Notre monde des “unknown unknowns

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Notre monde des “unknown unknowns

11 avril 2011 — D’abord, il y a la fameuse péroraison que fit Donald Rumsfeld lors de sa conférence de presse du 12 février 2002, la fameuse conférence baptisée des “known knowns”, et qui fait même l’objet d’un article de Wikipedia (USA)… “il y a les choses dont savons que nous les connaissons ; il y a les choses dont nous savons que nous ne les connaissons pas (puisque nous savons qu’elles existent mais que nous ne les connaissons pas) ; et puis il y a les choses que nous ne connaissons pas, et dont nous ne savons pas par conséquent que nous ne nous les connaissons pas (puisque nous ne savons pas qu’elles existent, et que, évidemment, nous ne les connaissons pas). (Il faut toujours s’intéresser à Rumsfeld, personnage brutal mais énigmatique, à plusieurs facettes, –, et nous-mêmes sommes allés jusqu’à envisager une “métaphysique de Rumsfeld”.)

Voici donc la charade de Rumsfeld…

«[T]here are known knowns; there are things we know we know.

»We also know there are known unknowns; that is to say we know there are some things we do not know.

»But there are also unknown unknowns – the ones we don't know we don't know.»

Dans un article du 7 avril 2011, sur UPI, Harlan Ullman, que nous avons déjà souvent rencontré, notamment comme inventeur de la formule de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, place sa réflexion sous le patronage de ces remarques à la fois philosophiques et ésotériques de l’ancien secrétaire à la défense Rumsfeld. Il va de soi que, dans le monde où nous nous trouvons aujourd’hui, seulement deux ans après qu’il ait fait cette analyse sur la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, Ullman considère implicitement que les choses se sont considérablement aggravées dans le sens du chaos. Nous sommes clairement, si l’on peut dire, dans le monde des “unknown unknowns”.

Le texte de Ullman, que nous tenons depuis sa réflexion sur la “politique de l’idéologie et de l’instinct” comme un analyste très fin de la dégradation de la situation du Système, bien qu’il fasse entièrement partie du Système, et peut-être à cause de cela d’ailleurs, ce texte mérite d’être décortiquée. Son analyse est nécessairement très partielle, très centrée sur les obsessions US puisque la psychologie de l’analyste reste américaniste, mais elle présente une excellente vision de la méthodologie quasiment transcendantale de la dégradation de la situation. Le monde des “unknown unknowns” présente une dégradation en accélération affolante par rapport au monde de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” de 2009, que Ullman présentait déjà comme catastrophique.

Dans son texte, Ullman envisage plusieurs pays/régions qui sont exemplaires de cette spirale du chaos. Sa vision américano-centrée, avec un tropisme quasi exclusivement stratégique, est évidente dans le fait qu’il ne mentionne pas la crise nucléaire et eschatologique, ou “anthropique”, de Fukushima et du Japon. Mais l’exercice de l’interprétation du détail de ses appréciations est une bonne base de réflexion.

• En Libye, la situation devient de plus en plus claire, de la clarté lumineuse de la confusion, effectivement embarquée sur une voie chaotique : «In Libya, the largely predictable consequence of international military action to prevent Moammar Gadhafi from wholesale murder of civilians is a likely stalemate with him remaining in power.» “Stalemate” signifie la paralysie d’une situation de confrontation qui devrait être au contraire décisive, à cause de plusieurs variables produisant des “situations inconnues que nous ne connaissons pas”, – situation typiquement de la catégorie des “unknown unknowns”, – engendrant à leur tour des tensions contradictoires dont l’effet produit cette paralysie.

• Parallèlement, une thèse a pris forme autour de la situation libyenne, une thèse a contrario. L’attaque a eu lieu, dit cette thèse, parce que Kadhafi, voulant donner des gages au bloc BAO, a annoncé il y a quelques années qu’il abandonnait tout tentative de fabriquer une arme nucléaire ; ainsi, il n’était plus protégé par la menace du nucléaire, réelle ou pas mais d’un symbolisme très puissant. Conclusion : si vous voulez ne pas risquer une de ces attaques dont le bloc BAO est friand, considérant par ailleurs comme démonstration de la chose la relative impunité où se trouvent la Corée du Nord et l’Iran (où l’on possède, ou bien où l’on développe, des armes nucléaires), développez aussi vite que vous pouvez une arme nucléaire. C’est la thèse de l’expert Geoffrey Kemp («As Geoffrey Kemp of the Center for the National Interest recently pointed out, Tehran and Pyongyang have taken careful note of what happens when an otherwise weak state gives up its nuclear option, a consequence that surely couldn't have been intended by the decision to establish the no-fly zone.») C'est une thèse caractérisée par les “unknown unknowns”, qui sont la substance même de la possession des armes nucléaires (le principe de l'incertitude d'emploi, clef de la dissuasion).

• En Egypte, comme on le voit encore ces jours-ci, la situation reste absolument incertaine. Plus que jamais, plutôt que l’obsession de la montée des islamistes, vaut la thèse d’un régime post-Moubarak privilégiant une politique de prise de distance, voire de distance agressive vis-à-vis d’Israël, en complet renversement de la politique Moubarak, pour tenter de contenir les revendications diverses des Egyptiens en leur offrant une narrative nationaliste voire panarabe ; il s'agit, par rapport à la situation qui a prévalu, d'une orientation pleine de “unknown unknowns”. («Islamist doesn't mean radical as in the extreme perversions of Islam. However, the next Egyptian government is likely to re-examine the peace treaty with Israel and could possibly decide it was time to reassess or revoke parts of it. The regional and geostrategic consequences of such a step, if it occurs, will be profound.»)

• Au Yemen, où la situation est très tendue et où le président Saleh est aux abois, joue à plein l’obsession US et du bloc BAO de la “menace” Al Qaïda… Cette “menace” vaut ce qu’elle vaut dira-t-on avec un certains scepticisme, mais sa perception par les experts américanistes-occidentalistes suffit pour élargir/approfondir le chaos à cet égard, et l'opportunité de voir proliférer les “unknown unknowns” dans la situation du Yemen... «In Yemen, the battle apparently has become a blood feud between President Ali Abdullah Saleh and his former closest ally Maj. Gen. Ali Mohsin al Ahmar over who rules. The West needs Saleh in the fight against al-Qaida. Ahmar appears to be better disposed toward the fundamentalists although no one can be certain. Supporting Saleh especially as violence provokes civil war is distasteful at best. But Ahmar replacing Saleh could give al-Qaida a boost – inadvertent consequences of the first magnitude.»

• Ullman cite un autre expert qui lui-même cité parfois dans nos colonnes, Arnaud de Borchgrave, de United Press International et du Center for Strategic and International Studies (CSIS). Ullman rapporte que Borchgrave est absolument partisan de la thèse de Kemp et qu’il affirme de bonne source savoir (une chose faisant partie, elle, implicitement selon Borchgrave, des “known knowns”) que l’Arabie «considère sérieusement une option nucléaire contre l’Iran». (L’obsession iranienne de l’Arabie s’est démultipliée dans une proportion inimaginable, jusqu’à la pathologie des princes baignant dans les pétrodollars, depuis les événements de Bahreïn, que l’Arabie, incapable d’accepter la thèse des “révoltes spontanées”, attribue à l’Iran.) Aucune autre précision donnée (simple volonté de développer la bombe, disposition d’une bombe par la Saoudiens, par un moyen ou l’autre ?), par conséquent basculement dans un inconnu caractérisé par les “unknown unknowns”, avec l’hypothèse de la possibilité d’une course à l’arme nucléaire dans la région du Golfe.

• En Afghanistan, tout ne va pas si mal, dixit Ullman, – ce qui pourrait paradoxalement (sic) conduire à une situation pire encore que si tout allait très mal, dixit Ullman… Selon Ullman, il y a eu certains succès tactiques sous la direction de Petraeus, – ce qui reste encore à démontrer, mais on peut ici accepter l'appréciation comme une hypothèse du raisonnement. Par ailleurs, Ullman signale une amélioration conséquente du soutien des Afghans au régime Karzaï, et cela est présenté comme étant en corrélation contradictoire avec les soi-disant succès tactiques, ce qui conduirait vers une situation qualifiée par Petraeus de “fragile et réversible”. L’idée serait que Karzaï, renforcé par sa popularité et soulagé de la tension que font peser sur lui les talibans, jouerait avec plus d’agressivité la carte nationaliste de son propre pouvoir renforcé qui le conduirait à affirmer avec plus d’efficacité son hostilité non déguisée, depuis plusieurs années déjà, au “parrainage” excessif et maladroit des forces de l’ISAF, et, essentiellement, des forces américanistes… D’où ce constat avec des prolongements inattendues, où les éventuels succès militaires conduisent à une position de plus en plus fragile de la coalition du bloc BAO en Afghanistan : «The tension between tactical military progress and failure or success of governance and development inevitably will provoke unintended consequences and not necessarily good ones.»

• Au Pakistan, relève Ullman, le pouvoir civil et surtout l’armée, avec l’ISI (renseignement pakistanais) en flanc garde puissant, tous les trois pour une fois d’accord, sont en train de dévaster les réseaux de la CIA. Il y a l’affaire de l’emprisonnement puis de la relaxe, sous des pressions obscènes des USA, du contractant de la CIA Raymond Davis. Cette semi-capitulation forcée pakistanaise a été accompagnée, ou disions compensée par une formidable mesure de rétorsion, avec 330 officiers et agents de la CIA (officiellement, ce sont des “diplomates”) expulsés par le Pakistan, et d’autres qui vont suivre («[Pakistan] is preparing to expel more»).

On mesure ce que valent désormais les relations entre les USA et le Pakistan, d’autant que, cette fois, l’armée pakistanaise, jusqu’alors sur la réserve, mène la danse de l’hostilité affichée aux USA. Le chef d’état-major de l’armée A.P. Kayani a publiquement et très vigoureusement condamné la dernière “bavure” de la CIA type-Predator sans pilote, superbement efficace et précis paraît-il, – avec 40 tués pakistanais au bout du compte. (Des talibans déguisés en Pakistanais tranquilles, dit la CIA ; des Pakistanais comme vous et moi, dit A.P. Kayani.) Pire, bien pire, dit Ullman qui a l’air très assuré de ses sources : «Worse, Kayani has privately warned the United States that if another mistaken attack happens again, the consequences will be serious.» Là aussi, comme en Afghanistan, des perspectives de “unknown unknowns”...

• Contrairement à la situation de Guerre froide, observe Ullman, où les tensions locales et régionales disparurent avec l’affaiblissement et la disparition de l’Union Soviétique, il n’existe pas aujourd’une grande force agissant comme un catalyseur et qui représente un certain “ordre”. Cette force peut être présentée comme subversive (l’URSS du point de vue de l’Ouest), mais elle tient toutes les données des problèmes locaux et régionaux, et sa disparition ou sa neutralisation supprime tous ces problèmes. Rien de semblable aujourd’hui, où aucun “ordre”, que ce soit de bataille, de subversion ou de capitulation, n’existe en aucune façon. C’est le temps, là aussi, des “unknown unknowns” : «The times are untidy – a euphemism for complex, complicated and dangerous.»

• Ullman s’essaie à définir ce que pourraient être les mesures nécessaires pour tenter de renverser cette situation de chaos et d’accentuation du chaos, que nous jugeons pour notre compte irréversible. Il énonce trois principes : une “approche stratégique”, ou une façon de penser qui est une «pensée stratégique» intégrant tous les domaines, de façon à trouver des points de connexion par où entreprendre des actions ayant des effets sur tout le processus, permettant d’en reprendre le contrôle ; deuxièmement, une planification intégrée, assimilant toutes les crises entre elles et, surtout, en faisant en sorte que l’attitude du gouvernement (US, en l’occurrence) vis-à-vis de ces crises soit elle-même intégrée ; enfin, troisièmement, le point fondamental et dont dépendent tous les autres, d’un “puissant leadership du président pour assurer ces deux premiers objectifs” («Third, the president must exercise strong leadership to accomplish both»)… Ullman conclut aussitôt, et de façon extrêmement pessimiste qui laisse entendre qu’il ne croit pas une seconde que l’irréversibilité de la tendance identifiée puisse être contrariée, encore moins renversée :

«This White House, as others, will assert this is being done. If it is, it is well-disguised and isn't working – the worst of all unintended consequences.» Ces deux phrases en apparence énigmatiques impliquent en effet une perte complète d’espoir de quelque amélioration que ce soit, puisqu’elles observent que “la Maison-Blanche, comme le reste, assurera que cela est effectivement fait”, – à savoir, la forte direction du Président pour faire en sorte que les deux objectifs de la «pensée stratégique» et de la planification intégrée sont accomplis. “Si c’est le cas, cela est bien dissimulé et cela ne marche pas, – la pire des conséquences possibles”… Si, effectivement, le président assure une direction puissante, ou est persuadé de le faire, et que l’on en mesure les résultats dans la situation actuelle et son évolution, alors il faut constater que cela ne marche pas, et que nous sommes effectivement dans le pire des cas où plus personne ne contrôle rien sans que quiconque ne réalise en quoi que ce soit cette situation. Sur ces derniers constats, nous ajouterions en effet pour notre part que cette situation du pouvoir US, privilégié bien sûr par Ullman, vaut pour tous les autres pouvoirs d’une certaine importance ; la seule différence est que certains de ces pouvoirs, plus conscients de la situation, se font moins d’illusions que le pouvoir US à ce propos

La spirale transcendantale du chaos

Lorsque Rumsfeld, ce grand philosophe de l’action postmoderniste, énonça en 2002 les principes de son action, et lorsqu’il fit cette référence aux “unknown unknowns”, il faisait allusion à des péripéties auxquelles il pourrait se heurter, peut-être déplaisantes mais nullement fondamentales, et qui n’entraveraient de toutes les façons en aucun cas l’essentiel de cette action. Cette assurance où il se trouvait fut largement démontrée un an plus tard, avec la façon qu’il lança et conduisit la guerre en Irak, au nom de la direction américaniste ; mais, déjà, l’on pouvait sentir le poids grandissant des “unknown unknowns”, à la façon dont évolua ensuite la guerre en Irak, aussitôt après la “victoire” d’avril 2003…

Lorsque Ullman écrivit son article sur “politique de l’idéologie et de l’instinct”, il imaginait difficilement que la situation pût être pire à cet égard que celle qu’il décrivait justement à cet instant, où la raison supposée du nouveau président Obama le cédait de plus en plus à l’attirance démagogique de cette politique bushiste. D’une certaine façon, il décrivait une politique où les “know knowns” (les choses qu’on contrôle) avaient complètement disparu, où les “known unknowns” formaient l’essentiel, où les “unknown unknowns” se pressaient partout à la marge, déjà menaçantes mais encore contenues. Tout de même, Ullman ne pouvait imaginer qu’on pût laisser aller les choses au-delà, dans le pire du pire, dans la politique complètement définie par les “unknown unknowns” qui prennent désormais un rôle, peut-être paraissant encore quantitativement épars, mais qualitativement sans aucun doute décisif.

Aujourd’hui, effectivement, tout cela, les idées de 2009 bien autant que celles de 2002, est absolument dépassé… Le fait des “unknown unknowns” est devenu la substance active même de la situation du monde, voire son essence (s’il existe une organisation de cette situation que nous ignorons nécessairement) ; la “politique de l’idéologie et de l’instinct” est totalement dépassée, complètement réduite à un souvenir qui, malgré tous ses défauts, impliquait une certaine cohérence, une certaine maîtrise par ceux qui la menaient de la politique en question, – ne serait-ce que la maîtrise d’être soi-même la matrice du désordre que l’on déclenchait avec elle. Nous sommes au bout de la charade de Rumsfeld, lorsque la situation du monde n’est plus faite que d’“inconnues” dont nous ne soupçonnons même pas l’identité, le nombre, l’influence, ni même l’existence en fait. Face à cela, le pouvoir a définitivement basculé dans ses illusions de croire qu’il contrôle encore quelque chose, alors qu’il ne contrôle plus que des éléments disparates qui sont eux-mêmes complètement définis par les “unknown unknowns”, et qui, eux-mêmes, à leur tour, croient pourtant contrôler une situation qu’ils imaginent comprendre. Cela signifie que tout l’appareil puissant de la direction politique, – cette fois-ci, étendons la remarque à l’ensemble des pouvoirs organisés, du bloc BAO et même du reste, tous dépendant d’une façon ou d’une autre, consentante ou contrainte, du Système, – tout cet appareil évolue désormais dans un univers parallèle de l’univers réel, et que tout ce qui a trait à cette réalité qu’il n’atteint plus est “définie” par les “unknown unknowns” de Rumsfeld.

Que l'on soit convaincu de cela, comme nous le sommes évidemment, ou que l'ou doute fortement de cela, comme il semble que ce devrait être d’une certaine façon le cas d’Ullman, n'empêche pas qu'il devient absolument et objectivement légitime de s’interroger sur la substance et l’essence de cet univers parallèle qui est la nouvelle vérité du monde. Ullman ne le fait pas, parce qu’il reste homme du Système, mais on peut imaginer que, dans ses pires cauchemars, il doit distinguer qu’il y aurait cette obligation d’effectivement porter sa réflexion vers de tels horizons.

En effet, un effort de conceptualisation permet d’atteindre et d’envisager de nouvelles hypothèses qui suggèrent qu’il y a effectivement dans ce monde parallèle des “unknown unknowns” pour les directions politiques, une vie puissante, des dynamiques formidables en action, et, au-delà, un affrontement titanesque dont aucune direction politique organisée ne semble avoir la moindre conscience. (De ce point de vue, peut-être existe-t-il, ici ou là, quelques exceptions significatives. Certaines directions politiques, dans des entités marquées par de vieilles traditions, sensibles à des conceptions dépassant la simple organisation rationnelle du monde engluée dans l’impasse absolue, sensible à l’intuition haute si l’on veut, peuvent avoir une perception diffuse des forces en action dans l’univers parallèle qui représente aujourd’hui la vérité du monde et dont nos organisations sont exclues.) Nous avons souvent émis l’hypothèse que cet “affrontement titanesque“ se fait entre le Système en tant que tel, dégagé de tous ses scories rationnelles des sapiens et présentant son visage brutal d’“idéal de puissance”, en même temps qu’il développe sa crise ultime car ceci explique cela, – et, d’autre part, des forces métahistoriques qui sont pour l’heure indicibles selon le langage courant de la politique des hommes. On ne voit rien, ni dans la charade remise au goût du jour des “unknown unknowns” de Rumsfeld, ni dans le texte de Ullman, qui la rappelle à notre souvenir, qui démente en quelque sorte que ce soit la validité éventuelle d'une telle hypothèse et, dans tous les cas, l'intérêt considérable de l'étudier.

Cela signifie, en quelques mots, que toute la pensée politique, la «pensée stratégique», la conception du pouvoir et son exercice, par le bloc américaniste-occidentaliste et, plus généralement, cette conception qui implique une complète croyance dans les principes du Système auquel nous sommes soumis, tout cela n’a plus aucune signification ni plus aucun effet de quelque importance que ce soit sur la vérité de la situation du monde. La grande bataille de la vérité du monde, où le Système tel que nous refusons d’admettre qu’il est, dans toute sa subversion, a une place prépondérante, cette bataille se fait complètement en dehors de nous, dans un univers parallèle du nôtre. C’est pourtant de notre destin qu’il s’agit et, rien que pour cela, la chose mériterait quelque audace de pensée écartant les tabous qui nous emprisonnent depuis si longtemps, au moins depuis deux siècles, depuis que triomphent la modernité et l’illusion de l’“idéal de puissance”.