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1837On a bien peu remarqué l’intervention du sénateur républicain John McCain lors d’une conférence publique au plus haut niveau donnée en Australie lundi, au terme d’une longue visite du sénateur dans ce pays. Le contenu en est pourtant extraordinaire : rien moins qu’un appel lancé à l’establishment de l’Australie, pays très proche de Washington D.C., pour aider à un effort d’une fraction de l’establishment de Washington D.C. visant à la chute du président Trump. Cette attitude extraordinaire du sénateur McCain, qui écarte ainsi tous les principes fondamentaux jugés nécessaires à la stabilité et à la solidarité garantes du bon fonctionnement du pouvoir américaniste, mesure l’intensité de la crise à Washington, qui dépasse toutes les autres crises en cours au sein du bloc-BAO, de l’axe transatlantique à l’Europe elle-même et sur les périphéries ; la crise du pouvoir à Washington D.C. est, pour cette séquence furieuse, la matrice et l’aliment essentiel de ce tourbillon crisique.
(Un signe de cette intensité est que le duo fameux des guerriers McCain-Graham se trouve désormais de plus en plus incertain sinon brisé. Le sénateur Lindsay Graham est beaucoup moins opposé à Trump que ne l’est McCain ; il s’arrange plus ou moins de sa politique de sécurité nationale et surtout il s’oppose à toutes les attaques et machinations lancées contre le président dans le cadre du Russiagate, que McCain soutient, lui, sans la moindre réserve.)
Le site WSWS.org a relevé avec sagacité l’importance de cette intervention, qui survient au milieu de la fantastique dynamique de déstabilisation en cours de ce que nous nommons “bloc-BAO”, notamment sur son axe transatlantique, mais toujours avec comme centre bouillonnant Washington D.C. où la “guerre civile” au sein de l’establishment et de la direction est plus forte que jamais et ne cesse de prendre de l’ampleur. Par exemple et exemple immédiat, si l’on insiste le plus souvent, en Europe, sur l’aspect international jugé très grave de l’annonce hier par Trump du retrait des USA de l’Accord de Paris sur la réduction des émissions de gaz à effets de serre, c’est d’abord sur le plan intérieur, à Washington D.C., que la décision de Trump provoque une tempête et signale son importance fondamentale. Les réactions antagonistes très violentes à cette décision se font selon les lignes d’affrontement entre d’une part Trump et ses alliés traditionnels renforcés cette fois par une fraction importante du parti républicain et des conservateurs-Système, et d’autre part la fraction progressiste-sociétale comprenant le parti démocrate, de très nombreux groupes de pression, voire des États de l’Union en tant que tels, comme la Californie et New York qui ont annoncé qu’ils appliqueraient l’Accord de Paris contre la décision du “centre” washingtonien.
L’intervention de McCain montre que l’affrontement à Washington D.C. ne connaît plus aucune borne, qu’il semble bien désormais constituer nécessairement un affrontement à mort, qu’il ne pourrait se terminer que par une capitulation totale de l’une des deux fractions, ce qui semble impossible, ou bien par des mouvements internes fondamentaux de rupture. (On aura plus que jamais à l’esprit que la Californie est un des trois ou quatre États où le mouvement sécessionniste y développe une très grande fécondité. C’est un aspect de la situation aux USA sur lequel nous nous sommes souvent arrêtés ces derniers dix-huit mois, tant nous pensons que l’éclatement sous quelque forme que ce soit [sécession, autonomie, etc.] constitue la faiblesse fondamentale des USA, la menace principale contre leur stabilité autant que l’unique “porte de sortie” d’une crise ontologique.)
L’article de WSWS.org, s’il met bien en évidence combien toutes les limites de l’équilibre du système de l’américanisme, et du Système lui-même, sont mises en cause par la crise, du fait d’une incompatibilité de maintien de l’union entre les différents composants (crise structurelle) bien plus que du fait d’un point précis de mésentente (crise conjoncturelle), pourrait induire en erreur en mettant en évidence un article du New York Times critiquant violemment l’attitude de Trump à l’OTAN et au G7 (ou G7-1). Cette mise en évidence pourrait faire croire que l’establishment est complètement de tendance globaliste, contre Trump, alors qu’il est lui-même (l’establishment) divisé à cet égard.
On a déjà insisté sur le jugement du Financial Times prenant quasiment fait et cause pour Trump (et pour le Royaume-Uni du Brexit). Vis-à-vis de la plupart des interventions de Trump, on retrouve cette division de l’establishment washingtonien, et notre conviction est bien qu’on la retrouve également dans le cas de l’intervention de McCain. Si ce n’était le cas, si tout l’establishment était ligué contre Trump, comme il le fut à différents moments de la campagne des présidentielles, le président US, qui a déjà beaucoup manœuvré à cause de la faiblesse de sa position, serait d’ores et déjà réduit à l’état de potiche incapable de prendre des décisions. Or, le fait est qu’il prend toujours des décisions extrêmement importantes...
Ainsi irions-nous jusqu’à penser que l’intervention extraordinaire de McCain, plutôt que de montrer la puissance et l’assurance de la fraction anti-Trump, montre au contraire son irritation et son exaspération de ne pas pouvoir arriver à ses fins de neutralisation de Trump d’une façon ou d’une autre. Il est loin d’être assuré que McCain puisse compter sur le soutien sans faille “des généraux” de l’administration Trump, comme il l’affirme devant son auditoire australien. Pour l’instant, nous parlerions plutôt d’une impasse dans l’affrontement au cœur de Washington D.C., avec l’impossibilité pour l’une ou l’autre fraction de l’emporter. Cela implique bien entendu une aggravation constante de la crise du pouvoir de l’américanisme, avec une impossibilité concomitante pour la crise générale (notamment dans les rapports transatlantiques) de prendre une orientation précise.
Le désordre est complet et il s’exprime sous la forme de ce “tourbillon crisique” en apparence sans la moindre cohérence ni sens rationnel selon les références habituelles que nous convoquons pour nos analyses politiques ; et plus que jamais, le cœur, le paroxysme décisif et la clef de la crise se trouvent à Washington D.C., dans cette sorte d’affrontement sur un territoire clos et nulle part ailleurs. Notre situation, à nous en Europe et dans les crises auxquelles nous sommes liés, et la politique générale extérieure dépendent plus que jamais de Washington D.C. Jamais la prééminence et l’“influence” de l’“Empire” n’a été aussi forte qu’en ce moment où il est en train de s’effondrer ; même si cela peut surprendre et même choquer, ou disons contrarier, c’est évidemment logique puisque cet effondrement affecte l’essentiel de la puissance opérationnelle du Système et que notre sort dépend du sort de ce Système qui nous enchaîne.
On trouvera ci-dessous la version française du texte de WSWS.org, du 2 juin 2017 (version anglaise publiée le 1er juin 2017). Nous y avons apporté quelques modifications de forme pour sa clarté et la validité du style, en laissant d’ailleurs le paragraphe de conclusion qui constitue l’habituel et exotique appel à la mobilisation et à la révolte de la classe ouvrière. Le titre original est également modifié sans dénaturer une seconde le fond.
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Parmi les préceptes les plus fondamentaux de la politique étrangère américaine, on trouve l’adage : « La politique s’arrête au bord de l'abîme ». (“Politics stops at the water’s edge.”) Exprimée en 1947 au début de la guerre froide par le sénateur républicain Arthur H. Vandenberg, cette formule exprime la conception que, quelles que soient les divisions internes sur la politique étrangère, elles doivent être subordonnées au front uni que l’establishment politique américain présente au monde. En aucun cas, un dirigeant politique américain voyageant à l’étranger ne dénonce le chef de l’État.
Ce principe a été expédié sans autre forme de procès et de façon explosive par le sénateur de l’Arizona, John McCain, mardi. Parlant en Australie devant les hauts fonctionnaires de l’État et de l’armée, y compris deux anciens premiers ministres, McCain a prononcé un réquisitoire contre Donald Trump et a appelé le gouvernement australien à défier son administration. « Je me rends compte que certaines des actions et des déclarations du président Trump ont perturbé les amis américains », a-t-il déclaré. « Ils ont également perturbé beaucoup d’Américains. Il existe actuellement un véritable débat dans mon pays sur le rôle que l’Amérique devrait jouer dans le monde. Et franchement, je ne sais pas comment ce débat se déroulera. » « Ce que je crois, et là je ne pense pas que j’exagère, c’est que l’avenir du monde se jouera, dans une large mesure, sur la façon dont ce débat en Amérique sera résolu. »
Imaginez un instant que les rôles soient inversés. Si un haut représentant du gouvernement australien venait aux États-Unis pour dénoncer le Premier ministre australien devant les responsables américains, il serait légitimement compris qu’il sollicite un soutien pour faire tomber le chef actuel de son propre gouvernement. En tant que sénateur de haut rang, ancien candidat républicain à la présidentielle, président de la puissante Commission des services armés du Sénat, fils d’un amiral et ancien officier militaire lui-même, avec d’innombrables liens privés avec l’armée, McCain s’exprime en tant qu’un des personnages les plus puissants de la politique américaine.
Il a poursuivi : « Je sais que beaucoup d’entre vous ont beaucoup de questions sur la direction que prend l’Amérique sous l’impulsion du président Trump. Franchement, beaucoup d’Américains aussi […] Mais il y a beaucoup de personnages décents et capables [dans cette administration], Jim Mattis, H. McMaster, John Kelly, Mike Pompeo, Dan Coats, Rex Tillerson, qui méritent votre soutien et en ont besoin. » Les personnages mentionnés par McCain comprennent trois généraux : le secrétaire à la Défense James Mattis, le conseiller en sécurité nationale HR McMaster et le secrétaire à la Sécurité intérieure John Kelly, ainsi que le directeur de la CIA, Mike Pompeo, le directeur des renseignements nationaux Dan Coats et l’ancien chef de la direction d’Exxon Mobil et actuel secrétaire d’Etat, Rex Tillerson. Fait significatif, McCain a laissé de côté le vice-président, Mike Pence.
Si c’est cela que McCain dit en public sur le président américain et le chef de son propre parti, on imagine ce qu’il peut dire en privé... Il a commencé ses remarques en faisant observer que, au cours des derniers jours, il avait rencontré le « Premier ministre Turnbull et son équipe, ainsi que les dirigeants de l’opposition » et « des diplomates, parlementaires et officiers de l'armée. » Il ne fait pas de doute qu’il a parlé avec des amiraux de la Marine américaine et des généraux des Marines.
Le choix de l’Australie par McCain n’est pas un accident. Les États-Unis intensifient leur confrontation avec la Chine et sont au bord de la guerre avec la Corée du Nord. Ils considèrent l’Australie comme un allié stratégique d’une importance critique dans le conflit qui se déroule dans le théâtre Asie-Pacifique. Washington est profondément impliqué dans tous les aspects de la politique australienne, y compris la chute du Premier ministre Gough Whitlam en 1975 et celui de Kevin Rudd en 2010. Reconnaissant que « ce qui est vraiment en question, c’est le jugement de l’Amérique », McCain a reconnu, « je me rends compte qu’il y a beaucoup à critiquer ». Il s’est ensuite rangé avec le gouvernement australien contre la politique des États-Unis. « Je sais que l’Australie parle maintenant avec le Japon et d’autres personnes pour avancer avec le TPP [Partenariat Trans-Pacifique] malgré le retrait de l’Amérique. Je vous y encourage fortement », a-t-il dit. « Je vous exhorte donc à persister. Et, espérons-le, un jour à l’avenir, dans des circonstances différentes, l’Amérique décidera de vous rejoindre. »
Dans ce qui ne peut être simplement qualifié de coïncidence, un éditorial publié au New York Times le lendemain a utilisé un langage presque identique. En décriant l’effondrement de la politique étrangère des États-Unis, le Times a félicité la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron quelques jours seulement après que les deux dirigeants aient lancé des attaques politiques contre le gouvernement Trump. Le journal a conclu sur un ton lugubre : « Pour l’instant, il semble que c’est à Mme Merkel et M. Macron de maintenir l’existence et l’importance de l’alliance [OTAN], au moins jusqu’à ce que M. Trump comprenne le besoin de direction américaine ou jusqu’à ce qu’un autre président plus sage le remplace. »
Les gens à qui McCain et le Times font appel savent ce que signifie ce langage : la guerre est ouverte au plus haut niveau de l’État américain.
La division politique à cette échelle ne peut survenir que dans les conditions de crise sociale la plus aiguë. Des factions puissantes dans l’État américain croient que la politique de l’administration Trump risque d’entraîner un effondrement complet de l’autorité mondiale de Washington et de ses intérêts hégémoniques. Elles sont en même temps préoccupées par les conditions sociales de plus en plus explosives aux États-Unis et par le fait que la capacité de l’élite dirigeante de contenir ces contradictions est gravement compromise par le déclin précipité du prestige mondial de l’Amérique.
Le conflit qui déchire l’État américain est entre deux factions réactionnaires, chacune engagée dans des conspirations et prête à utiliser des moyens inconstitutionnels pour atteindre ses fins. Une telle atmosphère crée les conditions de l’émergence sur la scène politique de la classe ouvrière, qui ne peut rester spectateur dans cette guerre entre les sections de droite de l’élite dirigeante, et encore moins prendre parti pour l’une ou de l’autre. Alors que McCain et ses collaborateurs cherchent des alliances entre différents groupes d’impérialistes, les travailleurs américains doivent rechercher des alliés dans la classe ouvrière internationale et poursuivre leur propre stratégie révolutionnaire et socialiste – pour l’emploi, la fin de la guerre et la défense des droits démocratiques.
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