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1505Nous profitions d’un commentaire mis à notre texte sur le Brésil du 13 mai 2016 pour introduire un document très intéressant qui est une interview de Pépé Escobar, en français (que Pépé parle remarquablement), datant du 12 mai sur Le Sakerfrancophone. L’intérêt est que la remarque faite par notre lecteur s’appuie sur un texte d’Escobar portant sur la situation au Brésil, tandis que l’interview porte également sur ce sujet.
Quant à la remarque du lecteur Dont Acte, en date du 16 mai sur le Forum du même texte référencé, sous le titre « Trop rapide ? », nous en rappelons l’énoncé : « Pour “l’interprétation, assez courante, selon laquelle Rousseff est victime d’un ‘coup’ où les activismes habituels US & associés, type-‘révolution de couleur’, ont évidemment leur part », je vous trouve un peu rapide. Voyez cette interprétation vérifiée et validée par le journaliste brésilien Pepe Escobar, souvent cité et apprécié sur votre site. La reprise en main de l’Amérique Latine par les USA n’est pas un vain mot.
» Un peu rapide aussi, lorsque vous considérez la neutralisation du BRICS qu’est le Brésil avec ce qui semble être une certaine désinvolte. Est-ce bien là votre pensée ? À vous lire, on comprend que les USA s’autodétruisent très bien tout seul et les forces antisystème des BRICS, pas toujours francs du collier, en deviendraient superflues…
» Ne jetez-vous pas le bébé avec l'eau du bain ? Combien de parties d'échecs ont-elles été perdues faute de pièces dans les derniers mouvements ? Aucun allié n’est superflu, il faut faire flèche de tout bois et les apports des BRICS sont précieux aujourd'hui comme hier dans ce combat. »
L’interview d’Escobar est très vivante, très enlevée, et explore, sur plus de 36 minutes, tous les aspects de la crise brésilienne. L’intérêt de l’interview est que Pépé peu s’étendre longuement, – il a le temps et aucune des contraintes s’attachant à un texte de diffusion internationale, vers un public bien connu, – sur la situation intérieure du Brésil, où il se trouvait au moment des évènements très récents qu’on sait, ce qui est une chance puisqu’on sait que ce Brésilien globe-trotter est très rarement dans son pays. Dans tous les cas, il était à Paris après avoir quitté le Brésil la semaine dernière et fut aussitôt mobilisé pour cette interview qui est présentée de la façon suivante, le 12 mai par Le Sakerfrancophone :
« La présidente brésilienne Dilma Rousseff vient d’être officiellement écartée du pouvoir présidentiel au Brésil. L’annonce fait suite au vote mercredi des sénateurs en faveur de l’ouverture du procès en destitution de la dirigeante, qui est automatiquement remplacée pour une période de 180 jours maximum par celui qui était alors vice-président de la République, Michel Temer. Ce que beaucoup dénoncent comme un « coup d’État institutionnel » met fin à 13 ans de pouvoir de la gauche au Brésil. Vendredi dernier, le Cercle des Volontaires recevait le journaliste et analyste géopolitique brésilien Pepe Escobar afin qu’il nous livre son analyse sur des événements pas forcément faciles à appréhender vus de France. »
Nous allons vous donner ci-dessous notre interprétation de cette interview, c’es-à-dire la façon dont nous l’avons perçue, avec notamment tout ce qu’indiquent le langage parlé, le ton, les mimiques, etc., particulièrement d’un personnage aussi expansif et chaleureux que Pépé Escobar.
• L’intervention des USA et la situation des BRICS. Certes, il y a la NSA, l’ambassade US, bien d’autre chose, et une opération de “guerre hybride” contre Dilma, d’un type nouveau, extrêmement complexe, additionnant les habituels outils de corruption, l’aspect politique et parlementaire, l’aspect judiciaire, l’aspect bureaucratique, etc. Au total, une opération que Pépé lui-même s’accorde à juger extrêmement complexe et “sophistiquée” (on le voit avec ses explications) et dont l’effet attendu est plutôt sur “le long terme”. Nous ne l’avons pas trouvé extrêmement convaincu lui-même de l’efficacité et de la forme de cette intervention, sans douter certes de mise en route mais en s’interrogeant un peu sur sa réalisation. Quant aux BRICS, bien entendu, la réaffirmation est complète de la volonté US de détruire les BRICS, perçus comme un ennemi mortel, – mais il s’agit là d’un fait bien connu depuis qu’existe les BRIC-devenus-BRICS, “ennemi mortel” des USA parmi tant d'“ennemis mortels” de cette grande et exemplaire démocratie amie de tout le monde...
• Tout ce qu'il peut y avoir d’impressionnant pour un esprit ouvert à cette sorte d’explication (subversion US, attaque des BRICS) est extrêmement compensé par divers aspects de la situation politique intérieure du Brésil, actuellement entré dans une phase de 180 jours où Dilma Rousseff est “jugée” pour déterminer si sa destitution doit être réalisée. Là-dessus, Pépé s’exclame qu’au Brésil, il est impossible de savoir ce qui se passera demain, “alors, imaginez dans 180 jours !”... (Même réserve par conséquent, en plus long encore, pour l’opération de déstabilisation “à long terme” mentionnée plus haut. Cette opération est d’ailleurs confrontée à diverses interférences, dont une “opération Mains Propres”, ou “opération Karcher” selon Pépé, partie de l’initiative improbable d’un “petit juge de province”, pourtant mentionné comme un correspondant US mais étant intervenu dans ce cas selon sa seule initiative et pour un effet de complication très inattendu.)
• Pépé juge le nouveau pouvoir temporaire, – Temer étant évidemment plus ou moins à la solde des USA, et partisan de mesures ultralibérales, – extrêmement impopulaire, avec 1% d’avis favorables pour Temer, frisant les 2% les dimanches et jours fériés. Pépé ne croit pas que Temer pourra gouverner jusqu’au terme de ces 180 jours, notamment en raison d’une opposition populaires qu’il prévoit extrêmement forte maintenant que la présidence n’est plus aux mains du parti le plus représentatif du peuple (le parti de Lula et de Rousseff). Seule la réussite immédiatement perceptible de l’une ou l’autre réforme, – par exemple, moins de chômage, – pourrait lui permettre de survivre. (En attendant, divers conflits et procédures se poursuivent, mettant en cause des personnalités du “complot anti-Dilma”, dont on sait qu’ils sont, dans ce pays extrêmement corrompu, les plus archi-corrompus, certains avec de graves enquêtes et inculpations à leur encontre.)
• Un point qui nous paraît très important est le jugement que Pépé porte sur Dilma Rousseff. A l’entendre, Dilma est une très mauvaise économiste qui croit connaître l’économie et qui n’écoute guère les conseils. Elle a pris des décisions catastrophiques qui l’ont même forcée, pour éviter un effondrement, à prendre des mesures ultra-libérales d’austérité qui ont en retour considérablement érodé sa popularité. Pépé juge donc son action politique comme très critiquable, allant jusqu’à dire que l’une des rares erreurs de Lula, – qu’il tient manifestement en très haute estime, – fut de la choisir pour sa succession. On ne peut donc éviter le jugement que l’action de Dilma est une des causes essentielles de l’évolution de la situation brésilienne qui a permis aux activistes US et pro-US d’intervenir, – et l’on en serait même à se demander comment ils ne sont pas intervenus plus tôt et plus efficacement, et par quelle habileté de maladresse ils parviennent à offrir une situation brésilienne dont la perspective n’est pas si mauvaise... (Mais la réponse se trouve bien entendu dans le fait que les troupes qu’ils subventionnent, parlementaires, grandes fortunes, médias, etc., portent tout de même le poids considérable de la corruption qui les entretient.)
• En effet dirions-nous pour enchaîner sur cette observation de cette “perspective... pas si mauvaise”, c’est là un des autres avis intéressants de notre interviewé : Pépé croit à un retour de Lula, et même dans les meilleures conditions possibles. Il estime que le tournant a été le moment où une intervention de militaires sur l’aéroport de Sao Paulo a empêché une arrestation arbitraire de Lula qui aurait compromis son avenir politique. (Les indications que donne le journaliste sont assez vagues et rapidement mentionnées mais il semble bien qu’il y ait là un élément important où il est fait, pour la première fois à notre connaissance, état de l’interférence des militaires dans la situation politique.) Au contraire, Pépé estime que Lula est en très bonne position pour conserver et renforcer sa popularité d’ici 2018, pour nettoyer un peu la direction de son parti également touché par la corruption, et être réélu président cette même année (2018).
• Ces observations prises sur le vif et s’étendant longuement sur la situation intérieure du pays nous paraissent importantes, parce qu’elles mettent l’accent sur un fait qui devrait tout de même être pris en compte : lorsqu’une attaque de subversion US a lieu, elle n’est pas la cause de tous les déboires du pays qui la subit, et notamment selon le paradoxe absurde de la responsabilité des conditions qui ont permis qu’elle soit lancée, – qu’elle ne peut avoir installéeselle-même puisqu’elle n’était pas encore lancée... Pour bien nous faire comprendre, nous dirions que si Chavez était toujours vivant, et donc au pouvoir, il nous semble que la situation au Venezuela sera très notablement différente de ce qu’elle aujourd’hui, – où, pourtant, les subversifs pro-US avec leurs gros sabots et leurs gros moyens n’ont même pas réussi à renverser Maduro, qui tend plutôt à être remplacé par le chaos.
“Chaos”, le mot est dit... C’est en effet à lui que nous songeons pour définir la situation brésilienne, comme la situation de très-très-grand nombre de pays, comme la situation mondiale et celle des relations internationales. (Ce pourquoi aussi, dans cette situation de chaos à tous les niveaux, nous parlons de “chaos-nouveau”.) C’est dans ce contexte que nous jugeons que les BRICS en tant que tels n’ont plus du tout l’importance qu’ils avaient il y a trois ans encore, non parce qu’ils ont perdu leur poids, leur réalité, mais simplement parce que la politique ne se définit plus en termes d’affrontement de blocs, d’idéologies, etc. La partie d’échecs dont parle notre lecteur peut encore et tout juste, tout juste et de moins en moins, se concevoir au niveau tactique (Poutine en Syrie, entre septembre 2015 et le début de cette année), mais plus du tout au niveau stratégique où des forces supérieures sont en action. L’avantage de Poutine au Moyen-Orient est en train de se réduire notablement à cause d’une évolution beaucoup moins favorable sur le terrain, parce que la Russie, selon les termes d’Elijah J. Magnier, n’intervient pas pour la raison qu’elle “est en train de s’empêtrer politiquement dans la boue de la politique américaine et de se perdre dans l’imbroglio de la diplomatie” («...is sinking politically in the mud of American diplomacy and is engaged in the tunnel of diplomacy »).
... Et s’il y a “boue” dans la politique US, et si l’activité US entraîne les autres dans des imbroglios, ce n’est absolument pas par manœuvre stratégique mais bien plutôt selon l’évidence du chaos des élections et de l’absence de pouvoir régnant aujourd’hui aux USA, tout cela permettant des initiatives désordonnées et dans tous les sens. De ce point de vue, ce que l’on peut attendre, et spécifiquement pour les USA qui occupe le centre du Système et du chaos, c’est bien plus un coup de poker qu’une manœuvre savante comme les échecs ont le secret : ou Clinton est élue, et c’est alors un tournant franc et massif vers la confrontation pouvant conduire à des conflits de haut niveau et non plus des accrochages de subversion et de communication, ou bien c’est Trump et alors l’un ou l’autre renversement est possible, – avec, dans les deux cas, le joker de troubles intérieurs aux USA, le chaos accouchant alors du chaos, selon la marche même de la nature du monde.
Mis en ligne le 17 mai 2016 à 11H19
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