Notes sur leur House of Cards

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Notes sur leur House of Cards

16 juillet 2017 – Au départ, ce n’est qu’une observation anecdotique faite par un twitter plus ou moins anonyme, dit-00Author87, le 7 juillet 2017, avec comme légende : « When you're watching the news but you've seen it all before on House of Cards... » RT a repris ce tweet pour en faire l’argument d’un article, montrant évidemment les scènes concernées.

« Donald Trump’s ascend to the White House has often been compared to something out of fiction. But on Friday at the G20 Summit, Trump’s meeting with Putin in front of the cameras took on the uncanny resemblance of a scene from a Netflix series. [...]

» The G20 summit has already yielded two handshakes between Putin and Trump, with the second official greeting garnering the most interest due to its resemblance to a scene in chapter 29 of the ‘House of Cards. [...] In the 2015 episode, the fictionalized US President Frank Underwood (Kevin Spacey) and President of the Russian Federation Viktor Petrov (Lars Mikkelsen) are at loggerheads over a European missile defense system. »

L’intérêt central de la psychologie

L’anecdotique est dans ce sens que cette similitude n’a guère de signification politique, ne serait-ce que parce que le Petrov-Poutine de House of Cards (il apparaît dans la Saison 3, lorsqu’Underwood est devenu président) n’est qu’une caricature absolument antirussiste de Poutine tandis qu’Underwood, produit direct et impeccable de l’establishment dans l’esprit de la chose (corruption, hypocrisie, double langage et cynisme, cruauté), est lui aussi sans rapport aucun avec Trump. D’autre part, la “similitude” renvoie à la Saison 4 (tournée en 2015 jusqu’au tout début 2016), alors que ce qui nous intéresse ici plus directement, et cette fois avec un sens politique, est la Saison 5 qui a commencé à être diffusé en mars 2017 aux USA et à la fin juin 2017 sur certaines chaînes européennes (francophones).

Nous allons publier deux textes ci-dessous : l’un assez long, qui est une traduction française d’un excellent texte de critique de la Saison 5 de la série de WSWS.org, assorti des quelques phrases du type-trotskiste de rigueur auxquelles il n’est pas nécessaire de s’attarder ; l’autre est beaucoup plus court, un extrait d’une appréciation trouvée dans une lecture extrêmement dans l’air de notre culture-Système, venu d’un hebdomadaire belge de télévision, Moustique. On s’en expliquera plus longuement plus loin, lorsque son tour sera venu.

(Précisons que nous n’avons vu que des extraits la Saison 5 après être au terme de la Saison 4. Mais ce n’est pas l’intrigue qui nous intéresse mais l’évolution des caractères et des psychologies, puis des actes par conséquent, que cette évolution engendre : il y a beaucoup à dire là-dessus même sans visionner la Série 5 dans son détail, et bien suffisamment pour notre propos. Par ailleurs, le texte de WSWS.org, bien que très critique, en dit bien assez sur l’intrigue pour une connaissance de base nous donnant la sécurité qu’il faut dans la connaissance, qui complète effectivement ce que nous voulons et devons savoir de l’évolution de la série sur le plan de l’intrigue pour notre propos théorique qu’on verra plus loin.)

Voici donc d’abord le texte de WSWS.org (en original le 20 juin 2017) : The House of Cards, Saison 5, ou “La mort de l’Âge de la Raison”.

The House of Cards, ou “La mort de l’Âge de la Raison”

« Dans la Saison 5 de la série Netflix House of Cards [“château de cartes”], l’administration du président Frank Underwood (Kevin Spacey) fabrique une menace terroriste pour influencer une élection, ordonne l’assassinat d’un citoyen américain qui a été détenu et torturé en secret, fait un usage régulier des scandales sexuels et d’enregistrement secrets pour faire chanter un parlementaire et manipuler l’opinion publique, et est finalement confrontée à des factions dans la communauté militaire et du renseignement qui s’opposent à la présidence Underwood.

» Si les auteurs de la série avaient commencé chaque épisode avec la mention “inspiré d’événements réels”, ils auraient été parfaitement dans leur droit. Il n’y a rien dans House of Cards qui est exagéré par rapport à la réalité. Avec les administrations successives impliquées dans les crimes les plus barbares, avec des éléments ouvertement fascistes peuplant les pièces de la Maison-Blanche, n’importe quelle personne visionnant la série ne peut être choquée ni éprouver la moindre incrédulité. Tout est entièrement crédible et dans les habitudes de Washington D.C.

» Les événements décrits dans ces épisodes n’appartiennent nullement à un futur dystopien mais à un présent parfaitement reconnaissable. L’élite criminelle de la série se retrouve parfaitement dans celle qui domine la vie officielle des États-Unis. Si les auteurs de la série éprouvent quelque difficulté, c’est en tentant de suivre le rythme du crime et de la dépravation de la véritable vie de Washington D.C.

» A la fin de la Saison 4, Underwood et sa femme, – et sa co-listière pour la fonction de vice-présidence, – Claire (Robin Bright) étaient engagés dans une bataille furieuse contre leur challenger, le candidat républicain Will Conway (Joel Kinnaman). Risquant de perdre leur élection et de devoir affronter l’exposition publique de leurs crimes, les Underwood résolvent de lutter de toutes leurs forces et par tous les moyens. Déterminés à utiliser la menace d’une attaque terroriste de l’ICO, le surnom fictif donné à Daesh dans la série, pour influencer l’élection, Frank Underwood fixe des yeux la caméra selon le procédé employé dans la série et s’adressant au public (à nous), avertit froidement : “Nous ne nous soumettrons pas à la terreur, nous ferons régner la terreur”.

» Dans la Saison 5, les Underwood tiennent parole.

» Ils prennent diverses mesures pour cette élection. Citant des menaces terroristes (de leur propre invention), les Underwood imposent la loi martiale dans certaines zones urbaines et soumettent de nombreux bureaux de vote à des procédures spéciales, en insistant sur les nécessités de la sécurité mais en fait pour empêcher une partie de la population rurale, notoirement républicaine, de voter.

» Aidan MacCallan (Damian Young), le spécialiste de l’informatique et également hacker, qui a fourni aux Underwood, lors de la Saison 4, un accès aux données de la NSA sur des citoyens US, se fait engager dans cette même NSA pour travailler pour les Underwoood “de l’intérieur ”. Il joue un rôle central lors des derniers jours de la campagne électorale quand il utilise son poste à la NSA pour monter une fausse cyberattaque de l’ICO contre le réseau de télécommunication de Washington D.C. Après qu’il ait terminé son travail pour les élections, MacAllan, réalisant qu’il va être liquidé parce qu’il plus d’aucune utilité, préfère fuir le pays.

» Le jour de l’élection, placé devant la possibilité d’une défaite, Underwood provoque un blocage du vote dans le Tennessee et l’Ohio au travers d’une autre fausse menace d’attaque terroriste, et finalement emporte le recomptage de l’Ohio après avoir fait fuité une vidéo impliquant son adversaire Conway, qu’il a obtenue grâce au principal adjoint du même Conway. Ce dernier, Mark Usher (Campbell Scott) sera récompensé par une position de conseiller de haut niveau à la Maison-Blanche démocrate des Underwood. Le programme rend bien compte du cynisme extrême des politiciens capitalistes américains et de la facilité avec laquelle on change de candidats, de politiques et de partis aussi bien que l’on change de cravates.

» Les efforts des Underwood pour manipuler les élections crée un imbroglio dans lequel aucun vainqueur assuré n’apparaît, laissant au Congrès le soin de déterminer qui sera le prochain président. Les Underwood lancent une campagne de chantage, d’espionnage et d’assassinat pour obtenir le résultat qu’ils désirent.

» Le journaliste Tom Hammerschmidt (Boris McGiver) continue de son côté ses investigations pour tenter d’obtenir le plus d’informations possibles sur les Underwood, recevant des fuites de la part d’une source à la Maison-Blanche. Mais même alors que l’étau se resserre autour d’eux, les Underwood montre une fois de plus leurs capacités à reprendre la main dans toutes les circonstances.

» D’une façon générale, la Saison 5 est un succès. Spacey continue à être excellent dans le rôle de Frank Underwood, et Patricia Clarkson est spécialement remarquable dans le rôle de la mystérieuse Jane Davois, une personne qui a des liens personnels avec la communauté du renseignement et à laquelle tout le monde se confie d’une façon follement imprudente. Elle connaît plus de vérités et dit plus de mensonges que n’importe qui d’autre dans la série. Son caractère représente cette fraction du Deep State qui tente de modifier la politique étrangère US en Syrie et elle favorise l’installation de Claire dans le bureau ovale. Elle encourage les Underwood à monter une attaque chimique en Syrie de façon à avoir un prétexte pour lancer une guerre contre les intérêts russes dans le pays. Ce passage est le plus intrigant par sa crédibilité et le plus remarquable.

» La faiblesse de la série reste ce qu’elle a toujours été : une tendance à se concentrer sur les intrigues de palais elles-mêmes, aux dépens des questions sociales plus larges à proprement parler. Il y a peu d’efforts ou des efforts mal à propos pour nous expliquer le fait de la corruption de ces personnalités de la catégorie des Underwood e leurs sous-fifres sinon par des références sur les caractères sexuels réprimés ou détournés de l’un ou l’autre, – l’homosexualité contenue de Frank Underwood, les élans sans joie de sa femme, les obsessions de leur principal conseiller Doug Stamper (Michael Kelly).

» Quelles que soient ces limitations, néanmoins, on peut trouver mille fois plus de vérité à propos de Washington dans la série The House of Cards que dans tous les commentaires lénifiants qu’on trouve dans la plupart des grands journaux et sur les réseaux télévisés. Ici au moins, les secrets évidents le sont justement, ils sont mis en évidence.

» Un moment dans cette Saison 5 tranche sur tous les autres. Durant une audition au Congrès sur les crimes commis par son administration, Frank Underwood brise la loi du silence pour faire cette extraordinaire déclaration à notre intention, nous autres les spectateurs : “Le pont est plein d’ordures, les lois sont bafouées. Bienvenue à la mort de l’Âge de la Raison.” C’est une phrase qui résume puissamment la crise terminale de la démocratie bourgeoise.

» On en vient à la fin à un long aparté où Underwood nous confie finalement le sens des choses qu’il dit aux gens ordinaires : “Oh, ne le niez pas”, dit-il à son audience, ”vous adorez cela. Vous n’avez pas besoin en fait que je m’affirme pour quelque cause. Vous avez juste besoin que je m’affirme. Vous avez besoin d’un homme fort, d’un homme d’action. Mon Dieu, vous êtes prisonniers de l’action et des slogans. Peu importe ce que je dis. Peu importe ce que je fais. Du moment que je fais quelque chose, vous êtes heureux et vous embarquez pour la chevauchée. Et franchement, je ne peux pas vous blâmer. Avec toutes la folie et l’indécision de vos vies, pourquoi pas un homme comme moi ? A la fin, je me fiche que vous m’aimiez ou que vous me haïssiez, du moment que je gagne.”

» Ce discours sonne comme un défi pour le spectateur. Tous les Underwood du monde ont pu si longtemps agir sans le moindre contrôle. Leur brutalité est équilibrée seulement par leur arrogance, par leur confiance, parce qu’ils croient pouvoir faire ce qui leur plaît. Il est temps de leur montrer qu’ils ont tort. »

L’infantilisme postmoderne : Moustique & House of Cards

Voici un autre point de vue. Il est infiniment plus court, parce qu’il ne s’agit que d’un extrait d’un ensemble qui s’attache aux aspects techniques et éventuellement “artistiques” de la série. Cet extrait concerne l’aspect purement politique, celui qu’analyse principalement WSWS.org. Il vient du magazine-TV Moustique, le plus vendu en Belgique, et dont on peut affirmer sans aucun besoin de démonstration qu’il faut partie de la sous-presseSystème universelle dans le bloc-BAO, des domaines populaires de l’entertainment, people (pipole), de pseudo-vulgarisation des problèmes sociétaux, etc., en plus des sacro-saints programmes TV. Il s’agit d’une publication typique de l’endoctrinement de base du Système réalisé par des “journalistes“ dont la culture est entièrement dispensée par le Système avec ses normes progressistes-sociétales. (Moustique du 28 juin 2017, pages 78-79, présentant House of Cards Saison 5, programmé sur BE Série à partir du 7 juillet)... Texte typique, donc, à considérer comme une sorte de pièce archéologique précieuse pour nos lointains successeurs qui chercheront la cause de la catastrophe qui a frappé notre civilisation... Le voici (pour les incultes comme nous-mêmes, nous avons renvoyé deux mots dépendant de notre très-haute culture de notre-postmodernité à leurs intéressantes définitions) :

« POLITIQUEMENT BIZARRE

» Face aux républicains, le parti de Clinton, Gore et Obama, c’est celui des “gentils”, surtout pour nous, européens. Faire d’Underwood un de leurs leaders était une trouvaille géniale, ses vilenies semblant d’autant plus vilaines face aux valeurs de sa formation politique. Ici, impossible d’y croire. Impossible de croire qu’un démocrate puisse piétiner à ce point la démocratie, décider de régner par la terreur et bafouer les institutions. A nouveau, la frontière entre fiction et portnawak est largement franchie.

» ET SURTOUT... LES TEMPS CHANGENT

» Créé sous la présidence Obama, House of Cards fascinait par son côté obscur. C’était Palpatine à la Maison-Blanche ! de la pure fiction, pour jouer à se faire peur. Dans le monde de Trump et d’Erdogan, on réalise qu’elle était prophétique. Aujourd’hui, des Underwood, il y en a plein le JT, en rajouter à la soirée c’est l’écœurement. La boue (au sens propre comme au sens figuré) de Frank nous plombe. Et ce n’est vraiment plus le moment. »

L’horreur de l’infantilisme postmoderne 

Ce texte immédiatement ci-dessus est accablant d’infantilisme, puisque nous sommes décidés à ne pas employer d’autre mot que celui d’infantilisme qui nous signifie l’arrêt du développement du cerveau et de tout ce qui va avec à un stade extrêmement préliminaire, quand le mot même de “culture” n’a pas encore été rencontré. Qualifier de “gentils” un Clinton ou un Obama (laissons Gore de côté), c’est-à-dire l’attaque du Kosovo, les drones liquidateurs, l’attaque de la Libye, l’activisme en Syrie avec ses false-flag, le “coup de Kiev”, etc., c’est effectivement de l’infantilisme ; nous parler des “valeurs” du parti démocrate (les “gentils”), et voir dans le fait de “bafouer les institutions” “de la pure fiction” puisqu’Underwood est un démocrate, c’est sans aucun doute de l’infantilisme.

Nos braves petites babioles postmodernistes croyaient que House of Cards c’était pour le fun, un jeu-video « pour se faire peur » quoi, mais voilà qu’un secret instinct que l’infantilisme n’a pas vu venir avertit l’esprit simple que non, pas du tout, il s’agit du vrai... Même si on tente de s’en tirer en citant Trump (et Erdogan ! Que vient-il faire dans cette salade ? Pourquoi pas le moustachu du Nuremberg ?), c’est comme si l’infantilisme devinait inconsciemment et avec terreur qu’il y a du vrai là-dedans, même et surtout avec le parti des “gentils”.

La vérité du phénomène se trouve effectivement dans l’appréciation de WSWS.org, qui observe que les auteurs de la série ont comme principale difficulté de parvenir à suivre l’aggravation constante de l’horreur et de la corruption à Washington pour nourrir leur vision prospective des événements. La remarque est donc parfaitement fondée : on en apprend bien plus en regardant House of Cards qu’en lisant le New York Times, le Washington Post et Le Soir de Bruxelles, – les trois ensemble même, on vous fera un prix... (« Quelles que soient ces limitations, néanmoins, on peut trouver mille fois plus de vérité à propos de Washington dans la série The House of Cards que dans tous les commentaires lénifiants qu’on trouve dans la plupart des grands journaux et sur les réseaux télévisés. Ici au moins, les secrets évidents le sont justement, ils sont mis en évidence. »)

Bref, le texte des infantiles que nous avons cités n’est rien d’autre qu’une révélation brutale et évidemment tentativement repoussée mais sans grand succès qu’avec la Saison 5 nous pourrions bien être dans la vérité-de-situation de Washington D.C. Par sa simple affirmation horrifiée que ce qu’elle avait pris pour du fun et qui s’avère être une véritable représentation (c’est-à-dire “représentation” selon la définition que des ingrédients décisifs de la substance du modèle de la vérité sont bien présents, et non pas la simulation qui renverse le tout et rompt décisivement avec le modèle), par cette affreuse découvertes l’infantilisme jusqu’alors triomphant devient l’infantilisme terrifié devant le spectacle qu’on lui offre de ses “gentils”... C’est à ce point que l’intérêt de The House of Cards, décelé dès la première saison, se révèle dans toute sa puissance.

La fiction précède la réalité

Ces péripéties qui pourraient paraître accessoires prennent tout leur sens, en effet, avec la série elle-même qui, à mesure des saisons qui se sont succédées, a effectivement accompagné l’évolution de Washington en observant cette évolution, mais justement en en tirant une prospective de plus en plus brutale et de plus en plus violente, et surtout de plus en plus radicale dans le désordre effarant d’un monde du pouvoir en pleine décomposition... Les “infantiles” écrivent « Et surtout les temps changent », et ils ne croient pas si bien dire, mais sans savoir pourquoi ils le disent, comment, dans quel sens, etc., et que cela va drôlement les secouer.

Ce que montre The House of Cards, c’est comment Washington est passé d’un certain ordre dans l’instabilité, ou dans le désordre si l’on veut être paradoxal, ce qui était le rôle d’Underwood au début de la série. Comme chef de la majorité à la Chambre, et donc l’un des hommes les plus puissants du Congrès et de Washington D.C. mais plutôt dans le rôle de flic tout-puissant des troupes parlementaires, il devait faire régner un certain ordre à l’intérieur du désordre complet qu’est Washington D.C. Tout cela va évidemment avec l’illégalité complète, les actes brutaux, les trahisons, mais contenus dans une sorte d’apparence complaisante où tout le monde est tout de même tenu à une certaine solidarité par complicité nécessaire, exactement comme vont les choses dans le monde du crime organisé. On pourrait alors comprendre comment des esprits infantiles peuvent s’y laisser prendre, imaginant qu’au-dessus et autour de tout cela règnent les principes inviolables, et une sorte de paradis collatéral où les “gentils” viendront toucher leurs jetons de présence avant de prendre une retraite bien gagnée, fortune à peu près faite. (Les parlementaires US sont millionnaires en dollars à plus de 95%.)

Mais voilà que le garde-chiourme, l’exécuteur des hautes œuvres de la Chambre et du Congrès, Frank Underwood, devient VP puis, ayant éliminé prestement son président, lui-même, Underwood, président à la place du président. L’homme qui faisait régner un certain ordre dans le désordre général, devient le maître absolu et, changeant brusquement d’activités, il sait évidemment que, pour garder son pouvoir, il doit installer le désordre au cœur du désordre pour que nul ne s’organise contre lui ; garder son pouvoir, pour lui qui est nécessairement illégitime, c’est tout faire pour maintenir son pouvoir, et maintenir son pouvoir s’est élargir le désordre autour de lui en s’assurant qu’il le manipule. La campagne électorale pour son élection (nullement sa réélection, puisqu’il n’a été élu ni vice-président, ni président, procédant chaque fois par manipulation aboutissant à sa nomination arbitraire) sera donc la campagne de tous les désordres, aboutissant sur un désordre pire encore, qui ne peut être identifié que comme une crise de régime et au-delà. En ce sens, elle préfigure la campagne présidentielle 2016-2017, ou plutôt l’accompagne (la saison 5 a été tournée en 2016) et elle en est, dans l’esprit, comme un miroir).

... La fiction explique la réalité

Mais finalement, on en arrive, si l’on embrasse toute la série jusqu’à cette Saison 5 comprise, à comprendre que ce document a finalement saisi l’esprit même du basculement formidable qui s’est effectué à Washington D.C., c’est-à-dire au cœur du Système, c’est-à-dire dans notre civilisation devenue contre-civilisation pour s’écrouler – et tout cela, avec ce simple mot du président Underwood, s’adressant à nous, spectateurs : « ...Bienvenue à la mort de l’Âge de la Raison. » Cette formule même résume l’esprit de la nouvelle époque qui s’est installée avec les présidentielles USA-2016 et ce qui suit depuis, et qui nécessairement marque toute l’évolution du bloc-BAO et du reste, tout fonctionnant à cause de la communication sur les interférences, les imbrications et les fusions de la globalisation dont le principal champ d’action, et le champ d’action de l’effondrement, est la psychologie.

Ce « ...Bienvenue à la mort de l’Âge de la Raison » explique entièrement ce qui se passe aujourd’hui à Washington, où la haine des uns et des autres et des uns pour les autres, haine pure, sans explication rationnelle sérieuse (on ne peut tenir pour sérieuses ni rationnelles les narrative abracadabrante sur Russiagate, les false-flag syriens, etc.), cette haine est le principal moteur, le moteur grondant et dominant de tous les actes d’agression et de corruption, les montages fictifs, les délires qui vont jusqu’aux perspectives guerrières les plus folles, – certes, sans passer à l’acte, puisque tout est communication. On sent bien effectivement que la seule cible et la seule victime n’est pas dans le champ de la géopolitique, des “intérêts nationaux”, de toutes ces choses concrètes et qui ont une substance rationnelle, mais bien dans le champ quasiment exclusif de la psychologie avec ses infinies variétés pathologiques de la schizophrénie, de la paranoïa, de la démence courante (nous dirions “démence de communications“ ou “démence mondaine”), etc. Bien entendu, tous les ingrédients que nous connaissons bien, de l’affectivisme au déterminisme-narrativiste, sont les outils favoris sinon exclusifs de l’esprit.

Nous sommes dans l’esprit de la chose, qui est l’esprit même de Washington D.C. et l’esprit de la crise d’effondrement du Système : « ...Bienvenue à la mort de l’Âge de la Raison ». De ce point de vue, qui n’est pas rien et qui est même l’essentiel, chapeau bas à The House of Cards : l’industrie de l’entertainment, ou “industrie du spectacle”, a réussi à produire ce qui est sans doute un des meilleurs spectacles qui est comme une représentation de la vérité-de-situation de l’effondrement du Système dont elle est l’émanation, effondrement frappant prioritairement et décisivement la tête pourrie du poisson, les élites-Système, ceux-là même qui ont travaillé avec tant de zèle à la construction du “château de cartes”.

Salut à l’involontaire interprétation des forces supérieures

Nous doutons fortement que les divers acteurs au sens larges (scénaristes, réalisateurs, acteurs justement souvent devenus producteurs, etc.) aient conscience de cette interprétation hypothétique que nous proposons. Nous pensons plutôt que leur indéniable et exceptionnel savoir-faire professionnel, aiguisé par le succès, qui les a conduits à réaliser une œuvre de représentation et non une œuvre (?) de simulacre, témoigne d’une inspiration supérieure dont ils ont été le réceptacle inconscient.

Cette série porte une mission qui est de révéler à l’inconscient du public l’état réel du Système et de sa direction, qui est effectivement « ... la mort de l’Âge de la Raison », c’est-à-dire l’arrivée de la crise à son point de fission comme l’on parle de l’explosion nucléaire décisive ; mais nous parlons de l’explosion nucléaire affectant la psychologie...

 

 

Note en forme de P.S.

... Nous irions jusqu’à croire que le côté le plus subversif d’Underwood, natif de Virginie, ce sont ses hallucinations, dans ses périodes de faiblesse, ou de graves altérations de santé (après l’attentat dont il est l’objet). Ses hallucinations dues à son état de coma autant qu’aux drogues qu’on lui administre portent sur son ancêtre, un officier sudiste (général, peut-être ?), ou sur des soldats sudistes dépenaillés qui viennent l’exécuter dans son lit de souffrance comme l’on fait d’un traître, d’un homme qui, en s’installant à Washington au cœur du Système, a trahi la Cause sacrée de ses ancêtres. The House of Cards n’en rate pas une...