Pendant que vote le Wisconsin...

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Pendant que vote le Wisconsin...

C’est un signe indubitable de l’exceptionnalité de cette élection présidentielle US, comme nous l’avons d’ailleurs déjà dit plusieurs fois et selon l’évidence même de cette remarque : il ne cesse d’y avoir des “primaires” qui sont considérées comme “décisives”, comme “un tournant”, etc., sans pourtant qu’aucune ne règle le sort de ces élections. C’est également le cas du Wisconsin, qui connaît aujourd’hui ses “primaires” (résultats demain à cause du décalage horaire). Ces dernières semaines, la situation a évolué dans le sens de la complexification, sans qu’aucune certitude ne se dégage dans aucun cas, tant pour les candidats que pour les formes de procédure de désignation qui sont, – c’est aussi une espèce de “première” et un signe du climat révolutionnaire, – toutes soumises à des possibilités inédites en plus des développements courants.

La perception, les calculs politiciens, les prévisions et les prospectives ne cessent de faire des hauts et des bas pour les candidats, aussi bien pour les résultats que pour leurs chances d’être désignés, que pour les manœuvres autour d’eux, que pour les rapports autant avec la public d’une part qu’avec l’establishment d’autre part, sans oublier les variations dans leurs rapports entre eux. Les primaires n’ont cessé d’être de plus en plus un champ de bataille où s’affrontent plusieurs conceptions, plusieurs intérêts, où aucun des habituels automatismes de contrôle du Système ne semble fonctionner d’une manière décisive. On ne peut plus désormais parler d’un seul phénomène dominant tous les autres et singularisant la campagne (comme ce fut le cas avec Trump pendant les premières semaines), mais bien d’autant de phénomènes spécifiques que de candidats, avec les positions également spécifiques des dirigeants des deux partis, avec le comportement imprévisible et extrêmement affirmé, dans un sens ou l’autre, du public. Il nous paraît singulièrement déplacé, – de plus en plus, en fait, – de s’attacher aux programmes, aux idéologies, etc., qui soi-disant s’affrontent, car il s’agit bien d’une bataille dont les références sont le Système lui-même, les processus d’accès au pouvoir, le pouvoir lui-même, voire les orientations fondamentales du pays lui-même.

Cette élection ressemble de moins en moins à une bataille pour telle ou telle politique, ce qui est déjà beaucoup plus que l’habituelle bataille des deux ailes du “parti unique” pour savoir qui appliquera la même politique-Système ; cette élection ressemble de plus en plus à ce qu’elle promettait d’être, dans le sens révolutionnaire, c’est-à-dire une bataille pour la définition des USA, pour l’orientation de l’évolution des USA, pour la définition même de la substance même des USA... C’est dire qu’en abordant ces questions qui semblent très intérieures, on touche en fait à l’essence même du problème que constitue le Système global dont les USA sont le principal fleuron, c’est-à-dire une sorte de “problème de civilisation” qui nous concerne nécessairement puisque nous en sommes nous aussi, bon gré mal gré, que cela nous plaise ou non...

Voici donc quelques éléments de la campagne par rapport à la situation du Wisconsin, qui comportent surtout des remarques générales, le tout se terminant sur des considérations qui dépassent le seul cas du Wisconsin...

• Dans le Wisconsin, la bataille entre Cruz et Trump n’est pas indécise, elle est complètement erratique jusqu’aux extrêmes. Longtemps, Trump a mené de peu dans les sondages. Il y a une semaine, Cruz est soudain passé en tête avec 10%/11% d’avance, puis l’avance a diminué jusqu’à un nouveau renversement et le dernier sondage donnait Trump avec 10% d’avance. Cette étonnante évolution en dents de scie est bien une marque de la campagne. Le Wisconsin est “décisif” pour Trump-Cruz parce que si Trump ne l’emporte pas, il perd quasiment toute chance d’atteindre les 1237 délégués composant la majorité absolue et la désignation d’office (tout en restant sans doute en tête au bout des primaires) ; si Cruz perd et compte tenu des primaires restant encore (notamment l’important État de New York, où Trump domine très largement), il perd aussi toute possibilité d’inquiéter vraiment Trump et le bataille tendrait à se limiter à un affrontement entre Trump et l’establishment, le second cherchant à tout prix une solution pour écarter Trump tout en n’apportant aucune aide à Cruz qu’il n’apprécie pas plus, même au prix de tout espoir de victoire. L’establishment républicain ne se bat plus pour la victoire aux présidentielles du candidat républicain mais pour garder le contrôle du parti, et pour cela il est prêt à soutenir en sous-main Hillary Clinton. Si Kasich reste en course selon certains, c’est pour gêner le plus possible les deux autres candidats, au nom de l’establishment. Ainsi de cette situation inédite typique des USA-2016... l’establishment républicain qui guerroie contre ses deux principaux candidats, et bientôt contre ses deux seuls candidats.

• Du côté démocrate, la situation n’est pas plus claire pour autant, parce que Sanders a opéré une belle remontée après un passage à vide. Il serait légèrement en tête dans le Wisconsin et, pour lui, cette victoire est fondamentale pour le “rythme” de sa campagne et l’espoir d’emporter le gros morceau de New York. Hillary n’arrête pas de nous assurer qu’elle a la certitude de l’emporter, au point où l’on finirait par croire que c’est à elle qu’elle parle et que sa méthode est emprunté au fameux Dr. Coué. L’establishment démocrate est plus à l’aise que le républicain mais si les résultats se montrent un tant soit peu favorables à Sanders il commencera à connaître la même situation que son vis-à-vis républicain, – et que dire, certes, si l’emailgate et le FBI se font plus pressants auprès de l’ancienne secrétaire d’État ? Si Sanders et ses idées sont de plus en plus acceptés par le public, elles le sont de moins en moins par l’establishment, ceci expliquant évidemment cela. Ce genre d’évolution conduit à un autre rythme l’establishment démocrate à la même situation que son équivalent républicain : tout, même perdre l’élection, plutôt qu’un Sanders... A ces divers points de discorde, on ajoutera de très sérieuses contestations de Sanders de certains des résultats d’Hillary Clinton, point qui semble marginal mais qui peut empoisonner l’atmosphère jusqu’à des situations rupturielles où un candidat désavoué par l’establishment (on pense à Sanders) peut décider de se lancer en indépendant dans la course finale.

• On voit bien que les deux situations des deux partis dépassent très largement le cadre des deux désignations de leurs candidats. Cela ouvre des perspectives vertigineuses de blocages, tant au stade de la désignation des candidats, qu’à celui du nombre de candidats, qu’à celui des candidats eux-mêmes. Il est vrai que la présence de candidats “atypiques” (antiSystème de facto), qui le sont naturellement ou qui le deviendraient à cause des situations exceptionnelles, conduit à des impasses de perception même, c’est-à-dire d’acteurs aussi importants les uns que les autres mais qui ne parlent pas le même langage. Une adversaire de Trump, Noemie Emery, collaboratrice régulière du Weekly Standard (tendance neocon donc ennemie jurée de Trump) publie dans le Washington Examiner un article expliquant pourquoi Trump développe une théorie selon laquelle il est complètement inapte à comprendre le fonctionnement du système électoral selon ce que, elle, Noemie Emery, s’appuyant sur les références glorieuses des Founding Fathers, peut en exposer. L’article est intitulé « The 37 percent solution », en référence à l’affirmation de Trump selon laquelle, disposant d’une première place dans le parti républicain avec 37% des voix (déclaration à propos d’une situation statistique), ils devrait être le candidat républicain, – cette logique-là pouvant être reprise par Trump à propos de l’élection finale s’il y a plusieurs candidats. Emery explique que le fonctionnement de la Grande République exige une légitimation constitutionnelle en disposant à tous les échelons de l’élection (au niveau des primaires, de la désignation du parti, et enfin de l’élection présidentielle elle-même) d’au moins un vote à la majorité absolue d’un organisme de “légitimation morale”. Ainsi, même si un candidat à l’élection termine en tête avec 269 “Grands électeurs“ et une large majorité populaire sinon une majorité populaire absolue, l’élection sera laissée à un vote de la Chambre des Représentants... Dans sa conclusion, Emery compare Trump à Henry VIII arguant du fait du prince et faisant décapiter ses épouses tandis qu’un commentateur critique pourrait comparer la “légitimité morale” d’une assemblée (la Chambre) totalement corrompue par les lobbies du Corporate Power, de l’AIPAC, des intérêts particuliers et le reste, à celle d’une république bananière que les USA entretiennent avec régularité depuis deux siècles dans leurs diverses colonies de corrupton...

« One needs 1,237 votes in the convention for the same reason one needs 270 votes in the Electoral College: Get 269, and one isn't president, at least not immediately. In that case the election is thrown to the House, the most democratic of all of the national branches of government. But an absolute majority of one national body is always required, as a president has to be backed by a broad coalition, which is why Trump's 37, or 34, percent solution is simply not feasible.

» But don't expect Trump or his fans to know why. Trump isn't really a mere politician, or something as mundane as that. He's Henry VIII, a spoiled rich brat who was born to a more prudent founder, who took over the family franchise and gilded it up beyond recognition, who had two trophy wives (whom he beheaded) and a mail-order bride he sent back upon seeing, who broke with Rome because he wanted to marry a hot little number, sent most of his critics into the Tower of London, and now and then chopped off their heads.

» If they had had tabloids in 16th Century London, he would have been in them, and if they had had “reality” television, he would have been on that, too. People like this don't know from James Madison, or words like “consensus,” “coalitions,” and “moral legitimacy.” They know from “Gimme,” “I want it,” and “I want it now.” But he's not gonna get it unless he gets to 1,237, which may be never. And he can't do a thing about that. »

Il s’agit bien entendu d’un exemple des complications qui attendent les candidats si n'ont pas lieu des résultats intermédiaires clairs (dit de “légitimation morale” par la commentatrice neocon, qui vient d’une fraction qui n’a cessé de montrer depuis vingt années son attention pour cette “légitimité morale”), s’il y a plus de deux candidats à la phase finale de l’élection, si effectivement aucun des candidats finaux n’atteint le chiffre de 270 “Grands Electeurs” tout en ayant une large majorité populaire... Il s’agit bien entendu d’un exemple des situations complexes à venir, extrêmement possibles, à partir desquels des perceptions différentes peuvent conduire à un refus de certaines factions/candidats de décisions constitutionnelles jugées faussaires avec des effets éventuellement insurrectionnels, – de communication et dans la rue elle-même...

L’on comprend que moins la situation est tranchée, plus les positions sont complexes et alors que les interprétations et les perceptions diffèrent à cause du climat de chaos, plus ce climat de chaos peut effectivement se transformer en situation de chaos où les autorités habituelles, y compris les forces de sécurité, peuvent se trouver elles-mêmes divisées. C’est bien ce qu’on appelle une situation d’insurrection au cœur du Système.

Ces constats valent quels que soient, demain pour nous, les résultats de l’élection primaire du Wisconsin même si ces résultats ont évidemment leur importance.

 

Mis en ligne le 5 avril 2016 à 17H50