ONU, Syrie, Russie, USA ... Et la guerre, dans tout ça ?

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ONU, Syrie, Russie, USA ... Et la guerre, dans tout ça ?

Avec une régularité qui ne peut surprendre, et peut-être une inéluctabilité à mesure, les conditions de l’évolution de l’accord USA-Russie sur les armements chimiques syriens se sont dégradés. Bien entendu, les USA portent la responsabilité essentielle, sinon exclusive de cette dégradation, avec le soutien zélé du bloc BAO, c’est-à-dire de la France et du Royaume-Uni, comme d’habitude engagés dans leurs opérations de sabotage de toute possibilité d’un règlement politique équilibré. Il s’agit là, sans aucun doute, d’une appréciation objective de la situation, tant ces diverses manœuvres sont à la fois flagrantes et renvoient à des psychologies complètement enfermées dans cette perversion. Ces circonstances n’ont pourtant pas empêché qu’on aboutisse à une rencontre Lavrov-Kerry, elle-même productrice d’un projet d'une résolution de l'ONU qui devrait être votée ce vendredi ou demain, qui semble donner nombre de satisfactions aux Russes (selon ce qu'on en sait : pas de références à l’usage de la force, pas de références à la responsabilité de l’attaque du 21 août, pas de Chapitre VII, mais aussi présence de forces russes en Syrie pour superviser la destruction sur place de l’armement chimique [voir le Guardian du 26 septembre 2013]). Cette évolution paradoxale des deux tendances signalées n’a rien pour devoir nous étonner tant les activités dites-“diplomatiques” évoluent en mode schizophrénique-turbo dans cette affaire... Conseil à suivre : éviter les exclamations définitives, dans un sens ou l’autre.

• Dimanche et lundi, le ministre des affaires étrangères Lavrov avait dénoncé dans des termes extrêmement durs le comportement US dans cette séquence. Le ministre russe avait parlé de “chantage” dans le chef de la diplomatie des USA par rapport à la diplomatie russe, concernant l’évolution du dossier de l’armement chimique, les USA cherchant à faire évoluer la résolution de l’ONU qui devrait être votée vers le patronage du Chapitre VII impliquant la possibilité du recours à la force. Parallèlement, autant Kerry qu’Obama ont continué régulièrement à parler de la possibilité de l’emploi de la force, dans telle ou telle circonstance (échec de l’application de l’accord) dont on devine qu’elle pourrait être (cette possibilité) aussi bien une incitation à la susciter, à l’identifier un peu vite, à l’arranger s’il le faut, etc.

«The US is pushing Russia into approving a UN resolution that would allow for military intervention in Syria, in exchange for American support of Syria’s accession to OPCW, Russian Foreign Minister Sergey Lavrov has said. “Our American partners are starting to blackmail us: ‘If Russia does not support a resolution under Chapter 7, then we will withdraw our support for Syria’s entry into the Organization for the Prohibition of Chemical Weapons (OPCW). This is a complete departure from what I agreed with Secretary of State John Kerry',” Russian Foreign Minister Sergey Lavrov told Channel 1's Sunday Time program. [...]

»The head of Russia’s Foreign Ministry went on to say he was surprised by the West’s “negligent” approach to the conflict. “Our partners are blinded by an ideological mission for regime change,” said Lavrov. “They cannot admit they have made another mistake.” Slamming the West’s intervention in Libya and Iraq, the foreign minister stated that military intervention could only lead to a catastrophe in the region. Moreover, he stressed that if the West really was interested in a peaceful solution to the conflict that has raged for over two years, they would now be pushing for Syria’s entry into the OPCW in the first place, not for the ouster of President Bashar Assad. “I am convinced that the West is doing this to demonstrate that they call the shots in the Middle East. This is a totally politicized approach,” said Lavrov. [...]

»Lavrov harked back to last year’s Geneva accord which was agreed upon by the international community, including Russia and the US. However, when the resolution went to the Security Council the US demanded that Chapter 7 be included. “History is repeating itself. Once again in Geneva an agreement has been reached which does not contain any mention of Chapter 7. But the Security Council wants to redo the document in their own way to include it.”» (Russia Today, le 22 septembre 2013.)

• L’intervention de Lavrov n’a fait que substantiver une situation générale de communication en dégradation régulière, en même temps que l’on tentait de mettre en place et d’élaborer les conditions de l’application de l’accord ainsi que les conditions d’une résolution de l’ONU qui soit acceptée par tous. Ces démarches concrètes sont très difficiles en elles-mêmes mais elles le sont encore plus dans le climat général qu’on connaît, et avec certaines contradictions très remarquables. C’est évidemment la politique US/du bloc BAO qui est friande de ces contradictions, lesquelles sont souvent directement issues du cerveau complexe et parcouru de circonvolutions exceptionnelles du président Obama, avec l’aide d’autres cerveaux puissants, type Hollande-poire et Fabius. Par exemple, Harlan K. Ullman résume la principale d’entre elles, le 18 septembre 2013 : «[T]he Obama administration must reconcile contradictions in its convoluted policies toward Syria. U.S. President Barack Obama has made it clear that Syrian President Bashar Assad must go... [...] But what is the higher priority: eliminating chemical weapons or forcing Assad to leave office? Both cannot be achieved concurrently because without Assad's cooperation, there is no chance that chemical weapons can be secured peacefully.»

Le texte de Ullman laisse une étrange impression. D’un côté, il décrit les acteurs de l’accord sur le chimique, dont principalement la Russie et les USA, travaillant ferme pour le mettre en œuvre, d’un autre côté il rappelle qu’il existe la pression d’une menace d’attaque des USA, comme si la possibilité de cette attaque s’adressait indirectement aux acteurs de la crise, c’est-à-dire notamment aux USA par conséquent, eux-mêmes qui sont les principaux initiateurs du projet d’attaque. (Ullman : «The ends of eliminating Syrian chemical weapons demand maximum effort to achieve success. While the U.S. use of force remains in play, should this process fail and a strike follows, as Russian President Vladimir Putin rightly predicts, then the Syrian situation will become a disaster if not a catastrophe. So, press on; press on!») Le 10 septembre 2013, lors de l’annonce de l’accord sur le chimique, Paul Woodward, de WarInContext, avait insisté sur cet aspect objectivement schizophrénique de la partie US, même si l’on suppute des arrière-pensées qui feraient elles-mêmes partie de cette schizophrénie, cette fois en observant la Maison-Blanche engagée “dans un effort conjoint pour empêcher les USA de lancer une attaque contre la Syrie”. Après ce titre effectivement étrange («White House joins effort to prevent U.S. from launching an attack on Syria»), ponctué d’un commentaire à mesure («My headline might sound like it comes straight from the Onion...»), Woodward citait le New York Times du même 10 septembre 2013 qui entamait son article selon la même référence également étrange : «The White House and a bipartisan group of senators joined the international diplomatic momentum on Tuesday to avert an American military attack on Syria...» Tout se passe comme si le projet US d’attaque faisait partie d’un monde, tandis que l’effort pour éviter l’attaque US venant de la direction US s’agitait dans un autre monde.

• Bien entendu, cette schizophrénie a au départ des causes identifiables. (Obama empêtré dans une “ligne rouge” franchie qu’il doit ponctuer d’une attaque dont il ne semblerait ne pas vouloir, – qui sait, – notamment parce qu’elle est extrêmement impopulaire, que le projet lui-même peut le conduire à un vote humiliant du Congrès qui le désavouerait ; effectivement, se précipitant sur le plan russe pour se sortir de ce guêpier, mais tout de même laissant courir la menace de l’attaque puisque “ligne rouge” franchie il y a eu, etc.) Certes, tout cela aboutit à cette très-réelle schizophrénie, que nous-mêmes interpréterions dans son évolution opérationnelle comme une situation-Système typique, le Système s’emparant d’une situation contradictoire pour l’utiliser dans le but déstructurant qui est constant chez lui, – sans d’ailleurs répondre à l’éventuelle question de savoir si ce n’est pas le Système lui-même qui pousse, par ses exigences constantes, à cette schizophrénie dont il profiterait finalement au travers de la situation contradictoire ainsi établie, en continuant à pousser l’option de l’attaque alors que les négociations se poursuivent avec des résultats pour l’accord sur l’armement chimique et la résolution de l’ONU. Ainsi avait-on, mardi 24 septembre à l’assemblée de l’ONU, deux évolutions parallèles : d’une part une rencontre Kerry-Lavrov se concluant par une évaluation réciproque assurant que l’entretien très productif avait fait avancer la situation vers une résolution de l’ONU ; d’autre part un discours de BHO à la tribune, nous assurant que l’option militaire restait ô combien ouverte, et que d’ailleurs l’exceptionnalisme de la “nation indispensable” (America the beautiful) restait lui-même plus que jamais vivant et vivace, et qu’il se constituait finalement dans la capacité de faire la guerre, dans des lieux et des circonstances qui ne concernaient pas les intérêts directs des USA, – et qui ne lisait pas “Syrie” entre les lignes, dans cet étrange définition de l’exceptionnalisme, montrait un manque d’attention coupable...

• Cette situation laisse par ailleurs le champ ouvert à toutes les interprétations, et notamment celle du soupçon substantivé par tant d’hypothèses de manigances selon les différentes sensibilités, notamment au cœur de la presse antiSystème dont sait désormais la puissance et l’influence. Cela induit ce que nous nommons (dans le texte référencé) un “bruit de communication” (certes “dissidente”, mais dont l’influence ne cesse de gagner et de peser sur les psychologies et les esprits), qui ne cesse de développer l’hypothèse d’une frappe puis d’un engagement US dans une guerre syrienne, qui impliquerait inévitablement un engagement russe antagoniste, faisant monter le conflit à un très haut niveau ... Ci-dessous, quelques extraits très courts de cette littérature.

«[...S]preading the word over staged events like the Syrian chemical attacks has ultimately forced the Obama administration and its affiliates to push back their plans to launch military action. Action in Syria that, as admitted by the mega media, has much more to do with instigating a hot war with Russian forces who continue to back Assad.» (Anthony Gucciardi, StoryLeaks.com, le 13 septembre 2013.)

«The initial policy that we recognize was an attempt to balkanize Syria to create an al-Qaeda led state on the border between Iraq and Syria and use that to overthrow Iraq and use that to destabilize Iran. Their policies have morphed into something far more severe, a regional chaos at the risk of a world war. They are pushing the United States into a direct military confrontation with Russia.» (Interview de Gordon Duff, PressTV.ir, le 18 septembre 2013.)

«[U.S. Analyst Lihn] Dinh explained that the reason why the US is “so anxious to attack Syria has nothing to do with chemical weapons but a desire to get rid of Assad so a pipeline could be built to pump natural gas from Qatar to the European Union, thus reducing Europe’s dependence on Russian natural gas.” “A new Syrian government would also get rid of the Russian naval base in Syria,” he added. “So, you see, an attack on Syria is actually an attack on Russia itself, and that’s why Russia is not backing down.”» (Interview sur PressTV.ir, le 21 septembre 2013.)

«The vast stakes involved in US negotiations with Iran and Syria make very clear that the US war drive against Syria concerned far more than the unsubstantiated claim peddled by Washington that Syria had used poison gas in an attack on Ghouta on August 21. This was a pretext to drag the American and European people into an imperialist war against not only Syria, but ultimately also against Iran and possibly Russia, without disclosing the war’s far-reaching objectives.» ((Alex Lantier, WSWS.org, le 21 septembre 2013.)

• Ce que nous voulons mettre en évidence, certes, c’est combien, dans une situation si étonnamment fragile et vulnérable, entre un accord que certains disent “fondamental” et porteur d’une dynamique structurante considérable, et les manœuvres de sabotage de cet accord, ou de sa transformation en une dynamique d’attaque US en Syrie, la marge est incroyablement réduite ; et combien, dès lors, les hypothèses et les montages évidemment pessimistes, développant l’hypothèse d’une frappe US qui reviendrait sur le devant de la table, aurait toutes les chances (!) d’impliquer la Russie. (Ce dernier point est d’autant plus évident si la résolution de l’ONU comme annoncée plus haut implique la présence de troupes russes protégeant l’opération très longue de démantèlement du chimique en Syrie même.) On observera que ces idées ne sont nullement démenties, dans tous les cas indirectement, par les observations générales que l’on peut entendre dans les milieux diplomatiques européens. Ces observations se résument à un constat : l’extraordinaire implication des Russes dans cette affaire d’accord sur l’armement chimique, impliquant par conséquent pour la perception qu’on en a qu’ils sont vraiment devenus les premiers acteurs de la crise syrienne. Cette position diplomatique de très grande puissance, qui en elle-même ne peut satisfaire le sentiment général washingtonien qui voit sa prépondérance battue en brèche, implique pour les Russes des responsabilités et des risques majeurs. Une rupture dans la situation sur le terrain suivant tel ou tel incident, entraînant la dynamique renouvelée de la menace d’une attaque US qui prendrait aussitôt une certaine dimension ne pourrait pas ne pas les concerner bien entendu, jusqu’à concevoir certes qu’ils seraient “directement concernés”, c’est-à-dire opérationnellement impliqués, “sur le terrain”. Cela est d’autant plus concevable que les Russes sont présents en Syrie, notamment avec la base navale de Tartus, et qu’ils le seraient d’autant plus avec des troupes sur place, autour de l’opération de démantèlement du chimique.

• Cela signifie-t-il pour autant qu’un affrontement direct, militaire, entre les USA et la Russie est possible, dans la pire occurrence envisageable mais nullement impossibles qu’on a évoquée ? Dans la théorie ou la logique de ce qui vient d’être exposé, cette possibilité est plus grande aujourd’hui qu’hier et elle est sérieuse. Elle l’est d’autant plus que les USA se trouvent dans une période très spectaculaire de leur déclin continu, qui implique un affaiblissement du pouvoir exécutif et, sans aucun doute, une attention excessive portée aux affaires intérieures dans le chef du président Obama, qui peut conduire à des décisions et des manœuvres peu adroites en politique extérieure, conduisant accidentellement, ou selon un processus mal maîtrisé, vers une situation de possible affrontement ; voire conduisant à un engagement extérieur voulu, parce que perçu comme une opportunité d’échappatoire de cette position de faiblesse intérieure... Plus encore, la position d’infériorité diplomatique des USA, alors que 49% des Américains estiment que Poutine a été meilleur que BHO dans la crise, contre 25% pour Obama (sondage Economist/YouGov, selon Russia Today le 27 novembre 2013), doit dispenser une amertume très grande à Washington privé de son rôle de numéro un, et un désir de reprendre la main, si nécessaire par une action brutale (cela, dans les divers milieux de pouvoir les plus interventionnistes).

D’autre part et inversement, une puissante dynamique s’exerce sur cette crise, qui embrasse de nombreux domaines et qui s’exercerait aussi sur celui de l’hypothèse d’une confrontation USA-Russie. Cette puissante dynamique est celle du système de la communication, qui a souvent montré que les projets agressifs, largement annoncés, discutés, analysés, perdaient avec ce traitement public de spéculation beaucoup de leur élan et se transformait bientôt en délais, en report, en abandon, etc. De ce point de vue, on peut penser que nombre d’événements et de dynamiques objectives qui réapparaîtraient, auraient comme effets en cas de brusque aggravation de la situation jusqu’à une nouvelle menace d’attaque, par leur propre pesanteur et les effets dissolvants des résolutions les plus affirmées du fait du système de la communication, de rendre difficile la possibilité d’un tel conflit... C’est l’habituelle action dissolvante du système de la communication qui a jusqu’ici exprimé des menaces d’attaque sur des durées extraordinaires (depuis 2005 avec l’Iran, depuis le début de la crise syrienne) sans jamais la moindre concrétisation.

Dans cette crise syrienne, et ceci sans surprise, c’est l’incident imprévu, l’inattendu qui sont surtout à craindre, l’enchaînement dont l’un ou l’autre protagoniste, ou les deux deviennent les prisonniers, – c’est-à-dire la situation d’incontrôlabilité générale de cette crise, qui est par ailleurs la marque de toutes les situations de tension, de toutes les situations crisiques existantes actuellement. Le cas pourrait exister où les USA et la Russie pourraient être pris par inadvertance dans un tel engrenage. Les Russes, certainement, y pensent beaucoup et doivent avoir toute leur attention mobilisée pour bloquer une telle dynamique. Reste le fait que l’implication des deux puissances n’a jamais été aussi grande, et promise à être structurelle et sur la durée, dans une crise de la force de tension, de confusion, de désordre de la Syrie. Cela constitue un fait objectif nouveau, qui s’est installé depuis le 12 septembre et qui constitue un cas de très grand risque potentiel. En ce sens, la conférence Genève-II, qui devrait idéalement enchaîner sur l’accord chimique et sur la résolution de l’ONU, si ceux-ci se développaient eux-mêmes idéalement, est désormais chargée d’un enjeu de plus. Sa réussite effective et surtout appliquée serait finalement la seule garantie assurée qu’un tel accident gravissime USA-Russie peut être évitée, dans tous les cas pour ce qui concerne la crise syrienne... Ce n’est pas pour autant que cette conférence est assurée, ni de réussir, ni même de se tenir, surtout lorsqu’on mesure l’état actuel de la rébellion (voir le 26 septembre 2013), partie prenante nécessaire d’une telle conférence. Il reste un beau domaine d’exploitation pour les esprits exacerbés du bloc BAO et les manœuvres dilatoires, coups fourrés, sabotages, etc.

 

Mis en ligne le 27 septembre 2013 à 07H12