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220625 juin 2017 – Nous commençons par l’affirmation d’une position théorique, par ces temps où les choses vont tellement vite, où le Temps se contracte et où l’Histoire accélère tant que cette sorte de précision est impérative à affirmer, et à garder à l’esprit tout au long du développement des textes soumis à notre lecture et à celle de nos lecteurs... Nous dirons pour notre compte qu’en fait de position, de jugement politique comme d’appréciation (approbation ou condamnation) d’une action politique, nous faisons bien entendu nôtre celle qu’a définie PhG avec une image, dans son Journal-dde.crisis, – où il parlait justement du sujet que nous abordons aujourd’hui. Il s’agit de l’image de la girouette où ce qui apparaît le plus important est l’axe (le socle) de la girouette en guise de principe, et non la girouette elle-même, qui bouge par définition :
« Macron est-il plus que jamais une énigme par rapport à la façon dont il nous avait été présenté, dont il s’était présenté lui-même, et dont je l’avais moi-même appréhendé sans une ombre d’hésitation ? Mais comme l’on sait, la seule référence inébranlable qui me tient c’est la destruction du système (“Delenda Est Systemum”), et sur tout le reste je suis d’une agilité constante et je peux changer de position aussi vite que la plus folle des girouettes ; cela, j’en suis assuré fermement, sans être une girouette au sens péjoratif de l’expression, car c’est la vertu même que d’être une girouette quand l’axe ferme et intangible autour duquel elle tourne se trouve être l’engagement absolu de l’antiSystème. »
Il s’agit donc affectivement d’envisager un changement d’appréciation, voire de jugement de Macron pour ce qu’on peut envisager comme devant éventuellement être sa politique étrangère, qui devrait être elle-même une part essentielle de la politique générale d’une nation comme la France. Toutes les réserves de rigueur doivent être présentes à l’esprit, mais aussi les conditions qui appellent ces réserves, dont certaines nous disent que tout dans l’élaboration d’une politique n’est pas de la responsabilité de l’homme et du facteur humain en général. En fait, ces réserves valent aussi pour les avancées de cette perspective de politique étrangère elle-même, ce qui signifie que nous estimons qu’il y a dans la position, l’évolution présente, l’évolution possible à venir dans un sens ou l’autre, de la politique étrangère qui nous importe, des éléments extérieurs à l’hommes et aussi aux autres facteurs humais, qui y poussent d’une façon qui peut être irrésistible. Ainsi devons-nous laisser une part importante aux événements conduisant à l’élaboration d’une politique, et nous devons garder à l’esprit que ces événements, dans notre chef, peuvent et même doivent répondre à des impulsions supérieures ; c’est-à-dire que, pour cette séquence, ils ont une justification qui se suffit à elle-même et un sens dont la source nous échappe...
(Cela ne signifie pas que nous disions “L’Histoire a un sens”, en aucun cas d’une façon aussi simpliste. Pour nous et dans cette époque, la question du sens est à la fois presque inutile et extrêmement confuse du point de vue humain, beaucoup plus complexe et extrêmement symbolique et essentielle du point de vue métahistorique et métaphysique. Mais nous vivons une époque d’une importance telle que le point de vue métaphysique et métahistorique est immédiatement accessible et éventuellement compréhensible dans le cours des politiques, notamment des politiques étrangères.)
Si l’on récapitule les événements du point de vue de la politique extérieure, sur les grands thèmes qui nous importent (relations avec la Russie, Syrie), ceci est déjà acté.
• La rencontre Poutine-Macron à Versailles, dans des conditions disons inhabituelles et faites pour honorer autant l’invité que la Russie en mettant en place d’une façon ostensible le symbolisme très puissant parce qu’au-delà des siècles, des idéologies et des principes de gouvernement, du 300ème anniversaire de la venue de Pierre Ier le Grand à Versailles, en 1717. (Quelque analyse qu’on fasse, cet anniversaire marque l’établissement de liens, d’abord culturels et éventuellement politiques, d’une très grande force entre France et Russie. Voir par exemple notre texte du 25 septembre 2014.)
• La rencontre des deux ministres des affaires étrangères (Le Drian et Lavrov) à Moscou, la semaine dernière, avec une porte ouverte pour des rencontres régulières de travail. (Lavrov viendra le plus vite possible à Paris dès qu’il trouvera une place dans son agenda.)
• Enfin, il y a la conférence de presse donnée par Macron à plusieurs grands journaux européens sur “la place de la France sur la scène internationale” (donc, uniquement de politique étrangère). Il s’agit d’une attention délibérée de présenter d’une façon solennelle ce que le président français estime être une “nouvelle orientation” de la politique étrangère de la France, au sens le plus large. (Les journaux choisis : le français Le Figaro [tiens, pas Le Monde ou Libé], l’allemand Süddeutsche Zeitung, le belge Le Soir, l’anglais The Guardian, l’italien Corriere Della Serra, l’espagnol El Pais, le polonais Gazeta Wiborcza et le suisse Le Temps. Les citations sont du Temps du 21 juin 2017.)
• Nous donnons les extraits des passages qui nous intéressent précisément... Sur la Poutine à partir de considérations sur Poutine (souligné de caractères gras de notre fait)...
« Je respecte Vladimir Poutine. J’ai eu avec lui un échange constructif. Nous avons de vrais désaccords, sur l’Ukraine en particulier, mais il a vu aussi ma position. Je lui ai parlé longuement en tête à tête des sujets internationaux ainsi que de la défense des ONG et des libertés dans son pays. Ce que j’ai dit en conférence de presse, il ne l’a pas découvert. C’est ça, ma ligne. Dire les choses avec beaucoup de fermeté à tous mes partenaires mais leur dire d’abord en tête à tête. Aujourd’hui, nous avons avec Vladimir Poutine le sujet ukrainien, que nous continuerons à suivre dans le cadre du processus de Minsk et du format “Normandie”. Nous aurons avant le G20 de Hambourg, début juillet, une réunion sous ce format avec l’Ukraine et l’Allemagne. Et il y a la Syrie. Sur ce sujet, ma conviction profonde, c’est qu’il faut une feuille de route diplomatique et politique. On ne réglera pas la question uniquement avec un dispositif militaire. C’est l’erreur que nous avons collectivement commise. Le vrai aggiornamento que j’ai fait à ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar el-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime!
» Sur la Syrie, mes lignes sont claires. Un: la lutte absolue contre tous les groupes terroristes. Ce sont eux, nos ennemis. C’est dans cette région qu’ont été fomentés des attentats terroristes et que se nourrit l’un des foyers du terrorisme islamiste. Nous avons besoin de la coopération de tous pour les éradiquer, en particulier de la Russie. Deux: la stabilité de la Syrie, car je ne veux pas d’un Etat failli. Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans. La démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples. La France n’a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison. Et elle a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. Quel fut le résultat de ces interventions? Des Etats faillis dans lesquels prospèrent les groupes terroristes. Je ne veux pas de cela en Syrie. Trois: j’ai deux lignes rouges, les armes chimiques et l’accès humanitaire. Je l’ai dit très clairement à Vladimir Poutine, je serai intraitable sur ces sujets. Et donc l’utilisation d’armes chimiques donnera lieu à des répliques, y compris de la France seule. La France sera d’ailleurs à cet égard parfaitement alignée avec les Etats-Unis. Quatre: je veux une stabilité syrienne à moyen terme. Cela veut dire un respect des minorités. Il faut trouver les voies et moyens d’une initiative diplomatique qui fasse respecter ces quatre grands principes. »
• Sur les relations avec Poutine, avec la Russie, etc...
« Quand je parle de dialogue franc avec Vladimir Poutine, je ne dis pas qu’il est miraculeux. Qu’est-ce qui motive Vladimir Poutine? C’est de restaurer un imaginaire russe puissant pour tenir son pays. La Russie elle-même est victime du terrorisme. Il a lui-même à ses frontières des rébellions et des identités religieuses violentes qui menacent son pays. Tel est son fil directeur, y compris en Syrie. Je ne crois pas qu’il ait une amitié indéfectible à l’égard de Bachar el-Assad. Il a deux obsessions: combattre le terrorisme et éviter l’Etat failli. C’est pour cela que sur la Syrie des convergences apparaissent. Longtemps nous avons été bloqués sur la personne de Bachar el-Assad. Mais Bachar, ce n’est pas notre ennemi, c’est l’ennemi du peuple syrien. L’objectif de Vladimir Poutine, c’est de restaurer la Grande Russie, parce que c’est selon lui la condition de survie de son pays. Est-ce qu’il cherche notre affaiblissement ou notre disparition? Je ne le crois pas. Vladimir Poutine a sa lecture du monde. Il pense que la Syrie est une question de voisinage fondamental pour lui. Que peut-on faire? Réussir à travailler ensemble sur la Syrie pour lutter contre le terrorisme et déboucher sur une vraie sortie de crise. Je pense que c’est faisable. Je continuerai à être un interlocuteur très exigeant en matière de libertés individuelles et de droits fondamentaux. Ce qui est sûr, c’est que nous avons un devoir: la protection de l’Europe et de ses alliés dans la région. Là-dessus, nous ne devons rien céder. »
Macron souligne certaines postures nouvelles et “révolutionnaires” par rapport à ce qui a précédé. Il entoure ces annonces de postures beaucoup plus sinon extrêmement conventionnelles qu’il affirme avec force, parfois au risque de contradiction. Un bon cas est celui des “lignes rouges”, déjà vu à Versailles, perçu en général comme une réaffirmation d’une politique conduisant nécessairement à une attaque contre Assad. Tout cela peut se percevoir de cette façon parce que nombre d’oreilles n’entendent que ce qu’elles veulent entendre et que Macron martèle l’intangibilité furieuse et solennelle de la France à faire respecter ces “lignes rouges”, – mais l’on insiste moins sur une précision donnée par ailleurs qui est “quel que soit l’auteur de l’attaque chimique“ alors que dans la séquence précédente, il ne pouvait s’agir que d’Assad puisque tous les montages, – il ne s’agit que de montages, – étaient faits dans ce sens.
Une contradiction plus aimable mais beaucoup plus significative (on verra plus loin). D’abord, Macron annonce avec la même autorité et fermeté à propos des “lignes rouges” (il s’agit de satisfaire ses soutiens “institutionnels”, les neocons qu’on bannit par ailleurs) que « [l]a France sera d’ailleurs à cet égard parfaitement alignée avec les Etats-Unis ». Il faut de l’audace pour affirmer cela alors qu’on annonce par ailleurs à propos de Trump : « La difficulté est qu’aujourd’hui il n’a pas encore élaboré le cadre conceptuel de sa politique internationale. Sa politique peut donc être imprévisible et c’est pour le monde une source d’inconfort. » Comment être “parfaitement aligné” sur ce qui est “imprévisible” ? On a beau être Macron, c’est beaucoup s’en promettre. Toutes les affirmations ne sont pas sans faibesses...
Ces réserves étant dites, qui concerne ce que certains jugeraient être les nécessaires concessions faites à ses soutiens globalistes et neocons-à-la-française pour pouvoir mieux manœuvrer contre eux par ailleurs, nous allons mettre en évidence deux points qui nous paraissent d’un poids rhétorique et symbolique considérable dans le sens de la rupture avec la politique des dix dernières années (Sarko + Hollande, absolument dans le même sac).
• Condamner dans la même phrase ou quasiment l’invasion de l’Irak de 2003 et celle de Libye de 2011, et juger l’action de la France à cette aune, – Chirac avait raison, Sarko et son clone Hollande avaient tort, – c’est un jugement audacieux par les temps qui courent (et un jugement de bon sens en soi, – nous y reviendrons plus loin) : « La France n’a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison. Et elle a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. » C’est une couleuvre qu’il est difficile d’avaler dans les salons (le “parti des salonards”), mais pas la dernière...
• L’élément le plus extraordinaire de ces déclarations tient dans cette phrase incroyable : « Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans. » Cette phrase est incroyable (Macron le sait-il ?) parce que le symbolisme d’influence du courant néoconservateur (neocon) qui a semblé dominer la politique des USA et du bloc-BAO depuis 9/11 n’a jamais été officialisé ni reconnu comme tel. C’était à la fois un fantasme et une obligation quasiment maléfique qui définissaient ce que nous nommons plus que jamais la politique-Système ; tout le monde citait les neocons officieusement et symboliquement sans jamais les reconnaître comme une force politique conséquente et substantielle, ce qui permettait toutes les acrobaties sémantiques, nourrissait les double-triple-quadruple discours, permettait les narrative et le déterminisme-narrativiste et enfin entretenait le simulacre incroyable que constituent les USA/le bloc-BAO depuis quinze ans. Se faire croire neocon, c'était se dire diaboliques sans le dire. On parle toujours des neocons d’ailleurs alors qu’en tant que groupe informe de relations publiques, ils n’existent plus guère ; tout juste peut-on encore les considérer comme les “idiots utiles“ de la politiqueSystème.
(Voir notre texte du 13 novembre 2015, avec son intertitre « Les neocons, “idiots utiles” mais usés » : « Cette espèce de disparition des neocons grande-plume/grande-gueule, alors que le terme subsiste, indique bien à notre sens combien le “néoconservatisme” a été d’abord une création publicitaire, un habillage de relations publiques [RP], avec des références philosophiques qui font sérieux, telles que Leo Strauss, etc., d’une politique absolument destructive menée essentiellement à partir du 11 septembre 2001. La spécificité de cette “politique absolument destructive”, qui est à notre sens une politique “extérieure” à la réflexion humaine composée par la dynamique de forces effectivement “extérieures”, qui est imposée par ces forces au centre le plus puissant et le plus actif du Système (Washington), nous a poussé plus tard à la baptiser “politique-Système” à l’issue d’une évolution qui a commencé à nous apparaître clairement en 2009. C’est à l’occasion d’une analyse de Harlan K. Ullman, à qui nous devons beaucoup dans ce cas pour son identification, que nous présentions ce phénomène le 29 mai 2009. »)
En parler officiellement, les identifier en tant que tels pour les dénoncer, comme Macron l’a fait, c’est reconnaître in fine que la politique-Système a dominé les USA et le bloc-BAO et que cette “politique-Système” a ces caractères que nous décrivons souvent d’une force extérieure à la volonté et aux calculs humains, qui induit la loi écrasante du Système. Sans doute, quasi-certainement même l’ignore-t-il en ces termes si décisifs, mais le fait est que Macron met en cause le Système. On verra ce qu’il en adviendra.
... En d’autres termes, comment Macron en est-il arrivé à un changement aussi fondamental dans de telles matières ? Cette question est posée en fonction du climat extraordinaire qui règne dans le bloc-BAO d’une façon générale, et particulièrement vis-à-vis de la crise syrienne et vis-à-vis de la Russie. Il s’agit de ce climat qui règne dans le bloc-BAO, au niveau de la communication depuis 2010-2011 et le début du soi-disant “printemps arabe” ; et particulièrement et singulièrement, avec un saut quantitatif exceptionnel, à partir du “coup de Kiev” de février 2014, avec l’établissement avec une puissance inouïe de phénomènes tels que les narrative, le déterminisme-narrativiste, et d’une façon générale à partir duquel s’est établi dans les perceptions et dans les psychologies l’immense simulacre accompagnant la désintégration de la réalité qui nous sert aujourd’hui de situation générale du monde. Car si la politique étrangère qu’on peut désormais prêter à Macron se déploie effectivement, c’est tout cela qu’il met effectivement en cause, – une fois encore, le Système et ses artifices....
D’un autre côté, si l’on parvient à se libérer de toutes ces contraintes de la perception et de la psychologie, les reclassements qu’envisage Macron deviennent du simple bon sens, une démarche diplomatique évidente pour les intérêts communs des uns et des autres, singulièrement pour ceux de la France. Dans ce cas, il ne s’agit plus pour Macron d’un “changement aussi fondamental dans de telles matières” mais simplement d’une prise en compte de la vérité-de-situation générale. La question néanmoins demeure de savoir “comment” il en est arrivé là, question pour l’instant sans réponse assurée, d’autant moins assurée que nous ne savons pas en quelles actions va se traduire cette nouvelle posture. Tout juste peut-on avancer timidement l’hypothèse que Macron se distingue des autres candidat Système par le fait qu’il n’était pas, à cause de sa position hors des structures politiques, prisonniers d’un appareil puissant de bureaucraties, d’experts, etc., dispensant tous la perception et la psychologie du simulacre.
Il y a là un mystère qui reste en suspens. Il sera ou non dissipé, il sera ou non résolu selon ce que deviendront les intentions affichées dans l’application de la politique. En attendant, et pour faire une remarque temporaire qui a son intérêt, on observera le paradoxe que seul un Macron pouvait (ou pourra selon ce qu’il en sera) imposer de tels changements à l’opinion tyrannique de la communication (médias de la presseSystème, experts-Système, télévision et entertainment, etc., – tout ce qui forme nos élites-Système ou “simulacre de nos élites”). Ce que propose Macron à une telle opinion totalement et religieusement anti-Assad et anti-Poutine/antirusse, c’est d’aller en première classe de luxe et en TGV à Canossa. Mais comme il s’agit de Macron, élevé pendant la campagne en demi-de-mêlée/trois-quarts-centre de Dieu de l’Olympe, Prince postmoderne de la réformation et ainsi de suite, il sera bien difficile de faire un demi-tour droite-gauche et de l’accabler, de le démoniser comme cette tyrannie de la communicatiion et des salons le fait avec un Mélenchon ou une Le Pen.
S’il est pour l’instant extrêmement difficile de répondre à la question structurelle (comment le simulacre a-t-il été écarté, au moins temporairement), la question conjoncturelle est, elle beaucoup plus facile à résoudre. Elle s’énonce comme ceci : pourquoi un tel changement de politique a-t-il lieu maintenant ? La réponse tient en l’un l’autre mot parmi ceux-ci : Trump, la crise du pouvoir de l’américanisme, Washington D.C., etc. Cette énorme crise est pour nous de loin la plus importante que nous ayons connue depuis le 11 septembre 2001, depuis la fin de la Guerre froide sans doute, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale peut-être, et pour les USA depuis la Grande Dépression et tout ce qu’elle imposa au niveau du pouvoir de l’américanisme et de l’orientation de la politique générale US, enfin depuis la Guerre de Sécession. Très logiquement, cette énorme crise bouleverse toutes les autres positions. Elle soumet les relations transatlantiques à une crise sans précédent depuis que ces relations existent, en même temps que le fondement de la globalisation est touché et lui-même précipité dans la crise.
(Pour résumer, faire court et faire absolument décisif : nous touchons bien entendu au cœur de la Grande Crise Générale d’effondrement du Système. D’où notre entêtement, contre toutes les habitudes et les tendances centripètes de la réflexion, à privilégier absolument le récit de cette crise de l’américanisme dont dépend absolument et décisivement la structure même du monde actuel, hors de tous les épisodes intermédiaires, reclassement géopolitiques, renversements d’alliances, etc.)
Dans ce contexte général, il est normal qu’un nouveau président français, s’il a l’esprit dégagé des emprisonnements du Système comme l’ont été ceux de Sarko-Hollande, estime sans qu’il y ait nécessité d’expliquer son geste mais par simple perception de la tension énorme qui règne que le moment est venu, ainsi que la nécessité, d’effectuer d’importantes corrections dans une politique française irrémédiablement enchainée à une dynamique du bloc-BAO sur laquelle pesait de tout son poids la puissance US. Mais aujourd’hui, le poids de cette puissance s’exerce d’une façon absolument anarchique, sans plus aucune capacité de créer quelque cohésion que ce soit, plutôt comme un gaspillage cosmique de cette puissance que comme une utilisation efficace. Pour la France également, la recherche de la restauration de liens avec la Russie, selon une vieille tradition diplomatique qu’imposent des liens culturels et la simple géographie, s’impose comme une évidence historique.
Pour autant, Macron s’affiche plus que jamais “européen” et “allié privilégié” de l’Allemagne. Cela est bien dit et cela n’est pourtant que pure dialectique, même si Macron se manifeste au sommet de Bruxelles mais dans le sens d’une Europe beaucoup plus ferme sur la protection de ses capacités industrielles, sur la surveillance de ses capacités stratégiques aussi bien que, dans un tout autre domaine, sur la surveillance de ses frontières (réfugiés).
Primo, ce que propose Macron n’est en rien la politique de la bureaucratie européenne qui flotte actuellement entre la rupture des liens transatlantiques et le maintien à tout prix d’une attitude d’hostilité vis-à-vis de la Russie. (Les théâtres hors ce champ transatlantique-Europe ont moins d’importance, parce que l’UE a un rôle effacé au Moyen-Orient. Le seul point d’entente pour tout le monde est d’éviter à tout prix une rupture avec l’Iran, comme les USA semblent parfois le vouloir, selon les jours pairs, selon qui parle – Tillerson ou Mattis, – et selon l’humeur “tweeteuse” de Trump.)
Le plus intéressant pour la France est la question allemande. Certains, comme Tom Luango de Russia Insider (le 23 juin 2007) jugent que Macron travaille pour l’Europe et pour Merkel en disant aux USA ce que Merkel ne peut pas dire. Nous laisserons l’Europe de côté (on a vu ce que nous pensons de cette bureaucratie incapable d’élaborer quelque politique que ce soit) et nous attacherons à Merkel. Voici quelques mots de Luango :
« Europe is rethinking its role in Syria, and Macron is able to say things that Merkel can’t directly without causing more tensions within NATO... [...]
» First, [the new French position] dovetails with German Chancellor Angela Merkel’s statement that the EU should no longer consider the U.S. a reliable partner in foreign affairs. The EU will, indeed, pursue a more independent foreign policy.
» But, more importantly, it opens the door wide for a growing rapprochement with Russia that began with Merkel right after her meeting with Donald Trump back in March. We’re seeing the dam break now in Europe to defy U.S. policy in the Middle East and with Russia. »
On comprend le sens de cette appréciation et on mesure notre désaccord. L’Europe n’a absolument rien décidé d’une “réappréciation de son rôle en Syrie”, parce que ce rôle est nul. Mais il s’agit surtout de Merkel... Macron parle pour lui et, dans des temps normaux et avec des pays normalement souverains, la logique exprimée ci-dessus aurait sa place. Mais notre sentiment est bien que, si l’Allemagne est furieuse, elle continue à être prisonnière des USA et à “implorer” les USA de revenir au “bon vieux temps” de la soumission transatlantique bien comprise.
Si Macron met sa politique en action, la France et l’Allemagne divergeront très vite, la France progressant et l’Allemagne restant sur place dans ses séances d’imploration (puisque, par ailleurs, l’hypothèses est bien que la “Second Civil War” se poursuit aux USA). En réalité, si cette nouvelle politique est mise en action opérationnellement, – et nous ne cessons d’insister sur ce “si”, car il y a un immense espace entre la formulation et l’application d’une politique, – la France se trouvera de facto détachée de ses habituels liens européens et allemandes, – sans rupture nécessaire d’ailleurs, sofltly, as I leave you comme dit la chanson... La politique proposée par Macron implique un corollaire de puissance qui suppose lui-même une souveraineté, une puissance principielle autant que matérielle (militaire notamment) dont aucun de ses partenaires européens ne dispose puisque UK n’est plus parmi nous. (De même les grands projets européens d’“armée européenne” pourraient bien accoucher d’abord et seulement, à cause des capacités technologiques disponibles, de l’expérience, des structures et de la liberté d’en user, – par exemple, les Allemands continuent à ne pas disposer de Grand État-Major autonome, dépendant de l’OTAN pour cela, – d’un relatif réarmement français.)
En fin d’analyse, nous revenons au début de l’analyse avec cette question qui ne nous a pas quittés : Macron est-il sérieux ? Entend-il vraiment utiliser cette nouvelle politique, qui est vraiment complètement innovante sinon révolutionnaire, – il est le seul dirigeant occidental à avoir exposé d’une façon si claire, comme un “vrai aggiornamento”, la répudiation du principe qu’Assad doit être destitué avant d’espérer quelque décision que ce soit en Syrie ? Ce dernier point, tout comme ce qu’il dit sur la politique néoconservatrice, valant comme preuve de l’innovation révolutionnaire de sa politique, mais aussi comme engagement formel de sa part...
Quoi qu’il en soit...
Notre idée est que la solennité, la puissance de cette intervention marquent en soi un événement qui échappe à celui qui l’a conçu comme à tous les autres acteurs pour former un nouveau chapitre dans la poursuite du développement crisique des choses. Ce qui est acté ainsi de façon solennelle, c’est à la fois les ruptures au sein du bloc-BAO, la valeur de “modèle” des USA devenus simulacre du modèle ou bien le modèle s’étant découvert comme un simulacre lui-même, l’obsolescence insupportable d’une politique basée sur le simulacre d’une perception absolument faussaire, la relativité extrême des assemblages, alliances et accoquinages au nom des “valeurs” de ces six ou sept dernières années, caractérisées par toutes ces situations comme autant de sous-simulacres.
Cet événement est donc en soi libérateur, pas nécessairement pour la politique des hommes, mais dans tous les cas pour la politique extrême qui entraîne la surpuissance du Système à se transmuter en autodestruction. L’arrive de Macron, après celle de Trump, les deux étant ligués sans le savoir dans cette besogne commune, participe donc de la dynamique prodigieuse qui est en développement sous nos yeux. Macron est ou n’est pas comme il s’est targué d’être un antisystème parmi la myriade d’antisystèmes qui se sont révélés pendant les présidentielles, mais il fait, volontairement ou pas que nous importe, œuvre d’antiSystème dans la grande bataille métahistorique en cours. Qu’il le fasse seulement dialectiquement, ou dialectiquement et opérationnellement, est un problème intéressant que nul ne peut résoudre pour l’instant, mais ce n’est pas un problème vital. Le symbole est mis, comme “le rouge est mis”, et c’est l’essentiel qui fait l’antiSystème.
Toute la différence dans ce jugement est bien dans l’orthographe ; entre antisystème qui est soumis au pluriel comme le commun des mortels et employé au plus commun des propos ; et antiSystème, matière magnifiquement invariable qui ne dépend pas du royaume terrestre ni des conceptions humaines parce que simplement unique en ayant acquis le rang de Principe fondamental.
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