Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
64103 juillet 2019 – Après le choc de l’extrême fin du mois dernière, l’espèce de nonchalante folie inconsciente avec laquelle Poutine a lancé son “paradigme badin” absolument relaps (« Le libéralisme est obsolète », – on croit rêver), on se trouve plongé dans une horror storycomme les croyants de l’Europe-UE et de sa liturgie intégriste en ont déjà connues beaucoup. La “crise” (qu’est-ce qui n’est pas crisique aujourd’hui ?) de l’accord de libre-échange UE-Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) qui a été l’un des rares sujets de quasi-accord au G20 d’Osaka, tombe à un bien-plus mauvais moment que les précédents crisiques du genre, dans tous les cas en France qui est une des deux poutres-maîtresses de la susdite Europe-UE, certes complètement pourries mais poutre-maîtresse tout de même.
... Mais, répliquera-t-on, chacune de ces horror stories de la liturgie de l’Europe-UE tombait toujours “au plus mauvais moment” par rapport aux moments précédents des précédentes stories, n’est-ce pas ?
... Mais, répondra-t-on une fois de plus qui est peut-être la bonne, c’est vraiment un très-très “mauvais moment”, surtout pour la France qui vient de retrouver le savoir-faire des batailles sociales, avec un nouveau modèle, adapté-postmoderniste, – le modèle-GJ (Gilets-Jaunes).
Il se trouve que l’activisme européen de la France, avec une Allemagne désormais souffreteuse au rythme des tremblements de Merkel, est plus que jamais nécessaire pour soutenir la cohésion d’une Europe agitée de crises multiples, institutionnelles, internationales et nationales dans le chef de ses États-membres. Or l’activisme français dans cette affaire, s’exercerait plutôt contre la doxa européenne, dans le chef de cet accord infâme. Dominant le tout, et répercutant diverses crises parcellaires dont justement celles de nombreux États-membres, il y a cette sorte de contradiction qu’on trouve chez les zélotes passionnément attachés aux enseignements de leur religion, de rester aveuglément attachés, c’est-à-dire prisonniers de leur foi dans le libre-échange et le marché rendant compte de l’hyperlibéralismealors que partout surgissent, sous la poussée des nécessités sociales et politiques, les hérésies traîtresses à cette pureté théologique.
... Car bien sûr, le religion qui est en crise en Europe aujourd’hui n’est pas la religion chrétienne, liquidée en tant que telle depuis un bail, mais la religion de l’hyperlibéralisme avec ses saints divers (le marché, le libre-échange) percés d’autant de flèches que Saint-Sébastien. Tout cela, ce désordre singulier, fait que nous nous trouvons brusquement dans un “tourbillon crisique” qui s’est formé aussi vite qu’un orage dévastateur et furieux, et post-canicule, comme le climat, – lui justement, le climat, – en a aujourd’hui le secret quasiment quotidien.
Avec une foudroyante rapidité s’est formée de facto une singulière alliance, comme on pouvait le constater hier en entendant différents commentateurs, – une alliance entre écologistes tirant sur la gauche et jusqu’à la gauche extrême, les agriculteurs qui pèsent d’un poids énorme en France et sont de toutes les tendances, et les souverainistes, surtout à droite et jusqu’à l’extrême, qui brandissent l’étendard de la “protection” des richesses nationales, faux-nez à peine dissimulé pour le concept impie de “protectionnisme”.
Il faut dire que l’accord UE-Mercosur les accumule, comme on enfile des perles.
• Il ouvre le marché européen au déferlement des produits d’élevage et d’agriculture, de l’immense Brésil notamment, à des prix sans concurrence puisqu’au Brésil les salaires de misère type-Bolsanaro permettent cela. La puissante agriculture française, ou disons ce qu’il en reste, se trouve menacée de plein fouet. Quoi qu’on pense de l’état de cette agriculture, de son rôle par rapport à certaines pratiques, elles-mêmes par rapport à l’équilibre et à la bonne pratique autant des cultures et de l’élevage, que de l’environnements et de la situation du monde si l’on veut, il s’agit d’une attaque extrêmement puissantecontre ce que l’on a coutume de percevoir comme un des fondements de l’identité et de la souveraineté de la France.
• Parmi les pays du Mercosur, c’est surtout le Brésil de Bolsonaro qui fait hurler de rage les écologistes. Le pays est plongé dans une tourmente de corruption, de scandales, de désordre au niveau de ses structures étatiques. Surtout, accusent les écologistes, Bolsanaro, avec le soutien plus ou moins explicité de Trump, veut poursuivre, accélérer jusqu’à la néantisation de la chose, la déforestation de l’immense Amazonie.
• La question qui se pose d’une façon récurrente lorsqu’on voit le rôle et le comportement de l’Europe-UE (disons la Commission Européenne [CE], pour faire court), notamment depuis la fin de l’URSS et 1989-1991, est de savoir pourquoi et dans quel but elle se trouve sur une ligne si intransigeante pour le respect quasi-dictatorial des règles du marché et du libre-échange, – lesquels prônent justement l’absence de règles. Nous devons admettre que nous nous trouvons sur un terrain irrationnel, l’argument de base pour l’application de l’hyperlibéralisme dans tous ses effets et dans tous ses états étant de type théologique. La doctrine du libre-échange et du marché est une “foi” pour la bureaucratie bruxelloise, malgré les effets qu’on constate et qu’elle-même déplore ; les changements opérés dans le monde chez divers acteurs, dans le sens du protectionnisme et de l’unilatéralisme sous des formes variables, et qui mettent chaque fois l’UE en position délicate, n’y changent rien.
Nous avons souvent développé cet argument, par exemple lorsque nous représentions les institutions européennes comme une “Secte”ou comme une sorte de Mordorlors de la crise grecque de 2015, que la bureaucratie bruxelloise est de type religieux. La crise grecque, justement, l’a bien montré. Mais la différence de situation en 2019, par rapport à 2015, est frappante, selon une évolution qui s’amorçajuste après la “résolution” de la crise grecque et à cause de cette crise : partout, y compris à l’intérieur de l’UE, se développent des foyers d’hérésie, et les États-membres garants de cette foi par leur puissance sont aujourd’hui dans une position extrêmement différente du fait du profond affaiblissement par rapport à l’idée de l’UE qu’ils subissent. Tant l’Allemagne que la France subissent des crises intérieures, affichées ou larvées, qui vont toutes dans un sens centrifuge mettant en cause le centre bruxellois et la pureté de la doctrine de la foi. Ces attaques des grandes puissances européennes ne sont certainement pas volontaires dans les effets qu’elles provoquent, car paradoxalement ce sont leurs faiblesses (leurs crises) évidemment involontaires qui sont responsables de cette évolution. Cela est d’autant plus grave.
« Il est urgent d'affronter la réalité climatique, écologique plutôt que de toujours lui tourner le dos. Nous devons absolument nous rassembler, au-delà de toutes nos barrières politiques, religieuses, pour changer nos modes de vie. En temps de guerre, on est capable de s'unir sur l'essentiel. Et nous sommes en guerre ! »
Nous revenons à l’actualité de la destruction du monde avec le tonitruant Nicolas Hulot, parlant dans le tourbillon des effets du G20 et de l’accord UE-Mercosur, et de la super-canicule de la fin-juin. Tous ces éléments disparates s’ajoutent pour charger des psychologies déjà angoissées, survoltées, pressées par un temps crisique sans précédent, par les fureurs de la postmodernité voulant modifier notre civilisation de fond en comble (certes, pour ce qu’il en reste), tout cela couronné par le scandale national de quelques CRS lacrymogénisant quelques manifestants écologistes plus ou moins radicaux pratiquant un sit in à l’entrée d’un pont de Paris. Tout est bon, l’énormité comme le dérisoire, pour pousser au paroxysme crisique qui marque cette étrange époque...
Nicolas Hulot, donc, personnage d’une formidable influence dans le système de la communication qui règle tout de nos conceptions et de nos politiques :
« Sur tous les fronts. Nicolas Hulot est parti “en guerre” ce week-end contre l’accord de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Mercosur. Au diapason de nombreux élus écologistes, l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire a multiplié les interviews pour dénoncer un accord’“antinomique” avec la lutte contre le dérèglement climatique.
» “Il est fini le temps où j’arrondis les angles, terminé, j’en ai ras le bol”, a ainsi lancé Nicolas Hulot au Monde. “La mondialisation, les traités de libre-échange sont la cause de toute la crise que nous vivons.”
» “Le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques”, a-t-il encore accusé dans une tribune parue dans « le Journal du Dimanche”.
» Dans son viseur, l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), conclu ce vendredi après plus de vingt ans de négociations, qui inquiète agriculteurs et ONG spécialisées dans les questions environnementales. »
En quelques interventions qui ont secoué les élites françaises autant que le reste, et finalement aussi bien quoiqu’indirectement les institutions de l’Europe-UE qui se chamaillaient à Bruxelles pour se trouver ses nouveaux grand’prêtres sans importance ni rayonnement, Hulot a mis les pieds dans le plat des évidences meurtrières. Son principal apport dans cette sortie furieusedans le champ de bataille du système de la communication est de mettre en rapport direct, à ce moment (après le G20 et la canicule) et avec cette puissance dépourvue d’artifices le désastre environnemental et l’action de l’hyperlibéralisme comme moteur de ce désastre, – le rapport direct, de cause à effet, entre le Système et la destruction du monde.
Effectivement, dans les jours qui suivirent, et alors que s’élevaient les geignements humanistes contre la “répression lacrymogénisante” des CRS, les commentateurs-Système se trouvèrent dans le plus grand embarras pour parvenir à sortir le Système et l’hyperlibéralisme de l’attaque de ce tsunami de bienpensance mettant ainsi à l’index ces événements. Le débat était relancé, et accroché à l’aiguillon d’événements en cours (le traité UE-Mercosur, toujours en processus d’examen) alors que l’écologie est devenue le cheval de bataille du “jeunisme”, du macronisme et de la bienpensance, alors que, cette fois, il est très marqué par le lien entre le Système et la destruction du monde, – c’est-à-dire le Système ennemi n°1 de l’écologie-vertueuse.
(Où l’on voit que nous ne détestons certainement pas, quand l’occasion s’en présente, de retourner les armes du Système contre lui-même[faire aïkido]. Ici, c’est la bienpensance, le politiquement correct [le PC], à genoux devant l’écologie depuis que “les jeunes” manifestent et que les adultes sans emploi votent pour lui, alors qu’une idole de la bienpensance et du PC, et de l’écologie, désigne comme seul responsable de la destruction du monde dénoncé par l’écologie, le Système lui-même. Nous ne barguignons pas là-dessus et disons : grâce soit rendue, en cette occasion, à la bienpensance et au PC... De toutes les façons, nous savons bien que la surpuissance du Système, dont la bienpensance et le PC sont l’une des armes, débouche sur son autodestruction, par exemple lorsque bienpensance et PC se mettent à l’accabler.)
Pour poursuivre cette situation de l’heure et du jour, et situer son importance colossale en la mettant en perspective, on reprendra deux textes déjà publiés sur ce site, qui exposent sa position sur la question de la soi-disant “crise climatique” (exposée par PhG), et la question fondamentale du lien entre le Système de la modernité et la destruction du monde qui passe évidemment par la catastrophique “crise environnementale” dans son sens le plus large.
Nous sommes donc dans un nouveau paroxysme d’une crise climatique, qui est quasi-institutionnalisée depuis octobre 2006 et le “rapport Stern”. Il est rarement question, sur ce site, du fond de la question, entre disons “climatistes” et “climatosceptiques”. Nous préférons désigner cette crise, et c’est déjà une indication, de l’expression beaucoup plus large et volontairement plus imprécise de “crise environnementale”. La différence est évidente : la “crise environnementale“ ne peut être déniée, quel que soit le responsable, et elle est directement incluse dans ce qu’il nous arrive de désigner comme “la crise du monde”, bien au-delà d’une “crise de régime”, au-delà d’une “crise de civilisation”. L’expression fait entrer l’événement dans la globalité de la Grande Crise Générale, et c’est ce qui importe.
(De ce point de vue, notre intérêt pour la “crise de l’environnement” est évident, sinon fondamental, ne serait-ce que par l’importance que nous attachons au phénomène de l’anthropocène qui est la borne nouvellement créée pour marquer ce qui constitue selon PhG l’une des trois révolutions qui ont déterminé le “déchaînement de la Matière”, et celle qui a évidemment présidé à la destruction du monde, alias “crise environnementale”. [Le début de l’ère de l’anthropocène a été fixé à 1784, comme date symbolique de l’“invention” du moteur à vapeur en Angleterre, qui est un des moments de l’“opérationnalisation” de ce que PhG nomme, d’après le titre du livre d’Alain Gras, le Choix du Feu. Si l’on accepte cette date plutôt que 1825 comme cela apparaît notamment dans La Grâce de l’Histoired’une façon plus littéraire et tout aussi symbolique, – lorsque Stendhal apprend avec horreur que, pour les libéraux, « les Lumières c’est l’industrie », – les trois révolutions du “déchaînement de la Matière” sont 1776, 1784 et 1789.] On trouve partout, sur ce site, des références à cette position par rapport à la question de l’anthropocène, qui est la question de l’action du Système sur l’environnement de notre monde ; le texte du 1er décembre 2013, avec des extraits de La Grâce de l’Histoire, ferait notamment l’affaire.)
Dans ce contexte, il semble utile de ressortir un texte où PhG exposait la position générale du site, qui n’a pas varié d’un iota, sur cette question polémique de l’aspect proprement climatique de la “crise environnementale”. On doit avoir à l’esprit, en lisant ce texte du 10 août 2011, qu’il se situe dans une analyse générale où il est question de l’inconnaissance, vertu que qui fait l’objet d’un sujet du Glossaire.dde., mais aussi des déconstructeurs Deleuze et Derrida, et d’un de leurs critiques qu’on retrouvera sans surprise puisqu’il en a été souvent question dans ce Journal, Jean-François Mattei.
» La question du climat est pour moi le type même de la connaissance qui enchaîne à l’objet, – un véritable débat deleuzien. Nul n’est sûr de rien, les chiffres abondent, auxquels tout le monde fait dire ce que chacun veut, des forces énormes de pression et d’intoxication liées au Système croisent et recroisent dans le débat à pleine vapeur, et pas moins chez les climatosceptiques (Mobil Exxon et les pétroliers, le groupe Murdoch, les partisans de libre-échange en mode turbo, une très forte majorité des élus républicains US si bien qu’on peut dire que les climatosceptiques ont la majorité au moins à la Chambre des Représentants du Congrès, etc.). La polémique est aussitôt de la partie et, avec elle, dans un tel cadre, la manipulation, et l’on est emporté dans ce piège qui colle comme de la glu, qui est le Système. Le tour est joué, tellement prévisible, – il ne s’agit plus du climat mais du Système, c’est-à-dire du Mal. Voilà pour la connaissance dans ce cas ; si je cédais à descendre dans l’arène, je ne suis sûr que d’une chose, pour mon compte, – je serais enchaîné au Système, broyé, concassé, parce qu’il est infiniment plus surpuissant que moi. Donc, je refuse cette “connaissance”-là de leurs débats sur le climat.
» Cela n’implique en rien ni l’indifférence ni l’ignorance, puisqu’il est question d’inconnaissance. Sur cette question du climat, le savoir me dit ceci… L’effondrement du monde, notamment avec son “eschatologisation”, avec la terrifiante dégradation de l'environnement et la perception du désordre du climat par rapport à notre organisation, avec d’autres multiples phénomènes chaotiques qui commencent par la crise de notre psychologie (le plus grave), l’effondrement du monde n’est pas l'objet d'un débat pour mon compte ; c’est un fait évident de tous les jours, une évidence colossale et écrasante que j’observe de ma position d’inconnaissance, la dévastation du monde qui a tout à voir avec le désordre de la modernité, et rien avec le classement scientifique en degrés centigrades dans un sens ou l'autre, et en pourcentage de responsabilité humaine ou autre. L’évidence, c’est-à-dire la vérité du monde, cela existe pour l’inconnaissance, c’est même ce qui lui permet de s’affirmer comme telle puisque cela fait partie de son savoir.
» Plus encore, vu de mon observatoire d’inconnaissance, j’ai deux remarques à faire. On verra qu’elles n’ont nul besoin de la “connaissance” ni de leurs débats sur la “vérité scientifique”, – laquelle est, au vu de l’histoire réelle, qui ne s’interdit pas de remonter au-delà de la Renaissance, une aventure sacrément impudente qui prend parfois des allures, elle aussi, de simulacre. (“Vérité scientifique”, – doux oxymore, quand tu nous tiens…)
» 1). Le débat se fait d’abord, dans sa rage polémique la plus extrême, autour de l’idée du “réchauffement climatique dû aux activités humaines”. Bel exemple de sophisme, que Deleuze ne démentirait pas, – et ils en sont tous coupables, de ce sophisme, des partisans du réchauffement dans ces conditions aux climatosceptiques. Car cet intitulé est faux, archi-faux, une imposture, une inversion comme seul notre Système sait en accoucher… Le Système, justement ; le seul intitulé qui vaille est bien : débat pour ou contre “le réchauffement climatique dû aux activités du Système”. La différence est apocalyptique.
» Tout le débat-polémique sur le climat est complètement subverti par cette imposture sémantique. Je suis sûr qu’elle n’a pas été voulue, parce qu’on fait chez les robots beaucoup moins dans le complot qu’on ne croit et que le sens des mots, finalement, on s’en fout ; même les “institutionnels” n’y voient que du feu, de Al Gore (pour) à Mobil Exxon (contre), – sauf qu’ils auraient une mauvaise surprise si le pot aux roses leur était révélé, et qu’on leur annonçait qu’ils débattent, horreur, pour ou contre “le réchauffement climatique dû aux activités du Système”. Quant aux purs, ceux qui croient vraiment à la “vérité scientifique” et s’écharpent en son nom, ils ont toute mon affection et toute mon affliction, car ils sont prisonniers de leur “connaissance”.
» (Détail “opérationnel” : si j’ai tendance à prendre en compte, sans me battre pour elle, certes, la thèse des pro-“réchauffement climatique…”, c’est d’abord parce que c’est elle qui me rapproche le plus d’une mise en accusation du Système, – et alors qu’elle n’est tout de même pas une monstruosité insupportable par rapport à la “vérité scientifique”, référence immensément vertueuse découverte par le groupe Murdoch autour de 2006, avec la montée médiatique des climatosceptiques. On retrouve la ligne de ma pensée.)
» 2). La chose effective et concrète qui m’importe effectivement dans cette affaire, ce n’est ni le réchauffement, ni le refroidissement, ni le “tout va très bien, miss la marquise”, etc., tous ces jugements à l’emporte-pièce pour le temps présent et dépendant de chiffres, lesquels sont tordus jusqu’à ce tout le monde leur fasse dire ce que chacun veut … La seule chose qui m’importe, c’est le désordre qu’introduit cette prévision ou cette appréciation du dérèglement climatique (voilà une expression plus sérieuse, – quoiqu’il en soit du climat), désordre qui est déjà dans les psychologies. Pas besoin de “connaissance” du sujet pour constater cela, l’intuition fait l’affaire : ce désordre est psychologique et il est déjà là, bien présent, lancinant… Confirmation statistique ? (Les statistiques confirment toujours, des années plus tard, fort pompeusement et à prix élevé, l’invention du fil à couper le beurre.) Voici que 44% des citoyens US croient à la “théorie” du réchauffement climatique, contre 51% en 2009 et 71% en 2007 ; la même année que celle des 44% (2011), on nous dit que 77% croient à un redoublement des tempêtes, de l’instabilité climatique par rapport aux tendances admises, donc du désordre. Et dès qu’il y a une tempête aujourd’hui, gémissent les climatosceptiques, on l’attribue au “changement/réchauffement climatique du/indu aux activités humaines” ; eh oui, et qui t’a fait roi ? Voilà la deuxième chose très importante de la polémique du climat : le désordre psychologique est parmi nous, quand on mélange la perception du désastre et le “tout va très bien, misses la marquise”.
» Je parle, moi, du Système et pas du climat, car c’est lui, le Système, qui règne et règle tout dans les conditions que je décris par ses caractères (son hermétisme, son monopole de surpuissance), et qui constitue les données essentielles de ma réflexion. Si les climatosceptiques l’“emportaient” (hypothèse farfelue, que j’évoquais dans dde.crisis pour l’image développée, car personne n’emportera rien dans ce débat), cela ne signifierait pas que le climat est conforme à leurs calculs fiévreux mais que l’équilibre au sein du Système a penché vers eux, c’est tout, et cela sans que le Système ne change rien de sa course, et cette modification de fortune de l’équilibre interne grâce aux activités médiatiques notoirement efficaces et vertueuses du groupe Murdoch, au temps de sa splendeur et maintenant. Je ne participe pas à ces débats-là, parce que j’estime qu’une participation serait une marque d’allégeance au Système, donc une victoire du Système sur moi, – outre que ces débats m’abaisseraient considérablement parce que ce sont des débats réglés par le Système, pour poursuivre son simulacre type-Derrida, Deleuze & Cie. De là l’inconnaissance : je n’ai pas besoin de prendre connaissance de ces débats au sein du Système, et de “me situer” (de me compromettre) par rapport à eux, qui n’ont aucune réalité ontologique (Derrida, Deleuze & Cie, entrepreneurs en destruction d’ontologie par définition). Je ne veux pas m’exposer sans défense, dans mon humaine faiblesse dont je ne peux être tout à fait assuré, au piège de la séduction de la fascination du Mal, car c’est bien cela que représente le Système. (Pour écouter les sirènes, rappelle Mattei, Ulysse avait bien pris soin de se faire lier au mat.) J’ai mes priorités, dont l’essentielle est de résister. Je réserve mon attention à d’autres choses plus importantes, qui dépendent du savoir et de l’intuition haute que privilégie l’inconnaissance, où l’on peut fermement s’appuyer ; et enfin c’est être en dehors, alors que c’est désormais et nécessairement en dehors du Système qui tient le monde dans ses griffes que se trouve la vérité.
» Je veux refuser absolument l’idée d’une substance du Système, lui dénier absolument la moindre essence et le moindre sens, lui opposer, du dehors, hors de portée de sa subversion, une fermeté intraitable, qui le fasse hurler de rage, – et puis, le renvoyer au grand magasin des simulacres, avec ses proches, Derrida, Deleuze & Cie. Cela ne m’empêche pas, inconnaissance et savoir aidant justement, de ne pas ignorer à qui j’ai affaire, et comment... (On peut se reporter à dedefensa.org au jour le jour, ci-dessous.) L’important est d’opposer une frontière à l’imposture. »
Le second texte que nous présentons confirme et surtout prolonge le précédent en développant l’épouvantable dilemme que nous affrontons aujourd’hui, qui conduit à une psychologie de type-apocalyptique, et à une vision collapsologique de notre avenir immédiat de plus en plus répandue.
(Nombre de commentateurs-Système soupirent à cet égard dans l’épisode actuel, qu’ils tentent de contenir dans les bornes d’une rationalité évidemment totalement subvertie par le Système en dénonçant comme une horreur irrationnelle et monstrueuse le démarche collapsologique. Il est vrai que le cri de colère de Hulot ne fait que mettre en lumière la progression de cette collapsologie et le crédit grandissant qu’elle acquiert à une stupéfiante vitesse.)
Ce texte ci-dessous est repris à nouveau d’une publication déjà ancienne : mis en ligne le 27 juillet 2002, et il s’agit d’un texte de la rubrique Analyse, de la Lettre d’Analyse dedefensa & eurostratégie (dd&e), encore active à cette époque, du numéro 20 du Volume 17, du 10 juillet 2002. Cette publication était précédée de l’annonce suivante : « Nous publions ci-après le texte de notre rubrique Analyse, de l'édition du 10 juillet de notre Lettre d'Analyse de defensa. Nous pensons que ce texte vient utilement compléter, élargir et prolonger le texte d'analyse sur Arnold Toynbee que nous avons récemment publié le 19 juin 2002. » (Le texte est repris avec quelques modifications et au moins deux coupures importantes de passages inutiles pour notre propos, qu’on peut retrouver dans le texte du 27 juillet 2002, repris le 10 décembre 2015dans le Glossaire.dde. Certaines expressions employées sont devenues courantes depuis dans notre dialectique, souvent dans une orthographe différente, – comme “anti-système” devenu antiSystème).
Ce texte décrit une des poutres-maîtresses de notre conception générale, – le déséquilibre de notre civilisation, entre son agir et son être, entre une action marquée par une hyperpuissance technicienne devant laquelle rien ne peut résister, et un être caractérisé par un vide devenu si abyssal (à la mesure inverse de sa dynamique de surpuissance) qu’on pourrait le qualifier de complet, qui prive par conséquent cette action de tout sens. Nous considérons bien entendu ce déséquilibre comme mortel, et très rapidement mortelle par conséquent notre civilisation.
L’idée n’est pas nouvelle, comme d’ailleurs toutes les idées fondamentales que la pensée croit développer aujourd’hui, selon une autre de nos conceptions qui est d’observer que notre pensée, à l’image de cette hyperpuissance technicienne, n’a cessé de régresser et de se subvertir dans les détails descriptifs de notre action, depuis plusieurs siècles qui nous font remonter à la Renaissance et au-delà, et engagés dans un processus infernal depuis la charnière des XVIIIe et XIXe siècle où nous situons le “déchaînement de la Matière”. Les idées de base contenues dans le texte reproduit ci-dessous ont depuis, été largement développées et enrichies mais elles restent absolument valables et figurent au centre même de la crise actuelle, déclenchée d’une façon très visible (ce qui mesure son retour dans une actualité pressante) à propos du projet d’accord UE-Mercosur et à la lumière écrasante d’une canicule aussitôt portée au crédit de la crise climatique (qu’elle le soit ou non ne nous importe en rien, du moment qu’elle prend place dans la coalition antiSystème de circonstance.).
Ce qui est donc “nouveau” en matière d’un fait fondamental du fait de la dynamique de cette conception en état de constant renforcement et renouvellement, et aujourd’hui encore avec un nouveau pas en avant, c’est la situation de pression extrême où nous nous trouvons, du fait de la Grande Crise générale, qui nous conduit à une psychologie typique tirant la conséquence da la situation exposée, ici (dans le texte ci-dessous) à son origine pour notre compte. Il s’agit de la nécessité que nous comprenons de plus en plus à mesure qu’elle pénètre notre psychologie – d’où les désignations d’une “psychologie-apocalistique” ou “psychologie-de-l’apocalysme”, – qu’il faut détruire cette civilisation pour nous libérer d’une dynamique qui est celle de notre anéantissement, ou de notre entropisation. C’est dans ce contexte qu’il nous paraît intéressant de re-publier ce texte, car cela constitue d’une part une incitation bien plus pressante à le lire que la simple mention de son existence dans nos archives, et cela incite d’autre part à mesurer la constance de l’existence de cette conception sur ce site.
» Nous développons l'hypothèse d'une explication générale satisfaisant en l'éclairant l'impression que nous ressentons tous, plus ou moins confusément, de façons parfois très différentes, voire opposées, de vivre une période exceptionnelle de rupture. A nouveau, nous insistons sur ce phénomène, sans précédent parce que son origine est mécanique et due à nos capacités technologiques, ce phénomène où il nous est donné de vivre ce temps de rupture et, en même temps, de nous observer en train de vivre ce temps de rupture. C'est à la fois une circonstance troublante et, pour qui réalise cette circonstance et entend l'utiliser à son profit, l'occasion d'une exceptionnelle lucidité. Nous avons les moyens, par la distance que nous pouvons prendre avec les événements, de vivre ces événements, d'être touchés par leur apparence, mais aussitôt de nous en dégager et, distance prise, de distinguer aussitôt les tendances fondamentales et nécessairement souterraines dissimulées derrière l'apparence des choses, derrière « l'écume des jours »
» On voit par ailleurs (notre rubrique de defensa par exemple, et bien d'autres choses) que nous estimons nous trouver dans une période marquée par des excès extraordinaire. Le plus considérable est, selon nous, le conformisme auquel s'est accoutumé l'essentiel de la population humaine. La force de la complicité (ah, nous insistons sur ce terme) établie entre le citoyen et le mensonge virtualiste qu'on lui présente comme explication de son temps est à couper le souffle. Mais reprenons vite notre souffle. Si nous savons y faire, cette extraordinaire supercherie doit nous donner des ailes en fait d'audace dans l'examen d'hypothèses enrichissantes pour expliquer cette fabuleuse et mystérieuse confusion qu'on nous présente comme le meilleur des mondes déjà accompli. Si nous savons y faire, nous pouvons utiliser à notre profit les structures de liberté que le système se contraint lui-même à respecter, parce que de cette liberté dépendent aussi les bénéfices dont il se nourrit. (Liberté de commercer, d'être informé sur le commerce, de faire circuler l'information qui entretient impérativement le conformisme général, tout cela nécessite de laisser subsister ces structures de liberté. Internet est le plus bel exemple du phénomène, structure de liberté pour faire circuler le commerce et l'information favorable au système et qui aboutit également, et surtout, à permettre la circulation de l'information anti-système dans une mesure qui était inespérée il y a 5 ans.)
» Donc, – audace et liberté, et audace fortement liée à la liberté, audace parce que liberté, voilà les antidotes dont il faut faire usage. La question que nous nous posons aujourd'hui concerne une hypothèse sur notre civilisation. Au contraire de ce qu'on en fait d'habitude (civilisation triomphante, civilisation en déclin, débat entre les deux, etc), nous avançons l'hypothèse que nous nous trouvons dans une civilisation caractérisée dans sa substance même (et non seulement par ce qu'elle produit) par l'imposture. Cette explication est nécessairement imprécise mais il n'existe pas de dérivé qualificatif du mot “imposture” (il est impossible d'en inventer un : “imposteuse” serait trop laid) qui résumerait mieux notre pensée. Alors, nous offrons simplement comme expression fabriquée l'expression “civilisation-imposture”, se rapprochant le mieux possible de ce que nous voulons dire.
» L'hypothèse que nous émettons est bien que notre civilisation usurpe le terme de civilisation, et même, pire encore, qu'elle ne devrait plus être là, à sa place de civilisation triomphante. A part le fondement intellectuel qu'on peut lui trouver, cette hypothèse a-t-elle quelque cohérence historique? C'est là où nous voulons en venir, et nous développerons pour cela la substance de l'argumentation étayant notre hypothèse. C'est là où nous nous tournons vers Arnold Toynbee.
» Arnold Toynbee, cet historien des civilisations, d'origine anglo-saxonne, publie en 1949-51 (versions anglaise et française) un ouvrage (La civilisation à l'épreuve) rassemblant conférences et essais, tout cela écrit ou récrit avec l'actualisation qui convient à l'époque de l'immédiat après-guerre (période 1945-47). L'intérêt de l'ouvrage est de cerner l'appréciation contemporaine de Toynbee de la position et du développement de la civilisation occidentale. A partir de là, nous élargirons notre appréciation et en viendrons à notre hypothèse.
» Il y a dans ce Toynbee qui écrit en 1945-47 une convergence intéressante. D'une part il y a une vision historique extrêmement large, embrassant l'histoire des hommes et des civilisations de la façon la plus générale ; d'autre part, l'observation plus spécifique de sa période contemporaine, qui est caractérisée par l'installation par le pan-expansionnisme américaniste de son empire sur le monde.
» Dans l'essai intitulé L'Islam, l'Occident et l'avenir, Toynbee observe la situation contemporaine générale du point de vue des rapports de l'Islam et de l'Occident. Il y observe ce qu'il qualifie de « mouvement [...] par lequel la civilisation occidentale ne vise à rien moins qu'à l'incorporation de toute l'humanité en une grande société unique, et au contrôle de tout ce que, sur terre, sur mer et dans l'air, l'humanité peut exploiter grâce à la technique occidentale moderne ». On voit la similitude remarquable entre l'interprétation du mouvement de « la civilisation occidentale » aussitôt après la guerre de 1945, pour les années 1945-49, et l'interprétation qu'une école historique classique pourrait avancer des événements en cours aujourd'hui.
[...]
» Mais Toynbee offre d'autres points de vue moins optimistes, moins triomphants, sur la situation de notre civilisation occidentale. C'est sa position la plus intéressante et la plus enrichissante, celle où il est pleinement historien des civilisations. D'abord, il remet constamment la civilisation occidentale à sa place, dans la relativité de l'histoire des civilisations, hors du regard déformé d'un contemporain occidental dont « l'horizon historique s'est largement étendu, à la fois dans les deux dimensions de l'espace et du temps », et dont la vision historique « s'est rapidement réduite au champ étroit de ce qu'un cheval voit entre ses œillères, ou de ce qu'un commandant de sous-marin aperçoit dans son périscope ». Ensuite, c'est l'essentiel, il aborde l'appréciation de notre civilisation du point de vue de ce qu'on pourrait nommer de l'expression néologistique de “continuité civilisationnelle”, qui pourrait résumer son appréciation du phénomènes des civilisations, sa thèse si l'on veut.
» L'historien des civilisations Toynbee observe que l'histoire de l'humanité organisée, avec son partage entre ces mouvements nommés “civilisations”, se déroule au long d'une vingtaine de ces civilisations, et nous constituons effectivement la vingtième. Sa vision des rapports entre ces civilisations est du type cyclique ou s'en rapprochant, avec des rapports qu'il juge établis entre les civilisations. Par exemple, ayant rappelé les rapports entre la civilisation gréco-romaine et la civilisation chrétienne qui lui succède tout en lui rempruntant beaucoup, Toynbee écrit que dans «une douzaine d'autres cas, on peut observer la même relation entre une civilisation déclinante et une civilisation ascendante. En Extrême-Orient, par exemple, l'Empire des Ts'in et des Han joue le rôle de l'Empire romain tandis que celui de l'Église catholique est assumé par l'école Mahayana du bouddhisme. » Toynbee note aussitôt le reproche fait par la pensée occidentale, ou « juive et zoroastrienne », à cette conception cyclique. Elle réduit l'histoire à « un récit fait par un idiot et ne signifiant rien » remarque-t-il, paraphrasant Shakespeare. Au contraire, la conception judéo-zoroastrienne voit dans l'histoire « l'exécution progressive et conduite de main de maître ... d'un plan divin ... »
» Faut-il trancher entre l'une et l'autre ? Toynbee tend à suggérer des compromis (« Après tout, pour qu'un véhicule avance sur la route que son conducteur a choisi, il faut qu'il soit porté par des roues qui tournent en décrivant des cercles et encore des cercles »), suggérant en cela une conception cyclique de l'histoire en spirale (chaque passage à un même point vertical se fait dans un plan horizontal supérieur). C'est finalement la thèse que nous recommande Toynbee, en acceptant l'idée d'un sens général de progrès mais qui se constituerait au travers d'expériences accumulées d'affirmations et de chutes successives de civilisations, correspondant effectivement au schéma cyclique. [Enfin, notons que le sentiment moderniste du sens progressiste de l'histoire (« l'exécution progressive ... d'un plan divin ») lié à notre civilisation et contredisant la théorie cyclique est désormais fortement critiqué et plus assimilée à un simulacre virtualiste qu'à une loi historique.]
» Allons à un autre point que Toynbee met en évidence dans ces analyses, qui concerne particulièrement notre civilisation occidentale. Il parle de « ce récent et énorme accroissement du pouvoir de l'homme occidental sur la nature, — le stupéfiant progrès de son “savoir-faire technique” — et c'est justement cela qui avait donné à nos pères l'illusoire imagination d'une histoire terminée pour eux ». Cette puissance nouvelle a imposé l'unification du monde et permis à l'homme occidental de prendre sur le reste, quel qu'il soit et quelle que soit sa valeur civilisationnelle, un avantage déterminant. Cette puissance constitue un avantage mécanique fonctionnant comme un verrou et donnant l'avantage décisif dans les rapports de forces, quelque chose que les lois de la physique et autres des mêmes domaines du fonctionnement du monde interdisent de pouvoir changer.
» Ce fait a bouleversé la marche cyclique par laquelle Toynbee définit les rapports des civilisations, et par laquelle il mesure la possibilité pour l'humanité de progresser au travers cette succession de civilisations. « Pourquoi la civilisation ne peut-elle continuer à avancer, tout en trébuchant, d'échec en échec, sur le chemin pénible et dégradant, mais qui n'est tout de même pas complètement celui du suicide, et qu'elle n'a cessé de suivre pendant les quelques premiers milliers d'années de son existence? La réponse se trouve dans les récentes inventions techniques de la bourgeoisie moderne occidentale. » Voilà le point fondamental de Toynbee: notre puissance technicienne, transmutée aujourd'hui en une affirmation soi-disant civilisatrice passant par la technologie, révolutionne l'évolution des civilisations et bouleverse leur succession.
[...]
» Résumons les arguments que nous donne Toynbee :
» • Son idée d'une approche en partie cyclique de l'évolution des civilisations nous paraît très intéressante. Elle implique qu'on ne peut envisager l'évolution des civilisations indépendamment les unes des autres, qu'il existe une certaine continuité de l'ordre du spirituel autant que de l'accidentel ; que toute civilisation, c'est l'essentiel, a une sorte de responsabilité par rapport à l'histoire, y compris dans son décadentisme, dans sa façon d'être décadente ...
» • Sa deuxième idée concernant notre civilisation est que, la disposition d'une telle puissance technique et technologique utilisable dans tous les recoins et dans une géographie terrestre totalement maîtrisée et contrôlée impose à notre “civilisation” (les guillemets deviennent nécessaires, par prudence) une ligne de développement même si ce développement s'avère vicié et qu'elle interdit tout développement d'une civilisation alternative et/ou successible.
» • Une autre idée, implicite et qui nous semble renforcée de nombreux arguments aujourd'hui, voire du simple constat de bon sens, est ce constat, justement, que l'hypertrophie technologique de notre civilisation s'est accompagnée d'une atrophie des comportements et des valeurs intellectuelles et spirituelles de civilisation, que ce soit du domaine de la pensée, de la croyance, de la culture au sens le plus large. Toynbee nous le suggère, après tout, lorsqu'il dit ce qu'il dit des Anglo-Saxons, qui mènent cette civilisation, de leur suprémacisme qui conduit éventuellement aux pires catastrophes par opposition aux musulmans et (c'est plus notable et intéressant) par opposition aux Français.
» Ainsi pouvons-nous en venir à la spéculation que nous entendions proposer à propos de notre temps de rupture et d'incertitude du sens. Nous avons déjà noté à plus d'une reprise combien il nous paraissait assez vain de faire le diagnostic des maux de notre civilisation, tant celui-ci avait été fait, et fort bien fait, dans les années de l'entre-deux-guerre, avant la polarisation idéologique de l'immédiat avant-guerre (avant 1939), c'est-à-dire dans les années entre 1919 et 1934.
» Notre hypothèse serait alors double, et fondée sur cette idée de la civilisation qui bascule lorsque l'équilibre entre ses capacités techniques et ses vertus spirituelles et intellectuelles se rompt au profit d'une des deux composantes, ce déséquilibre s'accentuant à la vitesse du développement des capacités technologiques dans notre cas et démentant les espérances des esprits rationnels qui espéraient voir en même temps les esprits s'élever, et, au contraire, ces esprits s'abaissant au fur et à mesure qu'ils sont gagnés par l'ivresse de la puissance mécanique.
» Il s'agit bien d'une première rupture, dont la guerre de 14-18 fut la marque la plus terrible. Cette rupture permet une perversion générale, y compris du processus de décadence. Alors que la décadence est une chute, notre puissance technique et technologique permet de dissimuler cette chute et plus encore, de la transformer en une évolution accélérée, une fuite en avant avec toutes les apparences de la puissance, protégés par cette puissance technologique qui empêche les lois naturelles de l'histoire des civilisations de jouer. A côté de cela, et comme on l'a souvent mis en évidence dans nos analyses, une architecture puissante d'information et de communication bâtie grâce au puissant apport de ces mêmes technologies où nous excellons permet d'offrir une interprétation flatteuse, rassurante, voire exaltante, de cette évolution; elle permet même, dans les cas extrêmes dont notre temps est l'exemple, d'offrir une reconstruction ordonnée et crédible de la réalité en une autre réalité (phénomène du virtualisme, devenu, selon notre appréciation, une véritable idéologie en soi).
» Une seconde rupture est celle dont nous proposons le constat et l'interprétation pour notre temps précisément, celle qui survient dans notre temps historique, particulièrement précisée depuis le 11 septembre 2001. Les événements figurés par le virtualisme sont d'une telle puissance que même l'architecture d'information et de communication ne suffit plus. Ce à quoi l'on assiste aujourd'hui est à la fois à l'affirmation totale de la nécessité de l'emploi du virtualisme, et à la mise en évidence parallèle des limites de cette méthode. Ce constat est visible dans l'appel à une “guerre contre le terrorisme” perpétuelle par Washington, artifice de préservation de sa puissance, et la mise en évidence, à mesure, de l'impossibilité d'imposer cette affirmation virtualiste au reste du monde; et, par conséquent, l'éloignement de facto du reste du monde des thèses américaines et de la représentation qui en est faite.
» Nous nous trouvons dans une situation inédite dans l'histoire. La valeur de notre civilisation, sa “vertu civilisationnelle” n'est plus laissée aux lois de l'histoire et à l'habituel processus historique de déclin et de décadence, mais à notre propre appréciation. Cette situation est d'autre part contestée par une partie de plus en plus importante des élites et de l'opinion au sein même de ce qui est nommé “civilisation occidentale”. D'où un débat d'une effrayante puissance et d'une vigueur incroyable, entre ceux, au sein de notre “civilisation”, qui affirment que notre civilisation avec le développement qu'elle impose à tous est plus que jamais l'avenir du monde et qu'il faut la développer sans restrictions ; et ceux qui pensent, plus ou moins confusément, que notre civilisation a trahi son contrat avec l'histoire, qu'elle a perdu son sens de la responsabilité historique à cause de l'ivresse de sa puissance, et par conséquent qui contestent de plus en plus précisément l'orientation qu'elle a prise.
» Cette situation inédite remet en cause l'idée même de “civilisation occidentale”, et cela est effectivement rendu possible, paradoxalement, par la puissance de cette civilisation et son maintien usurpé comme référence du développement humain. L'idée de Toynbee d'une civilisation remplaçant l'autre, d'une chaîne de civilisation, idée finalement contredite par la puissance de la civilisation occidentale qui impose son maintien en position dominante qu'on pourrait juger comme une imposture, pourrait laisser place à l'idée d'un schisme à l'intérieur de cette civilisation. Certains pourraient objecter que c'est ce qui s'est déjà passé avec la Réforme mais il nous semble que la description que nous faisons de l'état de notre “civilisation”, qui est incontestablement fille du schisme, montre que le schisme a tourné à l'imposture. Notre civilisation étant devenue aujourd'hui, par la force de sa technique, la civilisation universelle (d'où les bruits de “la fin de l'Histoire” type Fukuyama et renvoyant au XIXe siècle), la mise en cause de cette civilisation ne peut plus venir que de l'intérieur, et du cœur même de cette civilisation. C'est pourquoi l'on devra prêter attention à deux faits : en quoi la tension des rapports entre l'Amérique et l'Europe ne porte pas sur des notions effectivement schismatiques (de l'Europe par rapport à l'Amérique) ; en quoi la retrouvaille de la nécessité de retrouver des références transcendantes chez ceux-là même qui mettent en question notre civilisation ne réconcilie pas deux pôles perçus pendant des siècles comme ennemis : le besoin de justice (tempo progressiste) et la nécessité des traditions (tempo conservateur, voire réactionnaire). »
Forum — Charger les commentaires