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136818 mai 2016 – Certains y verront encore l’occasion de grandes descriptions géopolitiques, – bien différentes de celles d’hier, et de celles d’avant-hier, et ainsi de suite, et sans rapport avec celles de demain bien entendu. Nous y voyons, nous, et fidèles en cela aux tentatives de description générale que nous faisons selon notre perception eschatologique de la situation, plus que jamais la marque de l’accélération de cette situation dans son processus de transformation du désordre en chaos, pour créer la production de ce “chaos-nouveau” que nous avons identifié. Cela se fait dans un climat de plus en plus irrationnel, qui n’est pas véritablement faussaire parce qu’il correspond à une situation dont nous savons depuis quelques temps qu’elle est complètement privée de la réalité, – le principal aliment de la raison... Donc, on ne se trompe pas vraiment les uns les autres puisque la raison n’a plus de référence fixe partagée.
Il s’agit d’un enchaînement ou d’une proximité, avec des dynamiques de cause-à-effet directes ou indirectes, et de formidables effets de communication... Il s’agit essentiellement de la situation en Syrie ; de la situation de Poutine selon l’évolution en Syrie mais surtout selon l’évolution de sa position intérieure ; de la situation des menaces constantes de guerre et d’agression diverses contre la Russie ; de la situation des USA dans la perspective de la phase ultime des présidentielles-2016 avec le surgissement de l’étrange “phénomène Trump” et de ce qui est devenu désormais une réelle possibilité de sa victoire le 8 novembre 2016... D’ailleurs, Trump rencontre Henry Kissinger, il est jugé “magique” (certains diront qu’il y a “magie noire”) par le New York Review of Books, il fait dire à The Nation qu’Hillary Clinton va devoir changer de fond en comble, – tâche herculéenne pour elle, – si elle veut encore pouvoir espérer ne pas être battue... Bref, “ça trumpe énormément” à Washington D.C. et de tous les côtés, pourrait-on écrire stupidement, – mais tout de même, pour décrire quelque chose d’important, et qui est si conforme à l’esprit de ce temps de Fin des Temps.
Il faut donc, pour ouvrir cette analyse improbable d’une façon inhabituelle, situer le climat “magique”, l’espèce d’étrange envoûtement qui est en train de saisir Washington D.C., avec la révélation que « [c]omme Hercule, Donald Trump est une création de pure fiction ». Ce mot de Mark Danner dans la NYRB du 26 mai déjà citée décrit ainsi l’exceptionnalisme du candidat, qui est la “magie de Trump” : il est « l’incarnation nationale de toutes nos peurs » (« However unlikely Trump’s candidacy may be—and we have seen over the past ten months how the unlikely can be overtaken by reality television politics—such a nominee, despite his negative poll numbers among women and minorities and all the other factors that, we are told, will make his election impossible, might stand only one highly telegenic terrorist attack away from becoming the national embodiment of all our fears. »)
La Syrie, Poutine, Trump, ces trois sujets crisiques, – puisque tout est crisique dans notre temps, bien entendu, – sont puissamment reliés entre eux par des effets multiples, bien plus que par des décisions, qui, s’entremêlant et qui s’influençant les uns les autres, s'annulent finalement. Tous les trois, ils évoluent à une rapidité stupéfiante et dans des orientations supposées ou non, toutes marquées par l’inattendu.
Ce mouvement, cette volatilité, cette insaisissabilité constituent une situation exceptionnelle pour une année électorale US, dont on sait qu’elle est en général une sorte d’année d’attente avec surtout une certaine confiance (même chez les adversaires des USA) dans un processus rodé. Le poids des USA dans la politique internationale est tel, et les pouvoirs du président en fin de deuxième mandat si réduits, qu’effectivement une sorte de torpeur devrait marquer cette sorte d’année dont on sait qu’elle se terminera par l’apparition d’un nouveau président... Mais fait qu’il puisse s’agir de Donald Trump interdit cette sorte d’attente sans réelle préoccupation, parce que l’événement qu’on dirait pour l’instant “la-possibilité-de-Trump” secoue déjà le monde entier avant même que le vote ait tranché, avec cette définition proposée par Kissinger dès le mois de janvier : une circonstance « totalement sans précédent... Sa personnalité évoque une dynamique dont personne ne se doutait qu’elle fût présente, – surtout une dynamique de cette puissance. »
Tous les évènements en cours subissent nécessairement l’effet de l’événement dit de “la-possibilité-de-Trump”. Ils en ont la fragilité de l’incertain, l'impuissance de la perspective, l’insaisissabilité de l’irrationnel. Mais si l’on veut revenir sur terre, – et c’est une façon de parler certes, – c’est vers la Syrie qu’on doit d'abord se tourner... Ainsi, il faut se tourner vers le foyer avéré du désordre-devenant-chaos depuis plusieurs années pour sembler retrouver son équilibre : c’est un comble… mais c’est pour découvrir que, là aussi les certitudes vacillent.
Ces deux dernières semaines, ce qui semblait être une cavalcade irrésistible de l’armée syrienne ressuscitée et avec l’appui actif du Hezbollah et des Iraniens, l’ensemble étant soutenu puissamment par un déploiement de forces essentiellement aériennes et très efficaces de la Russie, tout cela a rencontré quelques revers significatifs. Jusqu’ici, la chose a pu être contenue, sinon rattrapée dans un cas ou l’autre, mais d’une façon qui mettrait plutôt en évidence les limites de la riposte de ceux que le colonel Pat Lang, sur son site Sic Semper Tyrannis, nomme “les R+6“ pour désigner la coalition comprenant notamment la Syrie d’Assad, les Iraniens et les Russes. Pour Lang, les R+6, même s’ils ont fait d’excellentes choses, n’ont pas assez de forces terrestres pour prendre en main la situation générale. Il cite une dépêche AMN.News du 13 mai à propos d’un de ces épisodes :
« The Syrian Arab Army’s 525th Regiment of the 18th Tank Division was under heavy attack near the T-4 Airport; this prompted a direct military intervention from their Russian advisers. In just two days, the Russian Marines helped the Syrian Armed Forces recapture the initiative in east Homs, while also recovering several points near the Al-Sha’ar Gas Fields and T-4 Military Airport. Now, with the Syrian Arab Army’s “Tiger Forces” pushing south towards the Al-Sha’ar Gas Fields, the Russian Marines can go back to their original role, which includes advising the Syrian Armed Forces. »
... Puis il commente, dans son texte du 15 mai (dans le langage “langien”, IMO signifie In My Opinion) :
« I have understood that Russian marines were in Syria to secure their air base complex and naval facilities at Latakia and Tartus as well as to do some line troop re-training. Now we see them committed to actual front line combat. IMO this backs up my contention that the R+6 alliance in Syria lacks enough quality ground combat units to accomplish their many obvious objectives in population and geographical control of Syria's territory and resources. »
Elijah J. Magnier élargit la perspective pour choisir le point de vue politique sur cette situation syrienne. Il s’attache à la position russe, qui était excellente il y a encore deux mois et qui continue à l’être d’un point de vue stratégique général.
Par contre, la posture russe est devenue beaucoup plus délicate en Syrie même, vis-à-vis des partenaires de la Russie, et cela pour des raisons d’évolution politique. Elijah J. Magnier, qui a d’excellentes sources à Damas et dans la coalition, juge que la Russie s’est laissée “enfermer” dans la diplomatie flottante et insalissable des USA, dans le cadre du cessez-le-feu, s’interdisant à elle-même d’intervenir comme l’évolution de la situation opérationnelle le demanderait.
« The Damascus and Moscow alliance faced with the cooperation of the Middle Eastern regional countries and the United States in Syria is failing at the moment... [...] [...M]ost important is the fact that countries in the region know how to read the current political-military current dynamic and understand that Russia, at the moment is sinking politically in the mud of American diplomacy and is engaged in the tunnel of diplomacy. At this moment the Kremlin does not see any solid justification for re-engaging in another air force campaign similar to the one carried for six months, prior the cease-fire. »
Une source syrienne exprime une réelle insatisfaction des côtés syrien et iranien du fait que les Russes se soient laissés “endormir” par le cessez-le-feu et la perspective de coordonner une action vraiment constructive avec les USA. Le jugement est extrêmement sévère sur la politique suivie par les Russes, ce qui correspond à un renversement complet par rapport à l’automne ; que ce jugement soit justifié ou pas, ou bien en partie justifié et en partie injustifié disons, n’empêche pas de constater la réalité du changement d’état d’esprit. Par ailleurs les principaux acteurs, notamment ceux qui soutiennent les divers groupes rebelles, réarment et réorganisent ces forces pour éventuellement faire évoluer ces forces à leur avantage d’une part, pour se mettre en position de force dans l’attente du nouveau président US d’autre part. (Cette dernière remarque est très ambivalente car l’appréciation rapportée implique que le nouveau président US sera plus dur qu’Obama, ce qui serait certainement le cas d’Hillary Clinton, – mais Donald Trump ? Il n’est pas sûr que tout le monde, dans la région, ait apprécié tous les bouleversements possibles impliqués par l’arrivée d’un Trump et il se pourrait bien que l’ignorance totale du Moyen-Orient par les spécialistes US ait un double mimétique dans l’ignorance complète des USA par les experts moyen-orientaux des pays amis des USA.)
» “Rebels are expected to attack other points and advance in rural areas in the coming weeks. The serious differences between Moscow and its Damascus allies over various objectives permit rebels to recover more territory. Although Russia is not asking the Syrian President Bashar al-Assad to step down, nevertheless, its unilateral deal with the Americans is exposing and endangering all forces spread thin as they are on the front lines. That was not the initial deal agreed between Tehran and Moscow. Russia fell into the diplomatic trap, offering a golden possibility to the Syrian negotiators in Geneva to impose their will when in fact most of these have no real power over the rebels on the ground around Aleppo and Idlib. Russia is unaware that even the unforeseen departure of Assad won’t stop the salafist jihadists continuing the war (like al-Qaeda, Jund al-Aqsa, Ahrar al-Sham, Jaish al-Muhajereen wal Ansar, Jaish al-Sunnah and others), said the source.
» “Countries in the region are prepared to wait seven more months for a new U.S. President who would interact with Assad more aggressively than President Barack Obama. These countries will continue supporting the rebels in the next 7 months, sending money and weapons so they are prepared for another confrontation. The allies of Damascus consider Russia has repeated what the late President of Egypt Anwar al-Sadat did in 1973 when he stopped the war suddenly and gave Israel the opportunity to regroup its forces, returning to regain the initiative and overcome the Egyptian third army, all of which resulted in the Camp David agreement”. »
Tout cela nous conduit à Poutine, dont on pourrait envisager qu’il est entré dans une période de crise, voire que sa position intérieure est désormais beaucoup moins stable. On ne parle certainement pas du camp libéral-atlantiste, mais bien du camp nationaliste-souverainiste (la tendance eurasiatique). L’évolution de la situation en Syrie prive Poutine d’un argument très fort pour repousser les critiques, et ouvre la voie à d’autres domaines de critiques.
On reprend ici un extrait du Weekly Comment du 13 mai d’Alastair Crooke, de Conflict Forum (article repris dans Russia Insider) où l’on voit que sont directement cités des critiques précises contre Poutine, qui englobent la situation en Syrie, mais aussi l’état général des forces face à ce qui est désormais présenté comme une menace de guerre directe contre la Russie. Parallèlement et sans surprise, la politique financière et monétaire russe alignée sur celle du bloc BAO est une fois de plus mise sur la sellette et dénoncée. Crooke cite notamment le professeur Stephen F. Cohen, le meilleur spécialiste US de la Russie et régulièrement opposé à toutes les postures et extravagances russophobes qui prolifèrent dans le bloc BAO. Cohen ne cache pas sa préoccupation quant à la position de Poutine vis-à-vis de l’apparatus de sécurité national de la Russie, disons de son “État profond”, plutôt dans le sens vertueux de gardien de la sécurité
« On 20 April, General Alexander Bastrykin, the head of the Russian Federal Investigative Committee (a sort of super Attorney General, as Cohen describes it), in an article in Kommersant wrote, in gist, that Russia – its role in Syria notwithstanding – is militarily ill-prepared to face a new war, either at home or abroad, and that the economy is in a bad way, too; and that Russia is equally ill-prepared to withstand geo-financial war. He goes on to say that the West is preparing for war against Russia, and that the ‘leadership’ does not appear to be aware of, or alert to, the dangers that Russia faces.
» General Bystrykin does not say that President Putin is to blame (though the context makes it clear that this is what he means), but two or three days later, his article draws three further contributions which both endorse Bastrykin, and do precisely mention Putin by name, (Cohen notes). Finally, a retired Russian general enters into the fray to confirm that the West is indeed preparing for war (he points to NATO deployments in the Baltics, the Black Sea and Poland, inter alia) and underlines again the unpreparedness of the military to face this threat. In all, “this is a heavy indictment of Putin. It is now out in the open”, [prof Stephen] Cohen adds.
» What is this all about? For some time (evident during the early stages of the Ukraine dispute) there have been indications that a key faction within the Kremlin, one that very loosely might be termed ‘nationalist’ and ‘re-sovereignty-ist’, has become deeply disenchanted with Putin’s toleration of the ‘Washington Consensus’: i.e. the (Atlanticist) adherents at the Russian Central Bank, and in other pivotal economic posts. The sovereignty-ists want them, and Medvedev’s perceived western-friendly government, purged. Putin may be highly popular, but Medveydev’s government is not. The government’s economic policy is being criticised. The opposing faction want to see an immediate mobilisation of the military - and of the economy - for war, conventional or hybrid. This is not about wanting Putin ousted; it is about pushing him to wield ‘the knife’, and to cut deeply.
» What does this faction want, apart from Russia preparing for war? They want a harder line in Ukraine (i.e. to let the Dunbar militia lose), and for Putin to reject John Kerry’s snares in Syria (i.e. using Aleppo’s ambivalence – as neither wholly held by the government, nor by An-Nusra/Al-Qaida - together with the general American reluctance to disentangle their ‘moderates’ from jihadis as as a hold over Putin). In short, Kerry is still trying to force Assad’s removal and continues to push for US support for further arming of the opposition. The view is that America is insincere in trying to co-operate with Russia in a settlement, but more intent on entrapping Putin in Syria. Perhaps they are right, as Gareth Porter and Elijah Magnier have outlined.
» What this means – at a more fundamental level – is that the Russian President is being asked to take the side of the 'nationalists' (for want of a more appropriate term) against the Washington Consensus ‘internationalists’, who the former sometimes label as ‘fifth columnists’ - and to purge them from power. Recall however, that Putin came to power precisely to temper this polarity within Russian society by rising above it, and to synthesise it – to heal and re-build a diverse society, trying to recover from deep multiple divisions and crises. He is being asked then, to renounce that for which he stands, because, he is being told, Russia is directly being threatened by a West ‘preparing for war’. »
L’affaire semble sérieuse et surtout on trouve beaucoup d’arguments pour la justifier. La question rarement posée mérite de l’être cette fois : Poutine tient-il ses généraux sous une autorité sans faille ? Cela peut se discuter.
On peut remarquer que l’article cité du General Alexandre Bastrykine date du 20 avril, alors que le très grave incident impliquant des Su-24 et la frégate USS Donald Cook. Nous y avions vu un durcissement très net des Russes, Poutine en tête, vis-à-vis des USA et de leur politique militariste et provocatrice ; ne peut-on aussi bien faire l’hypothèse, à la lumière des remarques que nous offrons, qu’il s’agit d’une initiative des militaires seuls (ce qui conçoit aisément vue l’aspect purement opérationnel de l’affaire), décidant de la forme extrêmement dure de l’action, en guise d’avertissement pour les USA, mais aussi en forme d’avertissement adressé au président russe par un establishment de sécurité nationale très préoccupé par ce qu’il juge être une politique devenue laxiste et indécise ?
Encore le “devenue” est-il peut-être un peu forcé, dans la mesure où l’on a déjà eu des échos de certains signes de mécontentement durant le paroxysme de la crise ukrainienne, pour ce que certains ont pu juger être une politique de Poutine beaucoup trop arrangeante, notamment durant la guerre opposant le centre-Kiev et le Donbass. Mais, dans ce cas, Poutine était bien plus à l’aise parce que sa politique semblait finalement “marcher”, et elle paraissait même extrêmement brillante. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, aussi bien avec la Syrie qu’avec l’Ukraine, où tout reste bloqué avec un Minsk2 qui est un des arguments justifiant toutes les attaques contre Poutine, et aussi les sanctions antirusses, qui subsistent.
Plus encore, les militaires russes croient vraiment à un danger de guerre avec le bloc BAO (l’OTAN) et voient dans les diverses mesures de renforcement prises une véritable préparation à un conflit. Leur perception est-elle la bonne, tiennent-ils compte des faiblesses énormes que ne cesse de montrer la machine de guerre US ? Mais les militaires US eux-mêmes font-ils un rapport entre cette faiblesse et la façon dont leur posture ressemble effectivement à une agressivité guerrière ? Quel est le rôle des groupes bellicistes, des neocons aux excités du Congrès avec leurs relais dans la presse-Système dans de processus ? Quoi qu’ils en soient, les militaires russes critiquent Poutine de ne pas répondre aux initiatives de type géopolitiques, même si assaisonnées de nombre de gesticulations de communication, en Europe, de la part du bloc-BAO.
... Et ont-ils complètement tort ? Dans cette circonstance, Poutine commence à montrer les défauts préoccupants de ses éblouissantes qualités. A quoi cela sert-il de continuer à négocier avec une administration qui n’a pas de chef ni de politique unifiée, qui a plusieurs voix, plusieurs promesses, très souvent contradictoires, qui promet de toute les façons et de tous les côtés et qui ne tient rien, qui ne représente effectivement plus rien en fait de pouvoir à Washington ? Pourquoi continuer à y voir un “partenaire” alors qu’il ne s’agit plus que d’un “retraité” qui ne fut jamais un véritable compagnon ? La sagesse est plutôt de tenir ce qu’on a, et tenir fermement en le renforçant, de continuer à frapper ce qui doit l’être, préserver et défendre ses alliés ; cela s’appelle préserver une position de force pour de futures tractations, ou de futurs affrontements c’est selon.
Comme pour renforcer la perception des militaires russes, il est également remarquable que, du côté de la “dissidence” au sein du bloc BAO, il continue à y avoir une rationalisation de ce qui serait des projets de guerre du bloc-BAO. Là également, c’est le théâtre européen (Ukraine, OTAN, Crimée, Baltique, etc.) qui est privilégié, comme dans un très long article de Eric Zuesse, sur le Washington’s blog du 15 mai. A cette occasion, Zuesse refait complètement l’historique de la crise ukrainienne, dont il date les prémisses opérationnelles directes bien avant le “coup de Kiev”, et dont il faut un plan mûrement arrêté du président Obama («How Obama Aims to Conquer Crimea »). Il conclut de la sorte :
« As I have previously explained, U.S. Secretary of State John Kerry had told Poroshenko, on 12 May 2015, to stop saying that Ukraine would restart its war against the separatist Donbass region and would invade Crimea and retake that too; but, Kerry’s subordinate, Hillary Clinton’s friend Victoria Nuland, told Poroshenko to ignore her boss on that, and then U.S. President Obama sided with Nuland and sidelined Kerry on Ukraine policy by making clear that he thought Poroshenko was right to insist upon retaking Crimea and re-invading Donbass. In other words: the Minsk peace process for Ukraine, that had been initiated by Angela Merkel and Francois Hollande, was grudgingly accepted by Obama but he really had no intention of its being anything more than a pause in the war, after which NATO itself would become engaged in facing-down Russia over its ‘aggressive’ ‘invasion’ and ‘seizure’ of Crimea.
» Game’s on for World War III, is Obama’s message to Russian President Vladimir Putin. At some point, either the American side or the Russian-NATO-EU side will have to back down on the Crimea matter, or else the bombs, on one or both sides, will be released against the other. Kerry has been trying negotiation, but his real enemy is his own boss. There is every indication that, if Hillary Clinton, a super-hawk against Russia, becomes the next U.S. President, then the policies that Obama has been implementing will be carried out. 2016 could thus turn out to be a very fateful election in the U.S., and not only for the U.S. but for the entire world. »
On observera tour de même que, dans cette version, Kerry joue un rôle de “conciliateur”, recherchant vraiment l’arrangement avec les Russes tandis que Nuland et Obama conspirent pour saboter ses efforts et préparer la Troisième Guerre mondiale. (Pourquoi ces complications si Obama est le chef suprême qu’on disait ? Passons.) Dans la version précédente, concernant la Syrie, Kerry serait plutôt celui qui attire les Russes dans un piège avec toujours comme but de faire chuter Assad (« In short, Kerry is still trying to force Assad’s removal and continues to push for US support for further arming of the opposition... »). Cette même version fait de Kerry l’homme qui insiste depuis quatre ans pour lancer une offensive aérienne contre Obama, et d’Obama l’homme qui a résisté (notamment en août-septembre 2013) à toutes ces pressions guerrières... Où est le vrai dans ces visions absolument, diamétralement opposées ?
Dans cet imbroglio de perceptions, d’évaluations, de suppositions, dont n’émerge aucune certitude à propos de la possibilité (un affrontement USA-Russie) dont on parle maintenant d’une façon sérieuse et comme presque inéluctable depuis au moins trois ans, la seule perspective qui reste est celle dont nous parlions au début, – la perspective même de l’incertitude, mais élevée à un tel niveau de puissance et d’inéluctabilité dans son opérationnalisation qu’elle tendrait presque à devenir, dans une singulière inversion, la seule possibilité de certitude. Il y a beaucoup de contradictions dans tout cela ? On comprend de quoi ces contradictions sont la marque...
Voici donc l’achèvement de la présentation d’Alastair Crooke du 13 mai, dans laquelle Trump tient une place fondamentale. Crooke se réfère à des perceptions persistantes selon lesquelles un Trump élu voudrait prendre des mesures intérieures, notamment financières, par apport à la dette et par rapport au système de la Federal Reserve, absolument révolutionnaires. (Voir l’intervention du “controversé” mais fameux Peter Schiff sur CNBC le 8 mai. Schiff estime que Trump est le seul candidat qui comprenne dans quelle situation économique et finabcière se trouvent les USA : « “Trump just admitted on CNBC that America has too much debt to afford a rate hike, and that he wants our creditors to accept less than 100 cents on their Treasuries,” the Euro Pacific Capital CEO explained on CNBC's ‘Futures Now’ last week. “In other words, Trump knows a U.S. government default is inevitable.” »)
... Dans ces conditions, estime Crooke (il ne cite pas Schiff mais développe une analyse proche), une opportunité apparaît si Trump est élu.L'hypothétique nouveau président US, qui a déjà montré son ouverture vers la Russie, serait pressé de rétablir immédiatement de bonnes relations avec la Russie pour concentrer une action commune contre ISIS en abandonnant toutes les pressions bellicistes antirusses en Europe, pour se tourner vers sa tâche principale qui serait une attaque contre Wall Street et la Federal Reserve, pour se plonger dans la tentative de résoudre la crise fondamentale financière et économique des USA.
« ...But here, in this crisis, is the opportunity. America is heading into recession, corporate profits are falling, huge swaths of debt are looking suspect, global trade is sinking, and US policy tools for controlling the global financial system, have lost their credibility. And there are no easy solutions to the global overhang of increasingly putrid debt.
» But a President Trump (were that to happen) can lay blame for any ‘perfect economic storm’ precisely on the Establishment. America, as it were, is all knotted-up at present (as witnessed by the Presidential nomination mêlée). Some knots will take time to undo, but some could be undone relatively easily (and it seems that Trump has some sense of this). It could start with a dramatic diplomatic initiative.
» Historically, most radical projects of reform have started in this way: overturn a piece of ‘blocking’ conventional wisdom, and it can serve as the key to unlock the entire policy gridlock – and the momentum gained will allow a reformer to steam-roller even the hardest resistance (i.e. Wall Street and the financial oligarchy) into making reforms.
» Trump can simply say that American (and European) national security interests pass directly through Russia (as they clearly do), that Russia clearly does not threaten America (as it does not), and that NATO is, in any case, obsolete (as he has said), and that it makes perfect sense to join with Russia and its allies in surrounding and destroying ISIS. If one listens carefully, Trump seems half-way there. It would cut a lot of knots – maybe even untie the policy gridlock. Perhaps that is what he intends? »
Alastair Crooke n’est ni un rêveur, ni un optimiste. S’il risque cette hypothèse qui peut paraître celle d’un rêveur ou d’un optimiste, c’est parce qu’il cherche désespérément à dessiner ce qui pourrait être une issue à la situation, ou du moins à une tentative de reprise de contrôle de la Grande Crise Générale de l’effondrement du Système, dont le centre en fusion se manifeste désormais indiscutablement là où est sa place incontestable, – aux USA eux-mêmes, qui dévoilent franchement leur crise générale avec les présidentielles-2016, – ce qui pourrait faire penser qu’on approche du terme de cette Grande Crise. Crooke résonne sans dissimuler la situation générale de “chaos-nouveau” que nous avons distinguée, en utilisant ce facteur incertain, insaisissable, complètement hypothétique, mais potentiellement d’une puissance énorme qu’est “la possibilité de Trump” agissant au fond comme dans la technique explosive qu’on emploie pour éteindre un incendie de puits pétrolier : déclencher une énorme explosion contrôlée près du foyer du brasier grondant pour éteindre ce foyer par l’effet de souffle, comme on souffle une bougie.
Rationnellement, on pourrait parler de “dernière chance”, l’alternative étant l’élection de Clinton, qui serait pour nombre de commentateur l’accélération (ou l’accélératrice, si l’on admet la loi des genres) du processus belliciste guerrier jusqu’à l’inéluctable ... Pourtant, même dans ce cas, le “chaos-nouveau” ne garantie pas ce pire, car d’autres facteurs peuvent surgir, comme le “joker” déjà signalé de troubles intérieurs très graves aux USA.
Nous n’avons fait qu’exposer divers éléments, où les perceptions multiples et contradictoires abondent, où les hypothèses les plus contradictoires ont chacune leur cohérence, où l’impossibilité d’affirmer une celtitude rationnelle éclate partout. Les deux seules certitudes sont de la pure incertitude, par définition : d’abord que nous traversons une période crisique cruciale et paroxystique, dans une environnement qui est déjà crisique et paroxystique depuis plusieurs années, – le facteur crisique paroxystique au faite d’une situation crisique paroxystique... Ensuite, que tout cela est “ordonné”, c’est-à-dire rangé dans un désordre complet par l’effet du “chaos-nouveau” qui n’épargne plus personne, qui est totalement globalisé et qui, en tant que chaos, contient pourtant les éléments qui permettraient, par une sorte d’impulsions extrahumaine, “miraculeuse” diraient avec un certain mépris les voix des raisonneurs, quelque impulsion qui ressemblerait à une voie nouvelle vers quelque chose de tout à fait diffèrent. Au-dessus de tout cela se trouve un impératif qui se définit comme un formidable bouleversement psychologique, intégrant les conceptions psychologiques actuelles et les perceptions qui vont avec, imposant des attitudes complètement différentes, – une révolution eschatologique attaquant directement et prioritairement les psychologies.
On comprend qu’il n’y a nulle prévision là-dedans, ni même de possibilité de songer une seconde à une prévision. Nous mentionnons une simple possibilité qui est la plus simple et la plus radicale à la fois, la plus impensable et la plus inconcevable à la fois. Nous sommes dans une situation où ces qualificatifs ont leur place, ou plutôt seuls de tels qualificatifs ont leur place.
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