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250528 octobre 2015 – A notre connaissance, c’est Israël Shamir qui, le premier, a utilisé l’analogie (voir son texte du 22 octobre, où il écrit qu’après le tir réussi des 26 missiles de croisière Kalibr le 7 octobre, “les Russes sont heureux comme ils le furent le jour où ils lancèrent leur premier Spoutnik”). Le site Sputnik.News (What else ?) cite le 26 octobre l’analyste et journaliste russe Vladimir Soloviev, qui emploie la même référence, mais cette fois pour symboliser la réaction occidentale (du bloc-BAO) aux prouesses russes en Syrie, qu’il équivaut à la panique qui envahit les milieux de sécurité nationale aux USA en octobre 1957 notamment :
« Bursts of Russian bombs in the Middle East have seemingly stricken ordinary Americans “explosive waves,” becoming a kind of psychological bomb in the West. There hasn’t been such a reaction towards Russia since the launch of Sputnik 1 and Yuri Gagarin flight to space, Russian journalist Vladimir Soloviev claimed. »
Soloviev a raison de parler de “bombe psychologique” car tout est question de perception, et donc de psychologie. Ce fut le cas en 1957 avec Spoutnik-I qui contribua décisivement (avec d’autres “performances” plus ou moins réelles des Soviétiques) à une panique colossale au Pentagone et accéléra des programmes en crash programs, notamment les programmes d’armes balistiques intercontinentales, ICBM (missiles stratégiques terrestres) et SLBM (missiles stratégiques tirés de sous-marins). Tout cela était d’ailleurs criblé de diverses fausses interprétations, surestimations ou sous-estimations, permises par le secret qui caractérisait les activités de l’URSS.
La situation est aujourd’hui complètement différente. Avant d’engager la bataille pour la perception de la première puissance militaire du monde, dans tous les cas en dynamismes, capacités d’adaptation, efficacité, mais aussi capacités technologiques et électroniques de guerre (contre-mesures et cyberguerre), les Russes ont déjà gagné la bataille de la communication. En contraste absolue avec l’URSS de 1957, la Russie d’aujourd’hui est extrêmement ouverte et dynamique au niveau de la communication, et donc de l’information. Nous avons déjà abondamment parlé de cette éruption médiatique, dans la presse et dans les réseaux, d’une Russie conquérante dans le système de la communication (Russia Today devenu RT, Sputnik, etc.). Cela signifie que cette “bataille de la perception” pour apparaître comme la première puissance, où la Russie s’attaque directement à ce qui était considéré comme la chasse-gardée ultime et sans retour du système de la communication aux mains des USA, peut difficilement être contenue, justement, dans le champ de la communication dont on sait qu’on peut en faire un instrument extraordinairement faussaire et trompeur, comme on peut en faire un instrument antiSystème très puissant (son côté Janus) ; paradoxe que cette formidable expansion de la communication, et justement avec une Russie complètement adaptée à cette activité, interdit d’enfermer les perceptions dans les seules narrative, et que désormais les vérités-de-situation peuvent être aisément saisies et comprises par l’observateur attentif.
Ainsi Soloviev poursuit-il, toujours en s’attachant à l’aspect essentiel de la psychologie... « The time for discussion about bearded terrorists has irreversibly passed by – now everybody is talking about Russian pilots. And rather than watching propagandistic videos depicting ISIL’s black flags everybody now is fixing their eyes on clips featuring Russian airstrikes against terrorists’ positions in Syria. Public opinion is a volatile substance. And now it’s for new heroes. It’s the thing that was finally noticed in Washington, Vladimir Soloviev wrote.
» What is more is that unrest across the ocean was caused not only by the growing might of Russian arms and servicemen, but by the real efficiency of the Russian army, journalist explained. Ben Hodges, the commander of United States Army forces in Europe, has conjured up common fears that trouble people in the West, saying that he was shocked by Moscow’s ability to deploy their army in the Middle East region in a very short period of time. He was perplexed by this revelation, Soloviev notes.
» But if the military is always sparing in the expression of their emotions, the media is not, the publicist pointed out. For instance, an Italian journalist has issued an article entitled “Russians are too strong.” Putting it short, the author has claimed that “bursts of Russian bombs in Syria had hit ordinary Americans with blast waves,” referring to nervous response of launching of Russia’s operation among ordinary Americans. It’s a kind of “psychological bomb,” Soloviev stressed... »
Il y a un effet général, que Soloviev vient de décrire, et il y a bien entendu des points particuliers de la démonstration russe qui structurent décisivement cet effet général, notamment pour les spécialistes qui les font transiter vers le public général. Le premier de ces points, c’est le tir des 26 missiles de croisière Kalibr à partir de navire de la flotte en Mer Noire vers la Syrie, le 7 octobre... Drôle de chemin (près de 2.500 kilomètres), alors qu’il eût été bien plus simple de tirer “de Syrie en Syrie” ; d’où l’évidence, du côté russe, d’une démonstration. Nous avons déjà succinctement présenté le cas, le 24 octobre :
« [...P]ar exemple, le tir des 26 missiles de croisière Kalibr une semaine après le début de la campagne a été partout perçu du point de vue de la communication comme un message d’affirmation de cette puissance directement destiné aux USA (les supputations sur “l’énoncé de ce message” ont été jusqu’à compter les missiles tirés, – 26, – pour constater que le dernier porte-avions US dans la zone virait de bord pour regagner la haute mer peu après les tirs, qu’il s’agissait du USS Theodore Roosevelt et que Theodore Roosevelt est le 26ème président des USA). Air Force Magazine, la publication du principal lobby de l’USAF, notait le 23 octobre, dans un article par ailleurs encombré de toutes les narrative courantes aux USA, la confirmation du “message” comme les forces armées US elles-mêmes l’ont entendu : “Given that Russia was already operating strike aircraft in the areas where the cruise missiles struck, western analysts viewed the missile raid as tactically unnecessary, and therefore actually intended to demonstrate Russia's cruise missile prowess. The Kalibrs demonstrated a capability similar to that of the American Tomahawk cruise missile, with a range well beyond what they were thought to have, and an accuracy within several meters. Only the US and Britain had previously used such long-range precision-guided cruise missiles in combat... ” »
De nombreux textes commencent à apparaître sur le tir des Kalibr, avec désormais des réflexions stratégiques. Israël Shamir remarque que les missiles, tirés d’une distance stratégique, passèrent au-dessus de l’Iran et de l’Irak : « Bien que l’Iran et l’Irak aient été prévenus, aucun de ces deux pays n’a averti leurs partenaires US. Les missiles touchèrent parfaitement leurs cibles et les experts militaires en concluent que cette nouvelle catégorie de missiles permettrait à la Russie, si nécessaire, de régler leur compte aux installations anti-missiles [BMDE] US installées dans les pays voisins d’Europe de l’Est. » Le départ subreptice du USS Theodore Roosevelt démontre également que, pour l’US Navy, ses grands porte-avions d’attaque sont devenus des cibles exceptionnellement vulnérables s’ils ne se tiennent pas à distance stratégique du théâtre où ils prétendent opérer. (Voilà les Chinois confirmés dans leur orientation d’hérisser leurs côtes de missiles de croisière terre-mer pour tenir les porte-avions US à très longue distance de leurs côtes.)
Un très long texte de Daniel Fielding, accompagné d’un texte technique sur le Kalibr, dans Russia Insider du 26 octobre, démonte les conséquences stratégiques de la démonstration effectuée par les Russes. Ce fait, – les “conséquences stratégiques”, – doit être considéré à sa juste mesure.
Jusqu’alors, les divers signes de l’amélioration des capacités militaires russes, aussi bien durant les premiers jours de l’intervention russe en Syrie qu’auparavant, durant toute la crise ukrainienne, voire même en remontant le temps, dès la guerre contre la Géorgie en 2008 dans certains domaines opérationnels, portaient sur des considérations tactiques dans lesquels seule la logistique (par exemple, la rapidité du transport et du déploiement de l’infrastructure nécessaire en Syrie avant le début des frappes le 30 septembre) pouvait avoir une dimension stratégique mais sans conséquences stratégiques assurées. Avec le Kalibr tel qu’il a opéré, nous entrons dans le domaine stratégique, et les USA, – puisque c’est d’eux évidemment dont il est question, – se trouvent devant une énorme hypothèque qui affectent le fondement de leur puissance. Plus rien de leurs capacités stratégiques les plus puissantes, – le réseau antimissile stratégique, les porte-avions d’attaque, les bases avancées, etc., – n’est réellement à l’abri d’une frappe stratégique conventionnelle. (Dans ce raisonnement, nous mettons les possibilités de guerre nucléaire à part.)
C’est une terrible surprise pour le Pentagone. Certes, il pouvait s’en douter, car la famille des nouveaux missiles de croisière russe, et notamment le Kalibr, était connue. Mais la démonstration in vivo des capacités stratégiques de la chose, en conditions opérationnelles de conflit, c’est une autre affaire. Fielding parle de possibilités de négociations de l’un ou l’autre nouveau traité de limitation à cause de l’arrivée de ces armes, où les Russes demanderaient la liquidation du réseau antimissiles BMDE, – perspective absolument inacceptables pour les USA. Nous ne sommes plus dans les belles années de la Guerre froide où les deux partenaires-adversaires cherchaient systématiquement, à partir de 1962 et la crise des missiles de Cuba, des arrangements par traités. Plus que jamais, et cela par la volonté des USA, nous sommes dans une époque de concurrence sauvage où l’un des “partenaires”, l’exceptionnaliste Amérique, ne veut qu’une seule négociation : celle qui aboutisse à la reconnaissance de sa toute-puissante supériorité militaire, – laquelle, certes, n’existe plus. Par conséquent, il nous semble inutile de nous bercer d’espoirs incongrus : l’apparition de Kalibr ne va pas du tout marquer le retour de la sagesse mais va exacerber la frustration des USA de se voir menacés dans leur toute-puissance exceptionnaliste et éternellement incontestable. On verra cela plus loin.
Le deuxième point fondamental indicatif du développement fondamental de la puissance militaire russe, c’est l’électronique, également employé comme facteur stratégique per se, c’est-à-dire nullement complémentaire d’un système, d’une situation tactique limitée, etc. (même si, bien entendu, l’électronique russe existe également comme complément de systèmes et de “situations tactiques limitées”). Grosso modo, il s’agit du phénomène de “bulle” (ou de dôme) que nous avons déjà évoquée, couvrant un espace considérable et ne se limitant pas au seul aspect défensif puisque des aspects offensifs d’écoutes, de brouillage, d’interférences (de guerre électronique) sont bel et bien présents. On a déjà évoqué ces dispositions de guerre électronique dans un texte du 21 octobre, concernant les “bulles” que les Russes établissent en Syrie et autour de la Syrie, dans des rayons impressionnants de 600 kilomètres. Depuis, d’autres précisions sont apparues.
On peut lire le texte de Elias Groll, dans Foreign Policy le 22 octobre 2015, qui apporte nombre de précisions sur le dispositif russe. Le texte de DEBKAFiles du 26 octobre 2015 est également d’un très grand intérêt, lui apportant une vision géographique tangible de l’emprise de la structure électronique russe sur toute la région. Citant les installations russes de Lattaquié (Syrie) et alentour à un bout, et celles de la base située à 74 km de Bagdad que les Irakiens ont ouvert à la Russie, DEBKAFiles explique que les Russes ont établi un “arc de contrôle aérien au cœur du Moyen-Orient”, – « en renforçant les deux extrémités [de l’arc] avec leurs systèmes de guerre électronique les plus modernes, ils ont imposé une nouvelle situation à partir de laquelle il sera impossible pour n’importe force aérienne et terrestre, américaine ou israélienne, d’entamer des opérations militaires sans une coordination avec les Russes. Les fondements de la domination russe sont pratiquement en place... »
Parmi les différents systèmes mis en place, on parle surtout de l’avion de surveillance, d’écoute et de brouillage électronique Il-20 Coot et de différents systèmes terrestres. DEBKAFiles est particulièrement impressionné par le système Borisoglebsk 2...
« Then, on Oct. 4, our sources reveal, another Russian super-weapon was brought to Syria by Russian cargo ships: Nine MT-LB armored personnel carriers fitted with the Borisoglebsk 2 electronic warfare systems, which are among the most sophisticated of their kind in the world.
» These APCs were secretly driven aboard tank carriers to Nabi Yunis, which is the highest peak of the Alawite Mountains along the coastal plain of northwest Syria, and stands 1,562 meters (5,125 feet) above sea level. To render the highly complicated Borisoglebsk 2 device system impermeable to attack, our electronic warfare experts describe it as fitted into the interior and walls of the nine APCS, along with receivers that can pick up transmissions on a wide range of frequencies on the electromagnetic spectrum. From their mountain aerie, its antennas and powerful transmitters are designed to intercept and jam almost any radio signal carried by the electromagnetic waves in military or civilian use.
» Russian strategists posted this top-of-the-line system in Syria to enable the Russian air force to operate unhindered in Middle Eastern skies and, just as importantly, to neutralize US-led coalition special forces operating deep within Syrian territory, and block or disrupt the operations of rebel groups and Islamic State forces. The Borisoglebsk 2 system has only just started rolling off top secret Russian assembly lines. It took five years to plan and manufacture the system, which went into service for the first time at the beginning of this year on the Ukraine battlefield.
» From its vantage point in Syria, the Russian electronic warfare system could seriously impair the performance of Israeli intelligence and communication networks arrayed across the Golan and along the northern border in the upper and western Galilee. It could run interference against the IDF’s use of unmanned aerial vehicles (unless they were autonomous), the field operations of Israeli Special Operations forces and air and naval networks, which depend on communications networks in their defense of the country’s northern borders. »
Soloviev cite une publication italienne pour décrire l’effet que commence à produire, notamment dans les pays du bloc BAO et même au niveau des articles grand public, les conditions de l’intervention russe et l’effet démonstratif qu’elle produit. Effectivement, les analyses et reportages de cette nouvelle puissance militaire russe, y compris pour le grand public, se multiplient. Le ton même des échanges entre les ministres européens et les Russes a “récemment changé”, nous dit Shamir, qui a suffisamment d’entrée dans les sphères officielle russes pour ne pas parler dans le vide : “[L]es ministres européens se comportaient avec les Russes comme des sahibs avec l’indigène local, aujourd’hui ils sont pleins de respect, jusqu’à l’obséquiosité...”
Il est vrai que le climat a radicalement changé, et Soloviev a raison d’employer son image qui renvoie à Spoutnik-1957, actualisée circa-2015. Il a raison, notamment, pour rendre compte d’un choc qu’ont subi les pays du bloc BAO, et notamment, et particulièrement, les USA. Il estime que le plus important n’est pas tant leur “perte de prestige” que le fait qu’ils n’aient rien vu venir : ils observaient avec attention le Kremlin et c’est ailleurs que cela s’est passé, et ainsi n’ont-ils pas vu “renaître une superpuissance”...
« However, the loss of “stars-and-stripes prestige,” according to Soloviev, is not the worst thing of all. Americans are more alarmed not with the decreasing of their popularity itself, but with the fact that they had overlooked this process. Washington has joined a game and lost it. “Americans were watching the Kremlin unwinkingly, while the principal tick was performed in the other place. What is more important is that the US has overlooked the resurrection of a superpower,” he concluded. »
Quoi qu’il en soit des observations diverses qu’on rapporte ici, le terme de “bombe psychologique” (de Soloviev) est certainement le terme qui convient le mieux à l’événement ; une “bombe psychologique“, comme l’on dirait d’un réveil brutal à une vérité-de-situation qui a pris suffisamment d’ampleur pour forcer cruellement l’attention des veilleurs-BAO de l’apocalypse qui surveillait ce que la narrative et le processus du déterminisme-narrativiste qui s’ensuit leur enjoignaient de surveiller, du côté de l’Ukraine. Considéré d’une façon plus générale, le processus pourrait s’apparenter à première vue, si l’on veut, à celui du réveil de “la Belle-au-bois-dormant”, même si l’image fasse beaucoup d’honneur au bloc BAO. Pour autant, l’analogie ne nous procure pas une satisfaction complète et il va falloir s’en expliquer.
Nous voulons signifier par là que, si “bombe psychologique” il y a, il n’est nullement assuré que les psychologies ainsi bombardées étaient elles-mêmes parfaitement en bon état. S’agissant effectivement des psychologies du bloc-BAO, on peut être assuré que cette sorte d’hypothèse a toute sa validité.
...Cela signifie que, même si le choc peut être comparé disons en intensité et en cohérence d’image, Spoutnik-2015 ne correspond pas vraiment à Spoutnik-1957. Il faut rappeler les circonstances pour prendre conscience qu’en 1957, la surprise vint certes de la performance technologique (premier satellite artificielle) qui devait être, jugeait-on, porteuse d’autres terribles capacités, notamment du point de vue militaire (ce qui n’était qu’à très petite moitié juste) ; mais elle venait surtout d’une capacité qui semblait illustrer une puissance très grande, alors que l’URSS, depuis la mort de Staline, semblait à la fois en retraite et plongée dans la plus grande confusion, entre les émeutes de Berlin-Est de juin 1953 et la révolte hongroise d’octobre 1956, pimentées par une extraordinaire demande (refusée !) d’adhésion de l’URSS à l’OTAN en mars 1954 et le discours de déstalinisation de Krouchtchev de février 1956.
Aujourd’hui, ce n’est pas exactement le cas. Cela fait deux ans au mieux, beaucoup plus longtemps pour la lie de la communication-BAO (au moins depuis 2005-2007 et l’affirmation de Poutine), que la Russie est en mode hyper-expansionniste, partout sur l’offensive, le pouvoir exerçant une main de fer à l’intérieur, envahissant plus de 40-50 fois l’Ukraine par an, menaçant les pays baltes, la Pologne et le reste, exerçant une épouvantable dictature de propagande obscène sur les âmes pures du bloc via les réseaux-diaboliques type-RT, soutenant les monstres les plus épouvantables de l’histoire du monde (Assad, et puis Chavez et Kadhafi quand ils vivaient, et puis Assad et encore Assad, etc., et toujours Assad).
On ajoutera que, pour la même période précédant Spoutnik-2015, la Russie est considérée comme une vile productrice d’armements (au contraire du bloc BAO, USA compris, c’est bien connu), et son armée dans le processus d’un complet réarmement et d’une complète réorganisation. Alors, pourquoi être surpris de ce qu’on dénonce au fond depuis 2-5-7 ans, selon le point de départ de l’anathèmes ? Est-ce parce que la fourberie et l’agressivité des cloportes n’impliquaient pas La métamorphose des cloportes, comme disait Audiard, et que l’on a la métamorphose des cloportes ? Enfin, quel que soit le ridicule des détails de la chose, ce n’est pas du tout la situation de 1957 même si l’on se trouve, aujourd’hui en 2015, en plein délire déterministe-narrativiste qui vous fait y croire pzar certains côtés, – ou bien est-ce parce qu’on se trouve, aujourd’hui en 2015, en plein délire déterministe-narrativiste ?
Effectivement, l’on a toujours eu depuis 1945, et l’on eut régulièrement ces dernières années, un discours de complète diffamation de la capacité et des qualités des forces russes. Cela est indépendant des heurs et malheurs de ces forces, qui étaient fortement handicapées par l’idéologisation et la corruption durant les années de Guerre froide, surtout à partir de 1970, et qui furent littéralement pulvérisées à partir de 1989-1991, et jusqu’en 2000. Il y a toujours eu, depuis 1945, disons dans le discours euroatlantique presqu’exclusivement anglosaxonnisé, un mépris latent mais extrême, quasi-suprémaciste, des capacités soviétiques, surtout technologiques ; ce sentiment, que nous n’assimilons nullement à de la propagande mais à un sentiment suprémaciste justement, et conçu naturellement, se renforça dès la fin de la Guerre froide (mépris assez similaire, par exemple, à l’absence complète de la haute technologie française, type-Rafale, dans la communication). Nous sommes bien au niveau psychologique de la schizophrénie sans nécessité de propagande, par simple mouvement de la psychologie malade, qui vous fait considérer, – bien avant la Syrie, – les Russes comme des sortes d’indigènes-cloportes hors de la civilisation et incapable de rien produire qui vaille la moindre considération, et qui considère avec terreur le S-300 ou quelque autre système de cette sorte que produisent les cloportes comme le summum de la puissance dans leurs domaines.
Ainsi avons-nous, ou ont-ils vécu, dans tous les cas ces dix dernières années où le mouvement de rétablissement de la puissance militaire russe commençait à démarrer, avec les premiers élans de relance de la production d’armement, puis en mode-turbo ces 5 dernières années. D’un côté, la Russie était une sorte de force du Mal dont on suppose, par réputation de la chose, qu’elle devait être très puissante ; d’un autre côté, étant hors-civilisation, elle ne pouvait produire que de la quincaillerie-camelote, une armée-Potemkine au rabais.
Spoutnik-2015 n’est donc pas vraiment une surprise même si cela en a tous les effets et conséquences... Avant toute chose, c’est une vérité-de-situation qui, soudain, interfère dans toutes les narrative, que ce soit celle de la Russie-Grand-Méchant-Loup ou celle du Russe-cloporte hors-civilisation. De ce fait, Spoutnik-2015 n’est pas tant que la puissance russe est une surprise mais que la puissance russe est une vérité-de-situation face à laquelle le bloc-BAO se retrouve nu. Et alors, la véritable surprise de ces dernières semaines, en effet, se trouve dans la dissolution ultra-rapide des structures d’influence et de pression avec une étrange paralysie opérationnelle, essentiellement dans le chef des USA malgré un dispositif universel d’un poids énorme, auquel rien ne peut se comparer... Dans cette étrange situation, tout se passe comme si les immenses porte-avions, les centaines (1.200/1.400 selon le décompte d’Assange) bases US dans peut-être 130-140 pays ne servaient à rien et devenaient presque un handicap. La dissolution touche même la diplomatie puisqu’on appelle désormais les Iraniens à la rescousse pour résoudre la question syrienne, qu’on parle de coopération éventuelles d’éventuelles forces au sol US et russes en Syrie (bien que les Russes assurent ne rien vouloir mettre au sol), et que sous peu l’on parlera peut-être bien avec Assad.
Tout cela ne fait évidemment pas une vraie stratégie, ni même une riposte ou une réponse stratégique US/BAO à la surprise Spoutnik-2015. Il reste vraiment à traiter un problème nouveau dont on n’a pas encore mesuré tous les termes. Ce problème n’a rien à voir, ni avec la Russie, ni avec la Syrie, ni avec toute cette sorte de choses. Il a à voir avec la psychologie de l’américanisme, son addiction totale à la puissance et à l’exceptionnalisme américaniste, c’est-à-dire avec cette maladie de l’âme traduite dans des traits psychologiques (inculpabilité et indéfectibilité) et qui interdit au système de l’américanisme de se penser autrement que comme le plus puissant et le meilleur militairement. Au contraire de Spoutnik-1957 où diverses mesures pouvaient être prises pour grossir les bataillons, accélérer la production de missiles, augmenter le budget du Pentagone avec la probabilité que cela apporterait un supplément de puissance, Spoutnik-2015 éclate à ce moment terrible où les USA ont leur puissance militaire croulant sous la masse des centaines de $milliards (budget réel du Pentagone, de $1.200 milliards/an, autour des deux-tiers de toutes les dépenses militaires du monde) ; au moment où des augmentations supplémentaires, comme l’ont montré divers experts réformistes comme Winslow Wheeler, ne feraient qu’accélérer le gaspillage, les impasses technologiques (comme le JSF), la corruption et ainsi de suite, c’est-à-dire réduire la puissance opérationnelle utile des forces armées... Au moment, enfin, où la seule solution pour sortir de l’impasse du Pentagone serait de briser le Pentagone, comme Gorbatchev brisa le CMI russe.
Face à cette nouvelle vérité-de-situation, il n’y a donc pas d’issue satisfaisante pour les USA, et le bloc-BAO avec eux. Ainsi la crise, puisque crise il y a certainement, va se transporter de Syrie à Washington où toutes les forces d’influence qu’on connaît vont hurler à la mort pour un réarmement que les USA ne sont plus capable de réaliser et qui ne servirait à rien puisque produisant une véritable inversion de lui-même. Cela signifie que la dissolution de l’influence et de la puissance US à l’extérieur va se poursuivre en accélérant géométriquement et les hurlements à la mort à Washington ne cesser de s’amplifier, jusqu’à arriver à des situations budgétaires, bureaucratiques, politiques et psychologiques, et de communication, complètement intenables. C’est-à-dire que la déstabilisation d’un pouvoir déjà paralysé et impuissant ne va cesser d’accélérer sans qu’on puisse distinguer la moindre issue possible, sinon une ou des montées paroxystiques vers une ou des crises internes de diverses factures. Le malheur dans cette triste histoire, c’est qu’on ne peut soigner une direction politique en plein épisode maniaque, et encore moins le Système qui la manipule, comme on peut tenter de le faire pour un individu frappé par ce mal. La voie est ouverte, – nous voulons dire, la voie d‘eau du Titanic qui a heurté de plein fouet l’iceberg nommé Poutine.
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