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369023 août 2018 – Flegmatique et, pour certains, défaitiste et apathique, Poutine n’en dit pas moins des vérités qui, en d’autres temps disons plus “normaux”, eussent soulevé des tempêtes d’indignation vertueuse et l’expression d’une stupéfaction après tout justifiée. Lorsqu’il parle des sanctions que les USA font pleuvoir sur la Russie et qu’il juge « dénuées de sens et contre-productives », il précise que le président Trump n’y est pas pour grand’chose et que c’est l’establishment, ou le DeepState si vous voulez, qui agit. Selon ses propres mots (traduits), lors d’une conférence de presse avec son homologue finlandais qu’il recevait hier à Sotchi, dans le Sud de la Russie, avec renforcé de gras le passage qui nous intéresse :
« “En ce qui concerne les sanctions, ces actions sont très contre-productives et dénuées de sens”, a déclaré Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse aux côtés de son homologue finlandais Sauli Niinisto à Sotchi, dans le sud de la Russie.
» “J'espère que nos collègues américains vont prendre conscience qu'une telle politique n'a pas d'avenir et que nous pourrons alors commencer à coopérer normalement”, a poursuivi Vladimir Poutine. “Le problème n'est pas seulement dans la position du président américain, mais aussi dans celle de ce que l'on appelle l'establishment, qui dirige au sens large du terme les États-Unis”, a-t-il ajouté. »
On remarquera que cette déclaration de Poutine, qui est dans un monde diplomatique normal complètement extraordinaire (“ce n’est pas le président qui dirige, c’est le Système”), est glissée au milieu de lieux communs sans le moindre intérêt qui vont, si on s’intéresse à cette intervention, déclencher de la part des antiSystème ou pseudo-antiSystème plus d’un commentaire venimeux de plus, à l’encontre de Poutine.
Certes, entendre Poutine déclarer « J'espère que nos collègues américains vont prendre conscience qu'une telle politique n'a pas d'avenir et que nous pourrons alors commencer à coopérer normalement » a de quoi faire grincer des dents ou mourir de rire pour qui sait ce qu’est réellement la situation à “D.C.-la-folle”, et à lui faire se demander à quel degré de médiocrité et de soumission le président russe est tombé pour encore débiter de telles platitudes. Mais il y a, à côté, cette “déclaration extraordinaire” qu’on a vue plus haut, qui représente dans les conditions où elle est faite une audace considérable, et du coup les platitudes prennent une allure, – méprisante ou désabusée, c’est selon, – qui le réhabilite d’autant : on comprend que Poutine ne se fait pas la moindre illusion ...
On pourrait dire, à l’intention de “D.C.-la-folle” qui cherche depuis maintenant deux ans une preuve de ce qu’elle avance avec une telle certitude qu’on croirait la chose déjà amplement prouvée, qu’il y a là justement un acte d’ingérence extraordinaire de Poutine dans la vie politique intérieure des USA, à Washington D.C. Par ailleurs, nous vivons dans une atmosphère si complètement démente caractérise par une schizophrénie dystopique que tous ces concepts jusqu’alors chuchotés et perçus comme subversifs par le Système deviennent d’usage courant, y compris dans la presseSystème qui accepte ainsi toutes les théories complotistes énoncées au “crédit” du Système. Dans son article de ConsortiumNews consacré au cas de l’ancien directeur de la CIA Brennan privé de sa clearance, Ray McGovern notait ceci qui signale qu’effectivement on appelle désormais “un chat un chat” dans la presseSystème, même lorsqu’il s’agit de désigner cette structure insaisissable et subversive (le DeepState) dont la fonction essentielle est l’abus de pouvoir, ou le “coup d’État permanent” :
« La principale question est maintenant de savoir si les présidents des comités de surveillance de la Chambre choisiront de faire face à l’État profond [en auditionnant John Brennan à propos de ses coups fourrés]. Ils ne le font presque jamais et [les pourvoyeurs de l’argent corrupteurs disent] que, s’ils le font, ils perdront, en grande partie à cause du soutien quasi total des médias de l’establishment pour l’État profond. Cela prend souvent des formes bizarres. Le titre d’une chronique récente du commentateur ‘libéral’ du Washington Post, Eugene Robinson, en dit long : “Dieu bénisse l’État profond”. »
(Et un lecteur dit-Wapojoke de l’éditorialiste du Post de commenter pour nous faire comprendre par logique inversée ce que ce titre signifie : « Il est heureux que Robinson soit à l’abri grâce à son privilège d’être un Noir. Un média libéral devrait payer cher si un homme blanc montrait assez d’audace et de stupidité pour avoir affirmé l’existence effective de l’État profond. »)
Effectivement, les choses de la démence avancent si vite à “D.C.-la-folle” qu’on relève plusieurs développements remarquables pour nous démontrer que ni la cohérence, ni le moindre souci de vraisemblance, ni le moindre intérêt pour la logique n’ont leur place dans la situation générale.
• D’abord, la logique démente du Russiagate se poursuit à un rythme effréné, notamment sur le terrain fructueux de la “politique des sanctions” qui revient à un “état de guerre” selon les caractères de l’ère postmoderne du système de la communication (selon la formule d’Alastair Crooke : « En d'autres termes, les millénaristes d’aujourd’hui, qui ont certes renoncé à la guillotine, sont explicitement coercitifs ; ils le sont d’une manière différente, à travers la “capture” progressive de la ‘narrative’ et des institutions étatiques. ») La dernière victime en date n’est rien moins que John Bolton, archétype quasi-sanctifié de l’“archi-faucon” et de l’antirussisme, devenu conseiller pour la sécurité nationale de Trump et désormais soupçonné de liens contre-nature (un discours organisé par la NRA en 2013) avec Maria Butina, citoyenne russe résidant aux USA, lobbyiste pour la NRA (National Rifle Association) et emprisonnée dans des conditions extravagantes et extrêmement cruelles pour espionnage : « Dans une lettre au ton dramatique adressée au chef de cabinet de la Maison-Blanche John Kelly, les députés démocrates Elijah Cummings et Stephen Lynch affirment que la connexion douteuse entre Bolton et Butina est “alarmante et sans précédent”, et ils demandent que la Maison-Blanche leur fournissent des documents pour savoir si Bolton avait mentionné sa “collaboration antérieure” avec la prétendue espionne russe[avant d’être nommé à son poste actuel]. »
• Pour autant, il n’est pas interdit de penser que le Russiagate puisse se retourner, comme certains (dont Federico Pieraccini) l’ont déjà envisagé, avec Trump accusant à son tour les démocrates d’un soutien russe au cas où ils remporteraient les élections mid-termde novembre prochain. Ce n’est rien moins que le New York Times qui se faisait avant-hier le relais d’affirmations venues de think tanks conservateurs proches des républicains, au travers d’un rapport de Microsoft :
« The Russian military intelligence unit that sought to influence the 2016 election appears to have a new target: conservative American think tanks that have broken with President Trump and are seeking continued sanctions against Moscow, exposing oligarchs or pressing for human rights.
» In a report scheduled for release on Tuesday, Microsoft Corporation said that it detected and seized websites that were created in recent weeks by hackers linked to the Russian unit formerly known as the G.R.U. The sites appeared meant to trick people into thinking they were clicking through links managed by the Hudson Institute and the International Republican Institute, but were secretly redirected to web pages created by the hackers to steal passwords and other credentials. »
Enfin, le dernier développement, naturellement “explosif”, éloigne le champ de la bataille du Russiagate, malgré des déclarations alléchantes pour le procureur spécial Mueller d’un avocat de l’une des deux personnes concernées déclarant que son client aurait des révélations sur la question des relations entre Trump et les Russes. Mais le gros de ces deux dossiers est loin du Russiagate puisqu’il s’agit d’affaires de corruption diverses, notamment pour empêcher la publication de témoignages de deux personnes du sexe féminin ayant eu des relations sexuelles avec Trump. WSWS.org écrit aujourd’hui, dans sa version française d’un article en anglais paru le 21 août :
« Dans une escalade du conflit de factions au sein de la classe dirigeante américaine, le président Donald Trump a reçu des coups terribles hier sur deux fronts. Dans un tribunal de New York, son ancien avocat et “dépanneur” dans ses scandales personnels, Michael Cohen, a plaidé coupable à huit chefs d’accusation. Et dans une salle d’audience à Alexandria, en Virginie, de l’autre côté du Potomac depuis la Maison-Blanche, son ancien directeur de campagne, Paul Manafort, a été reconnu coupable de huit autres chefs d’accusation.
» Peut-être le plus grand dommage politique n’a pas été causé par les accusations, toutes liées à diverses formes de chicanerie financière, dont cinq affaires de fraude fiscale, pour Cohen et Manafort, mais par la déclaration publique de Cohen dans la salle du juge Kimba Wood. En confessant sa culpabilité aux huit chefs d’accusation, Cohen a déclaré que dans deux cas, violant les lois fédérales en utilisant des fonds personnels pour réprimer des déclarations politiquement compromettantes de la mannequin Karen McDougal et de l’actrice américaine de porno Stormy Daniels, il agissait en tant que “candidat à un poste fédéral”. Bien que Cohen n’ait pas nommé le candidat, il faisait allusion à Trump, qui a cherché à éviter l’attention du public pendant l’élection présidentielle de 2016 aux affirmations des deux femmes selon lesquelles elles avaient eu des relations sexuelles avec lui. Le paiement à Daniels est intervenu une semaine avant les élections. »
Ces deux dernières affaires à connotation de scandale sexuel, débouchant sur des actes illégaux, ont aussitôt relancé des appels à une procédure de destitution de Trump. Cette pression vient bien entendu de la gauche du parti démocrate, un peu contre l’avis des dirigeants du parti qui voudraient pouvoir lier les deux champs de la bataille, le sexe et Russiagate, et contrer la procédure de nomination du nouveau Juge à la Cour Suprême Brett Kavanaugh. Il n’est pas certain que les dirigeants démocrates y parviennent tant leur gauche est d’une puissance étonnante pour ranimer une hystérie paroxystique qui les touche eux-mêmes lorsqu’elle est lancée.
A la lumière de ce tintamarre extraordinaire dont on voit bien qu’il va littéralement dans tous les sens, déchirant tous les partis, bousculant toutes les lignes de partage, on comprend d’une certaine façon, et même diablement, la prudence de Poutine. Il n’a pas un front uni contre lui mais une “maison des fous” (ou une “cage aux folles”, selon ce qu’on en a) qu’il serait complètement absurde de considérer comme une force unie et intégrée s’apprêtant à affronter la Russie, et qu’il s’agirait alors de frapper avant qu’elle-même ne frappe.
Ceux qui ne cessent d’attaquer Poutine aujourd’hui pour cette prudence qu’ils qualifient de faiblesse ou de lâcheté, se refusent absolument à prendre en compte la puissance des événements en cours à “D.C-la-folle”, – qui sont des événements de division, d’affrontements internes d’une complète sauvagerie. Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou pas, cette folie est devenue aujourd’hui le facteur central du désordre extraordinaire des relations internationales. C’est-à-dire qu’il faut faire avec et les Russes, avec leur puissance retrouvée et leur politique principielle se trouvent devant un dilemme permanent, – pour un temps...
Si Poutine réagissait aujourd’hui comme on attendrait qu’il le fasse dans une situation normale d’affrontement international, c’est-à-dire par des avertissement sinon par des mesures de rétorsion sévères, il referait l’unité contrainte et forcée contre lui, les anti-Trump voyant une occasion de démolir plus encore le président, Trump voyant une occasion de démontrer qu’il n’est absolument pas du côté des Russes. Aussi a-t-on laissé le “gentil” Medvedev chuchoter que les choses pourraient mal tourner si les sanctions, en novembre, etc.
Le paradoxe de la situation est en ceci que Poutine ne cesse de plaider pour une politique réaliste et de “bon voisinage”, qui doit absolument s’interdire de prendre en compte, de tenir compte, voire d’influer sur les affaires intérieures des autres États selon le principe de la souveraineté. Or, il est placé dans une situation où il est obligé “de prendre en compte, de tenir compte, voire d’influer sur les affaires intérieures” des États-Unis. D’une certaine façon, il pourrait se trouver dans peu de temps, sinon d’ores et déjà, dans l’obligation de faire ce qu’on l’accuse de faire depuis trois ans (interférences dans les affaires intérieures US), qu’il n’a évidemment pas fait dans la proportion grotesque qu’on affirme...
C’est en cela que nous tenons pour extraordinaire cette déclaration de Poutine qui ouvre cette analyse, cette affirmation dite en termes mesurés qu’il existe aujourd’hui aux USA un état de subversion préludant peut-être à des événements s’apparentant à une guerre civile : « Le problème n'est pas seulement dans la position du président américain, mais aussi dans celle de ce que l'on appelle l'establishment, qui dirige au sens large du terme les États-Unis... » Nous voyons cela, cette déclaration, comme le renforcement de l’hypothèse selon laquelle un texte d’Ivan Danilov récemment passé en revue sur ce site constituait une formulation journalistique d’une position politique de plus en plus ressentie en Russie tant dans les cercles du pouvoir (Poutine en tête) que dans les milieux du commentaire et de la communication :
« Sous le titre de “Emprisonner l’‘espion russe Kissinger’ : le dernier pas vers la guerre civile”, un texte de Ivan Danilov du 16 août 2018 sur le spécialiste bien connu des FakeNews et du complot russe mondial, Spoutnik-français, mérite de l’attention et une certaine dose de ce qu’on désigne d’habitude comme du ‘décryptage’. D’abord et comme première évidence, on notera l’emploi de l’expression “guerre civile” pour désigner la situation potentielle des USA, et qui ne peut être un hasard de traduction : une fois dans le titre, deux fois dans le texte. Sur un réseau comme Spoutnik, qui a les responsabilités d’un réseau public et sous la plume d’un Danilov, collaborateur régulier sur les questions US et celles des relations Russie-USA, ce n’est ni un hasard, ni une parabole et encore moins une inattention.
» ... En d’autres mots et en extrapolant à partir de ces diverses conditions, nous dirions qu’il s’agit de signifier officieusement les préoccupations russes de la situation intérieure des USA, à Washington alias-‘D.C.-la-folle’. Ces conditions sont celles d’un paroxysme sans fin, qui laisse envisager les possibilités les plus catastrophiques, et celles-ci devant être désormais considérée comme une préoccupation majeure de la politique internationale. Cela est affirmé alors qu’il s’agit d’une situation intérieure d’un autre pays, ce qui est généralement un domaine jugé officiellement intouchable selon les principes de la politique extérieure russe, et essentiellement le respect de la souveraineté de chacun. Mais il s’agit des USA... »
D’autre part, même si l’on doit comprendre la prudence de Poutine l’on doit comprendre aussi que cette situation ne peut durer éternellement. On peut aisément avancer, c’est assez tentant, qu’il se pourrait bien que les élections mid-term (novembre) agisse comme un déclencheur, comme un libérateur des tensions, que certains verraient comme une catastrophe et d’autres comme une catharsis, et qu’à ce moment les Russes seraient placés devant la nécessité de trancher. (Cela est d’autant plus envisageable que novembre est aussi le moment où des super-sanctions antirusses [“sanctions-from-hell”] seront décidées.)
A cet égard, nous le répétons, les Russes sont complètement dépendants de la tournure que prendront les événements aux USA. Il est également vrai que Poutine doit envisager la possibilité, dans certaines circonstances qui suivraient une évolution effective avec ces élections de novembre, de prendre des mesures préventives radicales qui renverseraient complètement sa politique de prudence suivie jusqu’ici.
Il est évident pour nous que Poutine a abordé d’une façon ou d’une autre cette question de la crise intérieure US avec Trump (lors de sa rencontre d’Helsinki, ou bien par des contacts téléphoniques, ou par le biais de Rand Paul, etc.). Notre hypothèse est qu’il ne s’est engagé en rien derrière Trump (pour soutenir Trump), en échange d’une certaine compréhension pour l’obligation où Trump se juge être de devoir approuver les mesures antirusses. Pour l’heure, l’intérêt du président russe est de ne s’engager en aucune façon dans aucun sens, les événements ayant imposé d’eux-mêmes les élections de novembre comme leur propre prochain point de paroxysme.
Bien entendu, il existe l’autre possibilité que les élections de novembre ne règlent rien, dans un sens ou l’autre, dans la “situation climatique” de tension extrême des USA. Il est tout aussi impossible d’envisager les événements dans ce cas. On juge et on apprécie au jour le jour.
Le monde navigue à vue sur la voie de son destin. Il ignore où elle le mène.
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