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2968Le 22 février 2012, Israël Shamir, correspondant pour la Lettre d’Information CounterPunch à Moscou, publiait sur le site CounterPunch.org un texte à propos de ce qu’on pourrait nommer “le mémorandum Vinogradov”. Il s’agit de Vladimir M. Vinogradov, qui fut ambassadeur de l’URSS au Caire de 1970 à 1974, avant d’occuper diverses autres fonctions témoignant d’une carrière diplomatique brillante, jusqu’à terminer comme ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie du temps de la fin de l’URSS, jusqu’à sa retraite en 1990.
Shamir a reçu le “mémo Vinogradov” par une voie qui lui est propre, et il nous le présente comme un document essentiel datant de 1975. Le document démonte la conspiration qui engendra la “guerre d’Octobre” ou “guerre du Yom Kippour”, d’octobre 1973, commençant par une attaque apparemment coordonnée d’Israël par la Syrie et l’Egypte le 6 octobre 1973, et se terminant par un cessez-le-feu entre Egypte et Israël, effectif entre le 24 et le 26 octobre 1973, après que la Syrie ait été défaite par Israël.
Les observations de Vinogradov ne sont pas entièrement neuves. Vinogradov explique que la “guerre d’Octobre” fut le fruit d’une vaste conspiration entre Sadate d’Egypte, Kissinger (USA) et Golda Meïr (Israël). Il s’agissait essentiellement, grâce à une “semi-victoire”, ou une victoire morale contre Israël qui lui donnerait un grand prestige, de sauver Sadate, successeur accidentel de Nasser en 1969 et dont la position intérieure était très instable, voire menacée ; d’éliminer l’influence soviétique, notamment en Egypte, pour faciliter l’intégration de l’Egypte dans le camp US (Sadate en était un fervent partisan), et ouvrant ainsi le champ à une installation massive de l’influence US dans la région. Les Israéliens, qui participeraient à l’arrangement, y trouveraient comme avantage le renforcement de leur position du fait du renforcement de la position US, une évolution favorable pour eux de la position égyptienne, et la possibilité pendant la guerre d’anéantir l’armée syrienne contre laquelle se concentreraient leurs efforts.
Une thèse largement diffusée à l’époque se trouve ainsi confirmée : celle selon laquelle Kissinger avait donné son feu vert à une attaque lancée par Sadate, que l’idée en était même commune aux deux hommes. L’aspect israélien, au contraire, n’était pas évoqué.
La guerre ne se déroula pas exactement “selon le plan prévu”. Trois faits opérationnels imprévus en modifièrent le cours, mais paradoxalement en en renforçant les effets politiques recherchés.
• Sur le terrain de la guerre... D’abord, les armées égyptienne et syrienne se battirent beaucoup mieux que prévu, ensuite les armements soviétiques furent beaucoup plus efficaces que prévu, enfin l’URSS organisa aussitôt un pont aérien massif de renforcement alors que Sadate prévoyait que les Soviétiques ne feraient rien parce qu’ils étaient opposés à toute hypothèse de guerre.
• Cela aboutit à deux surprises stratégiques majeures : Israël se trouva pendant trois jours au bord de l’effondrement, avec une armée syrienne sur le point de percer et de couper Israël en deux. Les Israéliens ne purent reprendre le dessus qu’après le lancement d’un renforcement US massif en armes nouvelles, qui ne vint qu’après plusieurs jours d’hésitation à Washington, et de querelles entre Kissinger (département d’État) et Schlesinger (Pentagone). L’armée égyptienne, qui aurait dû exploiter sa victoire initiale (franchissement du Canal) en même temps que l’armée syrienne dominait l’armée israélienne, fut stoppée sur place sur ordre de Sadate et s’offrit deux semaines plus tard à une contre-offensive israélienne (percée de Sharon sur la rive occidentale du Canal), permise par l’étrange dispositif, également ordonné par Sadate, d’un “trou” de 40 kilomètres entre les 2ème et 3ème Armées égyptiennes.
• C’est alors qu’intervint un premier cessez-le-feu de l’ONU avorté, puis la crise du 25 octobre 1973 (rumeurs d’intervention directe soviétique, mise en alerte globale des forces stratégiques US), suivie par un cessez-le-feu effectif et l’ouverture de négociations sous l’égide des USA.
Si l’on veut, le “brouillard de la guerre”, même d’une guerre arrangée, intervint pour susciter des situations extrêmes qui laissèrent des marques. Ainsi la menace d’effondrement d’Israël dans les premiers jours, qui n’était évidemment pas voulue, et le “sauvetage” par les USA dans des conditions qui lièrent les militaires israéliens au Pentagone ; ainsi de la “percée” de Sharon, que Kissinger laissa se développer suffisamment pour avoir un levier de contrainte sur Sadate, et s’assurer de son parfait alignement (au reste, Sadate, qui apparaît dans le “mémo Vinogradov” comme un personnage psychologiquemebt beaucoup plus corrompu qu’il ne parut à l’époque, ne demandait qu’à s’aligner).
La “conjuration” peut donc être définie plutôt, selon l’appréciation de Vinogradov, comme une “collusion dynamique” : «The Americans did not stop the Israeli advance right away, says Vinogradov, for they wanted to have a lever to push Sadat so he would not change his mind about the whole setup. Apparently the gap was build into the deployments for this purpose. So Vinogradov’s idea of “conspiracy” is that of dynamic collusion, similar to the collusion on Jordan between the Jewish Yishuv and Transjordan as described by Avi Shlaim: there were some guidelines and agreements, but they were liable to change, depending on the strength of the sides.»
Cette conception formelle, qui laisse toute sa place à la force aux dépens de la loyauté entre les conspirateurs, où les USA étaient nécessairement gagnants puisqu’ils étaient les seuls à ne rien risquer et à détenir toutes les clefs leur donnant accès à la situation des acteurs sur le terrain, cette conception est typiquement le produit d’un esprit totalitaire, tout entier acquis à l’idée de puissance. On reconnaît celui de Kissinger, qui avait les mains libres à cette époque, Nixon étant entré dans sa phase de dégradation psychologique la plus aigue de l’affaire du Watergate.
Shamir, qui est particulièrement sensible à cet épisode parce qu’il était durant la guerre du Yom Kippour parachutiste dans l’une des unités de la percée Sharon, et qui se scandalise d’un tel plan qui s’appuyait sur la mort programmée, chez les trois belligérants, de plusieurs milliers de soldats, dont nombre de ses compagnons d’armes, fait dudit épisode un “tournant fondamental” de l’histoire du XXème siècle. Ce jugement est placé en conclusion de son article :
«Postscript. In 1975, Vinogradov could not predict that the 1973 war and subsequent treaties would change the world. They sealed the fate of the Soviet presence and eminence in the Arab world, though the last vestiges were destroyed by American might much later: in Iraq in 2003 and in Syria they are being undermined now. They undermined the cause of socialism in the world, which began its long fall. The USSR, the most successful state of 1972, an almost-winner of the Cold war, eventually lost it. Thanks to the American takeover of Egypt, petrodollar schemes were formed, and the dollar that began its decline in 1971 by losing its gold standard – recovered and became again a full-fledged world reserve currency. The oil of the Saudis and of sheikdoms being sold for dollars became the new lifeline for the American empire. Looking back, armed now with the Vinogradov Papers, we can confidently mark 1973-74 as a decisive turning point in our history.»
Nous-mêmes, nous basant sur notre expérience rationnelle autant que sur notre mémoire intuitive, avons toujours ressenti, autant que vécu à l’époque elle-même de cette guerre et des évènements l’accompagnant, ce tournant de 1973-1974 comme absolument décisif. Le 27 septembre 2010, nous écrivions notamment :
« Cette crise-là d’octobre 1973… […] Ainsi pouvait-on juger qu’il s’agissait d’une époque nouvelle, et on le perçut immédiatement, dans notre vie courante. L’embargo [pétrolier de l’OPEP] eut des conséquences immédiates, quotidiennes, avec les “dimanches sans voiture” en Europe, des programmes d’économie d’énergie lancés, des changements d’heure été-hiver, etc. Pour la première fois, une crise mondiale n’était pas perçue en termes d’anéantissement réciproque (guerre nucléaire stratégique) qui, à cause de son extrémisme prospectif, semblait assez irréelle et abstraite même si son poids sur la psychologie était énorme. Notre souvenir des événements est bien qu’il s’agit d’un immense événement de déstabilisation ; pour la première fois, l’on sentit que les deux superpuissances et le diktat de la dissuasion nucléaire ne suffisaient plus à maintenir le contrôle de la situation internationale, à nous maintenir dans les bornes de la raison contrainte mais toujours arrogante, elle-même dans les bornes du système du technologisme et de l’apparat du système de la communication… En termes psychologiques (beaucoup plus fortement qu’en termes stratégiques), la guerre de haute intensité dont la référence est la dimension mondiale était redevenue possible, et, avec elle, la déstabilisation d’une situation jusqu’alors contrôlée que la perspective impliquait. La perspective concernait bien la mise en cause de notre système général.»
La “conspiration” plus justement interprétée comme une “collusion dynamique” eut, en partie à cause des développements inattendus, des conséquences immédiates radicales.
• Sans nul doute, les USA furent les vainqueurs écrasants de cet épisode, d’abord avec l’élimination d’une partie essentielle de l’influence soviétique dans la région ; ensuite, avec le réalignement radical de la plupart des pays de la zone sur cette nouvelle situation.
• Israël et l’Egypte évoluèrent rapidement vers une position de dépendance radicale de l’“ordre américaniste”, qui fut concrétisé par l’accord de Camp David. Il s’agissait d’un accord tripartite réglé selon les termes de Washington, assurant une entente Égypte-Israël. Cette situation fut clairement entérinée par l’arrivée au pouvoir de Moubarak après l’assassinat en 1981 de Sadate.
• Le reste évolua en fonction de ce bouleversement. Le président Assad de Syrie (père de l’actuel président) avait parfaitement compris la trahison de Sadate et avait vu son armée décimée par Israël. La Syrie opta pour une position d’accommodement avec les USA, parce que sans aucune possibilité d’agir autrement. L’Irak de Saddam Hussein choisit également une position moyenne, établissant des liens avec les USA. L’Iran du Shah était tout acquis aux USA, comme les pays du Golfe et la Jordanie. Jusqu’en 1979 et la révolution islamiste en Iran, l’influence US dans la région fut à son zénith.
A partir de 1979, conséquence indirecte et invertie de 1973-74, la déstabilisation commença, nous indiquant que l’“ordre” issu de la “conspiration” constituait une tromperie temporaire… Successivement, le renversement du Shah, l’attaque de la Grande Mosquée de La Mecque par des islamistes (1979), l’attaque de l’Iran par l’Irak soutenu par l’Ouest (septembre 1980), avec huit ans de guerre, la première Guerre du Golfe contre l’Irak (1990-91), les crises israéliennes successives contre les Palestiniens et le Liban, etc., jusqu’à une situation de déstabilisation chronique passant par 9/11, l’attaque de l’Irak de 2003, la guerre Israël-Hezbollah de 2006, la crise iranienne, la chaîne crisique (ou “printemps arabe”) de décembre 2010, jusqu’aux crises actuelles en cours de transmutation en crise centrale, ou crise haute.
Dans cette vaste fresque, il y a évidemment un lien entre la Syrie de 1973 et la Syrie de 2012, et un lien s’entrecroisant avec le précédent, entre l’URSS de 1973 et la Russie de 2012. On y trouve rassemblés le début de la période (1973) et le point de confrontation qui peut décider de la rupture de la période (2012). C’est bien la Syrie qui, dans la guerre d’Octobre 1973, fut la grande perdante, cette guerre d’Octobre qui vit également l’élimination de l’URSS. C’est bien la crise syrienne qui, aujourd’hui, est un des centres de rupture de la situation au Moyen-Orient et, sans aucun doute, encore plus que la crise iranienne, le point d’entrée du retour en force de l’ex-URSS redevenue Russie dans la région où elle avait été, pendant deux décennies (1955-1975), une grande puissance d’influence.
Bien entendu, les conditions diffèrent complètement, la situation de 1973 n’a aucun rapport avec celle de 2012. Aussi, le retour de la Russie en 2012 ne peut prétendre en aucune façon rétablir la situation de l’URSS en 1973, dans la région. Il n’est plus question d’affrontements géopolitiques, d’affrontement d’intérêts, d’une situation de concurrence politique au sens courant. Le retour des Russes est sans aucun doute d’une puissance géopolitique surprenante et qui ne cesse de s’affirmer mais la démarche géopolitique n’est qu’un moyen ; elle s’inscrit dans une logique complètement nouvelle, qui est celle de l’affrontement entre forces déstructurantes et forces structurantes d’une part, entre des poussées dissolvantes et des résistances à cette dynamique de dissolution.
Sans identifier précisément cette situation de la sorte, Poutine l’a définie dans ce sens d’une façon plus générale, dans diverses interventions lors de la campagne électorales. On peut lire un article qui illustre cette position, en date du 27 février 2012 (selon les indications d’un de nos lecteurs). Quant à nous, nous avons cité à plusieurs reprises cet extrait d’une conférence en date du 25 février, tel que rapporté par Russia Today :
«The Russian PM pointed out that US foreign policy, including that in the Middle East, was expensive, inefficient and largely unpredictable. Putin also added that, among other things, it may eventually disserve Israel. “They changed regimes in North Africa. What will they do next? In the end, Israel may find itself between the devil and the deep blue sea” he said.»
Tous ces écrits se réfèrent à la situation au Moyen-Orient, comme archétype de la “politique” dénoncée, et s’appliquent évidemment à la Syrie. Ils indiquent implicitement la forme de l’interventionnisme russe et lui donnent une légitimité complètement exceptionnelle.
…En effet, nous insistons sur ce mot d’“interventionnisme”, autant que sur son caractère légitime. Lorsque l’un ou l’autre diplomate du bloc BAO fait remarquer à Lavrov qu’il y a en Syrie des unités des forces spéciales russes, le ministre russe lui recommande implicitement (d’autres diraient “explicitement”) de se taire, sinon, lui, Lavrov, il dira ce que les Russes savent sur la présence de forces du bloc BAO en Syrie, y compris de mercenaires privés de ce type de sociétés anglo-saxonnes qui fleurissent depuis 9/11 et contribuent notablement à transformer les relations internationales en une guerre de gangs, de barbares et de corrupteurs, selon la même logique dissolvante qu’on relève partout.
Aujourd’hui, les forces spéciales russes pullulent en Syrie, et personne ne dit mot. Les Russes ont livré une aide massive de défense anti-aérienne à la Syrie qui a convaincu les chefs militaires US de ne pas tenter l’aventure d’une intervention aérienne, – une première dans l’histoire de l’“hyperpuissance” depuis qu’elle l’est effectivement, depuis 1945.
Les Russes ne se dissimulent en rien leur interventionnisme parce qu’il existe une situation “objective” (oui, c’est le mot), qui dépasse les babillages diplomatiques et moralisants de relations internationales devenues folles, pour faire place à une vérité métahistorique. C’est en cela qu’existe cette complète légitimité de leur intervention dont nous parlons. Qu’ils le sachent ou non d’une façon précise, et peu importe cela, les Russes interviennent au nom d’une perception principielle du monde, effectivement appuyés sur des principes structurants (ils citent la souveraineté, mais nous viserions plus haut). Bref, ils ont avec eux l’entraînement de la métahistoire contre le désordre hypomaniaque du “déchaînement de la Matière” qu’illustrent nos pauvres directions politiques, se débattant entre virtualisme grotesque et hystérie épouvantable. Voilà qui fonde une légitimité de fer, qui assure le comportement et rend irrésistibles les arguments.
Les Russes ne reviennent ni en vainqueurs, ni en conquérants, ni en marchands d’armes hégémoniques dans le Moyen-Orient dont ils furent expulsés en 1973. Ils reviennent en messagers et porteurs d’une réaction antiSystème qui se manifeste par des voies inattendues et dont nous ne maîtrisons nullement la logique. Pour cette raison, leur action a la fermeté de la conviction, qui est la marque de sa légitimité.
Par conséquent, et très logiquement on le concédera, nous revenons à cette idée centrale de notre texte du 2 avril 2012. Il s’agit sans aucun doute de cette idée, née de notre conviction intuitive, de faire un lien entre la “guerre de la communication” que mena le système de la communication contre la Syrie, et celle que ce même système mena contre la Russie durant la période électorale décembre 2011-mars 2012…
«Notre conviction intuitive est que, s’il n’y avait pas eu les “troubles publicitaires” qui ont touché la Russie à partir de fin novembre 2011, provoquant la prise de conscience mobilisatrice qu’on vient de détailler, les Russes n’auraient pas apprécié aussi gravement l’évolution de la situation syrienne, menaçant d’être un double en bien plus grave de l’évolution libyenne, justement à partir de cette période décembre 2011-janvier 2012, justement à cause essentiellement de cette activité subversive du système de la communication (contre la Syrie d’Assad et contre eux parallèlement)…»
Il y a là un cas qui dépasse bien entendu, qui enterre et piétine tous les débats poussiéreux, hypocrites, épuisants de bassesse, de notre idéologie maniaco-dépressive vautrée sur les psalmodies de sa morale humanitariste. Cette action absolument subversive du système de la communication, foulant aux pieds tous les principes possibles, constitue un attentat qui vise l’essence même de ceux qu’elle agresse ; le Système, portée par la médiocrité extrême de son représentant washingtonien et de ses relais du parti des salonards, est à visage découvert… Il s’agit alors, de la part des Russes, d’une façon qui nous transporte dans une autre mode de pensée, de la réaction vitale contre la dissolution portée par le flux entropique de l’entraînement que le Système impose aux représentants les plus soumis des directions politiques de notre contre-civilisation. (Il est à prévoir qu’une action brutale contre l’Iran, une fois qu’elle serait assurée, attirerait une réaction à mesure de la Russie, selon la même logique.)
C’est pourquoi les sens avertis des guetteurs des signes essentiels, dans une époque dont on sent bien le caractère effectivement essentiel, devraient distinguer dans la position russe, dans l’interventionnisme russe, dans tout ce que cette incidente puissante fichée dans le cours du flux d’entropisation du Système apporte de force antiSystème, ce qu’on pourrait désigner comme “le vent de la métahistoire”, comme l’on disait “le vent de l’histoire”, mais en bien plus haut. A ce point, on comprendra aussitôt qu’il importe peu que ce soit les Russes qui tiennent le rôle qu’ils tiennent, – sauf que, pour l’instant, seuls les Russes le peuvent. Ils sont, dans cette occurrence, manifestement, le choix de la métahistoire.
Tous les caractères “réalistes” habituels de la politique russe, son goût de l’ordre, de la non-ingérence, de la hiérarchie et de l’autorité des positions, etc., conduisent à faire tenir ce rôle à la Russie. Ces caractères, si souvent dénoncés par les romantiques et les belles âmes humanitaires, prennent en effet un autre poids et une autre signification dans le contexte du désordre dissolvant actuel. Si l’on peut y voir des attitudes brutales, sinon sordides dans certaines circonstances, qui sont d’ailleurs pour nous des circonstances trompeuses de la modernité, on y trouve par contre dans d’autres circonstances, qui sont celles de la lutte contre le vrai désordre dissolvant de la même modernité, une dimension principielle fondamentale. C’est le cas aujourd’hui, en Syrie. Le jeu de l’évolution si rapide des situations, du passage du contexte historique au contexte métahistorique, a conduit la Russie à devenir, sans qu’elle l’ait cherché nécessairement, sans qu’elle l’ait réalisé aussi précisément, défenderesse acharnée de certains principes, – la souveraineté, certes, c’est-à-dire la légitimité, en sont les principaux.
En d’autres mots et pour en revenir, nous, au prétexte principal du propos, la Russie qui “revient” au Moyen-Orient n’est vraiment plus l’URSS qui en fut expulsée en 1973-1975. Les temps ne sont plus du tout les mêmes. Nous aussi, nous avons bien changé.
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