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321918 juillet 2015 – Ces derniers jours, l’on disait Donald Tusk, l’omniprésent président polono-européen de l’UE, suspendu à son téléphone auprès de divers chefs de gouvernement d’États-membres pour les convaincre, au cas où ils en auraient l’idée, de ne pas faire voter leur Parlement sur le bail-out troisième du nom de la Grèce. L’un ou l’autre vote négatif ferait mauvais genre, pour un accord qui semble être devenu un punching-ball pour tout économiste qui se respecte. Même Le Monde montre quelque irrespect pour la maison-mère à cet égard (le 15 juillet 2015) : «“Délirant”, “irréaliste”... Des économistes jugent le plan d’aide grec».
Pour cet instant du temps de cette crise existe comme un certain flottement, sans que l’on ne sache plus précisément qui a fait quoi dans cette partie, qui a été du côté de quoi. L’acteur le plus étrange reste le Grec Tsipras, que tout le monde, notamment parmi les antiSystème, – et nous également par conséquent, – que tout le monde salue avec respect comme “un homme courageux” qui s’est battu jusqu’au bout. Apprécié d’un œil plus froid, ce qu’a fait Tsipras au vu du résultat qu’il a obtenu, volontairement semble-t-il, est inepte, absurde, sans le moindre sens, aggravateur d’une situation déjà catastrophique. (De même et accessoirement mais de façon tout aussi significative, son attitude vis-à-vis de la Russie relève de l’incompréhensibilité par sa maladresse, son inutilité, voire une si grande incontrôlabilité qu’il a fini par faire croire à Poutine que lui, Tsipras, donc la Grèce, s’est joué de la Russie, ce qu’on n’oubliera pas à Moscou [Voir Alexander Mercouris, le 15 juillet 2015, sur Russia Insider.]) Parti pour être un héros qui sauverait son peuple du martyr au prix de son propre martyre s’il le faut, il termine lui-même, Tsipras, comme un martyr sans avoir été un héros et en prêtant main forte au martyre aggravé de son peuple, – parvenant à remplacer le “héros-martyr” par le “bourreau-martyr”. Pourtant, on ne parvient ni à le condamner tout à fait, ni à le mépriser, ni à le ridiculiser ; on lui laisse intacte sa dignité...
C’est un des mystères psychologiques de cette période, et une situation étrange parmi d’autres dans cette période d’après-la-crise (grecque/européenne). L’attachement à l’euro de certains parmi ceux qui devraient en être les adversaires les plus décidés passe toute logique. (C’est le cas de Tsipras, mais Mélenchon le vaut bien sur ce point.) Cet attachement quasi-fétichiste rejoint une sorte d’objet de sorcellerie par le biais de la fascination, entraînant à divers moments et surtout dans les plus intense une autoflagellation intellectuelle et une torture morale inimaginables. Eux aussi, nos antiSystème du moment, ont-ils leur psychologie fatiguée à ce point qu’ils en deviennent complice-Système à leur corps défendant ?
On reviendra plus loin sur ce point de la fascination, en même temps qu’on tentera de faire comprendre qu’en identifiant l’Europe désormais à l’Orque jailli du Mordor, nous ne voulons pas seulement activer un symbole, agiter l’argument ésotérique, – parce qu’en vérité il y a quelque chose de la vérité d’une situation formidable dans cela, exactement comme l’on sait désormais que le Mordor existe. (Secret-défense dévoilé : il se trouve sur Charon, certes, où Soros, Nuland & Cie devraient fixer leur quartier-général pour les révolutions de couleur).
Parmi les situations étranges, il y a le comportement du FMI. L’on sait que le FMI, c’est le super-diable dans la catégorie des “institutions” diaboliques qui sucent notre énergie et notre ardeur. Les Grecs ont constamment cherché à le pousser hors du jeu pour qu’on reste “entre Européens”, croyant ainsi, qu’il existerait une certaine solidarité, – ô immense naïveté hellène, mais qu’il nous arriverait aussi bien de partager, certes. Eh bien, il y a un “jeu du FMI”, et en l’occurrence certains antiSystème s’y reconnaîtraient, et dans tous les cas, certainement tous les adversaires de “la Secte”.
Depuis deux-trois semaines, depuis quelques jours à visage découvert, Lagarde sur le pont, le FMI ne cesse de déverser des boulets rouges sous forme de rapports, déclarations, communiqués, pour montrer que le troisième bailout est une absurdité aux conséquences catastrophiques, – et cette attaque commence à résonner sévèrement en public. La Grèce, qui voulait donc au départ se débarrasser du FMI comme d’un interlocuteur assermenté hors-USA (c’est-à-dire pro-USA, hein), n’a pas aujourd’hui de meilleur allié. A la Commission, on ne décolère pas et les anathèmes anti-FMI sont monnaie courante. Ainsi va le flux antiSystème, de-ci de-là, et même au cœur du système financier soi-disant complètement acquis aux USA, — car le désordre est bien la règle d’or de notre Fin des Temps.
L’analyse que nous recueillons est bien entendu qu’il s’agit d’une offensive délibérée, et qu’elle reste le fait de Lagarde parce que, dans ce genre d’institutions la hiérarchie est une chose extrêmement importante et rien d’essentiel ne se fait sans l’accord, sinon la volonté active, voire activiste, du directeur, – soit de la directrice, – et qu’il est vraiment un peu simpliste d’en faire une marionnette de qui-vous-savez. (Le traitement appliqué à DSK in illo tempore a bien montré qu'un directeur du FMI n'était pas seulement une marinent et qu'on allait jusqu'à le démolir lorsqu'on l'avait pincé.) Outre l’aspect technique qui pourrait expliquer que le FMI ne veut pas avoir la moindre responsabilité dans ce qu’il juge être une catastrophe in the making et qu’il entend ainsi prendre date, une thèse plus politique, plus discrète, certains dirons “plus improbable“ en oubliant que dans ces Derniers Temps agités où tout-est-inversion, l’improbable n’a aucune raison de ne pas se présenter comme probable jusqu’au bout et peut-être même d’exister ; c'est même le contraire, diront certains esprits paradoxaux en allant un peu loin, l'improbable est aujourd'hui le plus probable...
La thèse dit ceci, au travers d’une observation d’une source de bon aloi qui ne néglige pas vraiment l’ironie : “L’affaire grecque, c’est aussi la débâcle des directions politiques, et singulièrement de la France, de Hollande lui-même, qui ne cesse de se montrer de pire en pire en fait de caractère et de volonté. On pourrait après tout imaginer, n’est-ce pas, on pourrait imaginer que Lagarde imagine pour elle-même des ambitions importantes, voire nationales, en France, pour 2017... Cela ne vous rappelle rien ? Après tout, elle est dans la même position que DSK un an avant les élections, et avec elle on est plutôt optimiste pour qu’un coup comme celui du Sofitel de New York ne survienne pas, malgré toutes les manigances des amis américains...”
Rêvez un peu, – Faisons un rêve, disait Sacha, – et voyez Marine contre Lagarde au deuxième tour de 2017, – et surtout, surtout, imaginez les binettes des deux autres, le courte-botte agité et le président-poire... Même jugé si improbable par le commentateur courant, un rêve de cette sorte satisfait l’âme poétique en vous donnant de quoi vous requinquer ; pour un peu, nous entendrions, nous qui avons l’oreille fine collée au sol pour guetter les fureurs telluriques, le diable en rire déjà...
L’intérêt des évènements de ces dernières semaines et surtout de ces derniers jours est d’avoir clairement orienté la lumière et, par conséquent, l’attention et l’investigation, vers cette chose qu’est l’UE alias l’Orque, alors qu’elle commettait le forfait qu’on lui a vue commettre. Comme l’on sait, on commence à avoir une abondante documentation sur son fonctionnement, et notamment l’Eurogroupe, et cela essentiellement grâce aux confidences de Varoufakis qui ne se retient plus, cet ex-ministre grec et ministre-Rock’n’Roll qui s’avère décidément plein de brio et avec le goût du récit imagé.
L’Eurogroupe apparaît de plus en plus comme une sorte d’organisme exécutif de l’“État profond” (l’expression est à la mode en ce moment), – qui serait plutôt un “non-État profond” de l’Europe institutionnelle dont on sait qu’elle n’est pas et ne peut prétendre être un État. L’Eurogroupe est un groupe informel, quasiment sans légalité, une sorte de rassemblement officiel-clandestin des “maîtres du monde”, section-Europe. Nous signalons ici deux interviews de Varoufakis, une de la chaîne ABC australienne (transcription sur InformationClearingHouse, le 14 juillet 2015), une du NewsStateman, en traduction française sur un blog (“Monica M.”) de Médiapart, le même 14 juillet 2015. (L’interview du NewsStateman date d’avant la décision de dimanche de Bruxelles, tandis que celle d’ABC Australia est d’après.)
De l’interview du NewsStateman, et pour éclairer “le non-État profond”, on connaît déjà cette citation immortelle, faite par un lecteur qui signalait lui-même l’interview, et qui nous introduit directement dans le monde des hallucinés de la Secte avec cette remarque de Varoufakis : «Vous avancez un argument sur lequel vous avez réellement travaillé – pour être sûr que c’est logiquement cohérent – et vous rencontrez des regards vides. C’est comme si vous n’aviez pas parlé. Ce que vous dites est indépendant de ce qu'ils disent. Vous auriez pu aussi bien chanter l’hymne national suédois – vous auriez eu la même réponse. Et c’est saisissant, pour quelqu’un qui est habitué aux débats académiques. … D’ordinaire l’autre partie participe toujours et là il n’y avait aucune participation du tout... Ce n’était même pas de l’ennui, c'est comme si personne n'avait parlé.»
Effectivement, – et outre une myriade de précisions, d’analyses intéressantes, – les indications de Varoufakis montrent en général l’extraordinaire puissance au cœur de cet organisme du “non-État profond” (l’Eurogroupe) et ce qui en dépend, non seulement de l’Allemagne mais d’un homme, le ministre des finances Schäuble, sorte de führer dans ses domaines, – ou plutôt pseudo-führer, on verra plus loin pourquoi ... Mais ne devrions-nous pas écrire “... l’extraordinaire puissance [...] en fait pas de l’Allemagne mais d’un homme, le ministre allemand des finances Schäuble” ? En effet, c’en est à un point où, selon les indications de Varoufakis, on peut se demander d’abord quels sont les rapports entre le ministre des finances et la chancelière qui a évidemment autorité sur lui, ensuite s’il n’y a pas soit une certaine rupture de l’autorité, soit un retournement de cette autorité au profit de Schäuble...
On donne ici deux extraits des deux interviews où Varoufakis dit certaines choses sur un ton qui pourrait alimenter cette hypothèse. En même temps, vous recueillez des indications incroyablement révélatrices sur la façon don Schäuble fait régner une discipline de fer, très-à-l’allemande, au sein du “non-État profond”... Parfois, pourtant, Varoufakis rapporte des manifestations de sympathie discrètes, mais hors-réunion, hors de la surveillance de Schäuble, et, – tiens, comme ça se trouve, – de la part du FMI, et l’on devine Lagarde...
• L’interview du NewStateman du 14 juillet 2015. (Rappel : interview réalisée avant le week-end du “massacre de juillet”.)
Harry Lambert : «Quand vous êtes arrivé, début février, il n'a pas pu y avoir une position commune?»
Yanis Varoufakis : «Il y avait des personnes qui étaient sympathiques à un niveau personnel – ainsi, vous savez, derrière les portes fermées, sur une base informelle, notamment avec le FMI [HL: “Aux plus hauts niveaux?” YV: “Aux plus hauts niveaux, aux plus hauts niveaux”]. Mais ensuite dans l'Eurogroupe, quelques mots gentils et c'est tout, retour derrière le parapet de la version officielle.
» [Mais] Schäuble était d'une grande cohérence. Son option était “Je ne suis pas en train de discuter le programme – il a été accepté par le précédent gouvernement et nous ne pouvons pas permettre à une élection de changer quoi que ce soit. Parce que nous avons tout le temps des élections, nous sommes 19, si à chaque fois qu'il y a une élection quelque chose change, les contrats entre nous ne voudraient plus rien dire”. Aussi à ce point il ne me restait plus qu'à me lever et à dire: “Bon peut-être que nous ne devrions plus jamais organiser des élections dans les pays endettés”, et il n'y a pas eu de réponse. La seule interprétation que je puisse donner c'est “Oui, ce serait une bonne idée, mais elle serait difficile à mettre en application. Donc soit vous signez sur la ligne en pointillé, soit vous sortez.”»
Harry Lambert : «Et Merkel?»
Yanis Varoufakis : «Vous devez comprendre que je n'ai jamais rien eu à faire avec Merkel, les ministres des finances parlent aux ministres des finances, les premiers ministres parlent aux chanceliers. De ce que je comprends, elle était très différente. Elle tentait d'apaiser le Premier Ministre [Tsipras], – elle disait “Nous trouverons une solution, ne vous inquiétez pas, je ne veux pas qu'il arrive quelque chose de d'horrible, faites juste votre travail et travaillez avec les institutions, travaillez avec la Troïka; il ne peut pas y avoir d'impasse ici.” Ce n'est pas ce que j'entendais de la part des mes interlocuteurs – à la fois de la tête de l'Eurogroupe et du Dr Schäuble, ils étaient très clairs. A un certain point il me fut signifié sans équivoque “C'est un cheval et soit vous l'enfourchez, soit il est mort”.»
• L’interview à ABC Australia, le 14 juillet 2015. (Rappel : interview réalisée après le week-end du “massacre de juillet”.)
Phillip Adams : «Schauble has been less than helpful of course he came into the weekend talks expecting and I quote “exceptionally difficult negotiations” saying the figures the Greeks submitted were not believable while others were saying just the opposite. Can you explain why the finance minister seems to be seeking the dreaded Grexit.?»
Yanis Varoufakis : «I have a great deal of respect for Wolfgang Schauble, I think is the only person around the euro group that has a plan, I’ll just written an article about this which will appear in a German newspaper on Thursday. Look Phillip, let’s be frank here, these are crucial moments, critical moments in European history and I don’t believe that will be judged anything other than harshly if we don’t speak out at this moment. Dr Schauble wants Grexit, he has been planning for it, he considered it to be an essential aspect of his plan for Europe, for a kind of political union that is now missing, a very specific kind of union, a disciplinarian one, one that is not a federation but one that is based on the capacity of a single fiscal overlord to veto national budgets and therefore to annul national sovereignty and he thinks that Grexit was essential for this because a Grexit would create the fear in the minds and hearts of French and Italian politicians in particular, to force them to acquiesce to the Schauble plan...»
Phillip Adams : «…So you’re saying that Greece is simply a pawn on the board ?»
Yanis Varoufakis : «Well it is. So what we have here is a major clash of titans between Dr Schauble on the one hand and Paris and Rome on the other and the Chancellor Angela Merkel has not committed one way or the other and Dr Schauble who’s been around for a very long time, he’s been here in the centre of the euro project from its inception, he’s not happy with the way that monetary union was not accompanied by a political union, he would probably would like to have a federation but he feels that he doesn’t have the political power to create one so he’s trying to what he considers to be, not me, what he considers to be the second best which must in his mind involve a Grexit that will inspire sufficient fear in Paris and Rome and possibly in Berlin too, in order to bring about that disciplinarian negative political union, negative in the sense that the overlord, the you know, the equivalent of the Federal treasurer will only have negative powers, powers to veto national budgets not creative powers, powers to transfer surpluses and to do a Marshall plan let’s say and the reason I’m saying all this Phillip is not because I have a theory it’s because Dr Schauble has told me so.»
... On notera “en passant” que, selon les mots de Varoufakis, le temps grammatical qu’il emploie, le projet de pousser au Grexit de Schäuble que Varoufakis avait déjà dénoncé (voir le 11 juillet 2015) est toujours d’actualité (voir l’intervention de Schäuble au Bundestag le 17 juillet 2015). Cela nous promet du sport, encore du sport, toujours du sport... Quoi qu’il en soit, nous voilà en plein au cœur de la question de l'Allemagne, de son influence, de ses capacités, de ses buts, mais aussi de la situation réelle au sein de son pouvoir. Si l’on passe de Schäuble à tel autre qui a pris une position de prééminence dans l’appareil européen, on retrouve une même disposition à l’arbitraire, à la tendance autoritariste et tyrannique. Lorsque l’on considère un autre personnage de la bande, ditto Martin Schulz, que l’on pourrait aussi bien désigner comme le Gauleiter (Président en novlangue) du Parlement Européen, on n’en est que mieux édifié, et éventuellement plus préoccupé si on prend au sérieux leur suffisance de puissance, après avoir passé le cas Schäuble en revue.
Ce personnage aimablement identifiée comme social-démocrate (SPD) a, on le sait bien, annoncé qu’il faudrait un regime change à Athènes sans s’embarrasser des complexes et assommantes dispositions inscrites dans la Constitution grecque. Il y a autre chose, de plus récent, dans le chef du Gauleiter : Schulz vient d’annoncer que l’ambassadeur de la Russie auprès de l’UE ne disposerait pas de l’entrée automatique-VIP qui est accordée, selon les usages formels de la diplomatie internationale, à tout ambassadeur en poste. On lui donnera, au Russe, une entrée au compte-gouttes, au “cas par cas”, – car pour l’essentiel c’est une interdiction claire et nette. Selon certains commentateurs, un brin époustouflés, ce geste représente l’équivalent d’une “rupture des relations diplomatiques” totalement unilatérale. Le respect des usages des relations diplomatiques, surtout à ce point de l’importance de la chose, représente, dans les relations entre les nations, la différence entre la civilisation et la barbarie... Pour autant, personne ne moufte parmi nos divers civilisés des membres de l’UE, où les mots “barbarie” et “civilisation” n’ont plus cours parce qu’ils n’ont pour eux plus de sens utile pour l’application de la Grande Politique d’austérité.
Il est évident qu’à tout prendre et pour faire un peu dans la provocation, et à peine encore, on jugerait qu’un von Ribbentrop était plus respectueux des usages diplomatiques que ce Schultz. Par conséquent on comprend mal que Mélenchon se défende avec une telle fougue que certains jugeraient être une frénésie considérable, qui montre une de ses graves faiblesses face à la marée vigilante de la bienpensance des gardiens du “temple-Europe”, de l’accusation infamante d’avoir comparé l’Allemagne actuelle à l’Allemagne nazie, – ce qu’il n’a pas fait d’ailleurs, et qu’il semble réclamer comme un honneur... Certes, nous n’allons pas nous plonger dans la comptabilité de l’horreur que tout le monde connaît bien et qui permet de faire taire les jugements que pourtant les comportements justifieraient, mais nous disons, nous, que pour l’état de l’esprit cela se discute et que cela se plaiderait aisément.
Mélenchon, justement ... Il nous conduit à un autre aspect de la crise qui a complètement pris sa place dans la problématique européenne. Les évènements des derniers jours ont ouvert une plaie sanglante dans le flanc du Système, en découvrant le vrai visage de l’Orque, celui des Allemands qui sont ses commis pour l’occasion ; en découvrant également de façon saisissante l’extraordinaire dissolution du pouvoir régalien français avec l’effritement des psychologies des dirigeants derrière des barrières de mots choisis avec soin pour nous exprimer un vide insondable, comme s’il s’agissait inconsciemment et bien entendu “à l’insu de leur plein gré” d’un appel au secours, — “regardez comme nous sommes vides, il faut faire quelque chose”.
La crise grecque est désormais le cœur brûlant de la crise européenne, laquelle se réverbère elle-même dans autant de crises nationales. Même les Polonais, au moins pour cet instant qui est peut-être promis à se transformer en un nouvel aspect de leur propre crise, se détournent de leur obsession russe pour s’inquiéter des prétentions allemandes (voir FortRus, le 6 juillet 2015). Dans ce tourbillon qui est comme un de ses composants à l’intérieur du “tourbillon crisique”, s’impose donc la crise française. En un sens, nous avons abordé ce cas dans notre texte sur “Mélenchon et son ami Tsipras” (le 14 juillet 2015).
... Lequel texte a déclenché divers commentaires (lecteurs) autour de la question des rapports, ou des non-rapports Marine-Mélenchon, et de la question du rassemblement des “extrêmes antiSystème”, droite et gauche. La question est largement d’actualité, puisqu’un finaud comme notre jeune-ministre Emmanuel Macron déclare le 6 juillet 2015 que le FN n’est rien d’autre qu’un “Syriza d’extrême-droite”, ce qui n’est pas mal vu et déclenche des réactions hystériques au sein de “la gauche de la gauche” («Le FN est, toutes choses égales par ailleurs, une forme de Syriza à la française, d'extrême-droite. Qui adore Syriza chez nous? Monsieur Mélenchon et Madame Le Pen. Avec qui s'allie Monsieur Tsipras en Grèce? Avec son extrême-droite, sa droite souverainiste. Parce que ces populismes sont le même symptôme d'un même mal»). Quoi qu’il en soit de cette formule, on s’arrêtera, pour notre compte, au seul aspect du débat qu’ont abordé nos lecteurs de savoir, si la Le Pen était élue, ce qu’elle pourrait faire puisqu’elle-même ainsi conduite au sein des structures du Système qu’elle prétend combattre.
Cette question est, à notre sens, justement dépourvue de sens, notamment à cause de l’importance structurelle considérable que la France tient dans le dispositif européen et dans la perception qu’on a de l’Europe (cela, sans aucune référence à l’état actuel, nécessairement conjoncturel, de la puissance de la France, de son état économique, etc.). La question de l’élection de Le Pen, dans le contexte actuel d’extraordinaire exacerbation des psychologies, de montée aux extrêmes de ces psychologies, d’exacerbation psychologique de la crise européenne, ne concerne pas au premier chef ce que ferait cette nouvelle présidente mais bien plus évidemment, selon le diktat de la chronologie qui est la référence constante du système de la communication, les conséquences du constat des effets perçus immédiatement comme déstabilisants et catastrophiques (pour le Système) de son élection. Ce jugement n’aurait pas été complètement le nôtre il y a, disons, un petit mois, à cause de tout ce qui s’est passé entretemps et qui laisse une marque indélébile sur les psychologies dans un contexte où le système de la communication en tant que déterminant essentiel de la situation politique autant qu’influence majeure sur les psychologies joue son rôle d’une façon massive et extrême. Même s’il est prévu, annoncé, etc., – la force de la réalisation d’une telle prévision étant colossale, — le seul fait de l’élection de Marine constituerait un bouleversement psychologique si considérable, le jour même en Europe, et notamment par rapport à l’Orque, qu’il est très fortement probable qu’une cascade d’évènements actuellement complètement imprévisibles et même complètement improbables, voire “impensables”, se produiraient. Voilà pour la prévision que nous suggère notre boule de cristal.
Question à ce point : alors, vous voulez toujours “faire l’Europe”, la “faire avancer”, dans ces conditions-là, avec ces gens-là ? (“Je veux que l’Europe avance”, dit le président-poire, bonne pomme.) Mais le fait est qu’il n’y a rien à faire, parce que “l’Europe“, elle est déjà faite, et il y a de quoi trembler pour ceux qui ont les nerfs fragiles. Cela conclu comme thème général de notre commentaire général, il ne faut pas s’en tenir à ces phrases définitives et en venir à une exploration plus précise du principal, – qui mêle à la fois l’Orque et la fascination, tous deux déjà signalés plus haut.
Un aspect important doit d’abord être abordé, selon notre point de vue, qui est la réalité de la domination de l’Allemagne. Les divers épisodes et détails mentionnés, notamment l’ambiguïté qui semble marquer les rapports Merkel-Schäuble, jusqu’à s’interroger de savoir qui commande qui, jusqu’à s’interroger de savoir quel est le but et s’il y a un but dans la pseudo-politique de l’Allemagne, n’ont fait que renforcer notre conviction selon laquelle la puissance de l’Allemagne qui est devenue un facteur d’alarme, de crainte, de fureur, de dénonciation, etc., chez un nombre grandissants de ses “partenaires” européens s’estimant de plus en plus être traités comme des valets attendant le sort de la Grèce, que la puissance de l’Allemagne est un leurre, une illusion, un rideau de fumée, une complaisance faite à la raison pour qu’elle s’y retrouve. A cet égard, le passage ci-après de notre texte du 11 juillet 2015 résume notre jugement, simplement en le renforçant ...
«...L’Allemagne d’aujourd’hui reste l’Allemagne d’une Merkel en pleurs à Cannes parce que l’Allemagne ne dispose pas d’autres outils que sa puissance économique et financière pour conduire cette politique fantasmagorique d’“idéal de puissance” dont les racines remontent, pour la séquence du déchaînement de la Matière”, à la défaite de Iéna contre laquelle Fichte exalta l'Allemagne à se recréer en nation, dont elle (l’Allemagne) a la nostalgie enfouie au cœur d’elle-même, au moins depuis 1989-1991 pour la période que nous vivons. Plus que jamais, les larmes de Merkel doivent être considérées comme significatives d’une forme bien réelle de l’“impuissance de la puissance” affectant l’Allemagne ... On sait ce que nous pensons de cette puissante Allemagne, et les larmes de Merkel, ainsi bien plus pathétiques puisque justifiées...
»“...On ajoutera, si l’on veut de l’exotisme pour faire trembler les foules les rêves bismarckiens-postmodernes de la chancelière rêvant du “IVème Reich” à la tête d’un pays privée d’armée, sous les écoutes bienveillantes de la NSA et les commentaires attentifs d’une presse inspirée par son actionnaire majoritaire qu’est la CIA; contrairement au jugement commun, cette sorte d’hypothèse, pour une puissance si complètement déséquilibrée et donc plus apte à se mettre au service de quelque chose à grâce à ses pans de puissance restants que d’accoucher de vastes desseins pour les réaliser, pour lesquels il lui faudrait une puissance complète et équilibrée, nous conduit à confirmer sans une hésitation l’hypothèse de la formation de “la Secte” dont l’Allemagne, bien disciplinée, serait l’une des plus zélées servantes.» (Notre “F&C” du 7 juillet 2015.)
»Justement disions-nous, l’Allemagne comme “l’une des plus zélées servantes” de “la Secte”, c’est-à-dire du Système certes, en mettant à son service, au travers de ses phantasmes et de ses illusions de puissance toute sa capacité formidable de gestion, sa puissance de contrainte et sa manière rigoriste et disciplinée qu’on pourrait aussi bien qualifier d’autoritariste...»
Ce qui nous laisse effectivement face à l’Orque et à sa “Secte”...
Nous avons notre conception intuitive que l’Orque, ou le Système dans sa représentation fictionnelle faisant appel à nouveau à ce qu’on nommerait l’“âme poétique”, est de l’ordre du transhumain ou bien plus encore du surhumain-inverti de la créature, bien plus que de l’ordre mécanique du système pris au sens technique du terme. (Disons un “égrégore, si l’on prend comme minimum de notre identification sa définition maximale d’“entité psychique autonome”.) Nous cherchons bien entendu des circonstances, des hasards de rencontre, une confidence ici ou là, qui renforcent cette conviction, – sans rien prouver, bien entendu à nouveau, de ce qui ne peut l’être dans le discours rationnel.
Par exemple, le cas de ce diplomate récemment rencontré, d’un grand pays et d’un pays à la diplomatie ancienne, expérimentée sinon brillante, et qui prétend toujours exister, et qui parlait des sanctions européennes contre la Russie, levant les yeux au ciel, laissant entendre clairement combien ces mesures avaient d’absurdité, d’inutilité, d’inefficacité, d’effets négatifs, sans aucune justification ni morale ni politique. Il convint aussitôt, pourtant, qu’il était complètement inutile d’espérer qu’elle seraient levées, – on n’ira pas jusqu’à dire “inutile d'espérer qu’elles seraient jamais levées un jour”, mais certainement pour l’époque présente, et cela quoi qu’il se passe ...
Soudain, le ton désolé et plein de dérision laisse place à quelque chose de complètement différent, une sorte de ton admiratif et discrètement emphatique, et quasiment extatique... : “En fait, c’est le consensus... Il faut dire que c’est fascinant de voir cette énorme machine à consensus ... Les vingt-huit membres, si divers, si différents, et puis, pesant sur tous, l’obligation absolue du consensus, et cette façon dont nul n’y échappe, au point que rien ne vous fait douter un instant de ce que sera le résultat parce qu’il est tellement évident qu’on n’y pense même pas ... Au fond, on ne sait qui donne cette impulsion, qui indique le sens et qu’importe, parce que seul importe le consensus qu’elle [la machine] exige...”
Le mot “fascinant” (“fascination”) est dit, et cette description rejoint en bonne partie ce que nous dit Varoufakis, plus haut, du fonctionnement de l’Eurogroupe, le “non-État profond”. La seule différence, mais elle est de taille, est que la description de Varoufakis est dépressive, au contraire de celle, exaltée, de notre diplomate chevronné ; différence entre celui qui observe les effets de la fascination de l’extérieur, sans être sous son empire, et celui qui les subit presque avec délice, — entre celui qui n’est pas de “la Secte” et celui qui en est, même épisodiquement, lorsque les circonstances y poussent.
Qui commande, qui veut quoi ? Rien ni personne, et rien du tout. L’égrégore-Orque/Système ne veut que ce qu’elle agit et rien d’autre, c’est-à-dire la déstructuration, la dissolution & l’entropisation (la formule dd&e). “Rien ni personne“, parce qu’on ne personnifie pas le Mal, il lui suffit de son impulsion d’anéantissement, évidente depuis le “déchaînement de la Matière“, et rondement mené avec la “politique-Système” dont quelques sapiens bien intentionnés décrivent sans fin les buts, les instigateurs et les manipulateurs. Il n’y a évidemment ni complot, ni pensée, ni objectif que ce que la chose produit naturellement. (Certes, là-dessus on peut bâtir des complots, des manœuvres, des Grands Jeux et se croire “maîtres du monde” en expliquant ce qu’on ne peut comprendre, comme l’on embrasse qui l’on ne peut étouffer. Au moins, cela fait de beaux livres et de beaux articles.) Il s’en déduit décisivement que cette chose ne peut être modifiée, amendée, apaisée, réformée, domptée, redirigée, réorientée, manipulée ; il faut rompre et rien d’autre (Delenda est Systema). Si l’Allemagne s’en charge, nous-mêmes prenant cela pour sa “troisième destruction de l’Europe“ alors que nous parlons de quelque chose de tout à fait différent, eh bien que l’Allemagne s’y mette, ou plutôt continue ce qu’elle a brillamment commencé... Et si l’on dit qu’alors, ce ne peut être l’Orque/Système qui est à l’œuvre derrière l’Allemagne parce qu’il serait absurde de le voir se détruire lui-même, l’on répondra par l’évidence de l’équation surpuissance-autodestruction, — où la surpuissance du Système s’attaquant à lui-même puisque sa dynamique de déstructuration ayant déstructuré tout de l’essentiel chez l’adversaire, se mettant à se déstructurer lui-même puisqu’il a effectivement des structures mises en place pour opérationnaliser sa surpuissance ... (Voir notre Glossaire.dde sur “l’effondrement du Système”.)
Revenons à de meilleurs sentiments pour terminer, et pour faire un peu moins hurluberlu.
... Même les gens de confiance, ceux qui font confiance à la seule raison au contraire des hurluberlus acharnés à mentionner d’autres sources complémentaires de la raison, disponibles et utiles pour la réflexion et le jugement, ceux qui jugent de l’économie en ne parlant que d’économie, qui jugent que la situation du monde est suffisamment expliquée par l’économie, même ceux-là ne sont pas à l’aise. Ainsi du professeur allemand d'économie politique à l'Université de Siegen, Bernd-Thomas Ramb, qui estime que la question du Grexit n’est nullement réglée et que d’autres exit nous attendent... Là où le propos devient irréaliste, c’est lorsqu’il nous parle en termes d’années («Dans quelques années, l’exemple de la France...»). Cela montre que les psychologies, même si elles sont fortement secouées, ont encore quelques solides surprises devant elles, avec les coups qui vont avec, pour atteindre le niveau de maturité exigé par la situation. (Dans Sputnik-français, le 17 juillet 2015).
«... si la Grèce quitte la zone d'euro, cela pourrait renforcer la monnaie européenne car dans ce cas-là elle perdrait son image négative. Mais dans la vision à longue terme, les différences existantes au sein de l'union monétaire vont se dévoiler tôt ou tard. Il s'agît avant tout de la France qui se dirige vers un scénario à la grecque. Dans quelques années, l’exemple de la France rendra évident que la création de la zone euro entre une grande puissance comme l'Allemagne et d'autres pays qui ont trop de différences au niveau économique, était une mauvaise décision...»
Au fait, comment dira-t-on ? Fraxit ou Franxit ? Les deux ont leur charme, avec un côté réaliste et un côté ironique ; Fraxit fait penser à “fracture” et Franxit à “francisque”...
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