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417905 décembre 2017 –Nous avons été frappés par la nouvelle d’un accord en voie d’être finalisé, ou d’ores et déjà finalisé, entre l’Égypte et la Russie, concernant la disposition accordée par chacun des signataires de l’utilisation de l’espace aérien et de bases aériennes de l’autre. Hier, nous avons publié un texte sur cet événement et mis l’accent, à la fois sur son énorme importance stratégique potentielle, à la fois sur son aspect symbolique par rapport à cette année-pivot qu’est l’année 1973 :
« [...L]a Russie retrouve à peu près les positions de l’URSS en 1973, lorsque cette puissance avait atteint le zénith de sa pénétration au Moyen-Orient... [...] Pour la Russie, cet accord est bien entendu un triomphe stratégique sans précédent. La Russie est d’ores et déjà un fournisseur très important d’armements vers l’Égypte, aux dépens de l’habituelle clientélisme égyptien de l’industrie d’armement US, depuis la fin des années 1970. Mais l’accord va beaucoup plus loin, il constitue un véritable remplacement de l’allié stratégique principal, l’Égypte achevant ainsi de passer de l’alliance US à l’alliance russe. »
Nous sommes très sensibles aux événements à la fois stratégiques et symboliques, et l’année 1973 (ou 1973-1974) est sans aucun doute de cette sorte. Nous l’avons souvent répété, 1973, avec ses événements déstructurants (Guerre d’Octobre ou “guerre du Yom Kippour”, embargo pétrolier des pays de l’OPEP) est une année de basculement de la fin d’une époque aux prémisses de celle qui lui succède, – dont nous vivons aujourd’hui le terme catastrophique.
Comme on le lit, la nouvelle sur l’accord probable égypto-russe nous ramène, par simple connivence historique, à l’année 1973. Il nous paraît bon d’éclairer ce constat par une interprétation de l’évolution des grands événements affectant cette région (le Moyen-Orient) et les deux puissances extérieures concernées (USA et URSS/Russie), par un rappel des circonstances interprétées selon notre vision actuelle, à la lumière des évènements présents. Pour ce faire, nous allons reprendre une partie d’un texte de Notes d’Analyse du 5 avril 2012 où nous jugions que la crise syrienne arrivait, avec l’élection, – ou réélection en un sens, – de Poutine à la présidence de mars 2012, à un “retour de la Russie au Moyen-Orient” (« Notes sur le retour de la Russie au Moyen-Orient »).
Ce texte inscrit notre conviction que l’activisme USA/bloc-BAO du type regime change, pour déstabiliser la Russie pendant la campagne présidentielle, est le facteur opérationnel et surtout psychologique essentiel déclencheur d’une attitude nouvelle de la Russie, à savoir sa volonté d’intervention extérieure (en Syrie pour ce cas) pour protéger les structures principielles (celles du gouvernement syrien pour ce cas) contre l’action déstructurante et dissolvante des USA/du bloc BAO, – c’est-à-dire du Système, certes.
Ce que nous annoncions comme “le retour de la Russie au Moyen-Orient” s’est largement concrétisé et s’est transformé, on le voit aujourd’hui, en un triomphe stratégique et une fantastique déroute des USA (du Système) basculant dans une crise finale de déstructuration et de dissolution d’eux-mêmes. A cette occasion du texte d'avril 2012, nous avions repris un historique de l’évolution des grandes tendances métahistoriques depuis 1973, et ce rapport nous paraît garder toute sa pertinence, sinon s’avérer encore plus pertinent si c’est possible.
On pouvait comprendre combien la rupture de l’URSS avec l’Égypte était importante, à une époque où ce pays était le vrai leader du monde arabe, alors que l’Arabie était loin de tenir le rôle qu’on lui a vu ces dernières années, à une époque enfin où l’Iran du Shah dominait la région pour le compte des USA et restait un gros fournisseur de pétrole pour l’Occident. Aujourd’hui, l’Égypte peut retrouver un rôle très important avec son rapprochement avec la Russie, alors que l’Arabie s’abîme dans le désordre et l’inconséquence, que l’Iran est fermement lié au camp russo-syrien (avec la Turquie) et que les USA jouent leur ultime rôle du Titanic. C’est une redistribution générale des dynamiques stratégiques, qui rompt avec les dictatures combinées du pétrole saoudien et des conflits religieux interarabes manipulés aussi bien par les Saoudiens que par les américanistes de tout-poil, des pétroliers à la CIA. ; au-dessus de tout cela, englobant et suscitant tout cela, il y a la Grande Crise d’Effondrement du Système, particulièrement active à “D.C.-la-folle”.
Le biais qui nous amenait à cette analyse était un texte d’Israël Shamir divulguant des documents venant de l’ambassadeur Vinogradov (alors en poste au Caire) sur la machination entre les USA et l’Égypte, – entre Kissinger, débarrassé de la tutelle de Nixon embourbé en plein Watergate et Sadate trahissant le legs de Nasser, – aboutissant à une Guerre d’Octobre où chaque partie (y compris Israël) aurait son rôle à jouer, pour permettre à Sadate de réaffirmer sa position interne et de liquider tous ses liens avec l’URSS. Ci-dessous, un passage de l’article en référence expliquant la démarche de Shamir :
« Le 22 février 2012, Israël Shamir, correspondant pour la Lettre d’Information ‘CounterPunch’ à Moscou, publiait sur le site CounterPunch.org un texte à propos de ce qu’on pourrait nommer “le mémorandum Vinogradov”. Il s’agit de Vladimir M. Vinogradov, qui fut ambassadeur de l’URSS au Caire de 1970 à 1974, avant d’occuper diverses autres fonctions témoignant d’une carrière diplomatique brillante, jusqu’à terminer comme ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie du temps de la fin de l’URSS, jusqu’à sa retraite en 1990.
» Shamir a reçu le “mémo Vinogradov” par une voie qui lui est propre, et il nous le présente comme un document essentiel datant de 1975. Le document démonte la conspiration qui engendra la “guerre d’Octobre” ou “guerre du Yom Kippour”, d’octobre 1973, commençant par une attaque apparemment coordonnée d’Israël par la Syrie et l’Egypte le 6 octobre 1973, et se terminant par un cessez-le-feu entre Egypte et Israël, effectif entre le 24 et le 26 octobre 1973, après que la Syrie ait été défaite par Israël. »
Nous allons reprendre ce texte du 5 avril 2012, mais en laissant de côté le début qui explique la “conjuration” Kissinger-Sadate-Golda Meir, que Vinogradov désignait plutôt dans son mémorandum comme une “collusion dynamique”. Cet aspect, évidemment très intéressant, ne l’est pas ici, pour notre démarche de 2017 qu’il chargerait inutilement. (Bien entendu, pour en connaître là-dessus on peut en revenir au texte du 5 avril 2012.) Nous reprenons le texte à partir du moment où il aborde la question qui nous intéresse du contexte général et de son évolution jusqu’à 2012, – pour nous, continué dans la même voie jusqu’en 2017 et au-delà...
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Shamir, qui est particulièrement sensible à cet épisode parce qu’il était durant la guerre du Yom Kippour parachutiste dans l’une des unités de la percée Sharon [sur la rive gauche du Canal de Suez, le 22 octobre 1973], et qui se scandalise d’un tel plan qui s’appuyait sur la mort programmée, chez les trois belligérants, de plusieurs milliers de soldats, dont nombre de ses compagnons d’armes, fait dudit épisode un “tournant fondamental” de l’histoire du XXème siècle. Ce jugement est placé en conclusion de son article :
« Postscriptum. En 1975, Vinogradov ne pouvait prédire que la guerre de 1973 et les traités ultérieurs changeraient le monde. Ils ont scellé le sort de la présence et de l’influence soviétiques dans le monde arabe, bien que les derniers vestiges aient été détruits par la puissance américaine beaucoup plus tard : en Irak en 2003 et en Syrie, ils sont maintenant sapés. Ils [les Américains] ont sapé la cause du socialisme dans le monde, qui commença sa longue chute [en 1973-1974]. L'URSS, l'État le plus prospère de 1972, presque gagnant de la guerre froide, finit par la perdre. Grâce à la prise de contrôle américaine de l'Égypte, le système des pétrodollars a pu se développer et le dollar qui avait commencé à décliner en 1971 en perdant son étalon-or s’est rétabli et est redevenu une monnaie de réserve mondiale à part entière. Le pétrole des Saoudiens et des sheikdoms vendu en dollars est devenu la nouvelle bouée de sauvetage pour l'empire américain. Avec le recul, armé des [révélations de] Vinogradov, nous pouvons affirmer que 1973-1974 marque un tournant décisif dans notre histoire. »
Nous-mêmes, nous basant sur notre expérience rationnelle autant que sur notre mémoire intuitive, avons toujours ressenti, autant que vécu à l’époque elle-même de cette guerre et des évènements l’accompagnant, ce tournant de 1973-1974 comme absolument décisif. Le 27 septembre 2010, nous écrivions notamment :
« Cette crise-là d’octobre 1973… […] Ainsi pouvait-on juger qu’il s’agissait d’une époque nouvelle, et on le perçut immédiatement, dans notre vie courante. L’embargo [pétrolier de l’OPEP] eut des conséquences immédiates, quotidiennes, avec les “dimanches sans voiture” en Europe, des programmes d’économie d’énergie lancés, des changements d’heure été-hiver, etc. Pour la première fois, une crise mondiale n’était pas perçue en termes d’anéantissement réciproque (guerre nucléaire stratégique) qui, à cause de son extrémisme prospectif, semblait assez irréelle et abstraite même si son poids sur la psychologie était énorme. Notre souvenir des événements est bien qu’il s’agit d’un immense événement de déstabilisation ; pour la première fois, l’on sentit que les deux superpuissances et le diktat de la dissuasion nucléaire ne suffisaient plus à maintenir le contrôle de la situation internationale, à nous maintenir dans les bornes de la raison contrainte mais toujours arrogante, elle-même dans les bornes du système du technologisme et de l’apparat du système de la communication… En termes psychologiques (beaucoup plus fortement qu’en termes stratégiques), la guerre de haute intensité dont la référence est la dimension mondiale était redevenue possible, et, avec elle, la déstabilisation d’une situation jusqu’alors contrôlée que la perspective impliquait. [Cette] perspective concernait bien la mise en cause de notre système général. »
La “conspiration” [Kissinger-Sadate-Golda Meir] plus justement interprétée comme une “collusion dynamique” eut, en partie à cause de développements inattendus, des conséquences immédiates radicales.
• Sans nul doute, les USA furent les vainqueurs écrasants de cet épisode, d’abord avec l’élimination d’une partie essentielle de l’influence soviétique dans la région ; ensuite, avec le réalignement radical de la plupart des pays de la zone sur cette nouvelle situation.
• Israël et l’Egypte évoluèrent rapidement vers une position de dépendance radicale de l’“ordre américaniste”, qui fut concrétisé par l’accord de Camp David. Il s’agissait d’un accord tripartite réglé selon les termes de Washington, assurant une entente Égypte-Israël. Cette situation fut clairement entérinée par l’arrivée au pouvoir de Moubarak après l’assassinat en 1981 de Sadate.
• Le reste évolua en fonction de ce bouleversement. Le président Assad de Syrie (père de l’actuel président) avait parfaitement compris la trahison de Sadate et avait vu son armée décimée par Israël. La Syrie opta pour une position d’accommodement avec les USA, parce que sans aucune possibilité d’agir autrement. L’Irak de Saddam Hussein choisit également une position moyenne, établissant des liens avec les USA. L’Iran du Shah était tout acquis aux USA, comme les pays du Golfe et la Jordanie. Jusqu’en 1979 et la révolution islamiste en Iran, l’influence US dans la région fut à son zénith.
A partir de 1979, conséquence indirecte et invertie de 1973-74, la déstabilisation commença, nous indiquant que l’“ordre” issu de la “conspiration” constituait une tromperie temporaire… Successivement, le renversement du Shah, l’attaque de la Grande Mosquée de La Mecque par des islamistes (1979), l’attaque de l’Iran par l’Irak soutenu par l’Ouest (septembre 1980), avec huit ans de guerre, la première Guerre du Golfe contre l’Irak (1990-91), les crises israéliennes successives contre les Palestiniens et le Liban, etc., jusqu’à une situation de déstabilisation chronique passant par 9/11, l’attaque de l’Irak de 2003, la guerre Israël-Hezbollah de 2006, la crise iranienne, la chaîne crisique (ou “printemps arabe”) de décembre 2010, jusqu’aux crises actuelles en cours de transmutation en crise centrale, ou crise haute.
Dans cette vaste fresque, il y a évidemment un lien entre la Syrie de 1973 et la Syrie de 2012, et un lien s’entrecroisant avec le précédent, entre l’URSS de 1973 et la Russie de 2012. On y trouve rassemblés le début de la période (1973) et le point de confrontation qui peut décider de la rupture de la période (2012). C’est bien la Syrie qui, dans la guerre d’Octobre 1973, fut la grande perdante, cette guerre d’Octobre qui vit également l’élimination de l’URSS. C’est bien la crise syrienne qui, aujourd’hui, est un des centres de rupture de la situation au Moyen-Orient et, sans aucun doute, encore plus que la crise iranienne, le point d’entrée du retour en force de l’ex-URSS redevenue Russie dans la région où elle avait été, pendant deux décennies (1955-1975), une grande puissance d’influence.
Bien entendu, les conditions diffèrent complètement, la situation de 1973 n’a aucun rapport avec celle de 2012. Aussi, le retour de la Russie en 2012 ne peut prétendre en aucune façon rétablir la situation de l’URSS en 1973, dans la région. Il n’est plus question d’affrontements géopolitiques, d’affrontement d’intérêts, d’une situation de concurrence politique au sens courant. Le retour des Russes est sans aucun doute d’une puissance géopolitique surprenante et qui ne cesse de s’affirmer mais la démarche géopolitique n’est qu’un moyen ; elle s’inscrit dans une logique complètement nouvelle, qui est celle de l’affrontement entre forces déstructurantes et forces structurantes d’une part, entre des poussées dissolvantes et des résistances à cette dynamique de dissolution.
Sans identifier précisément cette situation de la sorte, Poutine l’a définie dans ce sens d’une façon plus générale, dans diverses interventions lors de la campagne électorales. On peut lire un article qui illustre cette position, en date du 27 février 2012 (selon les indications d’un de nos lecteurs). Quant à nous, nous avons cité à plusieurs reprises cet extrait d’une conférence en date du 25 février, tel que rapporté par Russia Today :
« Le Premier ministre russe [Poutine] a souligné que la politique étrangère américaine, y compris celle du Moyen-Orient, était coûteuse, inefficace et largement imprévisible. Poutine a également ajouté que, entre autres choses, il pourrait éventuellement desservir Israël. “Ils ont changé les régimes en Afrique du Nord. Que vont-ils faire ensuite ? En fin de compte, Israël peut se retrouver entre le diable et le grand large”, a-t-il dit. »
Tous ces écrits se réfèrent à la situation au Moyen-Orient, comme archétype de la “politique” dénoncée, et s’appliquent évidemment à la Syrie. Ils indiquent implicitement la forme de l’interventionnisme russe et lui donnent une légitimité complètement exceptionnelle.
…En effet, nous insistons sur ce mot d’“interventionnisme”, autant que sur son caractère légitime. Lorsque l’un ou l’autre diplomate du bloc BAO fait remarquer à Lavrov qu’il y a en Syrie des unités des forces spéciales russes, le ministre russe lui recommande implicitement (d’autres diraient “explicitement”) de se taire, sinon, lui, Lavrov, il dira ce que les Russes savent sur la présence de forces du bloc BAO en Syrie, y compris de mercenaires privés de ce type de sociétés anglo-saxonnes qui fleurissent depuis 9/11 et contribuent notablement à transformer les relations internationales en une guerre de gangs, de barbares et de corrupteurs, selon la même logique dissolvante qu’on relève partout.
Aujourd’hui, les forces spéciales russes pullulent en Syrie, et personne ne dit mot. Les Russes ont livré une aide massive de défense anti-aérienne à la Syrie qui a convaincu les chefs militaires US de ne pas tenter l’aventure d’une intervention aérienne, – une première dans l’histoire de l’“hyperpuissance” depuis qu’elle l’est effectivement, depuis 1945.
Les Russes ne se dissimulent en rien leur interventionnisme parce qu’il existe une situation “objective” (oui, c’est le mot), qui dépasse les babillages diplomatiques et moralisants de relations internationales devenues folles, pour faire place à une vérité métahistorique. C’est en cela qu’existe cette complète légitimité de leur intervention dont nous parlons. Qu’ils le sachent ou non d’une façon précise, et peu importe cela, les Russes interviennent au nom d’une perception principielle du monde, effectivement appuyés sur des principes structurants (ils citent la souveraineté, mais nous viserions plus haut). Bref, ils ont avec eux l’entraînement de la métahistoire contre le désordre hypomaniaque du “déchaînement de la Matière” qu’illustrent nos pauvres directions politiques, se débattant entre virtualisme grotesque et hystérie épouvantable. Voilà qui fonde une légitimité de fer, qui assure le comportement et rend irrésistibles les arguments.
Les Russes ne reviennent ni en vainqueurs, ni en conquérants, ni en marchands d’armes hégémoniques dans le Moyen-Orient dont ils furent expulsés en 1973. Ils reviennent en messagers et porteurs d’une réaction antiSystème qui se manifeste par des voies inattendues et dont nous ne maîtrisons nullement la logique. Pour cette raison, leur action a la fermeté de la conviction, qui est la marque de sa légitimité.
Par conséquent, et très logiquement on le concédera, nous revenons à cette idée centrale de notre texte du 2 avril 2012. Il s’agit sans aucun doute de cette idée, née de notre conviction intuitive, de faire un lien entre la “guerre de la communication” que mena le système de la communication contre la Syrie, et celle que ce même système mena contre la Russie durant la période électorale décembre 2011-mars 2012…
«Notre conviction intuitive est que, s’il n’y avait pas eu les “troubles publicitaires” qui ont touché la Russie à partir de fin novembre 2011, provoquant la prise de conscience mobilisatrice qu’on vient de détailler, les Russes n’auraient pas apprécié aussi gravement l’évolution de la situation syrienne, menaçant d’être un double en bien plus grave de l’évolution libyenne, justement à partir de cette période décembre 2011-janvier 2012, justement à cause essentiellement de cette activité subversive du système de la communication (contre la Syrie d’Assad et contre eux parallèlement)…»
Il y a là un cas qui dépasse bien entendu, qui enterre et piétine tous les débats poussiéreux, hypocrites, épuisants de bassesse, de notre idéologie maniaco-dépressive vautrée sur les psalmodies de sa morale humanitariste. Cette action absolument subversive du système de la communication, foulant aux pieds tous les principes possibles, constitue un attentat qui vise l’essence même de ceux qu’elle agresse ; le Système, portée par la médiocrité extrême de son représentant washingtonien et de ses relais du parti des salonards, est à visage découvert… Il s’agit alors, de la part des Russes, d’une façon qui nous transporte dans une autre mode de pensée, de la réaction vitale contre la dissolution portée par le flux entropique de l’entraînement que le Système impose aux représentants les plus soumis des directions politiques de notre contre-civilisation. (Il est à prévoir qu’une action brutale contre l’Iran, une fois qu’elle serait assurée, attirerait une réaction à mesure de la Russie, selon la même logique.)
C’est pourquoi les sens avertis des guetteurs des signes essentiels, dans une époque dont on sent bien le caractère effectivement essentiel, devraient distinguer dans la position russe, dans l’interventionnisme russe, dans tout ce que cette incidente puissante fichée dans le cours du flux d’entropisation du Système apporte de force antiSystème, ce qu’on pourrait désigner comme “le vent de la métahistoire”, comme l’on disait “le vent de l’histoire”, mais en bien plus haut. A ce point, on comprendra aussitôt qu’il importe peu que ce soit les Russes qui tiennent le rôle qu’ils tiennent, – sauf que, pour l’instant, seuls les Russes le peuvent. Ils sont, dans cette occurrence, manifestement, le choix de la métahistoire.
Tous les caractères “réalistes” habituels de la politique russe, son goût de l’ordre, de la non-ingérence, de la hiérarchie et de l’autorité des positions, etc., conduisent à faire tenir ce rôle à la Russie. Ces caractères, si souvent dénoncés par les romantiques et les belles âmes humanitaires, prennent en effet un autre poids et une autre signification dans le contexte du désordre dissolvant actuel. Si l’on peut y voir des attitudes brutales, sinon sordides dans certaines circonstances, qui sont d’ailleurs pour nous des circonstances trompeuses de la modernité, on y trouve par contre dans d’autres circonstances, qui sont celles de la lutte contre le vrai désordre dissolvant de la même modernité, une dimension principielle fondamentale. C’est le cas aujourd’hui, en Syrie. Le jeu de l’évolution si rapide des situations, du passage du contexte historique au contexte métahistorique, a conduit la Russie à devenir, sans qu’elle l’ait cherché nécessairement, sans qu’elle l’ait réalisé aussi précisément, défenderesse acharnée de certains principes, – la souveraineté, certes, c’est-à-dire la légitimité, en sont les principaux.
En d’autres mots et pour en revenir, nous, au prétexte principal du propos, la Russie qui “revient” au Moyen-Orient n’est vraiment plus l’URSS qui en fut expulsée en 1973-1975. Les temps ne sont plus du tout les mêmes. Nous aussi, nous avons bien changé. »