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231522 décembre 2015 – Nous allons commencer par une confidence : “Nous-n’y-com-pre-nons-rien”... Nous voulons parler de l’“hyper(im)puissance”, les États-Unis d’Amérique, et précisément de sa politique dans la si importante crise syrienne, dite Syrie-II ; rien, rien du tout, entre les “Assad Must Go”, les “Yes, We Can [Change]”, les regime change, les déclarations de Kerry, les sombres et austères conférences de presse d’Obama maudissant Assad, les “sources autorisées” exposant le contraire de ce qui se dit officiellement, les menaces de McCain à la tête de sa commission sénatoriale, les éditos du Washington Post, les positions toutes en nuances extrémistes et contradictoires des uns et des autres, les interprétations qui se colorent de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
... “Nous-n’y-com-pre-nons-rien” et pourtant pleins d’entrain et d’ardeur, et d’un entrain roboratif car un tel bordel, il faut dire le mot, relève de l’Oeuvre d’Art Absolu, quelque chose d’indescriptible et d’indicible à la fois. D’autre part, le susdit bordel, bien plus qu’un événement anecdotique ou dérisoire comme semblerait le suggérer le mot employé, constitue au contraire un fait d’une force psychologique et intellectuelle considérable, et donc force politique considérable par conséquent ; c’est-à-dire une démonstration dans ce cas fortement documentée du naufrage de l’hyperpuissance-hyperimpuissance américaniste, c’est-à-dire de la perversité et de l’inversion de la surpuissance du Système ; c’est-à-dire enfin, une confirmation de plus mais presque sublime à force d’universalité du lien incestueux, très fort, effectivement métaphysiquement pervers comme l’est l’inceste quand il est imposé par une fatalité, entre cette surpuissance et son autodestruction.
Il y a deux éléments principaux dans cette analyse : d’une part, ce qu’on pourrait nommer “les mémoires de Chuck Hagel” avec la première interview particulièrement détaillée de l’ancien secrétaire à la défense Chuck Hagel, depuis sa démission de novembre 2014 (mais effective en février 2015), dans ForeignPolicy.com le 18 décembre, qui nous fait le récit du calvaire cruel et impuissant de son service public pendant deux ans. D’autre part, il y a l’actualité de l’extraordinaire désordre, non seulement interne (on s’en doutait) mais bien au niveau de la communication publique de l’exposé de la non-politique syrienne des USA, en état permanent de dissolution et comme figée en une sorte de décomposition paradoxale puisque ne progressant en rien au contraire du processus de décomposition qui est nécessairement dynamique. Le gouvernement des USA, puissance exceptionnaliste et indispensable à la très-bonne marche du monde selon la narrative universelle qui a presque un caractère sacré dans le chef de ceux qui l’énoncent, est constitué d’un magmas de désordre immobile, exsudant la paralysie et l’impuissance, l’ensemble semblant constituer une exceptionnelle et grandiose création à l’échelle de l’univers de l’Art Contemporain si cher à la postmodernité.
Question rétrospective : qu’était donc aller faire Chuck Hagel dans cette galère ? Nous avons souvent et depuis longtemps donné une appréciation de l’homme, – sans aucun doute serviteur de l’américanisme et donc du Système, mais tout de même honorable, avec un caractère mesuré et plein de raison, avec des vertus telles que la patriotisme et le réalisme d’une politique mesurée, d’une réelle probité dans le panier de crabes washingtonien, fidèle en amitié et ainsi de suite. Sa confirmation au début 2013 comme secrétaire à la défense devant le Sénat fut un martyre où Hagel, sénateur du Nebraska, put mesurer ce que valaient l’amitié et l’estime de ses pairs lorsqu’on se trouve en séance publique, sous le regard de l’AIPAC et des chaînes de TV diverses ; l’exercice de sa fonction de secrétaire à la défense fut un calvaire où Hagel dut essentiellement se défendre contre les attaque venues de toutes parts au sein de l’administration, et d’abord et essentiellement de la petite bande proliférant regroupée autour du président, avec la sémillante Susan Rice (passée de l’ambassade US à l’ONU à la direction du National Security Council) en tête. Rarement sinon jamais dans de tels détails, à lire l’interview de Hagel et en sachant ce qu’est cet homme, l’administration d’Obama ne parut autant pour ce qu’elle est, masque tombé : une cage aux fauves uniquement préoccupée de destruction à l’intérieur d’elle-même, c’est-à-dire d’autodestruction bien entendu.
... Car le plus remarquable dans ce que nous rapporte Hagel, surtout lorsqu’il parle de Rice qui fait partie du bataillon des harpies (Samantha Powers, Victoria Nuland, Hillary Clinton avant qu’elle soit remplacée par Kerry) décidées à appliquer une politique de désordre, de destruction, de regime change, disons type-neocon pour faire bref (même si elles sont plutôt de la variante type-R2P), c’est que l’activité bureaucratique suscitée par cette tendance qu’il décrit, à la fois échevelée et effrénée avec ses réunions interminables, ses coups de poignard dans le dos, ses fuites vers la presse pour “détruire” ses collègues, ne mènent strictement nulle part comme si ce nulle part était finalement le but. On verrait de la logique dans toute cette agitation antagoniste, dans ces offensives bureaucratiques permanentes, si Rice qui est au centre du dispositif essayait d’imposer lors de ces réunions une politique-neocon, justement, mais il semble bien n’en être rien. Hagel ne se plaint pas qu’on ait voulu imposer une politique donnée, type-neocon certes, mais il se plaint de l’inefficacité, de l’impuissance et de l’agressivité gratuite ; il ne se plaint pas que ces divers guerriers de l’extrémisme ait agi continuellement pour imposer leurs vues ; il constate simplement qu’ils agissent sans intention particulière dans ce sens mais simplement en étant ce qu’ils sont, en sorte qu’au bout de compte il n’y a aucune décision prise, aucune politique ni aucune stratégie, y compris celle qu’ils prônent. Là est tout l’intérêt de son témoignage : ils ne produisent pas une politique de désordre selon la fameuse rengaine-neocon bien connue des analystes antiSystème qui ne cessent de lui donner un crédit complètement injustifié (produire un “désordre contrôlé”), mais ils sont eux-mêmes pur désordre qui n’arrive à rien produire que du désordre incontrôlé, comme s’ils étaient autodétruits avant même d’affirmer la surpuissance qui conduit à l’autodestruction. Si l’effet produit semble celui d’une “politique de désordre”, c’est simplement parce que leur impuissance, compte tenu des verrous et des positions qui tiennent encore les USA, produit naturellement et mécaniquement du désordre que nul ne peut contrôler, dont nul ne sait ce qu’il en adviendra sinon encore plus de désordre.
Voici donc quelques extraits des confidences de Chuck Hagel à ForeignPolicy.com, un peu en vrac, sans souci nécessaire de la chronologie et qui sont d’abord données pour illustrer ce qu’on a dit plus haut du “climat”, mais aussi et éventuellement pour dispenser quelques informations et observations. L’impression générale se résume par quelques constats sans surprise : désordre intérieur (dans l’administration, avec des conflits constants et des tentatives constantes de diffamation) et à l’extérieur (du fait de la non-politique de désordre, répandant aveuglément le désordre) ; perte constante de confiance et d’influence dans le chef du gouvernement US, à l’intérieur (du gouvernement) comme à l’extérieur (dans les pays amis et “alliés”) ; sentiment général dominant à l’intérieur de l’administration, et surtout à la Maison-Blanche, d’une arrogance extrême et d’une certitude du savoir (phénomène fameux de la “bulle“, ou la “narrative impénétrable” autour d’Obama). Il faut également noter avec insistance, pour que le cas soit nettement identifié, que nous n’avons pas à faire ni à un antiguerre systématique, ni à un “dissident” : Hagel reste un homme du Système, prêt à appliquer certains aspects de la politique militariste et belliciste, acceptant comme du comptant certains montages évidents du Système (comme l’attaque au gaz sarin en Syrie le 21 août 2013 mise sur le compte de la très-connue monstruosité d'Assad alors que les présomptions les plus fortes, et de loin, vont vers un montage-provocation conjoint de l’Arabie et de la Turquie, par groupe djihadiste comme exécutant)... On admettra aisément que cela n’en rend que plus instructif, édifiant et exemplaire son témoignage.
• « It was Aug. 30, 2013, and the U.S. military was poised for war. Obama had publicly warned Syrian strongman Bashar al-Assad that his regime would face consequences if it crossed a “red line” by employing chemical weapons against its own people. Assad did it anyway, and Hagel had spent the day approving final plans for a barrage of Tomahawk cruise missile strikes against Damascus. U.S. naval destroyers were in the Mediterranean, awaiting orders to fire. Instead, Obama told a stunned Hagel to stand down. Assad’s Aug. 21 chemical attack in a Damascus suburb had killed hundreds of civilians, but the president said the United States wasn’t going to take any military action against the Syrian government. The president had decided to ignore his own red line — a decision, Hagel believes, that dealt a severe blow to the credibility of both Obama and the United States. [...]
» Hagel, now that time has passed and he’s willing to discuss his tenure in office, cited the episode as an example of a White House that has struggled to formulate a coherent policy on Syria, holding interminable meetings that would often end without a decision, even as conditions on the ground worsened and the death toll grew steadily higher. »
• « ...The White House’s policy deliberations on Syria and other issues run by Rice and her deputies seemed to lead nowhere, according to Hagel. “For one thing, there were way too many meetings. The meetings were not productive,” Hagel said. “I don’t think many times we ever actually got to where we needed to be. We kept kind of deferring the tough decisions. And there were always too many people in the room.” At larger White House meetings, with some staffers in the room he did not even know, Hagel was reluctant to speak at length, fearing his stance would find its way into media reports. “The more people you have in a room, the more possibilities there are for self-serving leaks to shape and influence decisions in the press,” he said. [...] “I eventually got to the point where I told Susan Rice that I wasn’t going to spend more than two hours in these meetings. Some of them would go four hours.” [...]
» After clashing repeatedly with the White House, Hagel said it was probably inevitable that he would have to step down as Pentagon chief, given the friction that had developed. But he was not prepared for the humiliating way in which he was let go, “with certain people just really vilifying me in a gutless, off-the-record kind of way.”
» The White House asked Hagel if he would stay on until a successor was found, and he accepted. But even after he agreed to leave, Hagel said, some White House officials trashed him in anonymous comments to newspapers, claiming he rarely spoke at Situation Room meetings and deferred to Dempsey, the chairman of the Joint Chiefs. “They already had my resignation, so what was the point of just continuing to try to destroy me?” he said. »
• « A month later [October 2014], with his concerns mounting about the absence of an overarching policy on Syria and the fight against the Islamic State, Hagel wrote a two-page memo to Rice and Kerry — and copied the president — saying the administration needed to decide on its approach to the conflict in Syria and its stance toward the Assad regime. The memo argued that “we don’t have a policy,” Hagel told FP. “I was saying, ‘We’re not getting to where we need to be,'” he said, “because I’m getting this from all of my colleagues around the world. All of my counterparts are coming up to me at NATO meetings and everywhere, saying, ‘What are you doing? Where is this going?’” But Hagel said the memo — which was not well-received by the White House — was meant only as an appeal to come up with a coherent way forward and did not attempt to dictate policy. “In the memo, I wasn’t blaming anybody. Hell, I was part of the National Security Council,” Hagel said.
» Since leaving office last February, Hagel said he has not seen a full strategy on Syria materialize. “The administration is still struggling with a political strategy, but Secretary Kerry is making some progress toward the right strategy,” Hagel said, citing recent talks with Russia, Iran, and several Arab governments. »
On voit que Hagel termine ses déclarations par une lueur d’espoir, notamment en se référant aux derniers entretiens de Kerry avec les Russes à Moscou (voir notre texte du 17 décembre) : « [B]ut Secretary Kerry is making some progress toward the right strategy. » On observera malheureusement, pour lui dans tous les cas, qu’il semble y avoir une grande part de supputation optimiste, peut-être un peu trop optimiste dans ce constat d’une ouverture conduisant à une vraie politique et à une vraie stratégie à l’égard de la crise Syrie-II. En fait, les résultats de la rencontre de Moscou ont été assez diversement interprétées. L’observation selon laquelle les USA ont capitulé devant les Russes (voir ZeroHedge.com le 16 décembre : « The Humiliation Is Complete: Assad Can Stay, Kerry Concedes After Meeting With Putin ») est partagée par divers commentateurs neocons soucieux d’affaiblir Obama, mais d’autres ont des interprétations différentes. Les Russes eux-mêmes sont beaucoup moins enthousiastes et jugent qu’il reste des problèmes importants à résoudre. Quant au gouvernement à son sommet, soit BHO soi-même, il y a, par exemple, ces remarques de Daniel McAdams, du Ron Paul Institute for Peace, du 18 décembre... Après avoir détaillé les bonnes nouvelles de Moscou et notamment le fait que Kerry semblait avoir assuré que la politique du AMG (“Assad Must Go”) était abandonnée, enterrée, oubliée, McAdams poursuit, non pas du point de vue de la supputation mais du point de vue des faits :
« But then President Obama opened his mouth at his end-of-year press conference this afternoon and hung his Secretary of State and entire foreign policy apparatus out to dry. No, Obama decided this afternoon, Assad cannot stay. Assad must go.
» While some alternative news outlets have gloated over the seeming US shift away from a policy of regime change for Syria – “The Humiliation is Complete: Assad Can Stay, Says Kerry After Meeting Putin,” one of them wrote – we have been far more suspicious of claims that the US had backed away from the demand. It looks like our suspicion has been justified. »
Brièvement dit, nous ne savons toujours pas vraiment où nous en sommes. Mais, considérant ce que Hagel nous dit du travail du gouvernement, et admettant qu’il n’y ait aucune raison pour qu’on le considère comme un cas particulier mais qu’il s’agit plutôt, comme cela est évident, d’une “méthode de travail” propre au gouvernement de l’américanisme en général qui doit également affecter Kerry, la surprise serait bien que nous sachions où nous en sommes. Par conséquent, la description que nous donne Hagel ne doit pas être prise comme l’exposé d’une expérience personnelle mais l’extrapolation personnelle d’une puissante vérité-de-situation, véritablement structurelle, caractérisant le pouvoir exécutif des États-Unis. Par ailleurs les mêmes hypothèses sur l’impuissance-paralysie que nous suggèrent, depuis des années, les constantes attitudes, initiatives, interventions, etc., de ce pouvoir exécutif comme du pouvoir washingtonien dans le sens le plus large, renforcent ce jugement en se trouvant parfaitement vérifiées dans ce cas.
Les deux cas évoqués et détaillés ci-dessus, – celui de Hagel et celui de l’état actuel de la politique syrienne des USA, – établissent à la fois une description précise et une continuité de la chose décrite hors des incidents de personne qui doivent permettre de dégager un enseignement général constituant une expérimentation de nombre de propositions et d’hypothèses que nous défendons depuis plusieurs années. Ces propositions et hypothèses sont exposées en écartant d’une façon impérative la tentation qu’on aurait da faire de cette situation politique une spécificité américaniste, mais bien en la présentant comme l’expression de l’activité même, surpuissante évidemment, du Système. Il ne fait en effet aucun doute que ce fonctionnement du gouvernement de l’américanisme se retrouve partout dans ce que nous nommons le bloc-BAO, et singulièrement dans les organismes exécutifs de l’UE qui fonctionnent exactement de la même manière, ne produisant rien qui puisse être envisagée comme une politique, mais qui ne font qu’agir en courroies de transmission des impulsions du Système pour produire elles-mêmes des impulsions (laborieusement qualifiées de “politique“) productrices partout, à l’intérieur comme à l’extérieur, d’un désordre sans aucune limite, sans aucun contrôle, sans aucun but rationnel qu’on puisse distinguer.
On proposera alors plusieurs points.
• La paralysie et l’impuissance sont les deux caractères fondamentaux des organes de contrôle et de direction politique. La politique, y compris l’idéologie la plus extrême qu’on supposerait irrésistible par son dynamisme, sont totalement incapables d’échapper aux rets de la bureaucratie, et plus particulièrement de cette bureaucratie qui exige pour son fonctionnement le groupthinking (ou consensus selon les règles postmodernes, ou virtualisme). Les idéologues extrémistes se présentant nécessairement, par leur psychologie qui réclame toujours plus d’extrémisme, en position implicite de surenchère, ils deviennent alors les adversaires de l’esprit bureaucratique, même si cette bureaucratie est prête à produire une politique proche de ce qu’ils veulent. Ils s’enlisent dans d’interminables débats où l’essentiel le cède vite à des détails et, finalement, conduisent les réunions à une sorte d’impasse qu’ils ont eux-mêmes inconsciemment suscitée. Le résultat est qu’on ne décide rien et qu’il n’y a pas de politique ni de stratégie, alors qu’il n’y avait aucune opposition véritable à leur projet fondamental.
• Il résulte de ces impasses permanentes pour mettre au point une politique et une stratégie cohérentes un vide politique et stratégique dont la production exclusive ne peut être que le désordre. (Les USA, ayant des positions et des influences un peu partout dans le monde, et surtout au Moyen-Orient, sont obligés de “produire quelque chose” en fait de politique et de stratégie, et comme il n’y a nulle politique et nulle stratégique, c’est le désordre qui est ainsi produit sous forme de contradictions, d’incohérences, de décisions sans suite, d’initiatives contradictoires de divers centres de pouvoir, etc.)
• Tout cela est dominé par une absence complète de contrôle accompagné d’une absence complète de sens de la politique et de la stratégie, de la part de Washington, selon une logique évidente qui découlent des points précédents. Il s’agit ici de la perception extérieure de l’action américaniste, celle qui ne cesse de conduire à une réduction de l’influence des USA, voire à des manœuvres de manipulation des USA par certains “alliés” des USA (comme la Turquie, par exemple). D’une autre côté, comme on a pu le voir hier avec les révélations de Seymour Hersh, cette situation conduit à des remous à l’intérieur même du système de l’américanisme, notamment de la part des militaires qui comprennent aisément cette absence de contrôle et de sens de la direction politique, et tentent de rectifier ce qu’ils jugent le plus dangereux dans les effets de désordre obtenus. Ce qui serait perçu en d’autres circonstances comme une rébellion avec des aspects frisant la trahison, devient dans cette situation une réaction de sauvegarde complètement compréhensible. Le résultat général de cette situation est une érosion extrêmement rapide de la légitimité et de l’autorité du pouvoir civil, avec des conséquences possibles importantes au niveau de la politique extérieure mais aussi et surtout au niveau de la situation intérieure du régime.
Si l’on adopte une vision plus large embrassant l’évolution du pouvoir américaniste depuis 9/11, on est conduit à observer une remarquable continuité dans l’action de ce pouvoir. Cette remarque semble paradoxale alors que l’on vient de montrer que le pouvoir actuel est en complet désarroi, qu’il est paralysé et impuissant. On remarquera également que cette situation rappelle celle de l’administration GW Bush, particulièrement avec les soubresauts de la situation en Irak à partir de 2004-2005, avec l’interminable crise iranienne ponctuée tous les deux ou trois mois de bruits d’attaque imminente qui ne se concrétisèrent jamais, avec des remous au sein de la direction (départ de Powell en 2005 et de Rumsfeld en 2006), avec des impasses avec le Congrès à partir de 2006 et une crise totale de crédibilité à partir de cette année-là.
L’administration Obama a suivi un peu le même tracé, avec un départ qui s’est voulu constructif (discours du Caire, “reset“ avec la Russie) puis s’est rapidement déstructurée et dissolue jusqu’à la situation actuelle. Durant les deux administrations (GW & BHO) furent lancées un nombre considérable d’actions clandestines de déstabilisation, des “révolutions de couleur“ de 2002-2005 aux crises ukrainienne et syrienne, toutes aboutissant aux mêmes catastrophes, notamment et particulièrement pour les intérêts US lorsqu’on envisage les situations d’une façon réaliste, – mais catastrophes produisant au moins du désordre, encore du désordre, toujours du désordre. Parallèlement, les pouvoirs internes de la nébuleuse de sécurité nationale évoluèrent vers une autonomie grandissante tandis que se manifestaient de plus en plus ouvertement des comportements autonomes sinon hostiles au “pouvoir central” (notamment les diverses “révoltes de généraux” dont nous parlions hier).
La méthodologie fut le développement de l’illusion d’une action d’expansion constante de l’“Empire” dont la promotion fut essentiellement le fait du système de la communication et la corruption psychologique qui l’accompagne, – sans compter les réseaux habituels de corruption vénale, mais qui n’ont pas tant d’importance que l’on peut croire. Le résultat fut parfaitement inverse, passant de l’“hyperpuissance” à l’“hyperimpuissance” : l’érosion constante de l’influence de l’“Empire” au profit (!) d’une désordre en augmentation constante... Et c’est bien là que se situe la continuité dont nous parlons : le résultat est bien l’expansion continue du désordre, aussi bien sous l’administration Bush que sous l’administration Obama. Cette continuité se trouve parfaitement définie dans ce que nous nommons la politique-Système, qui est une émanation directe du Système. Considérée de façon intégrée, le pouvoir du système de l’américanisme considéré comme un attribut direct du Système devient alors beaucoup plus compréhensible, avec sa logique de désordre (déstructuration-dissolution) ainsi que sa dynamique de surpuissance qui s’exprime évidemment par les extrêmes (neocon, R2P) et produit de l’autodestruction en même temps que du désordre à mesure qu’elle progresse. En quelque sorte, l’“Empire“ a vendu son âme au Système, croyant y trouver la recette de l’hégémonie éternelle et y rencontrant en fait l’exact contraire, – le destin fatal de sa déchéance finale, – le Système emportant l’“Empire” devenu “idiot utile” dans sa course folle et surpuissante vers l’autodestruction.
De ce point de vue, on a une appréciation beaucoup plus cohérente et compréhensible de la période depuis 9/11, qui s’identifie alors de façon évidente comme la Grande Crise du Système avec son déchaînement de surpuissance, et éventuellement (sans aucun doute, de notre point de vue) la Grande Crise d’Effondrement du Système opérationnalisant l’enchaînement surpuissance-autodestruction. Reste alors, comme nous le faisons épisodiquement et comme nous devons y penser constamment, à se pencher sur la question fondamentale de l’identification du Système. Pour nous, il reste plus que jamais le prolongement opérationnel du “déchaînement de la Matière”, et par conséquent la matrice de forces maléfiques extrahumaines dont l’effet recherché est bien la formule dd&e (déstructuration, dissolution & entropisation).
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