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206616 novembre 2015 – Commençons par noter ceci, qui pourrait paraître anecdotique : c’est surtout le mot “Paris“, et beaucoup moins souvent le mot “France”, qui est employé pour l'attaque du 13-novembre. (Lui-même, notre Journal dde.crisis, rencontrant la circonstance de l’événement par un hasard qui pourrait après tout être une sorte de prémonition, fit deux textes de suite sur “Paris”, – avant et après, – bien que, dans les textes, il se soit agi tout de même de la France, y compris et essentiellement dans les évocations historiques du premier qui était centré sur la nostalgie d’un Paris qui n’existe plus au milieu d’une France qui peine à exister encore, et cela écrit quelques heures avant les attaques du 13.) Pour justifier cette remarque sémantique en apparence anodine à côté des importants problèmes qui nous occupent, on dira que “Paris-c’est-la-France” et nous dirons que ce n’est pas si simple en ce sens que c’est extrêmement ambigu. En écrivant ce que nous écrivons, nous parlons aussi bien de “Paris-c’est-la France” que d’une autre chose qui repose dans notre mémoire d’une civilisation lorsque cette civilisation embrassait le monde sans l’étouffer encore, selon laquelle “Paris-c’est-le monde”. (Si l'on voulait être plus précis, on dirait malheureusement “Paris-c'était- le-monde”, mais laissons cela puisque nous sommes dans l'ordre du symbolique qui défie le temps pour répondre à la mémoire collectve.)
... Avec cette expression, “Paris-c'est-le-monde”, nous voulons parler de la Ville-Lumière, la grande ville de la civilisation, aussi bien celle qui conserve (le présent est de mise) quelques signes puissants de la nostalgie d’un temps passé que celle qui a montré (ici, le passé semble malheureusement de mise) une certaine “modernité à visage humain” comme l’on parla en d’autres temps du “socialisme à visage humain”. On comprend déjà, où l’on devine espérons-le, qu’il s’agit de l’ambiguïté dont nous parlons.
(On se rappellera également qu’après l’attaque 9/11, le réflexe désormais classique du “Je suis“ ou du “Nous sommes” caractéristique de cette civilisation qui cherche désespérément à montrer qu’elle est une et indivisible alors qu’elle est déjà en lambeaux, fut bien de dire “Nous sommes tous Américains”, mot du philosophe-en-chef d’alors du Monde, Colombani, et non “Nous sommes tous New-Yorkais/Je suis New York”.)
L’attaque du 13 novembre n’a rien à voir avec celle du 7 janvier, toutes deux de l’an de disgrâce 2015. Du point de vue du slogan, nous sommes passés du “Je-suis-Charlie” à “Je-suis-Paris”, et la différence est de l’ordre de l’essence de la chose. La première attaque se plaçait sur le champ des “valeurs” de la modernité, qui sont aussi bien porteuses de la catastrophe que nous vivons que porteuse de l’ultime espérance d’une civilisation qui s’effondre en portant la responsabilité de cet effondrement. (On sait de quel côté nous nous trouvons.)
Dans le premier cas, ce ne fut pas du terrorisme, mais une action de “guerre hybride” comme ils disent, utilisant les méthodes de l’attentat “identifié et déterminé” dans le cadre d’une guerre de guérilla : les cibles étaient identifiées, elles avaient en elles-mêmes une signification politique, culturelle, idéologique, etc., c’est-à-dire qu’elles n’avaient pas contrairement à ce qu’espéraient leurs thuriféraires une signification universelle et civilisationnelle. Dans le second cas, il s’agit de terrorisme, quelles que soient les explications sophistiquées ou pavlovisées que certains ont offertes ; le but théorique de cette sorte d’activité est de créer l’insécurité générale dans les psychologies par des attaques indiscriminées et marquées par le seul but de tuer de la façon la moins prévisible possible pour les victimes. (L’attaque du Bataclan est bien sûr archétypique de la chose.) C’est ainsi, à notre sens, que les inconscients, nourris par la psychologie, feront leur rangement des deux évènements.
(C’est pourquoi selon nous il y eut en janvier, dans nos contrées du bloc BAO où il existe tout de même de la dissidence et de l’antiSystème, de nombreuses répliques furieuses ici et là, du type : “Non, Je-ne-suis-pas-Charlie”. Nous pensons, c’est notre conviction et notre hypothèse, qu’on ne trouvera guère, même parmi les dissidents et les antiSystème qui savent ce que notre civilisation sème d’horreurs et de monstruosités, notamment depuis 15 ans, des écrits du type “Non, Je-ne-suis-pas-Paris”, parce qu’“être-Paris” c’est un honneur qui se transmet au travers des siècles, renvoyant à une partie de notre civilisation qui chercha toujours à atténuer ou à freiner les effets catastrophiques de notre civilisation prise comme un tout désormais identifié comme la dévastation du monde ; cela bien que, – paradoxe des paradoxes, et cela si français, – la France y ait tout de même grandement contribué avec les Lumières et la Révolution. Mais quoi, malgré ses impairs, la France restait la France, comme aurait dit le Général fameux. Cela n’exonère en rien le niveau de bassesse indescriptible où est tombée la direction-Système de la France ; cela revient plutôt à saluer ce qui fut, dans notre civilisation, cette sorte de “nécessité de Paris” au plus haut de ce que notre civilisation pouvait avoir d’admirable ; cela qui, par exemple, acheva de convaincre von Choltitz, sous les objurgations de l’ambassadeur de Suède Nordling, de ne pas détruire Paris comme le Führer en avait donné l’ordre.)
En fonction de tout ce qui précède, nous avancerons notre hypothèse, par ailleurs assez confortable si l’on veut bien avoir à l’esprit l’histoire des quatre ou cinq dernières années, sans remonter à Brzezinski-1979, que, bien plus encore qu’avec 9/11 et malgré toutes ses manigances, et même au contraire de 9/11, l’attaque contre Paris n’est pas, sans manigances nécessaires, une attaque terroriste mais une attaque du terrorisme-enfant-du-Système (encore plus que “terrorisme-né-du-Système, où l’on pourrait le croire en réaction contre le Système comme font souvent des enfants nés de parents qu’ils jugent indignes), – donc une attaque du Système. On sait comment est né Daesh & Cie, le général Flynn nous a assez instruit là-dessus, et en insistant encore avec une ingénuité qui coupe le souffle et fait croire que la vertu à laquelle peut prétendre le sapiens peut parfois se cacher dans d’étranges recoins.
Il s’agit donc d’une attaque du Système et nullement d’une nième “déclaration de guerre” contre la Terreur. (Combien en avons-nous entendu, depuis 9/11, d’envolées avec déclaration de “guerre contre la Terreur”, ou GWOT [Great War On Terror] comme ils l’appelèrent également, – “guerre contre la Terreur” comme on partirait dans une “guerre contre les orages” ou “guerre contre la Guerre”.) Lorsque nous disons “il s’agit donc d’une attaque du Système”, nous ne disons pas une manigance du Système, un “complot”, un “false flag”, toutes ces sortes de choses qui peuvent survenir bien entendu mais qui ne nous intéressent guère par goût de cette inconnaissance qui fait bondir certains ; non, il s’agit d’une attaque du Système parce qu’il (le Système) passe de sa phase de surpuissance (création de Daesh) à sa phase d’autodestruction (attaque de Paris où règne le gouvernement “européen” le plus fidèle au Système, – tout cela, ce gouvernement français, qui s'est mis sous l'empire du Système, dans l’ordre par stupidité pure, par flagornerie “au cas où”, par arrogance et trouille réunies comme deux jeunes époux épris de désirs frustrés, en plus de l’inculture et de la suffisance postmodernistes et extrêmement-bourgeoises bien entendu).
Dans ce gouvernement-là, prenons le premier d’entre eux qui, aussitôt, s’est trouvé mobilisé sans prendre garde une seconde à la responsabilité qu’il portait, par sa politique, dans ces tragiques évènements. François Hollande a fait ses déclarations habituelles, parvenant à cet acte extraordinaire d’abaisser la tragédie au niveau du constat désolé du notaire qui fait son travail avec le zèle qui convient. Imaginez ce “président normal” comme il se désignait, ce brave homme enfin, – quel autre qualificatif lui donner, puisque ce sont les braves gens qui nous veulent du bien qui détiennent présentement les clefs de nos catastrophes nationales ? – conduit à envisager de devoir faire un discours de la sorte de celui du de Gaulle du 1er septembre 1944 (« Paris, Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! »), sans micro hyper-perfectionné, sans dir’com, sans rien du tout qu’une tragédie à saluer...
Hollande préfère le rôle d’une sorte d’infirmière, de conseiller en psychologie pour aider les malheureux rescapés à surmonter le choc de l’épreuve. Ainsi est-il resté au milieu de son bon peuple “reclus d’épreuves” au lieu d’aller au G-20, où il envoya Fabius pour le représenter, – ce qui fait un interlocuteur de qualité pour les autres pays du groupe concernés par les affaires de Syrie, du terrorisme et du reste. Un vrai président eut assumé sa charge dans ces terribles circonstances, avec la dignité qui va avec, – certes, en raccourcissant au maximum le déplacement, – pour justement montrer aux terroristes qu’ils n‘entravent pas la marche de l’État et parce que la rencontre d’Ankara était importante. Mais, lui disent ses conseilleurs en com’ (à Hollande), sa présence en France dans cette terrible épreuve, c’est du bon sentiment et c’est meilleur pour les élections très prochaines. Après tout, cela se tient. Tout cela est tellement décourageant pour la réflexion qu’on en viendrait à dire en baissant les bras, ou à baisser les bras en disant : après tout, oui, “cela se tient”... C’est une époque décourageante mais l'on s'en remet puisqu'il le faut.
Maintenant, passons à l’avalanche, celle des commentaires, des hypothèses, des certitudes, des révélations, etc. Le terrain est particulièrement propice parce que le champ est libre. Au contraire de “Je-suis-Charlie” et de tant d’autres occurrences, le Système n’avait pas de narrative prête et impérative sinon les usual suspects (la barbarie, l’horreur, etc.). Il s’est attaqué à lui-même dans une occurrence d’une extrême complication et, de ce fait, reste sans voix pour l’instant. Il aura bien du mal à reprendre la main au niveau des communications.
L’encombrement de thèses, de false flags, de montages est absolument phénoménal, presque comme une sorte de Satyricon de Fellini tourné sur ce thème. Allez voir tous cesarticles proliférat, par exemple les commentaires, particulièrement corsés, du texte d’Anatoli Korline, sur UNZ.com du 14 novembre, allez voir le fantastique montage de Sister Sorchal sur WhatDoesItMean, où l’on remonte à la mort sur un bûcher du Grand Maître des Templiers Jacques de Molay pour expliquer l’attaque du 13 novembre (11 et 13 étant présenté comme des “nombres magiques”) comme un complot des francs-maçons et des Jésuites dont les derniers détails ont été mis au point lors d’une réunion (secrète, précisons-le) à Washington, le 27 octobre, avec notamment les directeurs de la CIA et de la DGSE, – le but étant la déclaration d’un “état de guerre” conduisant la France à faire appel à l’OTAN pour intervenir en Syrie, jusqu’à une confrontation directe avec la Fédération de Russie ...
« To how this will be accomplished, this [GRU] report says, and at least as these plotters hope it will, will be for France to declare yesterday’s Friday the 13th massacre as an act of war—which upon their doing so will bring into immediate force Article 5 of the North Atlantic Treaty Organization (NATO) treaty the French nation rejoined in 2009 after a 43 year absence. [...] With French President Francois Hollande declaring today that this Friday the 13th massacre is, indeed, an “act of war” perpetrated by the Islamic State, [Russian] MoD expert analysts in this report say, and with ISIS, likewise, claiming responsibility, the French have now vowed a “merciless response” setting the stage for a direct military confrontation with the Federation. »
Sans nécessairement évoquer les mannes de Jacques de Molay ni la bénédiction des Jésuites, dont après tout François est le premier pape à venir de leurs rangs, divers commentateurs, des plus fantasques aux plus incertains, envisagent effectivement que la France fasse appel à l’OTAN et à son Article 5, ce qui remplirait sans nul doute d’une joie sans fin la voix évoqué plus haut concernant “Paris outragé, Paris martyrisé”. La société Stratfor de notre ami George Friedman envisage cette hypothèse, c’est-à-dire plus précisément dans le cadre d’une intervention française terrestre en Syrie qui nécessiterait simplement le soutien logistique de l’OTAN.
Quoi qu’il en soit, Stratfor n’est pas à court d’hypothèses, et en présente quelques autres, notamment à cause des embarras de circulation dans les cieux syriens, ce qui revient au contraire de l’hypothèse venue de Philippe-Auguste et évoquée plus haut. Il s’agirait alors pour les Français d’éviter des opérations où leur aviation aurait bien du mal à trouver sa place sans se cogner à un Soukhoi russe, lequel acquiert une grande popularité ces derniers temps et est se trouve considéré d'une façon fort amicale... (Court résumé de Sputnik.News, du 15 novembre.)
« Analysts from the private intelligence company Stratfor believe that France may send its “expeditionary force” to Syria or Iraq in response to the deadly Paris attacks that rocked the French capital on Friday night. They claimed that France has a whole array of options for retaliation "at its disposal”, but that the country's response will depend on "who was ultimately responsible” for the Friday attacks. “If it is found that the Islamic State core group was indeed behind the November 13 attack, France will likely ramp up its Syrian air operations,” Stratfor said. At the same time, Stratfor analysts recalled that “the skies over Syria are already congested with coalition and Russian aircraft,” which is why France may intensify its military operation against the Islamic State group in Iraq or other countries, including in Libya, according to Stratfor.
» In light of this, Stratfor analysts predicted that France may increase its programs to train and support anti-Islamic State forces in Iraq and Syria, or even to carry out “commando strikes against key leadership nodes.” “France also has the option of deploying an expeditionary force like it did in the Sahel [region of Africa], although that would probably require outside airlift capacity from NATO allies, especially the United States,” Stratfor pointed out. »
Les circonstances étant ce qu’elles sont, et les évènements défilant à la vitesse qu’on sait au rythme du déterminisme-narrativiste interprété dans des modes complètement contradictoires, on ne s’étonnera pas de lire sous la plume de l’amiral Stavridis une sorte de plaidoirie pour la constitution d’une grande coalition en Syrie pour écraser Daesh, dans laquelle la Russie trônerait à la place que son actuelle offensive lui donne le droit d'occuper. Or, Stavridis était, il y a peu encore, jusqu’en mai 2013, le SACEUR ou commandant en chef suprême des forces alliées en Europe ; comme tel, il n’aimait pas les Russes et il avait l’habitude de dénoncer régulièrement la Fédération de Russie et ses visées agressives ; sa retraite prise, lors du paroxysme de la crise en Ukraine, il fut naturellement en pleine activité d’anathèmes pour désigner la Russie comme le seul et le plus définitif de tous nos ennemis... Oublié, tout ça.
“Paris”, écrit Stavridis dans Foreign Policy, “serait en droit de faire valoir l’Article 5 de l’OTAN pour demander et recevoir une aide de ses alliés dans toute action qui serait entreprise à la suite des attaques du 13 novembre”. Curieusement, l’amiral écrit que ce serait le deuxième pays à agir de cette façon après les USA en septembre 2001 (« It is worth noting that the only country to ever activate Article 5 was the United States after the 9/11 attacks in 2001. ») Justement pas : l’OTAN avait offert son aide aux USA selon l’Article 5 après 9/11 mais le n°2 du Pentagone Wolfowitz, sur instruction précise et méprisante de Rumsfeld, était spécialement venu à Bruxelles le 27 septembre 2001 pour dire aux alliés de l’OTAN que les USA n’avaient rien à faire de l’Article 5, mais qu’ils accepteraient éventuellement une aide de quelques supplétifs, – dite “coalition of the willing” ... Sans doute l’enthousiasme et la baisse manifeste du statut de puissance des USA emportent-ils Stavridis puisqu’il va, pour le coup, jusqu’à évoquer la grande politique de Vergennes et les aventures du marquis de Lafayette précédé de notre excellent Beaumarchais :
« If the French seek strong NATO participation in a broad and lethal campaign against the Islamic State, Americans must offer support. They would be following the example set by the French on behalf of the United States after 9/11, and, in an earlier century, during the American Revolutionary War. »
Dans son article, Stavridis décrit tout ce que l’OTAN peut apporter à la France dans une éventuelle expédition contre Daesh, type-nouvelle croisade, dont elle (l'OTAN), finalement et naturellement, serait le cœur. (On est un peu préoccupé parce que la présence de l'OTAN dans une telle croisade, c'est la défaite par lourdeur confuse assurée.) Mais la cerise sur le gâteau, comme vu plus haut, est bien entendu que les Russes seraient effectivement de la partie. On sent bien que, dans l’esprit de l’amiral, l’OTAN, qui n’a rien fait jusqu’ici, et dont les principaux manipulateurs, les USA, n’ont fait qu’entretenir le moral et les moyens des combattants de Daesh, seraient le cœur, l’esprit et les muscles de ce somptueux rassemblement auquel les Russes, en plus du marquis de Lafayette, seraient invités à participer pour venger le Bataclan et le reste...
« Lastly, NATO should emphasize that it is building an “open coalition,” one that can not only include the forces of traditional allies, but also those of NATO’s traditional adversary, Russia. The Russian government claims to want to defeat the Islamic State, and it should have no lack of motivation, given the over 200 dead citizens — including many women and children — who seem to have been massacred by the Islamic State in the downing of a civilian aircraft just two weeks ago. Russia should be invited to participate alongside NATO and other coalition members against the Islamic State. [...]
» The Islamic State is an apocalyptic organization overdue for eradication. It has beheaded and raped citizens from around the world; has killed civilians in spectacular and horrific ways; has enslaved young women and girls and sold them in open markets; and appears to have brought down a commercial aircraft full of tourists. Now it has killed Westerners execution-style in a city theater. There is a time for soft power and playing the long game in the Middle East, but there is also a time for the ruthless application of hard power. It is NATO’s responsibility to recognize our current moment qualifies as the latter. »
La véritable et profonde tristesse pour la tragédie subie par Paris, on l’a vue notamment dans les réactions spontanées de la population russe. Rares furent les présentateurs des TV françaises à commenter la chose et encore moins à la montrer ; on préférait parler de la tristesse pour les massacres parisiens de Barak Obama, visible à l’œil nu derrière ses micros, parce que, somme toute, on croit encore savoir d’où vient le vent, comme toujours. Eh bien, l’on n’a pas compris grand’chose, et à cet égard Stavridis au milieu de son incroyable plan qui représenterait surtout une tentative de sauvegarde de l’OTAN à bout de souffle, a mieux senti d’où il soufflait, le vent ... Sarko également (mais lui, on doit lui reconnaître, pour une fois, qu’il avait déjà senti d’où venait le vent et que sa position n’est pas nouvelle) ; sortant de l’Élysée après une conversation à bâtons rompus avec Hollande, et constatant avec une sagesse remarquable que la France doit tirer les conséquences de la situation syrienne qui est évidemment en rapport avec les attentats de Paris, il observait combien « nous avons besoin de tout le monde pour exterminer Daesh, et notamment des Russes ». (Comprenons bien : “et surtout des Russes”.)
Sans rien dire de particulièrement remarquable, sinon des appel à l’unité et des mises en garde contre le danger du terrorisme, sans bouger en un sens pendant que tout bouge autour d’eux, les Russes en viennent à occuper la position centrale sur la question de la Syrie, et par conséquent dans toutes les autres crises importantes. Bien entendu, leur action décidée en Syrie, qui pourrait être jugée décisive par certains, joue un rôle central dans cette évolution, c’est-à-dire un rôle de détonateur. La puissance régalienne de ce pays, l’un des derniers à l’assumer avec autant d’allant, place effectivement la Russie au centre de l’échiquier des fous qu’est devenu le monde dans sa crise générale, comme l’on se trouve dans la zone de calme paradoxal qu'est l’“œil du cyclone”.
Cela ne fait d’eux, les Russes, ni des vainqueurs ni les maîtres du monde. Cela fait d’eux une référence dans une époque et dans un monde qui n’en ont plus. Quant à être pour autant le “gendarme du monde”, on sait ce qu’il faut en penser et l’on connaît leur peu d’enthousiasme pour la chose
Pour autant, et ce tour du champ du désordre terminé, nous reste l’impression que ce ne sont ni le terrorisme ni la Syrie qui sont les principaux enjeux des attentats de Paris, bien que les deux choses en furent les détonateurs et en seront profondément influencées. D’abord, il s’agit de la situation européenne, c’est-à-dire la “crise européenne”. Une source allemande, interrogée par RT, observait en employant l’expression anglo-américaniste de perfect storm qui désigne un point de fusion de la rencontre de crises elles-mêmes à leur point de fusion : « Le massacre de Paris pourrait bien enflammer l’opinion publique sur la question des migrants et sur celle des interventions de l’OTAN. »
Ainsi n’est-il pas absolument assuré que l’idée d’une riposte française passant par une intervention terrestre en Syrie soit propre à enthousiasmer l’opinion publique si l’on place cette affaire dans l’optique joyeusement entraînante de l’amiral Stavridis qui a une fâcheuse tendance à rappeler les entreprises de l’OTAN type-Libye qui ont fait exploser la bombe migratoire. Là-dessus, il reste la solution de The Donald, l’homme qui voyait grand et qui reste en tête de la meute républicaine : “Laissons faire les Russes en Syrie et soutenons-les au maximum, ils ont l’air de s’y connaître... Vive Poutine !”
Bref, le Paris du 13-novembre n’est pas nécessairement l’annonce d’une Grande Guerre, une de plus d’ailleurs, mais il serait bien et même sans nul doute, pour nous, une étape supplémentaire du Grand Désordre. Pour Paris et les Français, le Grand Désordre c’est d’abord l’Europe avec ses multiples crises en cours ; et, de ce fait par conséquent, entendre la subtile Merkel tirer comme conclusion des attentats du 13 novembre qu’il faut plus que jamais rester les bras ouverts pour accueillir les migrants nous fait entretenir quelques doutes sur la subtilité de la dame. Une consultation d’avis récents, d’avant le 13-septembre, va dans ce sens, et l’on ne voit vraiment pas, à la lumière des évènements qu’on a égrenés, et lorsque le drame du 13-novembre aura pris sa place dans la galerie des crises, et notamment dans la “crise européenne” en général, ce qui pourrait aller contre ce sentiment ; non, pas du tout, on fera l’hypothèse qu’il ira au contraire l’aggravant... Signalons deux exemples, qui sont deux interviews de RT, pour avoir une idée de l'état actuel de la grande Allemagne-européenne :
• Celui de Hansjoerg Mueller, le 3 novembre 2015 : « Germany now is somewhere at the edge of anarchy and sliding towards civil war, or to become a “banana republic without any government,” says Hansjoerg Mueller of the Alternative for Germany party. Bavarian official Peter Dreier called German Chancellor Angela Merkel to tell her personally that if Germany welcomes a million refugees, his town of Landshut will only take in around 1,800. Any extra will be put on buses and sent to her Chancellery in Berlin... »
• Celui de Bryan MacDonald, le 9 novembre 2015 : « The migrant crisis is going to fracture the EU, says journalist Bryan MacDonald. Just like the USSR collapsed when its biggest constituent country, Russia, got tired of the union idea, the same could happen to the EU if Germany turns against it, he adds. Luxembourg's Foreign Minister Jean Asselborn said on Monday that the European Union could collapse due to the refugee crisis. This viewpoint is shared by a number of other EU politicians. »
Ainsi conclurons-nous en observant que ces attentats, à la fois ont fait que rien ne sera plus comme avant, à la fois ils ont fait que rien n’a changé dans la trajectoire de notre Chute. Les évènements ont leurs propres logiques qui, sur l’instant où ils se produisent, semblent ouvrir des perspectives nouvelles qui paraissent extraordinaires, mais bien vite ils se rangent dans le courant général qui est celui de la Grande Crise d’effondrement du Système, – laquelle est bien assez extraordinaire par elle-même. Ainsi le 13-novembre prendra-t-il sa place dans une chaîne crisique dont les dernières étapes se nomment Ukraine, Grèce, migration, Syrie-II, et qui concerne le processus de désintégration de l’Europe ; il prendra aussi sa place dans la chaîne crisique dont la Russie est le nœud, qui implique aussi les crises d’Ukraine et de Syrie-II, en y ajoutant celle des USA en pleine retraite, en même temps que la confusion des différents “parrains du terrorisme” au Moyen-Orient, la valse-hésitation d’Israël, les folies d’Erdogan et ses coups de sagesse lorsqu’il rencontre Poutine et ainsi de suite ; et cette chaîne crisique caractérisée par la stature de la Russie pour laquelle les attentats du 13-novembre constituent paradoxalement, en fonction de la délicatesse morale d’un tel jugement, une victoire incontestable pour son point de vue.
Une chose nous a marqué, durant ces quelques jours. Nous n’avons aucun moyen de la démontrer, parce qu’elle ressort de l’intuition et de la perception qui va avec, et c’est cet effet qui nous engage sur la conclusion que nous offrons sans en donner une appréciation précise parce que l’événement auquel nous faisons allusion (la Grande Crise) ne peut avoir aucune représentation possible pour nous. L’idée est résumée par la phrase figurant dans notre chapeau de présentation, et qui ne demande aucune explication, – on le ressent comme cela, ou non c’est selon ... “Cette crise (du 13-novembre) est ressentie comme étant d’une extraordinaire importance pour, à notre sens, répondre à l’attente de notre époque, certainement inconsciente et certainement fébrile, d’une dramatisation décisive de chaque évènements qui permettrait à la Grande Crise d’effondrement du Système d'accélérer et de s'aggraver encore, sinon de commencer enfin à dégager ses effets décisifs.”
C’est donc la Grande Crise qu’il faut suivre et qui importe plus que tout, qui règle tout le reste, et cette Grande Crise se diffusant, pour les pays européens, plus par la “crise européenne” que par ce qu’on nomme “terrorisme”. C’est à cette aune qu’il faut tenter d’évaluer les évènements. Même si, demain ou après, Daesh disparaissait sous les coups d’une Grande Coalition miraculeusement mise en place ou bien par simple cessation de paiement des sponsors, les attentats du 13-novembre n’auraient pas donné leur plein effet. C’est lors des élections qui viendront, c’est dans les positions générales des pays européens, c’est dans l’état de la construction de l’Europe, c’est-à-dire comme un élément de plus d’une déconstruction en pleine activité, qu’ils donneront tous leurs effets. La logique crisique est de ce côté.