiers de sécurité, les politiques, les écrivains, les femmes et les hommes qui depuis le début m'accompagnent, c'est que vous n'avez rien compris à la vie. Donc c'est ce que vous voulez, mais c'était mon moment du cœur, vous voyez ?”, a-t-il déclaré dans une interview accordée à Europe 1. »

Lévy, cité plus haut, parle à propos de cette équipée de dimanche soir à La Rotonde devenue territoire réservé de l’arrogance de l’Ancien Régime ; moi, j’aurais autre chose en tête, qui est l’arrogance stupide de la Grande Bourgeoisie, celle qui a raccourci la tête de l’Ancien Régime en croyant bien faire devant le Tribunal Révolutionnaire de la Métahistoire et qui a obéi tout au long du XIXème siècle, de Louis-Philippe à Napoléon III jusqu’aux scandales de la IIIème République républicaine-et-laïque au mot d’ordre de Guizot (« Enrichissez-vous ! »). Effectivement, l’atmosphère dite-“bling-bling” qui règne sur cette soirée restitue bien l’ambiance de la montée en fric de la bourgeoisie moderniste, et je dis cela effectivement (suite) parce que j’ai toujours à l’esprit cette citation du Journal des frères Goncourt, du 18 janvier 1857, qui pourrait aussi bien aller avec La Rotonde de Micron comme elle aurait bien été avec la soirée de l’agité du Fouquet’s... (Tout cela, je l’avoue, parce que j’imaginerais bien que Paris la splendide Ville-Lumière, éclatant écho mille fois répété de notre plus haute civilisation, fût choisi comme pute de grand luxe de la globalisation, comme elle fut consacrée pute du IIIème Reich durant l’ère-Collabo ; après tout, ils sont ou seraient bien en train de nous faire un truc du genre avec l’Acropole, non ? Imaginez la considération que l'on peut avoir pour ces gens, une fois qu'ils sont débarrassés de leurs colifichets...)

« Des affaires, partout des affaires, il n'est plus qu'affaires, et même au cintre. [...] Des affaires depuis le haut de l'échelle jusqu'au plus bas, du ministre à la fille. Le génie, l'humeur, le caractère de la France complètement retournés, tournés aux chiffres, à l'argent, au calcul et complètement guéris du premier mouvement. La France devenue une Angleterre, une Amérique ! La fille est un homme d'affaire et un pouvoir. Elle trône, elle règne, elle toise de l'œil, elle insulte ; elle a le dédain, l'insolence, la morgue olympienne. Elle envahit la société – et le sent ... Elle gouverne aujourd'hui les mœurs, elle éclabousse l'opinion ; elle mange des marrons glacés dans la loge, à côté de votre femme ; elle a un théâtre à elle : les Bouffes ; un monde à elle : la Bourse ... »

De tout cela mis ensemble, y compris et surtout la déclaration de Micron à Europe n°1, qu’il faut écouter pour en sentir et en apprécier la tonalité, je retiens une impression générale concernant ce brave garçon dont tout le monde nous dit qu’il est déjà notre président. J’avais entendu parler de Micron, comme vous et comme bien d’autres, du temps où il était besogneux ; un type assez effacé malgré sa prétention à l’existence qui précède la substance, qui apprenait péniblement à jouer au ministre, avec les difficultés qui vont avec parce qu’un banquier n’a pas l’habitude de répondre publiquement de ses actes, comme il devait s’efforcer de faire lorsqu’il allait à l’Assemblée Nationale ; mais c’était finalement, tout bien pesé, un écolage assez pépère puisqu’on sait que les questions sont convenues, même les plus vachardes, et que les réponses doivent l’être aussi.

Mais là, le 23 avril au soir, c’était plutôt Micron en liberté, Micron tel qu’il devenait à la pensée d’obtenir la charge suprême... Ce qui est curieux, c’est qu’il m’a plutôt donné l’impression d’être en voie d’infantilisation, avec des arguments un peu geignards, du type de ceux qu’on développe lorsqu’on veut vendre du rien en voulant faire croire qu’il y a de la substance. Il était plutôt fâché qu’on lui présentât la facture du Fouquet’s alors qu’il ne s’agissait que de La Concorde, rive gauche contre rive droite, mais manifestement idée reprise de son pré-prédécesseur dont je soupçonnerais volontiers, avec mes allures de plus en plus complotistes, qu’il est l’idole cachée que lui, Micron, vénère en secret dans sa petite chambre enfantine tapissée de photos de son icône-devenue-idole : « les deux types d’images que Platon avait distinguées : d’une part les icônes qui se rattachent à la réalité d’un modèle, d’autre part les idoles qui se détachent du modèle et des icônes »,– selon Mattei. (Emmanuel-Sarko plutôt qu’Emmanuel-Hollande ? Surtout, ne rien dire à Hollande.) Bref et pour faire court, tout cela effectivement relevant d’une sorte d’infantilisation voguant sur une narrative où l’enfant à la fois rêveur et surexcité juge qu’il a dompté les flots déchaînés.

Je me demande... Hein, si réellement il est élu comme le peuple-people a décidé qu’il serait, je me demande s’il ne sera pas notre version à nous de l’homme-téléréalité à la barre. Ils ont The-Donald, nous avons, nous, Nicolas-Micron. Je me demande s’il ne va pas nous faire des colères, tapant du pied si les choses ne vont pas comme il a prévu sur son Meccano, et prendre des décisions phénoménales, commettre des erreurs-bouffes dignes d’une supernova de la politique... Franchement, et malgré mon “instant de honte et de dégoût”, je me demande si nous n’allons pas assister à une présidence-bouffe de première grandeur.

Bon, j’arrête là parce que, moi aussi je viens de le réaliser avec la plus grande confusion, je parle comme s’il était élu alors que le job de président c’est tout de même un job sérieux, et parce que, même si le théâtre (les Bouffes) est dans la rue (à La Rotonde, boulevard du Montparnasse), la crise dont nous parlons en général n’est rien de moins que celle de l’effondrement du Système. C’est vrai et c’est de plus en plus vrai, le problème du Système c’est bien que le personnel, celui des directions-Système, n’est plus ce qu’il était ; c’est vrai aussi que, malgré cela, le Système triomphe ; c’est vrai enfin qu’il y a, comme je me le rappelai à moi-même pour me donner du cœur au ventre, cette exhortation du “eh bien que le système triomphe !” (« ...que le Système triomphe, qu’il emporte tout dans sa surpuissance puisque lui seul détient la formule unique de son autodestruction nichée au cœur de cette surpuissance »).

Cette pénurie de personnel qualifié au cœur même de ce triomphe du Système, c’est peut-être bien cela qui est la clef, le code postmoderne de la formule de son autodestruction. Le sapiens a toujours un rôle à tenir, jamais vraiment en chômage...

 

Re-note

(*) Bref, le vrai est que mon clavier continue à se rebeller et que je ne suis pas encore parvenu à le mater. Quand je tape le nom de l’heureux finaliste jusqu’alors candidat parmi d’autres, le “a” fout le camp et est remplacé par le “i”, de M[?]cron à Micron. S’il est élu, je ferai le nécessaire et je vous jure que le “a” rentrera dans le rang, et comment.