Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
29708 août 2002 — Beaucoup de bruit depuis deux-trois jours autour de l'Arabie Saoudite. Fuites, démentis, etc, notamment autour d'un rapport de l'analyste Laurent Murawiecz, de la Rand Corporation, qui a la particularité d'avoir nombre de ses activités concentrées en France ; rapport qui a été présenté en juillet au Defense Policy Board (DPB), présidé par Richard Perle et servant d'organe de conseil pour GW Bush, directement.
Quelques remarques, sans trancher sur le fond (la question du rapport Murawiecz, son contenu, etc) :
• L'opportunité de la fuite est remarquable, au moment où s'exercent des pressions très fortes autour de la guerre en Irak, mais, surtout, des pressions hostiles à cette guerre.
• Une pièce également remarquable, c'est un éditorial du Jerusalem Post sur la question ; éditorial publié très rapidement (le 6 août) après la publication de l'article sur le rapport Muriawecz dans le Washington Post du 6 août, mis en ligne sur le site du journal semble-t-il dans le courant de la journée du 5 (bien tard pour un journal israëlien, avec le décalage horaire).
On s'attache ici à un aspect de l'éditorial du journal israélien, celui où il fait une référence à un épisode de la Guerre froide :
« In some respects, this [Murawiecz] process echoes a similar one from the days of the Cold War, when then-CIA director George Bush commissioned historian Richard Pipes to head up ''Team B'' in 1976, a group of outside experts charged with the task of second-guessing the CIA's Soviet analysts. It was the rosy days of ''detente,'' and the CIA was swept along with the enthusiasm, leading some officials to worry that it was underestimating Soviet capabilities and intentions. Hence, when Team B concluded the Soviets were preparing a first-strike nuclear capability and that the US should be prepared to fight a winnable nuclear war, it came as something of a shock to the system. But, as history would later demonstrate, it was Team B that had gotten the story right and the CIA that had been woefully wrong in its assessment. (...)
» The record shows that Team B is generally more accurate than its civil service counterparts, and the conclusions it brings to the table should not be readily dismissed. Though the CIA's reaction to Team B's Cold War recommendations was to disband the group and bury its conclusions, the truth of its analysis ultimately prevailed. This time around, America's policymakers should and will likely heed such warnings in a more timely fashion, and recognize Saudi Arabia for what it is a hostile foe of Israel and the West. »
La présentation de l'affaire du Team B par le Jerusalem Post, utilisée comme valorisation indirecte de la présentation du rapport Murawiecz, relève de l'imagerie hollywoodienne (« The briefing on Saudi Arabia presented to the Defense Policy Board is another important example of the American Team B tradition, one in which entrenched policies are subjected to fresh and revealing outside scrutiny »). L'appréciation que donne l'éditorial des effets de l'intervention du Team B, outre de situer celle-ci faussement dans les « rosy days of “détente” », est également déformée et simplement contraire à la réalité, — « as history would later demonstrate » : on a pu en effet bien voir, depuis, combien les estimations du Team B ne rendaient aucun compte, ni de la réelle puissance soviétique, ni, encore moins, des intentions soviétiques. L'intérêt à cet égard est de consulter le livre Killing the Detente, The Right Attacks the CIA, de Anne Hessing Cahn, dont nous donnons une recension sur ce site.
Voici un extrait de notre appréciation du livre de Anne Hessing Cahn, qui situe l'état d'esprit de l'opération Team B :
« Le Team B démolit de façon systématique les évaluations de la CIA, qui donnaient une appréciation modérée des intentions soviétiques; le Team B imposa une approche différente, mécaniste, fondée sur l'idée que les dépenses militaires reflétaient à elles seules les intentions de ceux qui les décidaient, et, par conséquent, concluant que l'URSS était embarquée dans une entreprise de conquête du monde, éventuellement à l'aide d'une attaque nucléaire surprise contre les USA. Effectivement, jamais plus qu'en 1980-83, on ne crut à la possibilité d'une telle attaque, alors que, on le sait aujourd'hui, personne n'y songeait, les dirigeants soviétiques se trouvant enfermés autant que les dirigeants américains dans une peur-panique de l'adversaire.
» Ce que décrit bien Hessing Cahn, c'est comment cette opération Team B, émanation du CPD [Committee on Present Danger], lancée par quelques hommes (Rostow principalement, un démocrate!), acquit aussitôt une incroyable puissance à cause du soutien médiatique, d'influence, de réseaux divers, qui la rendit irrésistible. »
La référence autant que l'utilisation qui en est faite, dans cet éditorial du Jerusalem Post, la rapidité avec laquelle cet éditorial a été publié, suggèrent évidemment l'hypothèse que ce texte est directement alimenté par des sources américaines. On peut difficilement mieux suggérer qu'une source venue des milieux neo-conservatives déjà impliqués dans l'opération Team B (ils n'avaient pas encore l'étiquette, mais le reste était déjà là) et très présents dans le NPB. Richard Perle ferait l'affaire, — lui qui était dans le CPD qui patronna le Team B en 1977, aujourd'hui neo-con très influent, président du NPB qui a reçu Murawiecz, ultra-hawk partisan d'Israël et très proche d'Israël (Israelfirster comme dit Justin Raimundo, dont le texte de commentaire sur l'affaire Murawiecz comprend des éléments intéressants, à côté d'hypothèses moins convaincantes).
S'il s'agit effectivement d'une référence suggérée par les neo-conservatives, on mesurera indirectement l'importance qu'ils accordent au rapport Murawiecz et, par conséquent, tout le bien qu'ils pensent d'une opération mettant l'Arabie dans le “camp du mal” : l'affaire Team B est pour eux un des sommets de l'intervention de leur faction politique dans la politique américaine de la Guerre froide.
Il y a là assez d'éléments pour confirmer une impression déjà étayée à d'autres occasions, selon laquelle l'Arabie est clairement un objectif de l'extrême-droite US rassemblée autour de GW, autant que de l'extrême-droite israélienne au pouvoir. L'Arabie pourrait même s'avérer un objectif de substitution, au cas où la guerre contre l'Irak ne serait pas déclenchée assez vite, dans tous les cas pour accentuer la déstabilisation de la zone au travers de pressions accentuées sur elle. Cette fraction américaine, et quasiment américano-israélienne, est totalement engagée en faveur d'une politique de déstabilisation totale du Moyen-Orient.