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26759 mai 2009 —Plusieurs indications précises montrent qu’un climat nouveau est en train de s’installer autour de l’OTAN, avec notamment les USA et la Russie comme autres acteurs. L’événement prend place dans un domaine plus vaste, où nos considérations sur le black budget du Pentagone (voir notre Bloc-Notes de ce 9 mai 2009) ont largement leur place. Plus précisément, il s’agit d’un affrontement qui se dessine, ou se découvre c’est selon, entre des forces bureaucratiques et certains réseaux, et des pouvoirs nationaux, dans des situations qu’on ne peut décrire que comme paradoxales en apparence, – mais qui, à notre sens, répondent parfaitement à la perception de la réalité d’un système tout-puissant, notamment militaro-bureaucratico-industriel, qui commence à sérieusement s’inquiéter de certaines possibles orientations politiques.
Voyons d’abord les “indications précises”… Dimitri Rogozine, représentant de la Russie auprès de l’OTAN, qui joue avec délectation le rôle de porte-voix provocateur pour mettre à jour des situations de tension ou de crise qu’on voudrait garder dissimulées, en est l’incontestable architecte-vedette.
• Le 7 mai 2009 (UPI), Rogozine lance une première attaque contre l’OTAN, se référant à l’exercice en cours en Géorgie et à l’expulsion (pour “espionnage”) de deux fonctionnaires de la délégation russe auprès de l’OTAN. Moscou a répondu par l’expulsion de deux diplomates canadiens (les Russes se sont abstenus de choisir des Américains). Rogozine parle dans une interview à Izvestia:
«Russia's outspoken ambassador to NATO, Dmitry Rogozin, hammered home Moscow's dim view of the alliance in an interview published in the daily Izvestia. “This organisation is becoming more and more unpredictable.... The alliance can't seem to behave itself in a respectable, stable and decent way,” Rogozin told the newspaper.»
• Le lendemain, Rogozine remet ça, en beaucoup, beaucoup plus précis. On passe de l’organisation “incontrôlable” à l’organisation “comploteuse” (mais on comprendra aisément que c’est la même chose). La déclaration de Rogozine, d’une interview en vidéo à partir de Moscou (reprise notamment sur Russia Today le 8 mai 2009) est à la fois extraordinairement précise et extraordinairement chaleureuse pour l’administration Obama. La “conspiration” dénoncée, c’est contre Obama d’abord, contre les relations USA-Russie en pleine amélioration ensuite. Bien entendu, Rogozine parle avec l’assentiment du gouvernement russe, – mais aussi, du moins peut-on aisément l’envisager, avec l’accord discret des Américains. Rogozine dit tout haut ce que Moscou pense un peu plus bas, et ce que l’administration Obama pense tout bas. Les nuances de Rogozine, à côté du propos un peu leste, vont jusqu’à éviter de condamner l’OTAN en tant que telle, mais certains groupes, certaines tendances, etc., le reste restant convenable à ses yeux.
«Speaking on Friday to the media via a video link from Brussels, [Rogozin] said: “We believe it is possible that there might be some conspiracy against Obama inside the North Atlantic alliance. This is because the difference between Obama and the former U.S. President George W. Bush is too striking.” “We like what the new leader in the White House is saying. But those who worked with the previous administration may not like it, they may take it as criticism,” he added.
»Dmitry Rogozin blamed NATO for several recent “provocative” moves aimed at Russia. One is attempting to exploit the tension between Russia and Georgia to make the rift worse, which the envoy called “unfair.” “We have ages-long ties with Georgia, and sooner or later we’ll work out our relations. NATO’s exploiting the difficulties in our relations is graceless and unfair. Let the alliance fight real challenges.”»
Puis, après avoir dénoncé l’expulsion des deux “espions” russes, également perçue comme une provocation, Rogozine nuance effectivement son discours dans le sens du poil: «However NATO is not “lost as a partner” to Russia, Rogozin believes. “There are active forces in the alliance, which don’t belong to the so-called ‘party of war,' but on the contrary, support the party of peace, the party of cooperation, the party of concord…»
• Il nous paraît évident, effectivement, que les Américains partagent les préoccupations des Russes devant les interférences de tel ou tel “incident”, directement ou indirectement otanien, sur les négociation USA-Russie en cours et, de façon plus générale, sur le courant d’amélioration des relations entre les deux puissances. C’est à la lumière de cette préoccupation qu’on doit interpréter l’intervention conjointe Clinton-Lavrov, le 7 mai 2009 à Washington, pour dire que ce qui se passe en Géorgie (les manœuvres OTAN) n’interfèrent en rien dans le processus USA-Russie; signe des temps et signe de l’entente, d’autant plus marquée face aux gamineries et comploteries géorgiennes, Clinton a solennellement et en personne accompagné Lavrov à la Maison-Blanche. “We mean business”, comme ils disent.
«The United States and Russia vowed Thursday that tension over the former Soviet state of Georgia will not torpedo negotiations to replace a Cold War-era nuclear arms control treaty. Secretary of State Hillary Clinton and her Russian counterpart Sergei Lavrov insisted plans for a follow-on Strategic Arms Reduction Treaty (START) trumped their concerns over Georgia, with which Russia fought a brief war last August. In a sign of the importance the new administration attaches to improving relations with Russia, which plunged to a low under president George W. Bush, Clinton was to accompany Lavrov later to the Oval Office to meet President Barack Obama.
»Wednesday's start of NATO war games in Georgia has rekindled tensions between Washington and Moscow, which is also unhappy with US support for Georgia's eventual membership in the North Atlantic Treaty Organization. But Clinton said: “It is I think old thinking to say that we have a disagreement in one area, therefore we should not work on something else that is of overwhelming importance. That's just not the way we think. “If you look at what we are doing on START and non proliferation, that has to do with the future safety of the world and the United States and Russia bear a special responsibility,” she added. “So we are working very hard together.”»
• Il apparaît que les Russes ménagent au maximum les USA, et ceux qui parlent de “climat de Guerre froide” (des journaux britanniques type Times, très friands de ces lieux communs d’autres temps) devraient le réserver à l’OTAN. Exemple, ce commentaire du ministre russe de la défense concernant le tir raté d’un missile stratégique tiré de sous-marin Boulava, selon Novosti le 6 mai 2009. Le ministre écarte catégoriquement les suggestions d’intervention malveillantes US, pourtant un sujet polémique en or et sans trop de risque s’il y avait concurrence ou antagonisme entre les deux pays:
«Les Etats-Unis ne sont pas responsables des tirs manqués du missile balistique basé en mer Boulava, a fait savoir le ministre russe de la Défense Anatoli Serdioukov. Certains médias avaient antérieurement affirmé que les essais du missile étaient gênés par les Américains qui utilisaient à cet effet les systèmes de lutte radio-électronique déployés en Alaska, dans le nord de l'Europe et au Groenland. “Les Américains n'y sont pour rien”, a déclaré le ministre dans une interview à la Rossiiskaïa Gazeta. Il a souligné que les essais de n'importe quel missile constituaient un processus difficile et, malheureusement, assez lent.»
Bel enchaînement des choses, en une séquence révélatrice. Tout cela tend à montrer une réelle coordination entre les USA et la Russie, dans tous les cas sur la question des négociations nucléaires et stratégiques, et tout ce qui s’ensuit aux niveaux régionaux (notamment, semble-t-il, le réseau BMDE). L’intervention de Rogozine, dénonçant “une sorte de conspiration contre Obama à l’intérieur de l’Alliance atlantique” (notez qu’il ne dit pas “l’OTAN” mais quelque chose comme “des forces à l’intérieur de l’OTAN”) est une affirmation extraordinaire: non seulement parce qu’elle met en cause l’OTAN, ou “des forces à l’intérieur de l’OTAN”, mais aussi parce qu’elle constitue une étonnante tentative de protection de l’administration Obama, d’ailleurs aussitôt expliquée par la satisfaction russe pour la politique de cette administration. Avec toutes ces nuances, on découvre effectivement une cohérence entre le premier propos de Rogozine (“l’OTAN est incontrôlable”) et le second (conspiration “de forces à l’intérieur de l’OTAN”), – le second propos confirmant le premier, – c’est bien parce que l’OTAN est incontrôlable et incontrôlée que de telles pratiques peuvent se développer.
Effectivement, l'idée est celle de l’OTAN devenant incontrôlable, et l’OTAN pouvant apparaître comme une chose manipulée par certaines forces contre la politique officielle des USA. Il faudra s’habituer à envisager de ne plus identifier exactement l’OTAN avec la politique extérieure des USA; il faudra s’habituer à ces situations où les adversaires, les coups bas, les manœuvres ne suivent plus les lignes d’engagement habituelles, nationales, ou “de bloc”. Il y a suffisamment d’éléments qui apparaissent ici et là pour que l’on puisse commencer à prendre tout cela au sérieux; ce que Rogozine dit de l’OTAN ne correspond-il pas à ce qui se passe au Pentagone avec le black budget? Ainsi, d’ailleurs, devons-nous prendre garde à bien définir le mot “conspiration” (ou “complot”, également utilisé) comme nous le faisons dans le cas du black budget. Il s’agit de manœuvres de résistance, de pressions et de pesanteurs bureaucratiques, de manipulations, d’orientations spécifiques données à tel ou tel mouvement déjà lancé, à tel ou tel moment opportun, pour obtenir un effet intéressant; avec, au bout du circuit, quelque cinglé type Saakachvili, toujours aussi nerveux, et l’affaire est dans le sac. Le genèse de l’exercice actuellement en cours en Géorgie, telle que nous l’avons rapportée le 29 avril 2009, avec l’irresponsabilité et la pesanteur bureaucratiques comme causes principales, et l’absence de contrôle du système par le pouvoir politique par-dessus, est tout à fait cohérente avec la prise en main du processus, en phase finale, lorsqu’il s’avère que le pouvoir politique est trop faible pour annuler l’exercice, par les caisses de résonnance des réseaux hérités de l’époque neocons, toujours en place.
Le cas peut être d’ailleurs élargi. L’irresponsabilité de l’UE sous présidence tchèque, avec agressivité anti-russe garantie, a été mise en évidence au sommet du 7 mai à Prague (voir EU Observer du 7 mai 2009). Le sommet avait été précédé d’un malaise et de pressions de certains pays (Allemagne, France, Hollande) pour atténuer l’aspect pro-élargissement (vers les pays limitrophes de la Russie), pour éviter, évidemment, une relance de la tension avec la Russie. Les anciens pays d’Europe de l’Est continuent à pétroler comme au temps de GW Bush, suivis avec l’entrain d’un bœuf inspiré par la Commission européenne. Les pays plus “responsables” freinent des quatre fers. Les Russes devraient faire de ce cas la même analyse qu’il font du cas OTAN ci-dessus. Il ne serait pas étonnant qu’on retrouve, à l’OTAN, certaines inclinations des mêmes pays impliqués dans le maximalisme anti-russe de l’UE, dans la même manœuvre dénoncée par Rogozine. L’irresponsabilité de ces pays rencontre précisément celle des bureaucraties occupées à leur travail de provocation.
La valse des étiquettes, c’est la valse des références, – idéologiques, nationales, politiques. C’est le cas lorsqu’un ténor russe défend la politique de l’administration US contre l’OTAN; un idéologue n’y retrouverait plus ses petits. Absolument détestable lorsqu’il accentue ses attaques au Pakistan ou lorsqu’il s’aligne sur les banques de Wall Street, Obama devient intéressant et presque vertueux lorsqu’il fait dire qu’Israël devrait faire passer son nucléaire au filtre du traité de non-prolifération ou lorsqu’il reçoit Lavrov en grande pompe pour confirmer la déclaration Clinton-Lavrov selon lesquelles les pantalonnades OTAN-Saakachvili n’auront aucun effet sur les négociations Russie-USA. On ne peut plus juger tout cela à l’aune des idéologies, ni même à l’aune des intérêts des uns et des autres. Il faut juger sur les effets essentiels des actes des uns et des autres, entre les effets structurants et les effets déstructurants.
D’une façon générale, on observe tout de même une évolution, avec l’extension de l’irresponsabilité déstructurante des réseaux de l’ancien régime GW Bush associés aux pays irresponsables et en général anti-russes de l’ancienne Europe communiste, vers des organisations internationales dont la direction politique est notoirement nulle (OTAN, bien sûr); et, par conséquence directe, un certain durcissement des grands pays responsables qui prend des allures structurantes par simple effet contradictoire. Certaines forces conservent leur activisme habituel, en l’augmentant, éventuellement vers des tensions qui pourraient devenir intolérables (cas de la bureaucratie du Pentagone/du CMI). Cette évolution est évidemment une conséquence de l’extension des crises systémiques, qu’alimentent les forces déstructurantes, tandis que le courant structurant recrute ponctuellement des pouvoirs nationaux, eux-mêmes mis en danger par les crises systémiques et jugeant essentiel de lutter contre elles. Les schémas idéologiques, voire “de bloc” ou nationaux, deviennent insuffisants ou inappropriés pour ces situations.
Cette évolution n’est pas faite pour ramener la stabilité, on s’en doute. Elle diversifie de façon rafraîchissante les jeux de rôle des uns et des autres. Et puis, elle peut réserver des surprises, si, à une occasion ou l’autre, elle suscite une tension trop forte. C’est de cette façon qu’on peut pousser certains dirigeants, qui ne le désirent pas nécessairement, vers des positions extrêmes qui pourraient leur donner un rôle intéressant. (Qui ne penserait à BHO?) Ce serait un spectacle intéressant, et une évolution porteuse de bien des surprises, d’avoir un jour un Obama au côté d’un Medvedev, condamnant les agissements de l’OTAN, ou de “certains groupes dans l’OTAN” pour leurs action souterraine en Géorgie.
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