Notes sur la Grande Dissolution

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Notes sur la Grande Dissolution

23 février 2016 – Pour une fois, nous insisterons sur l’importance du “chapeau”, ou abstract si l’on veut, présentant ces Notes d’analyse. Cet élément de présentation du texte présente également une méthodologie, non pas nouvelle pour nous mais fortement précisée, affinée et clairement explicitée, et qui sera de plus en plus notre façon d’aborder les événements. Il est important que cette méthodologie soit exprimée de plus en plus précisément à mesure qu’elle s’impose comme telle, parce quelle participe directement de notre démarche analytique. (Il est possible, sinon probable, que nous y revenions d’une façon plus précise pour faire avancer l’explication et la compréhension de notre démarche.)

Nous parlons d’abord de la crise syrienne comme étant devenu le nœud fondamental de l’ensemble crisique, ou disons la plus forte et la plus spectaculaire impulsion du tourbillon crisique. Nous voulons parler de ce que nous nommons la crise “Syrie-II”, c’est-à-dire la crise syrienne dans sa (deuxième) phase qui a commencé avec l’intervention russe de septembre 2015. Dès ce moment, la crise syrienne a connu une relance d’importance et d’activité crisique considérables, accaparant à nouveau toute l’attention des réseaux de communication. Elle est vraiment devenue l’élément central du dispositif crisique général, avec l’implication de la Russie, les conséquences vers l’Europe (crise des “migrants-réfugiés”), ce que nous nommerions l’“intrusivisme” constant de l’américaniste, d’ailleurs montrant aussi bien la débâcle de la puissance US aujourd’hui que, précédemment, montrant sa sûreté d’elle-même. Ainsi doit-il être entendu que ce que nous disons de la Syrie, qui est pour l’instant dans tous les esprits mais trop souvent se réduit à n’être que cela (“la crise de la Syrie”), doit être entendu comme étant comme si nous parlions de la Crise Générale d’effondrement du Système, – ce qui est le cas.

Une nouvelle situation

Nous parlons également de la Syrie dans sa phase Syrie-II dans le cadre, et uniquement dans ce cadre, de la situation nouvelle qui s’est établie depuis le mois de février 2014 avec le coup de force de Kiev, qui a effectivement établi des conditions nouvelles de communication avec leurs effets sur la psychologie. (Encore un lien crisique établi entre deux crises, celle de l’Ukraine et celle de Syrie-II. L’importance de la crise ukrainienne devrait rester dans notre mémoire par l’expression de “coup de Kiev“, équivalent pour notre période en importance de symbolisme historique au “coup de Prague“ de février 1948, d’il y a 68 ans : l’importance réelle du “coup de Kiev” est aussi faussaire que celle du “coup de Prague“, mais leur commune importance historique de type symbolique, créé par la communication de notre contre-civilisation, – “Monde libre” en 1948, “bloc-BAO“ en 2014, – est indubitable.)

Pour expliciter ce classement, nous nous reportons à un extrait de notre texte du 5 novembre 2015 sur l’“inconnaissance” qui nous paraît tout à fait convenir :

« Nous choisissons la date de février 2014 (“coup de Kiev”) pour distinguer une nouvelle situation, qui s’est formidablement amplifiée par la recrudescence de la crise syrienne avec l’intervention russe (Syrie-II) enchaînant directement sur la crise ukrainienne, et qui lui est intimement liée notamment et fondamentalement par la présence majeure de la Russie et des USA directement impliqués (encore plus en Syrie qu’en Ukraine, puisqu’en Ukraine les USA en sont restés à une présence moins visible, à un engagement plus “secret” qu’en Syrie). D’autre part, la Syrie, par le nombre invraisemblable d’acteurs étatiques et non-étatiques, a formidablement amplifié le caractère de confusion extraordinaire de l’événement, donnant la justification à cette analyse qui détermine effectivement une situation du monde d’essence nouvelle, symboliquement depuis “le coup de Kiev”. Enfin, la formidable expansion du système de la communication s’est accompagnée de l’introduction de conditions absolument extraordinaires dans le chef de la déformation des évènements, ou plutôt de l’invention de mondes parallèles qui phagocytent complètement certains esprits, ou les esprits de certaines communautés et entités, engendrant des phénomènes écrasants de contraintes psychologiques tel que le déterminisme-narrativiste.

» Dans tous les cas, on comprend que, dans notre analyse, le fait principal est que les crises de l’Ukraine et de la Syrie-II sont intimement liées, si intimement liées qu’elles doivent être considérées au terme d’une réflexion générale ne faisant qu’une (et, dans ce cas, ne faisant qu’une aussi avec d’autres crises, avec toutes les autres crises comme le suggère la définition du “tourbillon crisique”). Cette liaison n’est ni politique ni géopolitique et ne se réfère guère qu’au phénomène de la communication parmi nos références habituelles, pour apparaître comme liées par un pur phénomène crisique de subdstance métahistorique, – par le fait d’être des crises qui se correspondent, qui se superposent, qui vont ensemble jusqu’à être effectivement les extensions, les soubresauts, les secousses sismiques ou les éruptions volcaniques en divers lieux de la même crise. (En ce sens, la crise Syrie-II diffère fondamentalement de la première crise des années 2011-2014.) »

La Grande Dissolution de la psychologie-Système

“Le coup de Kiev” (la crise ukrainienne) a marqué une rupture, le début de ce qu’on pourrait rétrospectivement nommer la “Grande Dissolution”, – dissolution venant s’ajouter à la déstructuration et la dominer (la dissolution a besoin de la déstructuration pour s’exprimer : on déstructure [on casse] puis on dissout [réduire en bouillie]). Mais nous parlons d’abord de la “Grande Dissolution” de la psychologie-Système induite par la nécessité de poursuivre en dépit d’une affolante négation des vérités-de-situation la narrative du Système (phénomène du déterminisme-narrativiste, apparu pleinement avec “le coup de Kiev”).

Cet accent mis sur la psychologie est évidemment fondamental parce qu’il est le centre absolument incontestable et nécessaire de notre approche. Face aux événements qui sont totalement hors de notre contrôle, la psychologie-Système, pourtant obligé d’affirmer une cohérence et une cohésion qui constituent une souffrance continuelle par rapport à la perception qu’on a des événements, cesse de se dissoudre et de devenir absolument informe, rendant l’intelligence du monde simplement cauchemardesque pour ceux qui en sont chargés. Les réactions vont de l’affolement et du fatalisme nihiliste à un déni si total qu’il approche la pathologie, – le cas d’un Barack Obama étant exemplaire à cet égard.

En écoutant Maria...

Nous sommes stupéfait, — l’habitude aidant, la stupéfaction n’est plus un motif même momentané de paralysie du jugement mais une mesure de notre vigilance, – que l’intervention de la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe Maria Zakharova, que nous présentions avant-hier, ait eu aussi peu d’écho. Il s’agit d’un avis autorisé venu directement de la direction russe et donnant une description effrayante de la situation, – mais à notre avis complètement juste. Nous avons rapidement détaillé dans la référence citée pourquoi il fallait considérer cette intervention comme très sérieuse et significative, venant directement de Lavrov-Poutine. L’on voit que l’appréciation n’est ni régionale, ni continentale mais globale...

« D’une manière générale, je crois que nous sommes allés trop vite en disant que le  calendrier des Mayas avait tout faux [en annonçant la fin d’un monde]. Il se peut qu’ils aient eu raison parce que ce à quoi nous assistons en ce moment, ce sont des mouvements tectoniques dans les relations et sur la scène internationales. Cela ne concerne pas qu’une région, qu’un continent, c’est un mouvement global, une redistribution des forces dans le monde. Du moins, tout l’indique, et malheureusement la tendance ne fait que s’amplifier. »

A notre sens, cette démarche ne concerne spécifiquement aucun événement précis et brutal, ni une guerre, ni une attaque de type regime change, mais quelque chose de bien plus large, qui peut d'ailleurs impliquer ou non cette sorte d’événements et bien d’autres. A notre sens, il s’agit de la phase ultime d’accélération des événements (accélération de l’histoire, contraction du Temps) dans le cadre de la Grande Crise d’effondrement du Système. C’est cela que nous nommons “Grande Dissolution”.

Le silence d’Israël

Un autre signe de l’importance titanesque de ce que Zakharova nomme « des mouvements tectoniques dans les relations et sur la scène internationales », c’est paradoxalement le silence relatif (par rapport aux éructations habituelles de Netanyahou) et le profil bas d’Israël au milieu du chaudron bouillonnant qu’est la région qui entoure ce pays. Cette “enclave stratégique” au Moyen-Orient, comme on avait coutume de considérer ce pays, qui s’est toujours montré très active et “intrusive” à l’image des USA qu’on considérerait en général comme son “parrain”, est désormais sur une réserve inquiète sinon angoissée, avec comme seule initiative importante des contacts discrets avec la Russie. Cela montre une évolution capitale du jugement d’Israël. (Confirmation de ce jugement d’une source du renseignement israélien à Kim Sengtrupa : « Quiconque veut entreprendre aujourd’hui quelque chose dans cette région doit d’abord demander l’autorisation à Moscou. »)

Les Israéliens entreprennent des démarches discrètes pour tenter d’obtenir des Russes une atténuation de celles de leurs opérations qui les confrontent à des problèmes immédiats pour leur sécurité. Mais les Russes ont des plans stratégiques qui sont impératifs, et toutes les requêtes d’Israël ne sont pas satisfaites. Ainsi de cette analyse de DEBKAFiles indiquant que les opérations russes ouvrent la porte vers les frontières israéliennes aux Iraniens, aux Syriens et au Hezbollah ; et bien plus encore, que ces opérations détournent des flots de réfugiés dont l’un s’approche d’Israël, menaçant de faire de ce pays un autre réceptacle de réfugiés : 

« The intense Russian sorties are opening the door to Syrian, Iranian and Hizballah forces to move into the South and reach the Israeli borders. Prime Minister Binyamin Netanyahu sent Dr. Dore Gold to Moscow last week as his special emissary to explain how this affected Israel’s security. But he was unable to persuade the Russians to scale down their attacks in this sensitive border region. [...]

» As for the rebels and refugees, Jordanian troops moved into the border crossings evacuated by Syrian rebels and closed the last crossing at Ramtha. The exodus from southern Syria is now heading towards the Golan on Israel’s doorstep. Israel has imposed a media blackout on this development. However, DEBKAfile’s sources warn that it will soon be impossible to keep it dark. Within a few days, many thousands of Syrian refugees will be massing at Israel’s Ein Zivan gate opposite Quneitra. Like Turkey and Jordan, Israel will have to supply large numbers of distressed Syrian refugees with tents, food, water and medicines. » 

Le Grand Remplacement, facteur de la Grande Dissolution

Cette affaire envisageant ce flot de réfugiés vers Israël a un aspect symbolique pour ce pays, qui contrôlait jusqu’ici les événements de masse que constituent les flots de réfugiés engendrés par le “tourbillon crisique” en général, et notamment bien sûr en Syrie. Ce flot fait partie de ce que l’évolution rhétorique des événements nomme “le Grand Remplacement”. Cette question a une place essentielle dans le propos de Zakharova, parmi “les mouvements tectoniques” : « Ce qui se passe aujourd’hui avec la situation des “migrants”, – ou, pour appeler un chat un chat, des “réfugiés”, – c’est un exode du Moyen-Orient. [...] [...C]e ne sont que les premiers symptômes... »

Mais alors que le “Grand remplacement” envisage cette sorte d’événements comme une dynamique contrôlée visant à un véritable remplacement partiel de population pour des visées économiques structurelles, comme une pente “naturelle” de la globalisation fondée sur le nivellement ethnique et culturel, il s’impose aujourd’hui avec une rapidité extraordinaire que nul n’avait prévue et que certains (type-Erdogan dans un rôle bien singulier) ont suscité pour la seule recherche d’un désordre dont ils attendent des effets indirects qui soient favorables à leurs entreprises en général fondées sur des utopies complètes, et s’inscrivant pour autant dans le courant général qu’on décrit et qui les dépasse. Le résultat est à la fois symbolique, de communication dans un sens déstabilisant et antagoniste pour la psychologie, et d’une sorte de domaine ethnico-stratégique : le mouvement apparaît implicitement, sinon involontairement et inconsciemment, comme une sorte de projet diabolique impliquant une sorte d’entreprise de liquidation de populations en place  et leur remplacement par les dynamiques en cours. Bien entendu, il ne s’agit que de représentation symbolique, de perception exacerbée, mais aucune vérité-de-situation, absolument aucune ne vient s’y opposer puisqu’il n’y a plus aucune vérité-de-situation dans l’arsenal des directions-Système aux abois. Et, dans ce cas, sans aucun doute c’est Zakharova qui a raison : il s’agit d’un “mouvement tectonique“ avec un potentiel colossal de bouleversement, et extrêmement rapide, de plus en plus rapide, à la mesure de la contraction du Temps et de l’accélération de l’Histoire.

Sommet sur le pont du Titanic

Ce n’est pas précisément des migrants-réfugiés qu’on parlait, à la fin de la semaine dernière à Bruxelles, pour le sommet où était notamment débattue la question du “Brexit”. Les débats entre chefs d’État et de gouvernement, et dirigeants européens, furent marqués par une tension extraordinaire. “De nombreux pays n’étaient pas du tout d’accord avec ce qu’ils jugeaient être des cadeaux faits au pays le moins ‘européen’ qui soit parmi ceux de l’UE, observe une source européenne. Des pressions extraordinaires furent exercées sur eux pour qu'ils cèdent, dans les couloirs et en séance, tandis que la tension approchant un état de panique régnait absolument dans tous les camps... Il n’était pas vraiment question d’une faction faisant pression sur l’autre, mais d’une panique qui touchait tout le monde”.

Elle touchait aussi Cameron, d’ailleurs, qui avait annoncé à ses amis européens paniqués qu’il prendrait la décision du référendum “d’ici le mois de juin” et ces mêmes “amis européens” paniqués et un instant rassurés apprirent quelques heures plus tard que la décision était prise de tenir le référendum le 23 juin. Si Cameron a agi avec tant de légèreté vis-à-vis de ses “amis européens”, c’est qu’il n’est, lui aussi, grandement vulnérable à cette atmosphère de panique, – et qui le serait à sa place lorsque son numéro deux dans le parti, Boris Johnson, dont il ne pouvait croire qu’il l’abandonnerait, lui plante un couteau dans le dos dès son retour de Bruxelles ? “Si Cameron a pris cette décision alors qu’il annonçait à Bruxelles qu’il prendrait un peu de temps avant de décider la date, c’est parce que chaque jour qui passe lui fait craindre un peu plus la défaite... dans cette atmosphère, il donne l’impression de partir perdant !” 

Par conséquent, la panique, un instant résorbée dans la fausse euphorie de la fin du sommet clôturant tant d’heures de tension, renaît, plus forte que jamais. Attaquée de toutes parts, l’idée européenne ne cesse de basculer d’une crise à l’autre, comme le Titanic slalomant entre les icebergs sans même les voir, en aveugle ; comme si elle traçait sa course au milieu des “mouvements tectoniques“ du monde et comme pour les favoriser involontairement.

Les limites de l’“intrusivisme” : bordel, made in USA

Dans cette immense partie dont plus personne ne connaît les règles, et sans doute parce qu’il n’y a plus règles par suite de l’épuisement des psychologies, les USA ne paraissent nullement déplacés. C’est-à-dire que leur politique moyenne-orientale, sous la direction d’un président extraordinairement indolent malgré l’étrange envoûtement qu’il subit de la part des harpies-R2P, consiste en une extraordinaire valse-hésitation où ils (les USA) influencent les événements de façon à aboutir à de nouveaux fronts où des groupes qu’ils soutiennent, financent et arment également, s’affrontent sans comprendre pourquoi...

Il nous en est fait un tableau à la fois ironique et bucolique, où les “rebelles” eux-mêmes se perdent dans les arcanes de leurs divers “sponsors” américanistes : le désordre sur la ligne Pentagone-Langley/CIA vaut bien celui qui bat son plein autour d’Alep, Syrie. Lisez donc ceci et comprenez l’incrédulité grandissante et somme toute un peu inquiète de Ahmed Othman : « C’est très étrange, et je n’arrive pas à comprendre ça... Les Américains devraient leur dire d’arrêter, ils devraient leur dire “vous êtes en train d’attaquer des groupes que nous soutenons comme nous vous soutenons.” Mais non, ils sont juste en train d’observer. Je ne comprends pas la politique américaine. » Othman est commandant du bataillon Furqa al-Sultan Murad, l’un des plus beaux fleuron de l’“intrusivisme” américaniste, lequel consiste à payer, soutenir, corrompre, croire contrôler tout le monde et ne plus contrôler personne, et alors observer placidement le bordel ainsi créé, comme paralysé par l'espèce de fascination du spectacle de ce qu'ils ont créé... 

« As the Syrian war gains momentum, the US-led coalition appears to be pushing rebels to fight against not only Daesh but with each other indicating a serious decline in US foreign policy objectives. This week Furqa al-Sultan Murad, the CIA-backed rebel battalion, was under attack by Kurdish militants or YPG, supported by the Pentagon in Syria's Aleppo. “It's very strange, and I cannot understand it,” said Ahmed Othman, the commander of Furqa al-Sultan Murad. He said he was in regular contact with his American handlers about the problems on the ground. “The Americans must stop [the YPG] — they must tell them you are attacking groups that we support just like we support you,” Othman said. “But they are just watching. I don't understand U.S. politics.”

» “That is a major problem,” said Andrew Tabler, a Syria2 specialist at the Washington Institute for Near East Policy. “It's not just that it's a nonsense policy. It's that we're losing influence so rapidly to the Russians that people just aren't listening to us anymore.” [A] Turkish official agreed to speak on condition of anonymity condemned the US for the failed Syria policy. “The YPG is taking land and villages from groups that are getting American aid,” he said. “These are groups that are not only getting American aid. Some of them also got training from the Americans.” »

The Donald et Poutine

Finalement, y a-t-il vraiment une différence marquante entre la politique US en Syrie et la campagne électorale pour les présidentielles ? Les arguments contre Trump deviennent de plus en plus étranges. Pour les uns, il serait temps d’enquêter pour voir s’il n’est pas inéligible, – trop grand, trop chevelu, trop bronzé, quelque chose de cette sorte, – ou bien parce qu’il s’inspire un peu trop de la série Game of Thrones. Pour d’autres, il prive d’oxygène les autres candidats, ce qui est peut-être un autre argument d’inéligibilité. (Comme l’observe le député McCarthy, de Californie, partisan de Kasich : « There’s a lot of very good people who would be a very good job as president. That’s our system, so maybe [Kasich] didn’t catch on fast enough, maybe he didn’t engage fast enough. Donald Trump is taking away the oxygen from a lot of people who could have had the opportunity... »).

D’autre part, il y a un bruit persistant selon lequel, à la suite de leur échange d’amabilité, Trump et Poutine seraient entrés en correspondance suivie. Pour la direction russe, Trump est le seul espoir de voir les USA redresser une politique totalement effondrée dans le désordre et la déstructuration-dissolution, avec les dégâts à mesure dans le fracassement de la situation du monde. On s’interroge : pourquoi pas ? Rétrospectivement, l’échange Poutine-Trump, initié par Poutine lui-même acceptant de répondre à une question sur Trump et faisant ainsi un acte si étranger à son souci de ne jamais s’ingérer dans les affaires intérieures, cet échange prend un poids singulier.

Il faut évidemment lier cet aspect du possible lien Poutine-Trump à ce qu’a dit Zakharova, parce que l’aspect extraordinaire et inhabituel des deux interventions se complètent parfaitement et se justifient mutuellement. Pour la Russie, Trump avec tout ce qu’il a d’inconnu et d’inattendu, constitue dans ce paysage torturé et apocalyptique une possibilité de stabilisation paradoxale qu’on ne peut pas ne pas entretenir autant que faire se peut.

Une “Guerre de la communication civile”

On pourra juger ce tour d’horizon incomplet mais on ne lui déniera pas un caractère symbolique d’une force brutale. Il met en évidence l’interconnexion de tout ce qui est crisique, c’est-à-dire le Grand Tout global des affaires du monde, le « Cela ne concerne pas qu’une région, qu’un continent, c’est un mouvement global » de Zakharova.

Le système de la communication y joue, comme de coutume désormais, le rôle central, et la “guerre de la communication” bat son plein, rendant compte de l’hybridité non seulement d’une guerre ou l’autre mais plus simplement et définitivement, de la Grande Crise elle-même. Désormais, cette “guerre de la communication” qu’on croyait pouvoir réserver aux affrontements selon les lignes d’antagonisme habituels, selon les lignes crisiques et internationales, se déroule désormais également et de plus en plus sous une forme tourbillonnaire fondamentale, comme les crises elles-mêmes. Il y a une nouvelle forme de cet affrontement, nommons-là par exemple “guerre de la communication civile” (en plaçant effectivement le qualificatif pour qu'il définisse la guerre de la communication elle-même), notamment entre les populations et les différentes facettes de la presse-Système et les interventions des élites-Système. C’est le cas autour de la Syrie, en Europe, que ce soit dans la crise des migrants-réfugiés ou dans celle du Brexit qui vient de se mettre en place, ou plus encore comme on peut en avoir chaque jour l’écho, aux USA devenus en quelques semaines un front intérieur brûlant de la Grande Crise. Heureusement que Stratfor est là pour vous garantir que le pouvoir russe va se dissoudre, et l’influence hégémonique US perdurer jusqu’en 2025 ; il n’y a rien à craindre de ce côté-là, les clowns-Système sont lâchés, et ce n’est pas vers The Donald qu’il faut se tourner...

L’alternative du diable

Tout se déroule d’une façon où la seule prévision assurée concerne l’imprévisibilité du processus. On dirait que la raison qu’on voudrait exclusive pour diriger le jugement n’a plus qu’une seule fonction, qui est d’offrir le diagnostic de la déraison, sinon de l’irrationnel complet dans l’explication possible de ces événements, — c’est-à-dire la négation d’elle-même. La communication, qui permet le développement extraordinaire de la négation de la réalité jusqu’à sa destruction complète (et la nécessité de chercher des vérités-de-situation) nous donne une explication du “comment” de cette évolution, mais ne répond pas à la question du “pourquoi”. Plus que jamais, pourtant, cette référence centrale est inévitable.

Pourquoi se passe-t-il ce qui se passe, pourquoi les événements semblent-ils être devenus maîtres d’eux-mêmes aux dépens de l’intervention humaine, pourquoi ce rythme fou de déstructuration et de dissolution qui entraîne nécessairement l’autodestruction de la source de tout cela ? Il y a en cours un affrontement titanesque entre des “forces tectoniques” certes, mais des forces qui sont également antagonistes dans le domaine fondamental des principes, certaines dissolvantes de ces principes, d’autres qui ripostent en s’appuyant sur ces principes. Une volonté surhumaine est en marche, qui se mesurera et montrera son vrai visage final  dans la résultante inévitable de cet affrontement. Nous ne pouvons suivre et comprendre sa marche qu’en adoptant des références sorties des engagements absurdes (notamment idéologiques) qui nous emprisonnent depuis au moins cinq siècles ; notamment en nous choisissant ces références telles qu’on puisse juger de ces événements en fonction des formes transcendantes que constituent les principes contre les “valeurs” qui n'en sont que le double faussaire fabriqué par l’immanence incertaine de nos choix partisans (idéologiques et politiques).

Ce que nous nommons “l’alternative du diable”, c’est le choix qui nous est donné de continuer à penser la Grande Crise en termes conventionnels (soi-disant rationnels), et donc être conduit nécessairement à n’y plus rien comprendre et à n’en plus rien entendre ; ou bien choisir l’audace d’une autre forme de pensée, telle que nous la suggérons immédiatement ci-dessus... “Alternative du diable”, car il est effectivement diabolique de faire de cela une alternative, alors que la raison qui est utilisée pour le premier terme serait absolument nécessaire, après s’être libérée, pour choisir le deuxième terme, et que tant d’esprits hésitent, redoutent ce choix et le repoussent, et actent leur impuissance. Ainsi le diable les condamne-t-il à préférer leur condition de l’emprisonnement d’une raison-subvertie et elle-même emprisonnée, à préférer la prison d’où ils tentent désespérément de s’échapper.