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363227 juillet 2018 – La dernière éructation en date de The-Donald, mis à part un rapide petit en-cas sous la forme d’un Juncker à jeun, concerne la campagne d’anathèmes contre l’Iran menée notamment par tirs de tweets furieux et menaçants. Le président iranien Rohani riposte sur le même ton. L’agressivité est extrême, de part et d’autre. Par conséquent, et selon le processus habituel, on est fondé à craindre le pire.
(En décomptant d’une façon assez libérale, nous dirions que nous approchons la douzaine dans le chef des campagnes de communication annonçant ou laissant craindre une attaque de l’Iran par les USA, ce de façon très effective sinon “opérationnelle” dans la communication depuis 2005.)
Une nouvelle venue d’Australie nous confie que l’on pourrait bien avoir une attaque pour le mois d’août, ce qui répondrait à la tradition des grands conflits démarrant durant ce mois connu pour sa langueur à la fois climatique et sociale. Ainsi ZeroHedge.com rapporte-t-il le 26 juillet 2018 :
« Alors que la Maison Blanche convoquait jeudi une réunion impliquant des hauts responsables du Pentagone et des conseillers du cabinet sous la direction du conseiller à la sécurité nationale John Bolton, et après une semaine d’échange de menaces entre le président Trump et son homologue iranien Rohani, le réseau australien ABC affirmait que Washington était en train d'élaborer des plans pour attaquer les prétendues installations nucléaires iraniennes dès le mois prochain. ABC cite “des hauts responsables du gouvernement australien” selon lesquels les États-Unis seraient prêts à bombarder la capacité nucléaire iranienne. L'attaque pourrait avoir lieu le mois prochain... »
L’Australie fait partie du groupe d’espionnage électronique de l’Anglosphère dit Five Eyes(Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, UK, USA) et ses installations plus ou moins sous le contrôle des USA de Pine Gap dans le Territoire du Nord australien, devraient jouer un rôle essentiel de relais des satellites d’observation US en cas d’attaque. Les analystes de l’AGIO (Australian Geospatial-Intelligence Organisation), nous précise encore ABC, devraient également jouer un rôle précieux. Les mêmes sources expliquent que ce rôle important de l’Australie vaudrait pour le ciblage, mais ce pays ne participerait pas pour autant à l’attaque présumé.
Pour autant, on ne perd pas espoir du côté australien et, face à cette soi-disant/pseudo-perspective d’attaque US, on exhorte à la plus grande retenue... l’Iran bien entendu(« L'Australie exhorte l'Iran à être une force pour la paix et la stabilité dans la région », nous dit la charmante ministre des Affaires étrangères Julie Bishop).
Le suprémacisme anglosaxon triomphe, l’“empire” piaffe d’impatience et John Bolton semble enfin comprendre pourquoi il se trouve là où il se trouve... Cela n’empêche que, la situation étant objectivement considérée et si l’on prend au sérieux cette poussée de fièvre, de vraies et inquiétantes questions se posent aux planificateurs américanistes.
A côté des habituelles rodomontades anglo-saxonnes et américanistes sous la forme de “fuites” plus ou moins coordonnées portant sur la quincaillerie mondiale et globalisée de l’“empire” et de ses satellites, se pose aujourd’hui une question importante et somme toute assez inédite en raison du poids et de l’influence considérable nouvellement acquis par la puissance dont il est question : la Russie soutiendra-t-elle l’Iran en cas d’attaque contre ce pays ? Le Saker-US avait longuement analysé cette question dans un texte du 7 juin 2018 (« Is Putin really ready to “ditch” Iran? »), dont la traduction française est parue le 2 juillet 2018 sur le site du Sakerfrancophone(« Poutine est-il vraiment prêt à “lâcher” l’Iran ? »).
Il s’agit d’une analyse très longue et très fouillée que nous prendrons volontiers comme référence, aboutissant à une réponse négative : non, Poutine (la Russie) ne “lâchera” pas l’Iran. L’argument est typiquement du Saker, remarquablement informé, notamment sur la situation russe, cultivant une conception politique ultra-réaliste, avec une tendance, selon nous excessive, à accorder une considérable capacité d’influence à Israël (considéré dans ce cas comme le Diabolus Ex Machina de l’attaque contre l’Iran). Ainsi son analyse, et la réponse qu’il donne, sont-elles très intéressantes, à une époque où les relations entre Israël et la Russie sont d’une grande proximité, avec un Netanyahou qui semble abonné à une rencontre au moins bimensuelle avec Poutine. Malgré cela, malgré l’influence qu’il accorde à un “lobby israélien” à Moscou, le Saker-US conclut donc par la négative à la question posée...
« En vérité simple, indépendamment des proclamations et des déclarations politiques, la Chine, la Russie, l’Iran, la Syrie et le Hezbollah dépendent tous les uns des autres et ne peuvent pas se permettre de trahir vraiment quiconque, de peur que l’Empire les élimine un à un. Comme le disait Franklin, “ils doivent tous se tenir encordés ensemble, sinon ils seront tous pendus séparément”. Cela ne signifie pas qu’ils s’aiment, ou partagent toujours les mêmes buts. Ils pourraient aussi jouer les uns contre les autres à un certain point, et même essayer d’obtenir quelque entente “à part” avec les Anglosionistes (souvenez-vous, Assad a pratiqué la torture pour le compte de la CIA !), mais les faits sur le terrain et les rapports de forces au Moyen-Orient limiteront la portée de telles « mini-trahisons », au moins dans un futur prévisible.
» Certes, il faut prendre en compte le facteur saoudien. Contrairement aux Israéliens, les Saoudiens offrent beaucoup de « carottes ». Mais ils sont bien trop arrogants, ils s’en prennent déjà aux intérêts russes non seulement en Syrie, mais aussi aussi au Qatar, et leur forme d’Islamest un vrai danger pour la Russie. Actuellement, les intégrationnistes atlantiques et les souverainistes eurasiens sont parvenus à une sorte d’équilibre au Kremlin. Les premiers tentent de séparer l’Union européenne des États-Unis et de gagner beaucoup d’argent, tandis que les second sont chargés des questions de sécurité nationale, en particulier à l’égard du Sud, mais cet équilibre est intrinsèquement instable et serait immédiatement menacé par une attaque anglosioniste importante. Donc oui, il y a un lobby sioniste en Russie et oui, il agit comme une 5e colonne, mais non, définitivement non, il n’est pas assez fort pour ignorer totalement les intérêts financiers des élites des affaires russes ou, encore moins, les intérêts fondamentaux de sécurité nationale russe. C’est la plus grande différence entre les États-Unis et la Russie : la Russie, bien que partiellement souveraine, est loin d’être une colonie ou un protectorat israélien. Et tant qu’elle garde sa souveraineté même partielle, elle ne “lâchera” pas l’Iran, indépendamment des pleurnicheries et des menaces israéliennes. »
On comprend aujourd’hui l’importance capitale de la question de l’attitude de la Russie quand on admet cette évidence qu’en l’espace d’une décade (disons, depuis le court affrontement entre la Russie et la Géorgie en août 2008) la puissance militaire de la Russie s’est considérablement rénovée. Outre une modernisation et une innovation remarquables, les forces armées russes ont acquis en même temps une souplesse et une efficacité d’interventionqui font que nombre d’analystes placent désormais l’armée russe, dans nombre de circonstances et de types d’intervention, dans une position de supériorité au moins qualitative et le plus souvent décisive vis-à-vis des USA.
Dans ce cadre général et dans le contexte qui nous importe, on s’intéressera à la tournée que vient d’effectuer à Tel-Aviv, à Berlin et à Paris un tandem inhabituel dans sa composition : le ministre des affaires étrangères russe Lavrov avec le chef d’état-major général Valéri Guerassimov. C’est une association tout à fait inhabituelle. Lorsque des affaires diplomatiques et de défense sont intimement mêlées dans des échanges internationaux, on imagine plutôt un tandem entre les ministres des affaires étrangères et de la défense ; dans le cas qui nous occupe, la présence de Guerassimov, sans son ministre et alors que ce ministre n’est ni en disgrâce ni empêché de quelque façon que ce soit, mais avec le ministre des affaires étrangères, est effectivement un événement rarissime. Il est difficile de s’en tenir à l’aspect technique par rapport aux sujets envisagés, alors que des rencontres entre chefs d’état-major sont courantes quand les nécessités techniques l’imposent. Par conséquent, on doit accorder à la présence de Guerassimov une importance politique et symbolique, une sorte de démonstration “diplomatique” de la puissance militaire russe.
(Si on veut, cette présence serait un pendant “opérationnel” du fameux “Pendant des années personne ne voulait nous parler, personne ne voulait nous écouter. Vous allez devoir nous écouter maintenant !” dans le discours de Poutine du 1ermars 2018 où il présentait les nouvelles armes russes. C’est faire l’hypothèse que la présence de Guerassimov est un symbole, sinon plus qu’une nécessité technique. Nous ne l’évaluons nullement comme une menace mais comme une représentation de la puissance militaire russe.)
Le site RéseauInternational.net interprèteeffectivement dans le sens de la symbolique cette présence de Guerassimov, d’autant qu’à aucun moment il n’a semblé être question d’une rencontre avec des équivalents militaires dans les pays visités, mais chaque fois des rencontres avec le ministre des affaires étrangères, puis avec les chefs de gouvernement ou d’État (Netanyahou, Merkel, Macron). Le moins qu’on doive dire est que l’absence de rencontre avec des militaires n’a pas diminué le sens de la présence de Guerassimov, mais l’a au contraire haussée ; de là, effectivement, l’observation d’une signification politique et symbolique. RéseauInternational.net analyse la chose en fonction de la présentation de ce déplacement, avec, pour les dirigeants européens, la question de l’Ukraine en plus de la question syrienne, puisqu’effectivement il fut annoncé que ces deux sujets étaient traités.
Pour notre compte, il nous semble difficile de penser qu’il n’y ait pas eu un seul mot dit sur l’Iran alors que Trump éructait de tweets enflammés à l’adresse des Iraniens, alors que tous les interlocuteurs rencontrés sont directement concernés par la crise iranienne telle qu’elle a été relancée par Trump depuis le retrait US du traité nucléaire. Dans ce cas, la présence de Guerassimov est extrêmement significative.
... La présence de Guerassimov est extrêmement significative, et nous dirions même qu’elle est encore plus significative que pour les seuls sujets de la Syrie et de l’Ukraine, – bien que tous ces sujets, c’est-à-dire ces situations crisiques, soient évidemment liées. Il y a à cet égard plusieurs points à considérer, dont on va voir qu’ils ont directement à voir avec l’homme (Guerassimov) et la fonction (chef d’état-major).
On sait que les relations entre officiels russes et US sont extrêmement rares depuis la crise ukrainienne, si pas inexistantes dans certains cas. On peut admettre qu’il y eut une exception avec les deux ministres, Lavrov et Kerry. Mais l’exception la plus remarquable parce que systématique et inscrite dans la durée fut et reste sans nul doute les relations entre chefs d’état-major (cela vaut, du côté US, pour Dempsey comme pour Dunford qui lui succéda). Les relations entre Guerassimov et Dunford sont en général décrites comme très fournies et cordiales, ce qui a notamment permis ces trois dernières années d’éviter tout incident grave entre les USA et la Russie en Syrie. De même, se sont établies entre les deux hommes une certaine confiance et une certaine compréhension.
On peut très bien conjecturer que la présence de Guerassimov dans une position politique et symbolique de cette importance, si elle constitue effectivement un message sur la puissance militaire russe, constitue par conséquent un message sur l’intention de la Russie d’être fidèle à ses positions traditionnelles, ce qui impliquerait qu’elle ne laisserait pas une attaque contre l’Iran se faire sans réagir. Et ce message-là vaut évidemment encore plus pour Dunford que pour les dirigeants que les deux Russes ont vu lors de leur tournée.
En effet, il y beaucoup plus encore. Il y a cette évidence que Guerassimov ne peut pas ignorer l’hostilité des chefs militaires US à toute attaque risquée ou massive aujourd’hui, sur un théâtre d’opération aussi important que l’Iran, avec le risque de confrontation avec la Russie. Il devrait espérer, et faire tout dans ce sens, pour que les chefs militaires US pèsent de tout leur poids pour empêcher une telle attaque. Le meilleur argument qu’on puisse leur donner, effectivement, c’est l’affirmation symbolique de la puissance militaire russe dans la considération des grandes crises en cours, – et, dans ce cas, peut-être même y a-t-il connivence entre Guerassimov et Dunford sur la manœuvre. On observera d’ailleurs que toutes ces observations valent également, bien entendu, pour l’Ukraine, qui pourrait fort bien devenir un autre théâtre de crise relancé (par la Russie cette fois, et à son avantage) si une attaque US contre l’Iran avait lieu. Cela répondrait bien à la tendance générale de Poutine et des Russes de traiter toutes leurs relations crisiques avec le bloc-BAO d’une façon asymétrique et de mettre de l’asymétrie dans tout, y compris dans la géographie des crises.
Reste bien entendu l’inévitable dernier sujet à aborder pour conclure, qui est évidemment la position des deux protagonistes par rapport à la perspective d’une crise/d’un conflit...
Avec l’Iran, notre religion est vite faite... Le texte de Hamid Ghavari, de ce jour, rend compte assez bien ce que nous pensons de ce grand pays, héritier d’une histoire fabuleuse et d’une culture qui remonte aux origines, et par conséquent de ce que serait son attitude face à une attaque US.
« Il s’agit d’une grave erreur de vouloir contraindre les Iraniens par la force. C’est pourtant bien de cela dont il s’agit. [...] Quelle diplomatie! Et quelle méconnaissance des États-Unis de leur propre histoire avec l’Iran. [....] Cet interventionnisme et cette insolence, que l’on retrouve aujourd’hui, avaient précisément contribué au soulèvement populaire de 1979 et à l’expulsion des américains du territoire iranien. Les États-Unis pourtant récidivent et aggravent leur cas alors que le temps commençait tout juste à effacer ces blessures, et que la jeunesse iranienne semblait désormais conquise par le modèle américain et la diplomatie plus respectueuse et équilibrée incarnée par l’administration Obama.
» Quelle méconnaissance aussi de l’Iran et de ses rapports de forces internes. L’approche américaine ignore que même la majorité des opposants ne souhaite aucunement, en raison des précédents avec les États-Unis, un changement imposé par les Américains, mais aspire plutôt à une évolution interne. Tout gouvernement mené au pouvoir directement ou indirectement par des étrangers, et encore plus par les Américains, serait de courte durée en Iran... »
Avec Trump, de l’autre côté, on commence à en avoir l’habitude, tout doit être passé au crible de l’incertitude : est-il sérieux ? N’applique-t-il pas sa tactique habituelle, qui est une poussée constante aux extrêmes dans la communication pour faire céder l’autre ?Notre appréciation à cet égard n’est pas nécessairement optimiste, bien que nous reconnaissions sans nul doute, et célébrions plus qu’à notre tour à cause de ses effets antiSystème, le caractère absolument roublard du personnage Trump, son manque d’intérêt pour la rigueur voire même la signification des paroles, son jeu constant avec les simulacres et son mépris rigolard pour les engagements même solennels s’il juge qu’il n’y a pas assez de rapport d’intérêt. Pourtant, malheureusement, l’Iran semble éventuellement être l’exception qui, chez lui, confirme la règle. Il y a comme une sorte d’idée fixe chez Trump à l’égard de l’Iran, qui peut être dans ce cas renforcée et le conduire à suivre la voie tracée par ses menaces.
Nous notions cela, avec conséquences, dans notre texte du 09 mai 2018qui ponctuait le retrait des USA du traité annoncé la veille. Mais dans ce cas, en inversant la méthode, nous pourrions aussi bien arriver à une situation antiSystème, notamment avec des remous internes graves dans le sens vu avec les cas Dunford-Guerassimov... Avec Trump, il ne faut jamais perdre espoir à cet égard.
« Il ne fait aucun doute que l’Iran représente pour les USA l’objet fondamental de “la fascination pour la guerre” depuis quarante ans (alors que l’hostilité antirussiste représente “la fascination pour l’hégémonie” passant par l’élimination de tout concurrent qui pourrait prétendre à un exceptionnalisme qui est réservé aux USA). L’Iran n’est pas un concurrent des USA, il est un chiffon rouge agité devant le buffle furieux que sont les USA, ou disons le président Trump ; il est l’obsession majeure du faisant fonction d’hypomaniaque narcissique... L’équipe que Trump a rassemblée autour de lui, – Pompeo et Bolton surtout, – est absolument, religieusement acquisenon seulement à l’hostilité envers l’Iran, mais à la doctrine de regime change portée à son accomplissement par la guerre.
» Il ne faut pas non plus dissimuler ce qui est l’autre aspect de notre thèse, à savoir que cette obsession de la guerre contre l’Iran, par les énormes implications qu’elle porte, constitue également pour les USA un risque suicidaire compte tenu de la fragilité de leur situation interne et de la vulnérabilité de leurs forces militaires en pleine décadence. Cette situation, nous l’évoquions dès 2010, alors que la situation était infiniment meilleure pour Washington, et nous la rappelons régulièrement depuis :
« “La perspective apparaît alors, du point de vue de la communication, extrêmement importante et sérieuse, et elle rejoint une possibilité qu’avait évoquée un néo-sécessionniste du Vermont, Thomas Naylor, en 2010, à propos de la crise iranienne :‘Il y a trois ou quatre scénarios possibles de l’effondrement de l’empire [les USA]. Une possibilité est une guerre avec l’Iran…’ “Après tout, certes, ce serait une bonne manière de régler la “guerre civile” qui fait rage à Washington D.C... »
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