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960214 mars 2019 – On sait qu’un Boeing 737 Max (Max8) d'Ethiopian Airlines s'est écrasé peu après son décollage le 10 mars près de la ville de Bishoftu, à 62 kilomètres de la capitale de l'Éthiopie, Addis-Abeba, faisant 156 morts. Cette catastrophe semble répéter à l’identique celle d’octobre dernier, lorsqu’un autre Max8 de Lion Air s’était écrasé dans des conditions similaires, après son décollage de Djakarta, faisant 168 morts.
Il ne fait guère de doute que les deux accidents sont dus à un système électronique (MCAS) agissant sans intervention ni consultation du pilote sur les stabilisateurs en les inversant (pendant 10 secondes, semble-t-il) pour réduire l’angle de montée de l’avion après le décollage, risquant de mettre, ou mettant brusquement l’avion en position de perte de son assiette et de perte de contrôle jusqu’à l’extrême d’un crash. (Quitte à recommencer la même opération après 5 secondes de non-intervention si le pilote parvient à reprendre le contrôle de l’avion et à reprendre un très haut angle de montée pour compenser la chute, et ainsi de suite.) Le dispositif n’avait pas été signalé aux pilotes comme nécessitant une attention particulière pour éviter des frais supplémentaires d’écolage et réduire les prix de vente des 737 Max, si bien que, dans des conditions données, qui ne sont pas exceptionnelles comme on l’a vu avec les deux crashs, tout se passe comme si le pilote était quasiment prisonnier du système.
Après avoir rappelé la chronologie des décisions d’arrêts de vol et certaines querelles qui ont eu lieu (entre le Canada et les USA), WSWS.org expose implicitement que ces deux accidents ne sont pas une surprise en raison d’alertes sérieuses qui avaient déjà été officiellement enregistrées à propos des Max8/Max9 depuis leur entrée en service début 2018. Certaines de ces alertes interfèrent chronologiquement avec le crash d’octobre 2018 (c’est-à-dire qu’elles ont lieu après le crash) et rendent tout à fait remarquable, dans le sens catastrophique autant et surtout que dans celui de la corruption psychologique des organes de régulation américaniste, qu’aucune mesure n’ait été envisagée à l’encontre de la poursuite régulière des vols des 737 Max.
« Le président Trump a fait cette annonce mercredi après-midi, quelques heures après un dernier échange acrimonieux entre les États-Unis et le Canada. Il a annoncé qu'il rejoindrait l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine dans la décision d’interdiction de vol des avions. Le ministre canadien des Transports, Marc Garneau, a fait cette déclaration après que des informations aient été rapportées concernant au moins 11 plaintes au sujet d'avions 737 Max récemment déployés, enregistrés entre avril et décembre 2018 par des aviateurs professionnels américains utilisant le système fédéral de compte rendu de la sécurité aérienne.
» Les plaintes signalées au sujet des performances de vol du 737 Max connecté à la base de données fédérale par des pilotes américains sont très révélatrices et troublantes. Dans un cas, un commandant de bord a signalé un problème de pilote automatique qui a provoqué une situation de piqué du nez, similaire à ce qui semble s'être produit lors des crash Lion Air et Ethiopian Airlines. Dans une autre plainte, un autre commandant de bord a déclaré que l'avion avait piqué du nez après que le pilote automatique ait été engagé pendant le départ. L'avion avait retrouvé son assiette après que le pilote automatique ait été déconnecté.
» Un pilote lors d’un vol de novembre 2018 a déclaré qu'il était “inacceptable” que Boeing, la FAA et sa compagnie aérienne aient autorisé les pilotes à voler sans formation ni documentation adéquates. Il a qualifié le manuel de vol d’“insuffisant et presque criminellement insuffisant” et a ajouté qu'une partie du système de vol de l'avion n'était “pas décrite dans notre Manuel de vol”. »
Ces catastrophes et tout ce qui s’ensuit ne sont pas “seulement” de nouvelles catastrophes aériennes, mais elles s’inscrivent dans un contexte d’immense tension à la fois commerciale, économique, et finalement politique. Pour Boeing face à Airbus et au reste, la question est de rester, ou de redevenir n°1 en écrasant si possible ses adversaires, et pour cela le 737 Max est (était ?) la poule aux œufs d’or. On ajoutera que la puissance de Boeing, notamment à l’exportation, dans l’équilibre des milieux financiers, à Wall Street, etc., est telle que cette gigantesque société constitue une des poutres-maîtresses de la puissance de l’américanisme : tout danger qui la menace est un danger qui menace les USA eux-mêmes.
WSWS.org : « Boeing, qui sous la direction de Muilenburg, s'est engagé dans une opération de réduction des coûts et de travail impitoyable et une guerre jusqu’au-boutiste pour s’emparer de tous les marchés et tous les profits contre Airbus, société basée en Europe, a présenté la série 737 Max en 2017 comme beaucoup plus économique que le modèle qui domine le marché lucratif des vols de milieu de gamme, l’A320neo. Boeing a affirmé que le 737 Max ne nécessitait pratiquement aucune nouvelle formation pour les pilotes qui avaient piloté des modèles précédents, ce qui rendait les vols moins chers pour les compagnies aériennes.
» Le 737 Max est devenu alors l’appareil commercial [les commandes militaires de la Deuxième Guerre mondiale mises à part] le plus commandé au cours des 100 ans d’existence de Boeing, avec 40% des profits en hausse de l’entreprise. Il y a déjà quelque 370 avions en service dans le monde, dont plus de 70 aux États-Unis et 5 000 autres en commande. L'action Boeing, dont le prix a triplé depuis l'élection de Trump en novembre 2016, représente 30% de la hausse de 7 000 points du Dow depuis.
» Plus grand exportateur américain, Boeing exerce une immense influence sur le système politique américain. Son comité d'action politique verse d'importantes sommes aux deux partis, dont parmi ses bénéficiaires, la présidente de la Chambre à majorité démocrate, Nancy Pelosi. L'année dernière, la société a dépensé 15 millions de dollars en lobbying et employé plus d'une douzaine de sociétés de lobbying. Le secrétaire par intérim de la Défense, Patrick Shanahan, est un ancien dirigeant de Boeing. »
Bien entendu, les circonstances de l’accident de l’avion d’Ethiopien Airlines, qui est une compagnie d’excellente qualité dont les équipages sont réputés pour leur professionnalisme, devient un enjeu absolument capital. A la clef, il y a une décision ou pas d’immobilisation de longue durée des 737Max, voire des modifications importantes, voire pire encore selon les rebondissements politiques et psychologiques.
C’est pourquoi la question de l’examen des “boites noires” d’enregistrement de vol devient pour l’immédiat un sujet d’importance, sinon de controverse implicite, où le facteur politique qui jouait déjà un rôle implicite considérable est aussitôt apparu au premier rang et en pleine lumière. On le voit d’abord dans cet article de Fortune du 13 mars, puis dans le commentaire de Mike Krieger (qui y renvoie), puis dans la décision finale de la société éthiopienne de s’adresser à la France après avoir résolument écarté la possibilité de les confier à un partenaire américaniste, qui serait au moins sous l’influence de Boeing...
« Le National Transportation Safety Board des États-Unis fait actuellement pression pour que ses experts analysent les enregistreurs de données et vocaux, qui ont été en partie endommagés, a rapporté le Wall Street Journal, mais les autorités éthiopiennes préféreraient travailler avec la division britannique des accidents aériens pour avoir l’assurance que les experts n'auront aucune influence indue sur l’enquête sur le cas de cet avion de fabrication américaine.
» Tewolde Gebre Mariam, PDG d’Ethiopian Airlines, a déclaré au WSJ que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne étaient considérés comme des destinations pour les boîtes noires, de même que l’Agence européenne de la sécurité aérienne, basée à Cologne. Il a ajouté qu'une décision serait prise mercredi. »
C’est donc effectivement cet article de Fortune du 13 mars que recommandait Michael Krieger, de @LibertyBlitz, qui tweetait, avec ce commentaire à forte connotation politique : « La réponse de l’Éthiopie sur l’examen de la boîte noire en dit long sur la situation actuelle du monde. Personne ne fait plus confiance aux États-Unis et pour de bonnes raisons. Nous sommes très clairement dans le crépuscule de l’empire américain. »
Finalement, c’est la France qui assurera le décryptage des boites noires après un refus allemand dont la consonance politique est plausible (crainte d’avoir à examiner un dossier si sensible pour les USA) : « Les autorités éthiopiennes ont demandé au Bureau d'enquête et d'analyse (BEA) français pour la sécurité de l'aviation civile d'étudier les boîtes noires du Boeing 737 Max de la compagnie Ethiopian Airlines qui s'est écrasé le 10 mars près d'Addis-Abeba, a annoncé BEA sut Twitter. “Les autorités éthiopiennes demandent au Bureau d'enquête et d'analyse son assistance pour l'analyse des FDR et CVR. Toute communication sur les avancées de l'enquête sont du ressort de ces autorités”, lit-on dans le message.
» “Accident du #Boeing737Max @BoeingAirplanes ET-AVJ exploité par @flyethiopiansurvenu le 10/03 / Les autorités éthiopiennes demandent à @BEA_Aero son assistance pour l’analyse des FDR & CVR / Toute communication sur les avancées de l’enquête sont du ressort de ces autorités. — BEA | Bureau d'Enquêtes & d'Analyses (@BEA_Aero) 13 mars 2019 ”
» Un porte-parole d'Ethiopian Airlines avait précédemment indiqué que les boîtes noires du Boeing 737 Max 8 seraient envoyées en Allemagne pour y être analysées. Mais les autorités allemandes chargées d'enquêter sur les crashs aériens ont indiqué qu'elles ne procéderaient pas à cette analyse, d'après Reuters. “C'est un nouveau type d'avion avec une nouvelle boîte noire et de nouveaux logiciels. On ne peut faire l'analyse”, a dit Germout Freitag, porte-parole du Bureau fédéral allemand chargé des enquêtes sur les accidents aériens (BFU), cité par les médias.
» Selon le journal The Globe and Mail, les autorités éthiopiennes ont refusé d'envoyer les boîtes noires aux États-Unis où le Boeing 737 MAX avait été fabriqué. Les autorités américaines ont été parmi les dernières à suspendre les vols des Boeing 737 Max suite au crash... »
Avant de prendre sa décision de suspension des vols des 737 Max hier matin, Trump avait eu un entretien téléphonique avec le CEO de Boeing Dennis Mullenburg la veille, qui lui avait demandé de ne pas suspendre les vols de l’avion, affirmant qu’il était particulièrement sûr. Malgré les liens existants entre Mullenburg et lui, Trump a décidé la suspension après avoir diffusé un tweet significatif, qui vaut pour le 737 Max et vaudrait aussi bien pour le JSF, – un tweet qui rejoint ce que l’on peut dire aujourd’hui sur ce que nous-mêmes désignons comme “la crise du technologisme”...
« Les avions deviennent beaucoup trop complexes à piloter. Les pilotes sont moins adéquats que des informaticiens du MIT. Je le vois tout le temps dans de nombreux produits. Nous cherchons toujours à faire un pas technologique inutile en avant, même si souvent les systèmes plus vieux et plus simples sont bien meilleurs. Les décisions prises en une fraction de seconde sont... nécessaire, et la complexité crée le danger. Tout cela pour un grand coût encore très peu de gain. Je ne sais pas pour vous, mais je ne veux pas qu'Albert Einstein soit mon pilote. Je veux de grands professionnels du vol qui peuvent prendre facilement et rapidement le contrôle d'un avion ! »
Ce tweet a amené un grand nombre de réponses-commentaires, en général (combien ? A 95% ?) très critique de l’attitude de Trump, soudain classé rétrograde, antimoderne, etc., et jusqu’à des accusations de traître au capitalisme qui rendent un son jubilatoire puisqu’il s’agit de Trump. Ces critiques viennent évidemment de démocrates et d’antitrumpistes qui trouvent là un nouvel argument pour demander une éventuelle destitution : “D.C.-la-folle” as usual.
Avant la décision de Trump d’ordonner l’immobilisation de la flotte des 737 Max, – le dernier pays utilisateur au monde à prendre cette décision, – les commentaires sur l’attitude de Boeing étaient déjà très négatifset ils le restent. Ils portent essentiellement sur la question de la fiabilité de la société, sur la confiance qu’on peut encore lui faire, et cela sur le long terme, dès lors qu’il n’y a pas vraiment, ou pas seulement faute technique mais bien d’abord dissimulation de certains facteurs vitaux pour les équipages, pour enfin atteindre le but suprême de resserrement des dépenses permettant d’atteindre un prix encore plus compétitif.
Même si la critique du technologisme de Trump reste tout à fait acceptable, sinon extrêmement judicieuse même s’il n’en développe pas toutes les conséquences, il s’agit ici également et, dirait-on, avant tout, de procédés humains de tromperie délibérée, dans le but désormais habituel du gain pour satisfaire les actionnaires déjà gavés de $millions et de $milliards… Le capitalisme dans toute sa glorieuse puanteur et son sublime voyage jusqu’au bout de la pourriture.
« “Boeing a de gros problèmes”, a déclaré Giemulla, professeur honoraire de droit de l'aviation à l'institut de technologie de Berlin. Il a expliqué qu’“en général, un accident d'avion est un événement unique et n'infecte pas une série complète de modèles”. “Bien que Boeing hésite à admettre que les indications sont à l'origine de cette impression, il serait judicieux d’ordonner l’immobilisation de toute la flotte”, a-t-il ajouté. [...Ce qui est fait.]
» L’absence de réaction d'un constructeur d'aéronefs face à des risques évidents “témoigne d'une vision maladroite de sa responsabilité vis-à-vis du public”, selon le professeur. “La confiance en est détruite de cette façon. Retrouver cette confiance sera difficile et prendra plusieurs années. Cette affaire est un cas historique”, a-t-il déclaré.
» Les sociétés de Wall Street, Melius Research et Jefferies, ont estimé qu'il en coûterait à Boeing entre 1 et 5 milliards de dollars pour le maintien au sol de ses 737 Max pendant trois mois. »
Nous allons tenter d’aller au-delà et d’examiner un autre aspect de cet incident qui a aussitôt pris l’allure d’une circonstance crisique toute prête à prendre sa place dans le tourbillon crisique, – signe des temps, n’est-ce pas… Il s’agit de Boeing, ce monstre incroyable, de sa place énorme dans la puissance économique des USA, de son éventuelle faiblesse comme tous les avortons aux stéroïdes nés du Système ont au fond d’eux-mêmes, – tout cela contrecarré par la fameuse formule magique, l’abracadabra enfantée par la crise de 2008, celle du “Too Big to Fall” (de préférence à “Too Big to Fail”, qui montre un peu trop d’optimisme en n’envisageant pas le pire). Avorton monstrueux gonflé aux stéroïdes, Boeing l’est un peu, dans la mesure où il a mis pas mal de ses œufs dans le même panier, celui des 737 Max, et que tout cela pue vraiment l’œuf pourri ; et ce n’est pas rien puisque certaines compagnies planifient déjà des annulations de commande du 737Max et que l’on parle de la possibilité d’annulations allant jusqu’à $600 milliards....
Or, il ne s’agit pas que de Boeing, il s’agit de bien plus que de Boeing…
Un rappel d’abord, selon cet axiome qui nous gouverne, selon lequel il faut tenir compte de tous les facteurs, y compris et même d’abord, avant tous les autres, du facteur psychologique. Dans un des textes de la rubrique Glossaire.dde sur le moment historique fondamental selon nous du “Trou noir du XXème siècle” (1945-1948), nous avons rapporté comment en 1946-1948, l’industrie aéronautique US avait failli s’effondrer, comment elle avait été sauvée de justesse par le gouvernement US et ses commandes militaires après l’interprétation-simulacre par l’américanisme, par Forrestal (Pentagone) et par Marshall (département d’Etat) du “coup de Prague” du 27 février 1948. L’intervention gouvernementale, bien entendu complètement en opposition aux pratiques capitalistes, – What else ? – fut accomplie pour la raison essentielle que cet effondrement imminent de l'industrie aéronautique risquait d’entraîner les USA dans une nouvelle Grande Dépression essentiellement par l’effet psychologique. L’enjeu est considérable et de cet ordre, aujourd’hui avec Boeing, – beaucoup plus psychologique, presque magique si l’on évoque la puissance et l’écho du nom de Boeing, que par les simples calculettes et graphiques des comptables-économistes.
Bien, on dira : même au pire de l’affaire des 737Max, Boeing ne peut pas s’écrouler, comme on vous assure de la virginité de Marie… C’est ce qu’on disait de General Motors, de Lehman Brothers, de Wall Street en 1929, etc. Le problème de Boeing, c’est que son joker-737Max est menacé et que le même Boeing a déjà suscité, par son attitude de déni complètement faussaire dès l’origine du programme Max, un front international contre lui. D’autre part, les autorités US (Trump, la FAA, etc.) ne doivent pas être enchantées par leur “champion” qui les a enfoncées d’abord dans un déni foireux et très dangereux, puis forcées à virer de bord à 180° devant la montée de l’opposition internationale. (Boeing lui-même, virant de 180° instantanément à la suite de ses autorités, affirmant qu’il fallait stopper tous les vols pour examiner le Max après avoir affirmé 12 heures plus tôt que le fer à repasser se portait comme un charme.)
Quoi qu’il en soit, et en nous référant à la période 1947-1948 signalée plus haut, ce n’est pas tant la chute achevée de Boeing, qu’un processus de dégradation en accélération, qui peut répandre comme une contagion psychologique le poison de l’effondrement à d’autres monstres gonflés aux stéroïdes, et par conséquent au paysage économique US lui-même. Il s’agit d’une hypothèse intéressante qu’il faut considérer, sans y croire aveuglément bien entendu ; cela, d’autant plus que la crise risque de durer longtemps alors qu’il faut attendre la fin de l’enquête sur le crash du 737Max, qui sera longue et certainement très agitée, faisant tanguer toutes les structures du Système.
Nous suggérons de suivre cette affaire de près, et surtout de suivre sa communicationqui va jouer un rôle absolument essentiel dabs une époque où, – rengaine, rengaine, – la communication est la principale source de la puissance.
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