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219926 septembre 2005 — On doit se rappeler comme d’un symbole important de la nouvelle situation étatsunienne que nous tentons de décrire ici le spectacle de la conférence de presse de GW Bush le 21 septembre. Le président jouait au commandant en chef sur le point de se rendre sur le front, face à Rita-la-Terrible dont on annonçait l’arrivée, chevauchant un énorme souffle de Force-5 qui rappelait Katrina. (Qu’importe, le terrible Force-5 s’est dégonflé en un minable Force-2, forçant le commandant en chef à rentrer, légèrement penaud, à la Maison-Blanche. Mais là n’est pas l’important…)
…L’important, lors de cette conférence de presse, c’était ceux qui étaient rassemblés autour de GW: le vice-président Cheney, le secrétaire à la défense Rumsfeld, le président du comité des chefs d’état-major, le général Myers. Personne du Department of Homeland Security (DHS), le ministère de la défense du territoire national dont la lutte contre les calamités naturelles sur le territoire national est pourtant l’une des missions, en plus de l’activité anti-terroriste… C’était, le 21 septembre, un signe des temps qui changent.
Après plusieurs annonces dans ce sens, GW a demandé officiellement au Congrès, dans un discours prononcé hier, de s’intéresser à la perspective d’un “rôle plus important” pour les forces armées dans “la lutte contre les désastres naturels” aux États-Unis mêmes.
« On Sunday, President Bush called on Congress to consider a larger role for U.S. armed forces in responding to natural disasters, as he completed what White House aides called a weekend ‘fact-finding’ mission to determine whether the Pentagon needs more control.
» “Clearly, in the case of a terrorist attack, that would be the case, but is there a natural disaster — of a certain size — that would then enable the Defense Department to become the lead agency in coordinating and leading the response effort?” Bush said after a briefing from military leaders at Randolph Air Force Base here. “That's going to be a very important consideration for Congress to think about.”
» Bush has told aides that one of the major breakdowns in the Hurricane Katrina response was the federal government's inability to seize control of rescue and relief efforts. Under existing law and procedure, a state governor is in charge when natural disasters strike and is responsible for deploying the National Guard, though in certain cases, the president can order troops to support local law enforcement.
» Bush is asking Congress to consider a major change, potentially shifting federal responsibility for major natural disasters from the Department of Homeland Security to the nation's top military generals. The Defense Department has been hesitant to take such a role because of sensitivity to the idea of adopting a police presence on U.S. soil and because of strains on the armed forces from the war in Iraq. »
Cette évolution devait être prévisible, et elle était largement envisagée, dès les premiers jours de septembre lorsqu’il apparut que c’étaient les forces armées, c’est-à-dire le Pentagone (DoD), qui étaient directement chargées de “la sécurité” dans la zone touchée par Katrina. Bien entendu, l’évolution de la situation fut trop ambiguë pour qu’on puisse dire qui est la cause de quoi:
• Est-ce la faiblesse de la réaction de DHS, notamment au travers des faiblesses de la FEMA (l’administration fédérale chargée des désastres naturels), qui conduit à mettre en avant le rôle de l’armée durant Katrina, puis dans l’esprit de GW lui-même?
• Est-ce l’organisation délibérée des secours, et notamment un ralentissement délibéré de ces secours, qui “poussent à la faute” la FEMA et conduisent à mettre en avant l’action de l’armée, du DoD? Il y a eu beaucoup d’interprétations, certaines modérées, d’autres extrêmement radicales mettant en avant l’idée d’un véritable montage dans ce sens.
Il est probable que la vérité est à mi-chemin : un mélange de très grande incompétence dans la réaction initiale (aussi bien du DHS que du DoD, qui était également engagé), et, ensuite, des pressions spécifiques pour mettre en évidence le rôle du DoD aux dépens de DHS/FEMA. Il y a eu des exemples précis d’interventions militaires sanctionnées parce qu’elles n’avaient pas été ordonnées, donc parce qu’elles n’étaient pas sous contrôle du DoD et servaient surtout à renforcer l’effort de DHS/FEMA sans bénéfice de promotion politique pour le DoD. (On signalera l’affaire des deux pilotes d’hélicoptères de la Navy sanctionnés pour avoir agi sans ordre pour sauver des rescapés de la zone.) Une certitude : le Pentagone n’est intervenu à fond que massivement, après avoir passé de trois à quatre jours à regrouper des forces aux dépens des réfugiés qui avaient besoin d’aide. Le DoD a attendu d’avoir une position de contrôle qui lui permettait d’apparaître comme l’autorité en charge de l’opération, et l’autorité qui fit basculer l’opération dans un sens positif après le chaos de la première semaine.
Face au Pentagone, le DHS/FEMA ne faisait pas le poids. Cette bureaucratie importante mais nouvelle (pour le DHS) ou inorganisée (pour la FEMA) a un rôle incertain et des dirigeants d’une rare médiocrité, la plupart nommés pour les récompenser d’un appui politique. Rien à voir avec la bureaucratie du DoD, dont on connaît la puissance, ni avec Rumsfeld, dont l’influence sur GW Bush est considérable. Le DoD joue sur du velours.
Certes, l’intervention structurée et prépondérante du DoD dans le cas de calamités naturelles aux USA est encore envisagée dans des conditions très spécifiques. Voici l’interprétation du porte-parole de DHS: « “We are not talking about DOD taking over federal response efforts to a catastrophe from start to finish,” Knocke said. Instead, he cited three examples — maintaining social stability, urban search-and-rescue support, and damage assessment — when state, local or other federal agencies are incapacitated or overwhelmed. “We're talking about an ultra-catastrophe, where the need is such that the military's training and assets would meet an immediate need in support of Homeland Security coordination of the federal government's responsibility and recovery efforts”. »
... Mais ce n’est que l’interprétation de DHS, évidemment très restrictive. Il reste que le DoD est la principale force organisée pour l’intervention, dont dépendrait d’ailleurs DHS/FEMA pour une intervention qui ne serait théoriquement pas confiée aux militaires. On imagine que tout serait fait, du côté du DoD, pour mettre en évidence l’importance des militaires, voire pour freiner l’intervention de DHS/FEMA.
Les critiques de l’action (la réaction lente, voire l’absence de réaction) de l’administration GW face à Katrina mettent en évidence que l’éventuelle promotion des militaires sert surtout à renforcer le rôle de bouc-émissaire de DHS/FEMA dans la polémique, au profit de l’image du président. Sans doute, et le résultat n’en reste pas moins que les militaires en profitent et en profiteront de plus en plus. Dans le cadre d’une puissance publique affaiblie, phagocytée dans sa bureaucratie, alors que l’essentiel des moyens va aux militaires, ceux-ci parviennent encore à impressionner le président malgré leurs abyssales contre-performances depuis quatre ans, dans les opérations anti-terroristes et (surtout) en Irak. Le DoD apparaît à un Président en très mauvaise position comme le seul moyen de réaffirmer la possibilité d’une certaine efficacité. (D’autre part, la militarisation des USA est une idée qui ne déplait certainement pas à GW, dans le climat actuel.) Le DoD en profite, comme c’est la règle du jeu bureaucratique.
Si l’affaire reste encore caractérisée par des complexités bureaucratiques, il semble bien que le Pentagone ait réussi une percée décisive sur la voie d’une position de maîtrise de la sécurité continentale aux USA, dans le domaine civil comme dans le domaine militaire. C’est un événement important.