Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
211428 septembre 2005 — Un autre volet de la “militarisation” qu’impliquent les événements survenus avec l’ouragan Katrina, après le volet opérationnel et bureaucratique que nous avons vu hier, implique la question de la programmation. Des signes nombreux sont recueillis, selon lesquels les effets de Katrina vont se faire sentir, même au niveau du processus de la Quadriennal Defense Review (QDR) en cours ; Katrina pourrait même avoir l’effet inattendu de sauver in extremis le processus de la QDR 2005, menacé d’être noyé par les pressions bureaucratiques.
On lira ces quelques indications, prises sur le site The Inside Defense.com (site des “lettres d’information” Inside the Pentagon, Inside the Air Force, Inside the Navy, etc.)
« Pentagon Officials: Katrina's Effects to be Felt in QDR — The aftermath of Hurricane Katrina is expected to shake up the Pentagon's Quadrennial Defense Review, according to Pentagon officials, underscoring the military's key role in relief and recovery missions following domestic disasters. » (2 septembre 2005)
« Katrina Likely to Fuel Debate Over Guard's Combat, Homeland Defense Roles — Hurricane Katrina's winds may rekindle a long-smoldering debate about the role of the National Guard, specifically its place in the Pentagon's post-Sept. 11, 2001, military strategy, according to defense analysts. » (9 septembre 2005)
« Katrina Refocuses High-Level QDR Debate Over Homeland Defense — Hurricane Katrina has triggered high-level deliberations central to the Quadrennial Defense Review over the adequacy of the Pentagon’s homeland defense capabilities and plans, according to Defense Department officials. » (21 septembre 2005)
Il apparaît que Katrina a bouleversé l’ordre des priorités de la QDR. Trois priorités stratégiques étaient envisagées, dans l’ordre : la menace chinoise, les réseaux terroristes mondiaux et la sécurité du territoire national. Désormais, avec Katrina, la troisième priorité semble avoir pris la première place.
De toutes les façons, ce bouleversement devrait avoir des effets importants sur les structures et les programmes examinés par la QDR. Il ne s’agit pas d’une refonte complète mais d’une pression sur les choix : plusieurs options sont envisagées pour les grandes questions examinées, dont les structures et le sort des grands programmes notamment. Il est probable que les options qui favorisent le renforcement de la défense du territoire vont être favorisées.
Cela implique notamment les hypothèses suivantes :
• Le renforcement de l’apport humain, notamment au niveau des unités de combat. D’ores et déjà, on annonçait fin août que l’U.S. Army et les Marines devaient sortir renforcés de la QDR. Cette tendance devrait être renforcée.
• L’accroissement des équipements en matériels spécifiques, prévus pour les situations d’intervention et de sécurité urbaine, d’évacuation, de ravitaillement, etc. Certains de ces équipements sont nouveaux pour les forces américaines et demanderont le lancement de nouveaux programmes.
• Le renforcement des moyens de détection et de communication pour des situations inédites où la possibilité d’affrontement est réduite ou différente, où l’accent est mis sur les conditions naturelles plus que sur les situations artificielles créées par la guerre. Là aussi, il s’agit de structures à développer ou à créer.
• L’accentuation de la tendance à freiner les grands programmes hérités de la Guerre froide et qui ont de plus en plus de mal à justifier leur existence. Les places seront de plus en plus chères pour les grands programmes d’avions de combat (F/A-22, JSF), les grands programmes de navires de combat classiques (destroyers DD-X), etc.
D’une façon plus générale, ce qui semble remarquable est la rapidité de réaction de la bureaucratie devant Katrina et ses conséquences. Cela marque, d’une part que cette bureaucratie est préparée à prendre en charge des tâches de sécurité du territoire national US, d’autre part qu’elle est très intéressée par cette nouvelle mission. On pourrait voir, dans les prochains mois, un vaste mouvement de renforcement de ce courant, conduisant à un rythme important de réorientation, voire de transformation d’une part importante des capacités du Pentagone. Ce serait un prolongement inattendu et ironique pour Donald Rumsfeld : le secrétaire à la défense qui cherche depuis longtemps à imposer à la bureaucratie du DoD une transformation radicale de ses structures, se verrait placé devant ce mouvement spontané de la bureaucratie. Il n’est pourtant pas assuré que ce qu’il en sortira soit la “transformation” telle que Rumsfeld l’espérait.
Un autre prolongement ironique est que cette réaction, qui constitue d’une certaine façon une “militarisation” (supplémentaire) des Etats-Unis, — militarisation du territoire national après la militarisation complète de la politique étrangère, — entraîne en fait une certaine démilitarisation des structures et des programmes de la bureaucratie du Pentagone.
Notre vision de cette évolution est très strictement bureaucratique et systémique. La vision idéologique faisant de cette expansion du rôle des forces armées US vers l’intérieur du territoire national une sorte de “coup d’État” du complexe militaro-industriel, au travers d’une imposition d’une sorte de “loi martiale” permanente (c’est surtout une vision de la gauche idéologique, comme, par exemple, les trotskistes de WSWS.org), nous paraît assez peu correspondre aux traditions du système américaniste, notamment dans ses extrémités les plus condamnables. Il s’agit d’abord d’une lutte bureaucratique. Les conséquences vont être un désordre accru au niveau du budget et des programmes et, sur le terrain, également un désordre accru lors du prochain ouragan. L’armée ne sera, dans ce cas, qu’un acteur de plus, même si elle s’impose comme l’acteur principal. Les autres forces impliquées dans cette sorte d’action resteront actives, avec leurs propres priorités et leurs propres moyens d’action. Au plus la démocratie capitaliste du système américaniste se radicalise dans son action et son extension, au plus le désordre grandit, — c’est-à-dire le contraire de l’ordre, y compris l’ordre autoritaire.