Panarine et la Russie, ou la spiritualité contre la Système

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Panarine et la Russie, ou la spiritualité contre la Système

A l’occasion de l’élection présidentielle en Russie, qui se précise de plus en plus comme un événement important dans le champ général de la crise d’effondrement du Système, Russia Today publie, ce 2 mars 2012, un texte très intéressant du professeur Igor Panarine. Nous avons fait régulièrement référence à Panarine depuis le 26 novembre 2008, lorsqu’il exposa sa thèse sur l’éclatement des USA. On peut lire également le 5 mars 2009 une tentative de réfutation de sa thèse du côté US, avec l’affirmation que Panarine est un ancien officier du KGB devenu professeur et analyste dans une institution du ministère des affaires étrangères. Wikipédia présente Panarine comme «politologue (docteur en science politique) et essayiste russe, doyen de l'académie diplomatique du ministère russe des affaires étrangères», sans faire mention du KGB.

Une certitude se dégage pour apprécier Panarine comme un institutionnel influent sur les grandes questions de politique et de la situation crisique du monde. C’est ce dernier point qui nous intéresse car, dans son texte, Panarine fait une analyse qui s’appuie manifestement sur cette perception d’une situation fondamentalement crisique du monde, dont il attribue la responsabilité opérationnelle essentielle au bloc américaniste-occidentaliste (bloc BAO). Cela lui permet de situer le processus de “chaos” en cours (“controlled chaos”), avec le bloc BAO comme principal instigateur, non dans une perspective géostratégique mais implicitement dans une perspective eschatologique. Il s’agit de la recherche du chaos, présenté en apparence par certains comme une recherche paradoxale d’avantages géostratégiques (narrative du “chaos créateur”), devenant implicitement et objectivement la recherche du chaos comme un but en soi, comme un facteur non réalisé comme tel mais effectivement opérationnel d’accélérateur de la crise de la Chute (la fameuse dynamique de transformation du Système surpuissance-audodestruction). (Il s'agirait, pour réduire à sa réalité de simulacre la narrative du “chaos créateur”, d'une sorte de “chaos destructeur”, expression suivant une démarche rhétorique d'expolition.) Selon Panarine, en même temps que le bloc BAO développe un soi-disant “controlled chaos”, sa propre structure se détériore à une grande vitesse («As the economic situation and social standards in the United States and Europe continue to deteriorate…»). Cela tend à lier les deux phénomènes en une dynamique effectivement d’autodestruction.

«Many events of the year 2011 have explicitly demonstrated that the world has entered a phase of profound change and transformation with regard to politics, ideology, finance and economy. As the economic situation and social standards in the United States and Europe continue to deteriorate, the New World Order has been getting ever more blatant in engineering controlled chaos. This has become especially apparent since the Libya affair, when NATO allies established a very dangerous precedent for intervening in sovereign nations and sowing chaos. Today, we are seeing the same scenario played out in Syria. Where should we expect it next – in China, India or Russia?»

Outre cette introduction, qui implique que Panarine a une juste consciente de l’intégration générale de la crise et de son évolution fondamentale en “crise haute”, le texte comprend deux aspects très intéressants dans leur originalité. Il s’agit de la nature de la forme essentielle de l’agression du bloc BAO (notamment contre la Russie), et d’un aspect essentiel de la riposte que devrait lui opposer la Russie.

• Le premier point est une remarquable mise en évidence de ce que Panarine observe comme la forme principale d’“agression” contre la Russie, de la part du bloc BAO, qui est une “agression de communication”, une agression par les médias notamment. Il s’agit, d’une façon plus large, de ce jugement quasiment automatique, jusqu’à l’inconscience du poids et des implications de la chose, d’hostilité et de diffamation permanente de la Russie (et de Poutine, en l’occurrence, puisque Poutine perçu comme le dirigeant le plus fort en Russie). Ce “jugement”, qui est en fait un acte relevant de la terreur psychologique, aussi bien dans sa conception (terreur subie par ceux qui activent l’agression) que dans son but (terroriser la cible par la diffamation), est effectivement entièrement activé par les moyens de la communication. C’est une “agression psychologique” conduite par une psychologie collectivement influencée par un Système dont la “politique” est la recherche du chaos selon les normes déterminées plus haut (autodestruction).

Panarine présente cette “agression psychologique” et appelle à créer des mesures de protection et de riposte dans ce domaine.

«Russia is clearly not interested in triggering global instability. It advocates transformation by way of step-by-step progress based on a positive attitude. The international situation requires an adequate response from Russia, particularly in terms of creating a defense mechanism against foreign media aggression.

»Therefore, the primary task of Russia’s new leader will be to preserve the stability of state and society against a backdrop of comprehensive global transformation.

»The Russian leader should primarily recognize that ideology and information are the long-standing vulnerabilities of the Russian state, which caused it to collapse twice in the 20th Century. Therefore, it would be helpful for the development of Russian statehood if the government would establish a State Ideology (Spirituality, Greatness, Dignity) and set up a special mechanism for countering foreign media aggression through a set of administrative, PR and media-related measures. This would enable Russia to become a pan-Eurasian center of gravity in both economic and spiritual terms.»

• Le deuxième point fondamental est dans le terme “spiritualité” (qui ne peut être en aucun cas confondu avec le terme “religion”). En présentant l’idée d’une “Idéologie d’État” (qui sera instantanément interprétée par le Système qui manipule le bloc BAO comme “censure policière”, “fascisme”, etc.) sous la forme d’une “idéologie” de “Spiritualité, de Grandeur et de Dignité”, Panarine introduit effectivement le terme “spiritualité”. On le retrouve dans les prescriptions qu’il présente pour lutter contre l’“agression psychologique” suscitée par l’expansion du chaos grâce à l’arme du système de la communication (l’“agression psychologique” étant alors l’effet d’une “attaque de communication”).

«In forging a Eurasian Union, Russia should do the following:

»• ensure that Russia’s media scene is dominated by spiritual and moral values;

»• counter the dissemination of negative coverage of Russia in the global media environment, challenging the deliberate distortion of Russian history and cultural traditions;

»• replace the culture of violence on Russian TV with a culture of spirituality, knowledge and creativity;

»• publicize its ethical and spiritual assessment of the privatization process of the 1990s, highlighting its injustice.

»In addition, it is absolutely obvious that Russia urgently needs to reform some of its governing institutions to ensure their best performance in interacting with civil society. The reforms should be swift and assertive, but at the same time they must be deliberate and focused…»

• Suivent diverses prescriptions de réformes actives, qui constituent l’aspect opérationnel du discours, nécessairement moins intéressant que les principes énoncés. On observera pourtant que cette “opérationnalité” se place dans le cadre russe étendu à un cadre “eurasien” (une Union Eurasienne, déjà évoquée et proposée d’une façon officielle par la direction russe), qui implique un appel évident à l’Europe. Mais, selon les principes développés ci-dessus, cet appel à l’Europe pour former un cadre eurasien implique nécessairement la destruction du cadre européen (EU) tel qu’il existe, qui est un des centres du bloc BOA, et un des centres opérationnels du Système, entièrement acquis à la mécanique d’autodestruction par l’expansion du chaos et l’“agression psychologique” par l’attaque constante du système de la communication. C’est dire si les propositions de Panatine sont, de ce point de vue de l’opérationnalité, soumise à des conditions dont on voit mal aujourd’hui qu’elles puissent être remplies, sinon par un collapsus général du système européen. (L’on rétorquera bien entendu aussitôt que ce collapsus n’a jamais été aussi proche, de même qu’il existe une pression de collapsus très puissante aux USA, selon une autre approche mais dans la même logique centrifuge d’autodestruction, qui devient alors dans ce cas tout à fait vertueuse.)

L’intérêt de ce texte est effectivement, beaucoup moins dans les solutions envisagées que dans la prise de conscience dont il témoigne. Il s’agit de la prise de conscience de l’universalité de la crise, du caractère d’inéluctable effondrement qui la caractérise (autodestruction), notamment avec l’identification très correcte du fondement de la politique d’agression expansionniste (Libye, Syrie) comme politique d’“activation du chaos” sans autre but que ce chaos comme facteur d’autodestruction du Système, effectivement “chaos destructeur”. (Cela justifie, par exemple, que Panarine, tout en identifiant implicitement l’Europe comme un des moteurs de cette politique d’activation du chaos, fasse appel à cette même Europe pour le projet eurasien : il comprend bien que la mécanique en marche est une production du Système, dont l’Europe est dans ce cas la prisonnière, et le projet eurasien devient alors une proposition de libération faite à l’Europe.)

Il s’agit ensuite de la réalisation également correcte que la véritable puissance se trouve aujourd’hui dans le système de la communication, et l’une des utilisations étant l’“agression psychologique” par diffamation mécanique et robotisée. Là aussi, le Système parle et anime les créatures qu’il a soumises, au sein du bloc BAO. Il s’agit enfin de la réalisation que seul le facteur de la spiritualité a une chance d’élever l’esprit pour lui permettre de résister à cette “agression psychologique”, voire de contre-attaquer. (Encore une fois, prendre “spiritualité” pour une valeur intellectuelle dans le sens le plus large, et pas une seconde comme une valeur religieuse, même si telle ou telle Église peut y jouer un rôle.)

Bien entendu toutes ces observations seront aussitôt dénoncées selon la dialectique-Système habituelle (“anti-démocratique”, “obscurantisme”, “système policier”, “censure”). Mais il n’y a là rien à craindre et rien à perdre ; cette dialectique-Système est déjà en mode maximal d’attaque («foreign media aggression.»), et les idées de Panarine, sans doute répandues dans la direction russe, ne procureront aucune force supplémentaire à ses attaques ; et même le contraire : sans doute pourraient-elles servir à découvrir les vraies raisons de l’attaque de la dialectique-Système par diffamation, à savoir la recherche du chaos pour son but d’autodestruction.

Nous sommes loin de pouvoir juger ces idées et ces propositions comme décisives, simplement parce qu’il s’agit d’une tâche qui dépasse la seule analyse rationnelle. Mais nous leur accordons intuitivement une importance incontestable. Nous constatons qu’elles témoignent de la conscience de plus en plus claire de la forme eschatologique de la crise, et de son schéma purement maléfique de destruction de la civilisation, d’autodestruction ; nous constatons, sans surprise bien entendu, que cette conscience-là est très vive en Russie ; nous constatons enfin que l’année 2012 est une étape importante dans le développement de l’“eschatologisation” des évènements temporels (y compris ceux qui sont dans les normes institutionnelles, comme les élections présidentielles). 2012 se confirme de plus en plus comme “l’année métaphysique” envisagée.

 

Mis en ligne le 3 mars 2012 à 06H19