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73461erdécembre 2018 – D’abord, la grande nouvelle : le G-20 de Buenos-Aires fut ouvert finalement, en fanfare si l’on veut, ou bien comme un signal divin de mécontentement pour ceux qui ont l’esprit au Ciel, par un tremblement de terre dont l’épicentre était fort proche de la capitale argentine mais de magnitude modérée (3.8 sur l’échelle de Richter) et autorisée par les services de sécurité. On ne crut pas une seconde à une attaque terroriste : le mécontentement divin, certes un peu méprisant, n’en est donc qu’à l’avertissement, pas à la punition... Le journaliste Steve Herman tweeta :
« I was sitting next to @GalloVOA in the @WhiteHouse press filing center here in Buenos Aires and we heard this rumble and saw the chandeliers sway slightly. I assured him that as a veteran of many seismic events this was not an #earthquake. Wrong. »
... “Théâtre d’ombres”, disons-nous dans notre chapeau de présentation, pour “présenter” le G-20 justement. Ce n’est pas tant, ou “plus tant” que tous ces dirigeants aient perdu tout contact avec la réalité du monde, – même si c’est le cas pour certains d’entre eux dans leurs pays, – mais plutôt parce que, dans ce ballet des bouderies, des fausses-vraies fâcheries, des sourires et des accolades convenues, ils représentent et illustrent parfaitement à la fois le tourbillon crisique lancé à une vitesse folle que sont les “relations” (?) internationales et l’extraordinaire chaos qu’est devenu le monde.
Tout est dans les images (photos, vidéos & Cie) dans cette étrange bouffonnerie de Buenos-Aires, et dans ce qu’on nomme le “body language”. C’est à la fois bouffe et tragique, bien sûr, de voir un Trump boudeur ignorer plus ou moins ostensiblement MbS puis Poutine tout en clignant de l’œil vers chacun d’eux, avant de voir ces deux-là, ostensiblement hilares, échanger un “tape sec” (dit “high-five”) de leurs mains complices. Après tout, il y a de quoi s’étonner : l’Arabie de MbS est sensée être au Moyen-Orient le pilier du simulacre hégémonique de l’américanisme et de l’intrigue sanglante anti-chiite et anti-Iran par le biais des agressions en Syrie et au Yémen, tandis que la Russie s’oppose aux entreprises américanistes de l’hégémonie et au djihadisme des sunnites tout en étant un allié stratégique de l’Iran...
(Mais certes, Poutine n’a cure de tout cela, sans doute la seule tête vraiment froide dans cet aéropage. Si les USA approfondissent leur bouderie anti-MbS, – et cela n’est pas impossible, – la Russie est sur les rangs pour prendre la place. L’avantage est double sans même parler de finasseries politiques : des arrangements plus faciles pour manipuler le cours du prix de pétrole et des perspectives de ventes d’armement. Poutine joue toujours le possible, le “au-cas-où”, sans chercher la certitude du probable.)
Le héros de la triste fête de Buenos-Aires est bien entendu, à nouveau, le président des USA avec son faux-vrai air boudeur. Il a amené au G-20 l’ensemble des entrelacs politiques et déments de la crise qui secoue “D.C.-la-folle”. L’anecdote de sa décision d’abandonner l’entretien convenu avec Poutine vaut le détail et le détour.
Peu avant son départ de Washington, il disait encore aux journalistes qu’il envisageait avec optimisme et espoir sa rencontre avec Poutine. Pendant le vol et derrière le prétexte des suites de l’incident de la Mer d’Azov, déjà connues lorsqu’il annonçait qu’il verrait Poutine avec plaisir, il tweeta qu’il avait changé d’avis et qu’il ne rencontrerait pas Poutine. Le langage est, pour un Trump, étrangement, – ou pas si “étrangement” que cela, – exempt d’agressivité et de conviction puisqu’il est dit qu’“il vaudrait mieux pour les deux parties” qu’on ne se voit pas, et qu’il (Trump) attend l’occasion d’un “vrai sommet” avec Poutine.
« Based on the fact that the ships and sailors have not been returned to Ukraine from Russia, I have decided it would be best for all parties concerned to cancel my previously scheduled meeting... [...] ...in Argentina with President Vladimir Putin. I look forward to a meaningful Summit again as soon as this situation is resolved! »
D’autre part, on ne manqua pas de remarquer que c’est pendant le vol que s’est décantée l’affaire où il a été annoncé que le procureur général Mueller (Russiagate) inculpait l’ancien avocat de Trump, Michael Cohen, lequel a annoncé à son tour qu’il plaidait coupable dans un sens qui met Trump en grave danger. Cohen est un avocat véreux, exécuteur qui lui allait comme un gant des hautes œuvres et des coups les plus pendables de Trump, – il n’en manque certes pas ; Cohen qui a rompu avec le président et qui se bat pour éviter la prison.
C’est dans l’affaire hautement “politisable” et effectivement politisée du projet d’une Trump Tower à Moscou qu’il plaide coupable pour avoir menti sur la date de la fin des contacts avec ses interlocuteurs russes et collabore avec le procureur spécial Mueller en espérant éviter la prison. (C’est la deuxième fois qu’il effectue cette manœuvre.) Trump riposte en accablant Cohen et l’on ignore si le projet Trump Tower de Moscou, qui envisageait la construction d’une de ces fameuses tours dans la capitale russe, a été abandonné début 2016 ou à l’été 2017 comme Cohen l’a prétendu successivement et chronologiquement, selon les diverses opportunités d’immunité que le procureur spécial lui proposait.
Peu importe finalement toute cette soupe bien mal relevée où chacun porte son lot de crapulerie ; seul importe pour notre propos que Trump s’est trouvé soudainement impliqué à nouveau dans une affaire qui fait aussitôt l’affaire des justiciers du Russiagate, – bien entendu, puisque c’est but de la manœuvre. Trump se retrouve incroyablement vulnérable à tout ce qui peut sembler russe et ressemble à du russe. On en viendra donc à l’hypothèse que c’est bien plutôt pour cela que Trump a annulé sa rencontre avec Poutine, ce qui donne du sens à la modération de l’annonce de l’annulation. Rudy Giuliani, l’avocat de Trump, met directement en cause Mueller, qu’il accuse d’avoir cherché à saboter la rencontre avec Poutine, – ce qui est chose faite...
Tout cela posé, on en vient à se demander quel intérêt peut avoir une rencontre Trump-Poutine comme celle qui a été annulée, dans de telles circonstances ; comme on en viendrait à se demander quel intérêt peut avoir un sommet tout-court, du type que Trump nous annonce pour nous consoler (« I look forward to a meaningful Summit again... »), exactement à la mesure de l’intérêt que peuvent avoir aujourd’hui les rencontres du type G-20, sinon pour acter l’impuissance générale et la paralysie qui règnent dans la conduite des affaires des relations internationales... On peut même avancer que ces rencontres ne font qu’accentuer cette impuissance et cette paralysie.
Ainsi, le ballet Trump-Poutine-MbS n’a fait qu’accentuer le malaise de l’incertitude entre les USA et l’Arabie, avec les arguments spéculatifs pour et contre une rupture avec MbS s’entrechoquant. Il a y a toujours la thèse selon laquelle tout finira par “s’arranger”, comme le suggère sans certitude le professeur en science politique Colin Cavell, disant d’abord que « Les relations stratégiques continueront parce que l’Arabie n’a personne d’autre vers qui se tourner », – ce qui est oublier un peu vite la Russie et l’habile Poutine ; puis observant ensuite : « Combien de temps cette affaire [l’affaire Khashoggi] restera-t-elle dans l’esprit du public ? Les Américains demanderont-ils des comptes ou bien les gens oublieront-ils la chose dans un mois ou deux ? »
La dernière question n’appellent nullement une réponse évidente, – celle des cyniques qui croient à la continuité automatique des infamies du Système. L’affaire Khashoggi date du tout début octobre et elle n’a pas été étouffée, au contraire. Il y a ce vote du Sénat ouvrant la voie à une législation stoppant les ventes d’armes à l’Arabie dans les conditions actuelles, et l’état d’esprit qu’on y relève a été largement renforcé par l’épisode du G-20 et la partie de cache-cache Trump-MbS ; nous confirmons et même renforçons à cet égard toute l’importance que nous accordionsà cette démarche inattendue du Sénat :
« C’est le cas remarquable et complètement inhabituel par rapport à la posture belliciste de l’establishment, du puissant rassemblement bipartisan constitué au Sénat, du progressiste (démocrate) Sanders au libertarien isolationniste (républicain) Rand Paul pour aller vers une législation ligotant la politique étrangère des USA vis-à-vis de l’action saoudienne au Yemen. Le cas est d’autant plus remarquable qu’il se fait contre l’avis des organes de sécurité (DoD, département d’État) et malgré l’hostilité d’Israël à toute mesure risquant de déstabiliser l’Arabie... »
... Et puis non, après tout ! Le G-20 sert à quelque chose, il l’a d’ores et déjà prouvé... Car finalement, la seule “satisfaction” que Trump aura trouvé dans ce déplacement, c’est le paradoxe de voir exprimé le soutien de l’establishment pour un pan important de sa propre politique, particulièrement agressif, déstructurant et déstabilisant : la guerre commerciale contre la Chine.
Certes, Trump doit rencontrer Xi à l’occasion de ce G-20 aujourd’hui pour, dit-il, faire avancer les négociations sur la “guerre commerciale” entre les deux pays. Il y a un certain optimisme conjoncturel pour un accord, mais aussi l’appréciation qu’il s’agira d’un accord “qui ne satisfait personne”, – par conséquent une simple trêve dans le cours de la guerre appelée à reprendre... Par conséquent, on doit suivre avec attention et intérêt cette analyse de l’apparition du soutien unanime de l’establishment à la politique de Trump, – grande nouvelle et grande première à la fois.
WSWS.org signale en effet, et interprète comme d’une particulière importance, certains échos venus de centres d’influence de Washington D.C., – ou comment “D.C.-la-folle” redevient temporairement Washington D.C. à l’occasion d’une unité bipartisane retrouvée pour soutenir l’activité furieuse de déstructuration de la globalisation du président Trump, – chose excellente par ailleurs, pour le sentiment antiSystème...
Où il nous est donc donné l’occasion assez rare de voir et d’entendre le Washington Post soutenir le président Trump, allant ainsi jusqu’à justifier et légitimer, en passant, son élection de novembre 2016... Présentation et appréciation dans cet article de commentaire de WSWS.org :
« ...Résumant la montée du sentiment antichinois dans l'ensemble de l'establishment politique américain, le Washington Post écrit dans un éditorial publié vendredi: “Là où il y avait un consensus bipartisan en faveur d'un large engagement avec la Chine, il existe maintenant une déception presque également partagée devant l’absence de volonté de la Chine de rendre la pareille, comme il était conclu”.[...] Le Post continue: Aussi brutalement hostile qu’elle paraisse, la politique de Trump à l’égard de la Chine ne représente qu’une manifestation extrême du “sentiment national naissant”. Même si “la politique de Trump est risquée”, poursuit le journal, “elle a au moins l’avantage d’avertir la Chine que la tolérance des États-Unis à l’égard de sa politique mercantiliste est épuisée”.
» Il y a quelques mois encore, d’éminents commentateurs avaient déclaré que la guerre commerciale de Trump était une aberration. En juillet, Martin Wolf évaluant la politique de “guerre commerciale des tarifs douaniers” de Trump, écrivait : “Le leader du pays le plus puissant du monde est un dangereux ignorant… Il est si difficile de négocier avec lui parce que personne ne sait ce que lui et son équipe veulent. C’est tout simplement irrationnel et anormal”. Mais la guerre commerciale de Trump avec la Chine est maintenant vantée par ses opposants les plus acerbes comme étant non seulement “rationnelle” et “normale”, mais plus encore comme “démocratique”. Comme l’écrit le Post, “les décideurs chinois doivent comprendre qu'il a remporté la présidence en grande partie à cause de la consternation américaine – en particulier dans le centre industriel – au vu du comportement de la Chine et de ce que le public a perçu comme un échec des autorités américaines à le contrôler...”
» L’un des organes du parti démocrate qui domine la Chambre des Représentants confirme donc que ces mesures de guerre commerciale ne sont pas le produit du comportement d’un fou, mais représentent les efforts de la classe dirigeante américaine pour obtenir l’hégémonie mondiale américaine par des menaces militaires et une guerre commerciale... »
Il y a donc ce constat que Trump ne trouve grâce aux yeux de ses adversaires les plus acharnés de “D.C.-la-folle” que dans sa politique de complet désordre et de rupture de la globalisation, – ce qui n’empêche et n’empêchera nullement ses adversaires de continuer à le poursuivre avec toute leur haine pour tenter de l’abattre. Or, cette unanimité inattendue s’est imposée à l’occasion du G-20 avec sa rencontre Xi-Trump, – quel que soit le résultat que donne cette rencontre puisque nous parlons d’une politique et d’une stratégie générales.
On jugera donc que cette unanimité extraordinaire de Washington par rapport à une politique de Trump constitue au fond un résumé de ce G-20 et de son utilité : il s’agit de la seule chose vraiment nouvelle survenue à l’occasion de ce G-20, et sous la pression de l’événement en un sens. Ce G-20 s’est justifié de s’être réuni, par rapport aux résultats obtenus, que comme un accélérateur du désordre. Ce G-20 n'est d’ailleurs, dans les conditions actuelles, que la duplication des G-20 en général, des rencontres internationales mettant en cause des adversaires selon le rangement actuel, des sommets occasionnels qui sont annulés ou des sommets préparés à l’avance qui évoluent dans le sens du pourrissement, la duplication de toutes ces réunions qui ne sont justifiées que comme des accélérateurs du désordre elles aussi.
Par conséquent, le seul gagnant à sortir de l’événement est le Système dans son processus de surpuissance basculant continuellement vers des logiques d’autodestruction. En bon petit soldat du Système faisant de l’antiSystème par effet mécanique, puisque “bon petit soldat” par conséquent du processus d’effondrement du Système, – transcription opérationnelle de l’équation surpuissance-autodestruction, – Trump poursuit son travail de carnage de la globalisation. La grande nouvelle accouchée à l’occasion du G-20 est que Washington D.C., remplaçant un instant “D.C.-la-folle”, le suit complètement dans cette entreprise.
Qu'on se le dise comme on le mesure : tous ces acteurs sont parfaitement des marionnettes de la Grande Crise de l’Effondrement...
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