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1906« Je veux être clair pour ceux qui, dans le monde entier, veulent détruire notre façon de vivre... » (“want to destroy our way of life”), ”nous vous détruirons” : cette déclaration fait partie d’un discours explosif du Général Mark Milley, chef d’état-major de l’US Army, à la récente convention de l’association de lobby de l’US Army, l’AUSA. Le discours de Milley a été d’une rare violence, certainement inédite pour un officiel de ce rang, dans les menaces qu’il a lancées contre les innombrables ennemis, régulièrement dénoncés par les membres courants du War Party à Washington, surtout dans cette période électorale... Les “ennemis” ainsi avertis par Milley sont la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, – sans beaucoup de surprise ni d’originalité.
« I want to be clear to those who wish to do us harm….the United States military – despite all of our challenges, despite our [operational] tempo, despite everything we have been doing – we will stop you and we will beat you harder than you have ever been beaten before. Make no mistake about that... [...] [the next major conflict will] be highly lethal, unlike anything our Army has experienced at least since World War II, and would involve fighting in “highly populated urban areas. [...] Make no mistake about it, we can now and we will … retain the capability to rapidly deploy, and we will destroy any enemy anywhere, any time... »
Mais c’est certainement la première phrase mentionnée et dite au début de l’extrait mentionné comme référence qui nous attache : “ceux qui veulent détruire notre Way of Life”, pour garder en anglais l’expression qui est devenue un des symboles de l’américanisme quasiment au même niveau que l’American Dream. Dans un pays où le bonheur suprême et le symbolisme héroïque se situe aussi bien au niveau de la modernité du confort ménager, qu’à la maison-modèle et à l’association-standard des voisins associés, qu’au conformisme politique dans le comportement avec tous surveillant tous, qu’à la pensée et au langage formatés selon un langage dit-politically correct dès les origines, s’attaquer à l’American Way of Life c’est s’attaquer au système de l’américanisme dans le but de le détruire... C’est ce qu’avait dit Donald Rumsfeld le 29 septembre 2001, définissant l’objectif des terroristes dans leur attaque 9/11 : leur but c’est la destruction de l’American Way of Life :
« Peu après l'attaque, le secrétaire à la défense Rumsfeld, décidément le philosophe de la bande, expliquait que ce que les terroristes attaquaient, c'est l'American Way of Life, — effectivement la façon d'être de l'Amérique, car pour elle “être” c’est “vivre” et rien d’autre. On ne peut réduire cette attaque à une attaque contre la politique de l'Amérique. Elle vise la substance de l'Amérique ; elle vise et touche les symboles qui représentent cette substance. Ce qui va nous intéresser en remontant l'histoire pour trouver les racines de la crise, c'est plus la façon d'être de l'Amérique que sa ou ses politique(s), ou que ses statuts vaniteusement proposés à l'admiration des experts occidentaux formés à son école, — celui de l'“hyperpuissance”, celui de «the indispensable nation». Nous ne progressons pas sur un territoire rationnel, celui qu'on croit pouvoir exposer aux étudiants en science des relations internationales. Nous sommes dans le domaine de la psychologie des peuples, peut-être même s'agit-il de leur âme. » (Philippe Grasset, Chroniques de l’ébranlement, des tours de Manhattan aux jardins de l’Elysées, Mols, 2003)
C’est ce que dit le Général Milley, mais nous ne sommes pas sûrs que son propos soit aussi cohérent que celui de Rumsfeld-9/11, c’est-à-dire que son avertissement se fonde sur une réalité quasiment pulvérisée par rapport à ce qu’elle était encore du temps de 9/11. Aujourd’hui, l’American Way of Life n’est plus qu’un slogan vide dans la dévastation complète de l’Amérique par l’américanisme, aussi anéantie que peut l’être l’American Dream. Le roulement chenillé et cliquetant des mécaniques de Milley n’engage que lui, peut-être pas nécessairement ses collèges, car le désordre règne ainsi dans les rangs étoilés des généraux. Il n’empêche, l’incantation métaphysique faite à Rumsfeld (involontairement, Milley ignorant certainement qu’il reprend le mot du philosophe) situe le niveau d’excitation paroxystique belliciste de certains chefs américanistes, mais pas nécessairement du reste, y compris par exemple des électeurs de Trump. L’Amérique de l’automne 2016 est une caricature brutale et furieuse de l’Amérique de l’automne 2001, elle-même caricature brutale et furieuse de l’Amérique de la fin de l’automne 1941. (Cela puisqu’on a tant aimé, – là aussi incantation oblige, – comparer 9/11 à l’attaque de Pearl-Harbor du 7 décembre 1941 en espérant le même sursaut.)
Il n’empêche, pour être moins porteur, et même pas du tout porteur de l’unanimité d’une population ex-robotisée, Milley n’en est pas moins dangereux, s’il n’en est pas plus d’une certaine façon. Il est plus dangereux, certes, du fait notamment que le Pentagone fait ce qu’il veut et qu’aucun chef digne de ce nom ne lui indique la voie à suivre ; et le voie semble libre pour des instables mentaux comme Milley, qui vaut bien le Général Jack Ripper du Docteur Folamour, le commandant de la base qui déclenche la Troisième Dernière du temps parce que les “Commies” menacent ses flux d’énergie vitale... Sa déclaration sur l’American Way of Life qui est menacée est en effet une de ces phrases sans retour, du type “c’est eux et nous” de GW Dubya Bush le 17 septembre 2001. (Certes, la différence de taille est qu’il n’y a pas eu de 9/11 et pas la moindre agression russe, quoi que l’on dise vainement, ni en Ukraine [qui ne n’est pas les USA] ni en Syrie [qui n’est pas... etc.].)
Cela signifie que nous sommes sur le territoire irrationnel de l’esprit complètement infecté par l’affectivisme, la paranoïa porté à un niveau paroxystique. Les accusations de général Milley ne se démontrent pas de même que leur absurdité supposée ne peut être démontrée, – et d’ailleurs, à un point où, en poussant la logique à son terme, on finirait par se demander si elles sont si absurdes et si elles ont besoin d’être démontrées. Le général Milley est un homme dont la psychologie est diablement suspecte, au moins d’un paroxysme frisant la pathologie de l’hystérie bureaucratique ; mais voilà qu’on se trouve obligé d’observer que ce qu’il dit, par contre, n’est pas nécessairement, ni faux, ni infondé, et beaucoup plus concevable que les délires du général Ripper... La bataille finale Système versus antiSystème porte, dans le chef des seconds, sur la destruction du système de l’américanisme, donc de l’American Way of Life, qui est aussi un symbole essentiel de la postmodernité : sur ce cas, qui est essentiel, Milley voit juste. Disons simplement qu’il s’exprime avec la brutalité imbécile qui convient à ce style d’officier général US, qui sont d’autant plus imbéciles et brutaux qu’en général ils n’ont guère livré eux-mêmes de vrais combats que de faire larguer des bombes et de faire tirer des canons, l’essentiel de leurs activités étant les manœuvres politiques pour favoriser leurs carrières, et qu’ils s’avèrent par conséquent être des brutes et des imbéciles comme seule la bureaucratie peut en produire. Il serait remarquablement étonnant et sensationnel que Milley, avec son langage, échappe à ce stéréotype.
Milley alimente un fait déjà acquis, qui est que les menaces US, notamment celles d’une “guerre-stealthy”, doivent être prises très au sérieux, et qu’elles le sont, non seulement en Russie mais, et cela est très nouveau, au sein même de l’UE. D’une façon générale, au sein de l’UE (comme au sein des Etats-membres d’ailleurs), on considère qu’il y a une réelle possibilité que soit effectuée cette sorte d’attaques US faites d’une façon non-identifiées, voire clandestines, dans tous les cas hors de tout contexte officiel. Bien entendu, les “alliés” européens sont absolument ignorants des réels plans US, si plans il y a ; pour une fois, on ne peut mettre en cause seulement le désintérêt total et méprisant des USA pour informer leurs “alliés“ dans cette sorte de matière, parce qu’il y a également à Washington un tel éclatement du pouvoir (autonomie du Pentagone) que sans doute ni le département d’État, ni peut-être la Maison-Blanche, ni peut-être même la hiérarchie complète du Pentagone ne sont vraiment au courant de plans éventuels à cet égard, si plans il y a (bis), – bref, stealthy dans tous les sens du terme. Ce qui est remarquable, c’est qu’on trouve désormais dans la bureaucratie européenne, et souvent selon les origines nationales, quelques fonctionnaires pour estimer que la résolution russe à riposter et à aller au devant et au terme d’un éventuel affrontement, quel que soit le coût humain, est désormais sans faille, extrêmement impressionnant. Jusqu’ici, la mantra officielle était, – et reste, bien entendu, pour la communication officielle qu’on vous susurre officieusement, – de ne pas prendre les déclarations et postures russes au sérieux, tant ce pays est d’une stature ridicule par rapport à l’imposante architecture du bloc-BAO ; et ainsi suffirait-il d’un simple rappel à l’ordre du bloc-BAO (des USA) pour faire rentrer les moujiks incultes dans leur coquille retardataire et d’une technologie complètement dépassée. Désormais, les conceptions chez certains sont complètement différentes, qui invitent à prendre les Russes diablement au sérieux.
On observera qu’un sondage qui vient d’être réalisé montre que cette résolution russe se retrouve au niveau du public d’une façon statistiquement très intéressante. Cela rejoint les impressions d’Israël Shamir dans un texte que nous citions récemment : « Les Russes ne sont pas effrayés par la perspective de la prochaine guerre. Il n’y a ni panique ni peur, juste l’acceptation tranquille et stoïque de ce qui va survenir, quelle qu’en soit l’issue. Cette semaine, quarante millions de citoyens ont participé à un énorme exercice de défense civile. Les abris à Moscou et dans les autres villes ont été améliorés et réparés. Ils ne veulent pas la guerre mais si elle survient, elle sera livrée. Les Russes ont livré de nombreuses guerres contre l’Ouest ; ils ne commencent jamais une guerre mais, invariablement, ils la mènent jusqu’au bout. »
RT présente les résultats du sondage et certains de ses détails, en y ajoutant les résultats d’un précédent sondage. Toutes les attitudes et les affirmations nous permettent de mesurer la résolution et la lucidité de la population russe derrière sa direction, comme une démonstration qu’un pays qui n’est pas vraiment une démocratie (ce qu’à Dieu ne plaise, dirait un croyant bien informé) rencontre une sorte d’équilibre parfait entre les responsabilités des uns et des autres, pour pouvoir affronter la crise la plus terrifiante et la plus formidable de notre temps historique, celle de la chute de notre-civilisation devenue contre-civilisation, avec toutes les menaces de troubles, de désordres et de conflits absurdes mais infiniment cruels qui vont avec...
« On Wednesday, the state-run VTSIOM (All-Russian Public Opinion Research Center) company released the results of an August poll that found one half of Russians would put defense on top of the list of priorities if they had to personally draft the state budget. Thirty-five percent hold that various social needs, such as education and healthcare, were more important for the country than its defensive capabilities.
» Some 58 percent of respondents also maintain that development of the defense industry is beneficial for the national economy as a whole, while 27 percent consider the military-industrial sector an ordinary part of economy that cannot bring any benefits to other sectors. Sixty-four percent of Russian citizens told researchers that they considered military service a good school of life for young people, up from just 33 percent in 1990. Another 23 percent think military service is useless or even harmful – this share fell from 42 percent in 1990. At the same time, the military forces ranked third in the list of most important public institutions according to the poll. Family was in first place and school was second, while the mass media and the Church took fourth and fifth places respectively.
» In February this year, the Levada independent public opinion research center reported that 81 percent of Russian citizens believe the country’s military forces can repel any threat from other nations. Eleven percent of respondents think the opposite, that the Russian military cannot protect against all possible dangers, while 8 percent said the question was too complicated to give a direct answer. The share of Russians who think that the threat of foreign invasion to the country is real increased to 65 percent – up from 56 percent two years ago. Twenty-eight percent of Russians say there is currently no such threat, while 7 percent declined to answer. Also in February, VTSIOM estimated the share of Russians who thought that the likelihood of foreign military aggression against their country had increased at 68 percent. The same poll showed that 49 percent of Russians considered the state of their country’s military to be ‘good’. »
Pour terminer, nous en revenons au début, à la phrase si importante selon nous du général Milley, que nous avons reprise pour un second regard alors qu’elle remonte au 5 octobre. Sans doute Milley l’a-t-il prononcée sans en mesurer toutes les implications, parce qu’il serait injuste et déplacé de lui en demander trop du côté des neurones. Lorsque nous écrivons que, dans son outrance et sa grossièreté elle dit le vrai (“ce qu’il dit, par contre, n’est pas nécessairement, ni faux, ni infondé [...] La bataille finale Système versus antiSystème porte, dans le chef des seconds, sur la destruction du système de l’américanisme, donc de l’American Way of Life, qui est aussi un symbole essentiel de la postmodernité”), nous voulons également dire combien, dans le chef de toutes ces psychologies exacerbées et paroxystiques, se glisse la perception qui n’est pas nécessairement consciente, qui est générale dans l’establishment de l’américanisme que, d’une façon ou l’autre, que ce soit contre Trump ou contre les Russes, le Système est entré dans une phase fondamentale, et peut-être rien de moins que la phase finale de l’affrontement.
Nous mélangeons donc allègrement Trump et les Russes, l’élection présidentielle et les risques d’affrontements entre les USA et la Russie, parce que tout cela répond à une même logique catastrophique. Ainsi y a-t-il un fond de vérité, une vérité-de-situation considérable par inadvertance, dans les montages incroyables associant Trump et la Russie effectués par les kapos zélés du Système, comme si ces pauvres esprits épuisés relayaient sans y rien comprendre la restructuration de cette bataille-Armageddon en une logique ultime “Système versus antiSystème”. Quelle qu’en soit la voie, quels qu’en soient les moyens, et pour tous au risque des plus terribles occurrences mais aussi des surprises les plus extraordinaires, l’enjeu est désormais à la hauteur la plus haute que les entreprises humaines puissent concevoir, et peut-être même au-delà (ce pourquoi nous parlons de possibles “surprises extraordinaires”), là où les événements fulgurants, là où les grands courants de la métahistoire se sont constitués en forces opérationnelles pour intervenir directement dans les affaires humaines. Stupéfaits, effrayés sinon terrorisés mais aussi fascinés et sans que jamais l’espérance nous nous abandonne complètement, nous assistons à ce spectacle titanesque d’une civilisation/contre-civilisation en train de se pulvériser, de se dévorer elle-même... Bon appétit.
Mis en ligne le 13 septembre 2016 à 12H03
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