Notes sur Le Désert des Tartares

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 1966

Notes sur Le Désert des Tartares

28 juin 2016 – L’Europe du XXIème siècle est-elle moins compliquée que, par exemple, l’Europe de Canossa ou l’Europe du “Temps des cathédrales”, que l’Europe du Traité de Westphalie ou l’Europe du Traité de Vienne ? Est-elle plus apaisée, plus confiante en son avenir, plus solidaire, plus européenne dans le sens de se sentir d’une même civilisation et d’un même “art de vivre” ? Poser ces questions, c’est rougir par avance de confusion et, subrepticement gêné, en écarter les réponses, tout en notant désespérément que ces pauvres gens de notre-passé n’avaient ni portables, ni pétrole qui brûle, ni droits-de-l’homme, ni tours postmodernes de Doubaï, ni drones, ni 4x4, ni Wall Street, ni Art Contemporain (AC), – euh, ni référendums... Mais l’évidence est impitoyable, par les temps qui courent, et courent, et courent encore, et elle explique que l’on rougisse de confusion en guise de réponse lorsqu’il s’agit d’être net.

Le Brexit n’a fait qu’éclairer d’une lumière crue le désastre d’un chaos qui semble illimité. Les dirigeants, que nous désignons dirigeants-Système pour les consoler un peu de leurs conditions imposées de zombies-Système, ressemblent trop à des pantins dérisoires et désarticulés pour que nous nous attardions sur eux, sur leurs analyses & pensées, sur leurs perceptions & conceptions ; ces quelques mots presque obscènes lorsqu’on les emploie pour les caractériser, suffiront pour se trouver résumés en un seul : rien. (Désespérément rien, comme dans Le Désert des Tartares.)

Seuls les évènements décident et, quand la possibilité leur en est donnée, les peuples s’ils peuvent profiter des guirlandes démocratiques et poser un vote inattendu et pourtant évident dès que la possibilité leur en fut donnée. Il ne fait nul doute désormais, pour nous, qu’il y a une certaine complicité entre ces évènements qui répondent à des forces supérieures dont nous ne saurions rien expliquer malgré l’impatience sinon les exigences de certains, et les peuples en question. Cette complicité se nomme “insurrection”, et pour être précis sans être trop énigmatique : insurrection antiSystème”, et l’inspiration vient de haut, – d’En-Haut, dirions-nous.

L’axe Trump-Soros

Commençons la visite de l’asile d’aliénés par le constat que, sans nécessité de complots ni de manœuvres diverses, le fait est que Donald Trump et George Soros, deux milliardaires qu’on a coutume d’opposer avec la plus extrême vigueur possible, s’avèrent d’accord sur un point : l’UE va “se désintégrer”. (Notons d’ailleurs que John Laughland, qui n’est pas milliardaire selon ce que nous en savons, est d’un avis similaire.)

« While they reside on polar opposites of the political spectrum, GOP nominee Donald Trump and elitist investor George Soros have both predicted the complete downfall of the European Union. The two billionaires both independently declared that they believe a domino effect has been started by Britain’s decision to leave the EU, and the the process will be difficult for anyone to stop.

» “Now the catastrophic scenario that many feared has materialised, making the disintegration of the EU practically irreversible,” Soros said in a statement. Soros even suggested that the UK itself “may not survive”. [...] Still on business in Scotland, Trump also predicted the complete break up of the EU, and also warned that the continent would become unrecognisable within ten years if strict immigration controls are not enacted. “The people have spoken. I think the EU is going to break up. I think the EU might break up before anybody thinks in terms of Scotland.” Trump said in an interview with The Times. »

Bien entendu, les deux en tirent des conclusions opposées : pour Soros, la désintégration de l’UE va permettre à tout le monde de se réunir dans le mouvement globaliste dont il est fervent partisan, pour Trump les nations européennes doivent se défendre et créer des “zones réservées” où rassembler les flots de migrants. John Laughland, lui, fait une sobre appréciation de la nécessité des États-nation ; en général plutôt à gauche, comme l’est prétendument Soros, il est donc plutôt du côté de celui qu’on a pris l’habitude imprudente de situer à l’extrême-droite.

Au reste, il ne s’agit que d’exemples qui n’ont nul besoin d’étiquettes idéologiques. Le catastrophisme, concernant l’UE et le Système en son entier est partout, bourdonnant et faisant assaut de phrases définitives. On en a un bon catalogue dans ZeroHedge.com qui excelle dans ce registre, de Alan Greenspan : « This is the worst period, I recall since I've been in public service. There's nothing like it, including the crisis — remember October 19th, 1987, when the Dow went down by a record amount 23 percent? That I thought was the bottom of all potential problems. [...] ...We are in very early days a crisis which has got a way to go... » ; de Jim Rogers : « This is going to be worse than any bear market that you've seen in your lifetime... [...]This is going to encourage a lot of separatist movement, I'm not saying it's good or bad I'm just telling you what's going to happen, or what the bear case is, that if all that happens we all should be very worried. [...] The EU as we know it now will not exist, the Euro as we know it will not exist. » ; de Doug Casey : « We’re at the start of a really major bull market... This is going to be driven by a lot of things... It’s going to take gold a lot higher than most people can imagine at this point. [...] ...I think $5,000 gold will happen at some point because we’re looking at a worldwide monetary crisis of historic proportions. » Et ainsi de suite, comme une litanie sans fin.

Les nécessités de la psychologie

Bien entendu, s’il nous fallait choisir entre les avis sur les causes & conséquences d’une éventuelle “désintégration de l’UE” (avec immédiate conséquence sur le Système, cela va de soi), notre choix serait vite fait et on le connaît. Mais cette rapide observation n’est pas faite pour plaider une cause ; elle n’a pour but que de montrer combien le sentiment de ce qui semble apparaître comme inéluctable s’est instantanément emparé des esprits et ne cesse d’enfler depuis vendredi dernier. Pour cette raison, nous oublions ces personnalités, leurs engagements, nos positions par rapport aux unes et aux autres, pour ne garder que le fait brut de la perception commune, globalisation enfin réussie...

Ces observations ne signifient pas qu’il s’agit d’un événement inéluctable, la “désintégration de l’UE”, simplement parce que ce n’est pas notre propos, simplement parce que personne ne peut s’affirmer aujourd’hui maître de notre destin et donc capable de le deviner et de le dessiner. Ces observations signifient que la perspective s’est répandue comme une traînée de poudre et habite désormais tous les esprits parce que la psychologie, qui tient les clefs de la perception, l'a voulu ainsi. Aujourd’hui, la psychologie capture tous les évènements, – ici le Brexit, –  pour en sortir ce qui devient à ses yeux leur substantifique moelle, – c’est-à-dire le plus extrême et le plus extrêmement catastrophique de ce qu’ils pourraient nous apporter. Plongée dans la crise existentielle de sa contre-civilisation, et dans la crise d’effondrement du Système, la psychologie du sapiens a besoin de tout ce qu’il peut y avoir de pire dans chaque événement pour justifier à ses propres yeux, quasi-rationnellement si l’on veut pour ne pas perdre la raison, ces perspectives extrêmes et eschatologiques qu’elle perçoit et qui la hantent absolument et sans retour jusqu’à ce que la chose se réalise.

En quelque sorte, penser le pire lorsque l’on est plongé dans une telle crise, qui affecte notre psychologie, c’est presque se rassurer. Cela est dit pour résoudre le problème que nous pose cette incroyable déséquilibre entre ce que nous percevons et ce que le Système accepte de nous montrer : comment ne pas sombrer dans la déraison ? Il est manifeste, comme dit l’image couramment employée, que les fous ne sont pas dans l’asile, mais que, bien sûr, ils la dirigent, et qu’ils la dirigent en faisant ce qu’ils sont le mieux capables de faire, – rien, puisqu’il s’agit de nos dirigeants-Système. Alors nous nous passons d'eux pour percevoir le destin du monde jusqu'à trouver ses vérités-de-situation.

L’hébétude de l'Orque (surpuissance-autodestruction)

Comment caractériser la réaction de la chose, de la Bête, de ce que nous désignions il y a un an, lors de la crise grecque, selon des variantes tolkénienne, comme l’Orque ou comme une sorte de Mordor dirigée par une Secte ? Plus qu’incompréhension, panique, confusion qui sont toutes présentes, nous choisirions ce mot qui les résume tous : hébétude. Des témoignages qui nous sont parvenus en font foi : depuis vendredi, l’UE est comme une boussole rendue folle et incompréhensible par de mystérieux champs magnétiques qui la tiraillent vers tous le points cardinaux à la fois. Elle proclame tout et son contraire (“l’Angleterre doit partir, le plus vite possible”, “quoi qu’elle fasse, l’Angleterre ne peut quitter l’UE”, etc., – et encore si l’on s’en tient à la seule Angleterre). Ce ne sont ni la raison manipulatrice du machiavélisme, ni l’explosion irrésistible de la puissance qui parlent, mais le nihilisme absolue de la Matière déchaînée et qui ne produit plus rien que le contraire de ce qu’elle doit produire : l’affolement de la surpuissance engendrant désormais sans frein son autodestruction.

Comment l’UE a-t-elle pu ainsi ne pas savoir prévoir ce qui était pour le moins possible voire probable, dans les semaines qui précédèrent, au simple constat des enquêtes statistiques, des déclarations diverses, de ce que l’on sentait de l’humeur du temps ? Simplement parce que l’UE, qui est une catégorie incontestable de “la Bête”, un Mordor, une égrégore maléfique, ne peut voir que ce que sa narrative lui permet de voir. Elle ne peut évoluer que dans son monde et rien qui n’en fasse partie ne peut atteindre ses sens. Ce qui s’est passé (le Brexit) était et se confirme, pour elle, chaque heure et chaque minute comme “in-con-ce-va-ble” dirions-nous, comme la petite voix de Derrida disant à Derrida : « ...Ce que tu viens de faire est i-na-dmi-ssible ! »

Cette organisation monstrueuse qui prétend aujourd’hui encore émettre ce que semblerait être nommée “stratégie globale”, – communication qui a sans doute ce titre ou ne l’a pas, qu’importe, mais qui a nécessairement cette prétention “globale” qui prend un caractère surréaliste puisque la seule globalisation concevable de l’UE est l’effondrement, qui a été faite hier par Federica Mogherini aux pays-membres concernant la politique de sécurité et de défense de l’UE, pour la première fois depuis 2003) ; cette organisation monstrueuse, donc, a été totalement in-ca-pa-ble de prévoir ce qu’elle ferait en cas de Brexit. Elle se trouve simplement dans cet état d’hébétude absolue qui caractérise le déni de la vérité de la pathologie qui la caractérise. La fée postmoderne de la “gouvernance mondiale” accouche d’un avorton immonde qui se dévore lui-même : sa dynamique inversée en trou noir, comme une surpuissance invertie se retournant comme on retourne sa poche vide, en autodestruction.

De la Grèce au Royaume-Uni

La dégénérescence de l’organisme frappée d’une sénescence pathologique accélérée comme un tourbillon crisique incontrôlable, en un an, est considérable et frappante. Même si la Grèce n’est pas le Royaume-Uni certes, même si les circonstances sont différentes, il y a quand même la similitude des votes (4 juillet 2015 et 23 juin 2016) qui disent in fine la même chose, qui est un “non à l’Europe (l’UE)”. En 2015, la réaction fut une mobilisation massive de cette UE qui avait encore les restes de cette surpuissance qui semblait en faire une machine bureaucratique et de contrainte irrésistible, une sorte de super-Etat-policier de type postmoderne, capable d’agir en toute quiétude, en toute illégitimité et avec toute l’arrogance de la puissance. Un an plus tard, l’effondrement est total, et l’on ne distingue plus une seule marque de cette arrogance et de cette surpuissance, sinon un des petits besoins type-führer postmoderne que l’indescriptible Martin Schultz se croit obligé de déposer au petit coin du Parlement européen à chaque crise (impayable tweet du Schultz, hier 27 juin : « The British have violated the rules. It is not the #EU philosophy that the crowd can decide its fate »).

La réaction même du pays concerné témoigne de cette “dégénérescence de l’organisme frappée d’une sénescence pathologique accélérée”, montrant que l’effondrement de l’UE touche également ceux qui en font partie, c’est-à-dire aussi ceux qui sont forcés par leur peuple à vouloir en sortir. L’hébétude du Brexit frappe également la direction britannique, incapable de s’adapter, de se situer par rapport à l’évènement, de proposer des arrangements de convenance où elle distinguerait bien ses intérêts, comme les Britanniques habiles et tordus excellaient à faire. Même si c’est une coutume établie dans les mœurs britanniques et la complicité de l’establishment national qu’un Premier ministre annonce sa démission plusieurs mois à l’avance, c’est une irresponsabilité extraordinaire dans ces circonstances qu’un Cameron annonce qu’il quittera son poste en octobre et qu’en attendant il ne fait rien sur le Brexit qu’il n’a pas voulu, laissant tout cela à son successeur, – et signifiant ainsi : “la tempête va gronder autour de cette version du Titanic nommée ‘Britania-rules-the-waves’ pendant trois mois, et moi je tiens tous les pouvoirs et, je vous le promets, je ne fais rien...”

Tsipras, lui au moins, a véritablement agi : il a capitulé, trahi tous ses engagements, ridiculisé la démocratie qu’il avait convoquée, démontré ainsi l’absurdité d’une politique extrêmement de la gauche-chic-postmoderne qui veut retrouver des principes en conservant les valeurs qui ont liquidé ces principes. Cameron qui avait convoqué ce référendum que personne ne lui avait demandé, Cameron, lui, ne fait rien sinon annoncer “en toute dignité” qu’il s’en ira en octobre en s’en lavant les mains, – comme s’il disait “je reste fermement et dignement à la barre jusqu’en octobre mais je ne m’occupe pas des voies d’eau, cette tache sublime étant réservée légitimement à mon successeur”. A quoi pensent ces gens, sinon penser en zombie-Système ?

(Reynaud aurait dû faire ça en juin 40 : annoncer qu’il démissionnerait en octobre 40 et céderait le pouvoir au maréchal Pétain pour qu’il capitule. Cela aurait interloqué Hitler, stoppé Guderian et permis à de Gaulle de faire son “appel de Londres” à partir de ce qui restait de Paris réfugié à Bordeaux. Il aurait ainsi libéré la France sans qu’il soit nécessaire qu’elle soit occupée et emprisonnée. Cela aurait été bien de notre temps.)

“Attaquons, attaquons...”

... Quant aux zombies-Système, ditto les dirigeants-Système restés à la barre, ils réagissent conformément au règlement : en empilant les absurdités les unes sur les autres ; en ajoutant au fameux “Courage, fuyons”, le non moins fameux “Attaquons, attaquons comme la lune”. (Il suffit de comprendre que le “Courage fuyons” de ces zombies-Système s’opérationnalise bien entendu par la “fuite en avant”, la plus perverse des retraites précipitées, exécutée dans l’inversion complète et justifiant le second adage du “Attaquons comme la lune”.)

 Là-dessus, confusion bien entendu, car s’il y a une certitude c’est bien qu’on fait sottise commune... Il est question de deux documents où l’on réagit au départ des Britanniques en renforçant autant que faire se peut ce qui a provoqué le départ des Britanniques, – c’est-à-dire une réaction populaire qu’on retrouve à peu près dans tous les sondages des pays-membres. (Mais à cela, on vous rétorquera que les Britanniques ont voté le Brexit “à l’insu de leur plein gré”, chacun le faisant en espérant que les autres voteraient pour rester, et qu’ils sont aujourd’hui effondrés, ou bien toujours aussi ignares et politiquement mal-éduqués, devant le résultat. La thèse est soutenue jusqu’aux USA et jusque dans des milieux réputés aux marges de l’antiSystème, dans un texte de Paul R. Pillar, ancien officier du CIA, qui juge sur ConsortiumNews que le Brexit, tout comme Donald Trump, sont pures manipulations de la sottise et de l’ignorance populaires par un affrontement entre des tendances différentes de l’oligarchie en place, – bref, “complot as usual”.)

Deux documents donc, dont un premier officiel qui est d’abord apparu sur le site du ministère allemand des affaires étrangères, et qui est le fruit légal, l’enfant légitime du fameux couple franco-allemand en crise de fécondation accélérée, sinon artificielle. « Le document publié sur le site de la diplomatie allemande prévoit un “agenda sécuritaire européen” face aux menaces “intérieures et extérieures”. Avant tout, les deux ministères [allemand et français] proposent de bâtir une “politique européenne d'Asile et de migrations” grâce à laquelle on verra “le premier système multinational de gardes-frontières et garde-côtes dans le monde” dirigée par une “Agence européenne de l’asile”... » ; et l’on passe, sur d’autres mesures de bonnes intentions dans le même genre, bien faites pour faire “rebondir” l’Europe enfin débarrassée du boulet britannique qui empêchait, tout le monde le sait, l’Europe d’être vraiment l’horreur qu’elle tend à être. (Un triste constat de plus, – pour nous, Français, – dans cette séquence accélérée à la Mack Sennett est bien que, ces dernières années, les Britanniques furent les seuls, en se battant pour leurs intérêts, à se battre pour ce qu’il restait de souveraineté aux États-membres.)

Le second document, lui, a été “fuité” en Pologne et n’a aucune existence légale, ni même le moindre crédit vous diront les officiels. Il  convient donc de le citer avec bien plus de fermeté que l’autre tant il convient bien à l’état d’esprit en cours et parce qu’il est démenti par les officiels, ce qui est le premier signe d’une vérité-de-situation...

« D’après le document cité par les journalistes polonais [de la chaîne de télévision VTP], les pays membres de ce nouvel État perdraient le droit d’avoir leur propre armée, services de sécurité et code pénal. Les États membres ne pourraient par ailleurs plus disposer de leur propre banque centrale ni de leur monnaie pour “défendre leurs intérêts [nationaux]” ».

Inutile de dire que ce document, que tout le monde accueille avec sarcasmes et persiflages, est celui qui se rapproche le plus de l’extrême et d’un fondement de la pensée néantisée des dirigeants européens à ce point. Il valait donc largement qu’on le mentionnât, car il s’agit du projet-Disneyland originel, “les États-Unis d’Europe” comme disait Giscard en chuintant... (Il valait mention d’autant que certaines voix tonitruante de la presse britannique, Daily Express et Daily Mail en tête, ont repris à leur compte cette information sur un super-État européen.)

« Vediamo a Rapallo ! »

Puisqu’il vient d’être question, notamment, du ministre des affaires étrangères allemand Steinmeier, on ajoutera en passant une cerise sur le gâteau aux multiples ornements. On n’oublie pas qu’il y une petite décade à peu près, Steinmeier disait pis que pendre de l’OTAN et de sa politique antirusse, qui sont, les deux, les clones de l’ontologie de l’UE. Rien n’est arrivé à Steinmeier, ni démenti, ni rectification, ni démission, ni sous-entendu, absolument rien. Que vaut Steinmeier dans le gouvernement allemand (et l’Allemagne par rapport à l’OTAN, et, par voie de conséquence, par rapport à l’UE telle qu’elle est aujourd’hui) ? Mais au fait et surtout, que vaut Merkel qui laisse dire son ministre des affaires étrangères le contraire de la politique dont elle-même affiche le soutien indéfectible ?

... Ce qui nous amène à signaler un article de John Helmer, un Américain vivant de longue date à Moscou, entre milieux d’affaires et milieux politiques, toujours original dans ses commentaires, parfois avec une perle ou l’autre ; un commentateur de la sorte d’Israël Shamir, travaillant en “loup solitaire”, sur son site justement et ironiquement nommé Dances with Bears. Ce qui nous amène à son article du 24 juin où il annonce, dans la logique de la déclaration de Steinmeier rien de moins que des négociations secrètes entre une partie du gouvernement allemand qui ne répondrait plus à l’autorité de Merkel, et qui négocierait, dit Helmer, une sorte de nouveau traité de Rapallo, lequel rapprochait l’Allemagne de Weimar de la Russie (l’URSS) et tournant le dos à l’Europe en 1922...

Prenez cette affaire comme il vous plaira, comme nous faisons nous-mêmes, tout en notant que nous sommes beaucoup plus inclinés à lire un Helmer qu’un quelconque commentateur-Système vivant le séant installé dans le beurre communautaire, et écrivant ses consignes comme un perroquet fatigué. Dans tous les cas et puisqu’il s’agit de Rapallo en Italie, si non è vero...

« Secret negotiations have been under way for some time between high German and Russian officials, to which Chancellor Angela Merkel has been excluded. Warned by US Assistant Secretary of State Victoria Nuland, and in a recent coded communication from outgoing President Barack Obama that she must act to save her authority, and enforce European Union sanctions against Russia, Merkel has also received an ultimatum from her cabinet and party. This was delivered in the form of a page torn out of an Old German bible in which a large black spot had been inked. Either she step aside in secret, Merkel understood the signal, or she will be forced to resign in public. [...] Excerpts of the new treaty, which has been drafted by ministry-level officials Merkel has been unable to stop, have been leaked by sources close to the two sides in the secret talks.

» German sources now claim their talks with the Russians have been following the outline of the Treaty of Rapallo. Signed between German and Soviet representatives in Italy on April 22, 1922, that pact followed the collapse of British, French and American efforts at regime change in Moscow and expanded military occupation of German territory. [...]

»...When Italian Prime Minister Matteo Renzi met Putin on June 17 in St. Petersburg, he was overheard as saying off-mike: “Vediamo a Rapallo! »

Ainsi se dessine, dans la fantaisie ambiante, l’idée exploratoire d’un axe Berlin-Moscou venue d’une partie du gouvernement allemand, tandis que la chancelière songerait, aux côtés de son co-équipier parisien, à un axe Berlin-l’Elysée. Les charmes d’une nouvelle formule Londres-Pékin n’échappent pas non plus à l’une ou à l’autre. Tout est possible, tout est permis, en fait de raisonnements, supputations prospectives, intuitions subjectives, etc. Le mot “exit”est devenu une formule magique : « The act of exit is liberating », écrit Ron Paul, qui constate sobrement : « What is happening in the UK, in Europe, and in the US, is nothing less than a breakdown of the entire system... » ; et de proposer, en guise de galop d’essai cette idée d’exit immédiat pour les USA : « Getting out of NATO would be a good first move. »

La “Guerre de Sécession” devenue post-postmoderne

... Ron Paul cité ci-dessus nous ramenant aux USA où, comme nous l’avons déjà noté, l’impact du Brexit est énorme, confirmant bien qu’il s’agit d’un acte fondamental de l’effondrement du Système. Il inspire donc directement la renaissance gigantesque de l’idée de “sécession”. On a vu déjà ce phénomène pour le Texas, et il se signale également pour la Californie. Comme l’on aurait envie de dire, “les langues commencent à se délier”...

L’argumentation du leader indépendantiste (“sécessionniste“) de Californie Louis Marinelli se développe d’une façon très originale, simplement par réhabilitation sémantique. Il s’agit effectivement d’une logique de communication, qui insiste sur le fait qu’on dirait étrangement psychologique de ce qu’on désignerait également comme une “libération sémantique” (“réhabilitation sémantique” et “libération sémantique“ à la fois) : puisque le Brexit a démontré que le terme “sécession” n’est plus automatiquement associé à la Guerre de Sécession, on peut alors l’accepter dans un langage moderne. Le terme sécession devient ainsi un terme post-postmoderne (cette formulation selon l’idée que “sécession”, surtout en référence à la Guerre du même nom, n’a jamais été un terme très goûté par les postmodernes) ; il réhabilite et libère le concept, qui devient politiquement acceptable...

On admettra que cette approche est intéressante sinon originale, qui fait dépendre un mouvement aussi considérable en importance politique et symbolique aux USA que la sécession, au simple niveau de l’évolution de la sémantique ; là aussi, la communication triomphe dans toute sa puissance et renverse comme en s’en riant tous les tabous du Système...

« For pro-independence activists such as California’s Louis Marinelli, what makes the Brexit vote so important is that it shows secession isn’t just a relic of the 19th century. “This is an example of an independence movement occurring in the Western world, a modern-day, 21st-century [case] of a political entity seceding from a political union,” said Mr. Marinelli, who heads the Yes California Independence Campaign. “And so now Californians who hear the word ‘secession,’ they don’t have to think of the Civil War anymore,” he said. “Now they have a modern day example of how it can happen peacefully and legally and constitutionally, and that’s the path and process we intend to mimic here in California.” »

Much Ado For Nothing” – really nothing at all

Pour en terminer temporairement avec cette “Chronique de l’effondrement” (en 2003, PhG en était encore aux Chroniques de l’ébranlement), nous nous permettons, pour présenter notre explication finale du jour, de paraphraser Shakespeare, et même (qu’il nous pardonne) de le “compléter” : en employant le titre de sa comédie pour cette explication “Much Ado For Nothing”, nous ajoutons  – really nothing at all (Beaucoup de bruit pour rien, – vraiment pour rien du tout). Il s’agit de caractériser le phénomène énorme en puissance de communication et quasiment inexistant pour l’instant en termes opérationnel ; il s’agit d’exprimer combien ce formidable événement met en évidence la situation où le Système n’est plus capable de produire que du “rien”, “vraiment du rien du tout” au niveau opérationnel où il devrait agir, face à la puissance de la mise en cause qui l’affecte dans le domaine qui, justement, fait la puissance aujourd’hui, – qui est celui de la communication.

Ainsi revenons-nous à notre “rien” caractérisant ce que nous percevons de la réaction de nos dirigeants-Système. Ainsi l’image devient-elle plus tragique, le “rien” de la comédie de Shakespeare ayant notablement moins de ce caractère que celui que nous envisageons ici, qui est le “rien” tragique par l’absurde du Deserto di Tartari (Buzatti n’a-t-il jamais songé pour son titre, également, à Deserto di Barbari ?). Leur “rien”, celui de nos dirigeants-Système, est le point extrême fondamental du processus de déstructuration-dissolution tendant à l’entropisation, qui est bien la “néantisation” correspondant à ce “rien”, et ainsi boucle-t-on la boucle. Cette production vertigineuse de vide, ou cette production ultimement invertie jusqu’à la dévastation du néant, est bien le signe qu’avec la crise “Brexit & conséquences”, – nième épisode, mais de plus en plus brûlant, de la crise haute finale qui a embrasé le Système depuis quelque part entre 2008 et 2010, – nous nous trouvons encore plus proches du cœur ultime et grondant de la finalité de la crise d’effondrement du Système. Les dirigeants-Système y tiennent leur rôle, qui est de se dissoudre également dans la néantisation qu’ils conduisent, et nul ne pourra leur reprocher de ne pas honorer leur contrat. Il y a là comme le goût du travail bien fait, une certaine honnêteté qu’il faut bien leur reconnaître dans leur propre néantisation, sans même voir que cette néantisation est celle du Système lui-même, dans un achèvement presque parfait de l’équation surpuissance-autodestruction.

“Demain est un autre jour, c’est-à-dire demain est une autre crise” avait-on encore coutume de penser il y a deux à trois ans, à peu près avant que ne commence la crise ukrainienne. (Rappelez-vous l’arrogance et la sûreté de soi de l’UE négociant avec mépris avec Ianoukovitch, en novembre 2013, comme si elle était le maître du monde, et voyez l’UE aujourd’hui, éructant furieusement dans ses innombrables lambeaux.) Désormais la crise d’effondrement, ou crise haute, est si totalement intégrée qu’il n’y a plus d’aujourd’hui, parce que les crises vont si vite et se transforment si rapidement que celle qu’on croit d’aujourd’hui est déjà celle de demain, dans une cavalcade effrénée, jusqu’ à ce que demain devienne l’aujourd’hui triomphant de l’effondrement du Système. A Saint-Germain, dans le temps, “il n’y avait plus d’après” ; avec la Grande Crise désormais dans ses ultimes spasmes gigantesques de l’effondrement, “il n’y a plus d’avant”. Nous attendons avec intérêt et curiosité, et tout de même le frisson angoissé ou passionné de l’aventure, la forme que prendra l’achèvement de cet effondrement que nous sommes en train de vivre.