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47103 août 2018 – Il ne nous apparaît nulle part, ni évident, ni visible, que l’on ait pris la mesure de l’importance qu’aurait une éventuelle décision de l’USAF de développer une nouvelle version du F-15 (le soi-disant “F-15X”) comme “complément”/“remplaçant” du F-35 de la façon que nous avons envisagée avant-hier. Cela est d’abord dû à l’incompréhension de la véritable signification du programme JSF, en termes aussi bien technologiques, stratégiques, économiques, que symboliques et de communication hégémonique. Nous sommes là bien au-delà des questions de “parts de marché”, de “quincaillerie” et autres.
(Nous tenterons de rappeler cette dimension en republiant plusieurs textes, à différentes périodes entre 2002 et 2010, qui tentèrent d’éclairer la véritable signification du programme JSF. Cet ensemble constitue une sorte de complément, – pas un “remplaçant”, – dit Notes d’archive, des textes généraux dits de Notes d’analyse.)
La décision présumée de l’USAF d’une relance du F-15 doit être considérée comme une “contre-révolution”, ainsi que nous l’avons désignée (« Il nous semble très probable que le F-15X qu’on évoque désormais aura de l’aluminium sur lui, introduisant ainsi une contre-révolution capitale au sein de l’U.S. Air Force. Cette orientation probable d’en revenir au F-15 [le seul chasseur à grande capacité disponible dans l’arsenal de l’USAF, malgré son demi-siècle d’âge, mais complètement modernisé dans sa version F-15X] est par ailleurs inévitable, donnant ainsi une mesure de la catastrophe qu’est le JSF. »)
Cette “contre-révolution” contraste de façon significative avec le vote par le Congrès à une très forte majorité d’un budget évidemment-record pour le Pentagone de 716 $milliards. (Ce chiffre, qui représente dix fois le budget russe, doit être amendé par des dépenses cachées affectées à d’autres organisations que le Pentagone, des suppléments votées chaque année à la demande du Pentagone, etc., – l’ensemble réel avoisinant les 1 200 $milliards.) L’automatisme-réflexe de communication continue à faire considérer ce volume du budget de la défense comme un signe de puissance alors qu’il est exactement le contraire : le signe (très coûteux) de l’impuissance. Pour en rester à note exemple favori qui résume à lui seul cette crise majeure de “l’impuissance de la puissance” US, des budgets en augmentation exponentielle ont financé pendant depuis près d’un quart de siècle et avec 500 $milliards une “révolution” nommée JSF, que l’USAF cherche aujourd’hui désespérément à anéantir sous les coups d’une “contre-révolution”.
Cette question d’une “contre-révolution” est mise à l’ordre du jour alors que les Russes adoptent une position notablement agressive (ils diraient “défensive-agressive”) dans le domaine de la communication, concernant leurs nouveaux armements, la modernisation de leurs forces, leur affirmation de plus en plus suggérée selon laquelle ils sont désormais dans une position de supériorité pour ce qui concerne certaines des plus importantes capacités militaires, vis-à-vis des USA. Les Russes ont réussi, avec dix fois moins d’argent et une discrétion de communication remarquable, non pas une “révolution” mais une “reconstruction révolutionnaire” d’un appareil militaire anéanti dans les années 1990. Désormais, la “discrétion de communication” fait place à une communication ouverte et agressive, qui tient lieu de “dialogue” avec les USA, ou plutôt de “monologue” à destination des USA...
Quelques extraits d’une interview d’un chef militaire russe, le Général de l’Armée de Terre Boulgakov, également vice-ministre de la défense, mesurent la puissance de l’offensive de communication des Russes :
« Au cours des cinq dernières années, l'armée a reçu plus de 25 000 pièces de matériel neuf, comme des chars et des véhicules de combat blindés, et plus de 4 000 pièces d'artillerie moderne et des lance-missiles, a déclaré mercredi le ministre adjoint de la Défense Dmitri Boulgakov. “Selon les agences expertes indépendantes, en 2017, la Russie est en tête du classement mondial en termes de matériel militaire”, a déclaré le général, cité par l'agence de presse RIA Novosti. Boulgakov a également mentionné qu'environ 50% du matériel militaire existant est maintenant complètement nouveau.
» La Russie est en train de subir un vaste processus de réarmement, déclassant les anciens armements de l'ère soviétique et les remplaçant par des forces blindées et une puissance de feu modernes. En novembre, l'armée a signalé que la Russie était devenue le pays ayant le plus de chars, de véhicules de combat d'infanterie et de systèmes de fusées à lanceurs multiples (MLRS). »
Dite en termes assez abrupts, cette adresse a une signification évidente, celle d’un message destiné aux USA, notamment à l’U.S. Army mais d’une façon générale à toutes les forces armées US : “Nous sommes plus forts que vous”... Elle est illustrée par quelques cas d’actions démonstratives qui ont pour effet de substantiver et de donner une image opérationnelle des nouveaux systèmes d’armes les plus spectaculaires, – les plus célébrées par le système de la communication, – de la “nouvelle vague” de la puissance militaire russe.
• Le District Militaire Oriental des forces armées russes a annoncé un tir d’essai réussidu système sol-air S-400, actuellement “star” des activités d’exportation de systèmes russes à grande capacité, et dénoncé à grands cris par les autorités washingtoniennes selon les pays-acheteurs. (« La vente d’un système tel que le S-400 [à la Turquie] serait catastrophique pour nous... », a dit René Clarke-Cooper lors d’une audition du Congrès sur sa nomination d’adjoint du secrétaire d’État pour les affaires politico-militaires.) La version officielle du tir est que l’engin a identifié et détruit « un système complexe évoluant à grande vitesse », ce qui implique que le S-400 était utilisé en mode opérationnel dans sa fonction extrême de missiles antimissiles balistiques.
• L’opération de promotion de la puissance russe la plus remarquable a été un test opérationnel réussi d’un missile supersonique antinavire Kh-31 tiré par un chasseur-bombardier de grande pénétration Su-34. (Le Kh-31 est un missile de la classe des 3,5 Mach, donc encore classé “supersonique”, la nomination “hypersonique” s’appliquant aux vitesse de plus de 5 Mach. Il s’agit essentiellement, dans la même catégorie que le Kh-31, du Kh-47 Kinzhal, donné à 10 Mach et qui fait partie du nouveau “Russian Revolutionnary Weapons Package” [RRWP], comme désigné de façon standard par le renseignement militaire US, présenté le 1ermars dernier par Poutine [Voir Martianovsur ce sujet].)
Le tir du Kh-31 a donc été une sorte de démonstration préliminaire des capacités des RRWP, concrétisé par la désintégration à la vitesse d’un éclair d’un navire de guerre déclassé en Mer Caspienne. La vidéopermet, grâce à la capacité des images, de “visualiser” les concepts évoqués depuis plusieurs mois. A voir la puissance et l’énergie cinétique du choc avec le Kh-31, on imagine l’effet extraordinaire du Kh-47 qui va trois fois plus vite, exactement dans cette fonction et jusqu’à des distances stratégiques de 2 000-3 000 kilomètres selon les capacités des lanceurs (MiG-31 et Tu-22 pour le Kh-47).
En bref, le Kh-31 lancé la semaine dernière parle pour le KH-47. « Il s’agit d’une classe de systèmes d’arme de haute précision avec des capacités de combat multifonctionnelles le rendant capable de frapper aussi bien les objectifs mobiles que les objectifs immobiles, selon un autre vice-ministre de la défense, Youri Borisov, pour Tass. Spécifiquement, les porte-avions et les croiseurs, aussi bien que les destroyers et les frégates font partie de ces cibles. »
Le lieu de l’essai n’est pas non plus innocent. La Mer Caspienne est pour la Russie une position stratégique indiscutable et les efforts indirects des USA de renforcement des contestations de ce statut par d’autres pays riverains (Azerbaïdjan) sont considérés comme une pièce de l’agression permanente par encerclement des USA contre la Russie. L’essai effectué la semaine dernière constitue donc un acte géopolitique opérationnel indiquant les conditions d’emploi en mode “défensif agressif” des nouveaux systèmes d’arme russes, face à ces tentatives de pénétration.
L’évolution comparée des deux puissances, USA et Russie, disons depuis la fin de la Guerre froide et depuis l’attaque 9/11, est extrêmement singulière et en complet contraste avec celle de la Guerre froide où l’on parlait de “course aux armements”. Il n’y a pas de “course aux armements” parce que chacun des compétiteurs poursuit un but complètement différent, selon une logique complètement différente.
• Les USA se considèrent, depuis la fin de la Guerre froide, comme la seule et unique superpuissance, ou “hyperpuissance”, et la compétition se fait d’elle-même avec elle-même, selon les règles de l’exceptionnalisme US, à partir du socle triomphant de “plus grande puissance militaire que le monde ait jamais connue”... Il n’existe qu’une seule véritable puissance, les USA, dont la supériorité globale n’est pas un sujet de discussion concevable, le seul problème étant de savoir comment la puissance des USA s’arrangent avec la perception des USA, les conceptions des USA, la communication des USA et l’hégémonie des USA. Ainsi la puissance bureaucratico-militaire des USA s’est trouvée, selon ses propres conceptions-perceptions, sinon ses propres manigances, confrontée d’une part aux exigences de sa surpuissance technologique sans concurrent possible, d’autre part à la “Guerre contre la Terreur” inventée par ses propres programmes de narrativedans la dynamique de l’attaque 9/11. Il s’en est suivi deux orientations maximalistes :
• D’une part, le développement de programmes technologiques hyper-avancés et hyper-complexes, sans aucune appréciation critique de la vision opérationnelle, débouchant sur des programmes monstrueux pérennisant à la fois l’impasse technologique et la catastrophe budgétaire. Acôté du JSF trônent les exemples glorieusement catastrophiques des frégates DDG-1000 classe-Zumwaltou du classe USS Nimitz“amélioré” en super-grand porte-avions d’attaque, le classe USS Gerald Ford, qui n’en finit pas de boucler et ses budgets et ses essais opérationnels, attendant sans doute que le Kh-47 soit en service pour lui-même prendre la mer... Qu’on se rassure, le nouveau budget du Pentagone pour FY2019 comprend les crédits pour le lancement d’un deuxième classe USS Gerald Ford.
• D’autre part, après les catastrophes initiales post-9/11 de l’Afghanistan et de l’Irak, une révision complète des priorités des forces opérationnelles en service. C’est ce que, en son temps, le “Barbare Jubilant”, le Major Ralph Peters, nomma “The CounterRevolutionin Military Affairs”, c’est-à-dire une réorientation complète des forces opérationnels vers la guerre de basse intensité, avec par exemple un programme de véhicule “anti-bombes-artisanales” démarrant sur un budget de $5 milliards pour la seule année 2005. Pendant ce temps, la dégradation des outils de la guerre conventionnelle de haut niveau se développa et devint très inquiétante à partir de 2009-2010. (Voir les diverses alertes notamment au niveau de l’aviationde combatet de l’USAF, pendant que le JSFs’ébattait dans les dizaines de $milliards dépensés à la volée.)
• ... Nul ne s’est vraiment inquiété de ces diverses situations et aujourd’hui seulement le tocsin commence à sonner, pour la simple raison qu’un concurrent redoutable est apparu en quelques années, entre 2008 et 2018, et certainement à partir de 2015 : la Russie. Désormais, le Pentagone se trouve devant un double renversement : la “contre-révolution” en matière de technologisme, avec les premières manœuvres pour envisager des versions modernisées d’anciens avions de combat (le F-15X) devant la catastrophe opérationnelle qu’est le F-35 ; et une “contre-CounterRevolution”, qui est le retour à la nécessité d’une force militaire capable de conduire une guerre conventionnelle de haut niveau. Car aujourd’hui, les forces armées US, qui ont un énorme maillage logistique global et extrêmement lourd de présence dans plus de 150 pays, n’ont plus de forces armées conventionnelles dignes de cette logistique, et ils ont raté tous les développements technologiques opérationnels efficients et efficaces, tel que le développement de la missilerie hypersonique.
Face à ce formidable “Imbroglio Gordien” que constituent l’effondrement hypersophistiqué et bureaucratique de la puissance militaire US, – immense usine à gaz fonctionnant à plein gaz pour on ne sait quel but, exactement comme le Système dans sa logique surpuissance-autodestruction– les Russes se distinguent par la simplicité exemplaire de leur développement. Au départ, on trouve la catastrophe, qui a l’avantage d’éliminer radicalement la pléthore de forces alourdies, corrompues, bureaucratiquement écrasées, de l’immense simulacre militaire que fut l’URSS dans sa période brejnévienne. Les capacités opérationnelles soviétiques sont réduites à néant dans les années 1990, tandis que subsistent les bureaux d’étude formant une base technologique préoccupée de l’immédiat, de la rentabilité, de l’opérationnalité, etc., pour survivre. De toutes les façons, la simplicité et l’adaptation fondamentale des technologies aux conditions naturelles de la guerre ont toujours caractérisé les conceptions russes, évidentes dans les conditions de détresse et d’alarme (char T-34 et avion d’appui rapproché et antichars Iliouchine Il-2/Il-10 durant la Deuxième Guerre mondiale).
Les Russes ont eu tout un champ libre pour développer leur puissance, parce que leur principal concurrent de la Guerre froide, les USA, avaient définitivement tracé un trait et clamé un diagnostic d’inexistence définitive à propos de la puissance militaire russe (et sur la Russie). Tout le monde analysa avec enthousiasme les faiblesses des forces armées russes pendant la guerre de Géorgie en août 2008 (le pays étant tout de même quasiment envahi en une grosse semaine) ; personne ne nota que les USA n’avaient, pendant cette crise, déployé aucune unité navale importante en Mer Noire, ni renforcé leurs forces aériennes en Europe, – par manque de moyens, et priorités occupées par ailleurs...
Le paradoxe du simulacre suivi d’un simulacre de paradoxe fut bien que les USA (le bloc-BAO/l’OTAN, bref toutes les intelligences du domaine) s’aperçurent avec horreur de l’affirmation des nouvelles capacités russes lors de cette invasion de l’Ukraine orientale que les Russes n’effectuèrent jamais au sens du terme de la guerre conventionnelle. La “prise” de Sébastopol provoque en avril 2014 l’admiration inquiète du général Breedlove, commandant suprême des forces de l’OTAN (SACEUR) : « Nous avons vu des exercices impromptus au cours desquels des formations importantes de forces s’étaient préparées puis avaient développé l’exercice, et puis semblaient en avoir terminé... Et puis, boum ! Les voilà en Crimée, avec des forces prêtes à intervenir, très bien préparées ! » Certes, l’intervention russe à Sébastopol fut remarquable mais elle n’était pas venue de nulle part et ne constituaient en rien quelque chose d’imprévisible puisque, par accord avec l’Ukraine, les Russes y avaient une base navale et l’autorisation d’y déployer jusqu’à 25 000 hommes qui pouvaient circuler librement dans la ville, et qu’encore le transfert de deux bataillons de Spetsnazou de fusiliers-marins y avait été signalé depuis le “coup de Kiev” du 21 février 2014.
Les USA & leurs amis surestimèrent largement les opérations russes en Ukraine, et pourtant, paradoxalement, perçurent justement leurs nouvelles capacités : ils virent la chose sans rien y voir, ni rien y comprendre, instruit de l’événement sans en prendre la mesure, les yeux grands ouverts et aussi aveugle que le Cyclope après le passage d’Ulysse... Un peu plus d’un an plus tard, ils ne virent rien venir du déploiement de la force d’intervention russe en Syrie, fin septembre 2015, qui renversa la situation. Ils eurent ensuite le loisir d’apprécier les capacités russes, mais sans vraiment rien en faire de leur point de vue sinon de lancer une campagne de communication fondée sur le simulacre et poursuivie selon les lois du déterminisme-narrativiste. Certes, les Russes apparaissaient de plus en plus forts, et bientôt supérieurs aux USA dans certains domaines, notamment qualitativement, – et alors ? Il reste comme une Loi de Dieu que la puissance militaire américaniste est sans exemple, sans précédent, sans concurrent, sans rien du tout à la fin...
Rien n’a encore été fait. La “contre-révolution” lancée contre le JSF reste à être menée à bien, et personne ne peut assurer d’une évolution positive. Pendant ce temps, l’hypersonique russe fait son chemin à la vitesse qu’on sait. On ne peut à la fois s’effondrer et relever le gant : puisqu’il est admis que nul, jamais, ne dépassera les USA, laissons-les s’écrouler à leur rythme et nous ramasserons les gants dans les décombres...
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