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2240On a pu lire hier combien Robert Parry était scandalisé de la différence de traitement : qu’on attaquât dans les canaux de la communication le candidat Donald Trump à cause de ses déclarations concernant l’entrée des musulmans aux USA et qu’on ne dise pas mot de l’article où le sénateur Cruz (autre candidat à la désignation républicaine pour les présidentielles) annonçait qu’il jugerait éventuellement opportun de tirer des armes nucléaires contre Daesh. (« Cruz a suggéré d’employer l’arme nucléaire contre les régions occupées par Daesh, soit quasiment la Syrie et l’Irak si l’on tient compte de l’extension des dégâts du feu nucléaire : cela devrait être dans son programme s’il est élu président. »)
Voici un sujet proche... Hier, RT-français publiait une courte nouvelle, mais placée en bonne position sur sa page d’accueil, avec comme titre : « Poutine espère qu’aucune bombe nucléaire ne sera nécessaire pour lutter contre Daesh. » La traduction des propos de Poutine est plutôt approximative, et nous allons reprendre la déclaration en anglais pour donner notre traduction du passage. Il s’agit d’une réunion de travail entre Poutine et son ministre de la défense Shoigou, sans doute le 8 décembre, concernant notamment l’évolution de la situation en Syrie, et précisément l’action des forces russes. Il y est notamment question du tir de missiles de croisière Kalibr, à partir du sous-marin Rostov-sur-le-Don, tirant d’une situation de plongée en Méditerranée orientale (tir des missiles de croisière par les tubes lance-torpilles, processus de tir le plus délicat). Voici l’extrait concernant cet événement, à partir du texte officiel (traduit en anglais) publié sur le site de la présidence de Russie, le 8 décembre à 22H35.
Sergei Shoigu: [...] « For the first time we launched Kalibr cruise missiles from the Rostov-on-Don submarine based in the Mediterranean Sea. [...] Both the aviation and the submarine fleet were successful, hitting all the targets. The Kalibr missiles have once again demonstrated their efficiency at long distances. We tested both the launch of the missiles and their flight, as well as ensuring they hit the targets, which were two major terrorist facilities in Raqqah. [...] »
Vladimir Putin: « And has the submarine made underwater launches? »
Sergei Shoigu: « Yes, Mr President, the submarine made underwater launches because in May you gave instructions to test our new weapons in all environments where it can be used – in the air and in water. We launched Caspian Flotilla missiles from the sea. Now, we have tried and demonstrated real launches of missiles from the Mediterranean against real targets. We warned our colleagues in Israel and the United States that we would conduct these launches today. Before that, this vessel made surface launches in the northern seas, the Northern Fleet. [...] »
Vladimir Putin: « With regard to strikes from a submarine. We certainly need to analyse everything that is happening on the battlefield, how the weapons work. Both the Kalibr missiles and the Kh-101 rockets are generally showing very good results. We now see that these are new, modern and highly effective high-precision weapons that can be equipped either with conventional or special nuclear warheads.
» Naturally, we do not need that in fighting terrorists, and I hope we will never need it. But overall, this speaks to our significant progress in terms of improving weaponry and equipment being supplied to the Russian army and navy... »
Le passage impliqué dit donc ceci : “Nous constatons qu’il s’agit bien de nouveaux systèmes d’arme [le Kalibr] très efficaces et de grande précision, qui peuvent être équipés de têtes conventionnelles ou de tête nucléaires adaptées. Naturellement, nous n’avons pas besoin de cela [les têtes nucléaires] pour combattre les terroristes, et j’espère que nous n’en aurons jamais besoin...” Bien évidemment, on peut le prendre comme la réaffirmation d’une évidence (“Naturellement, nous n’avons pas besoin...”), néanmoins tempérée par une possibilité car il faut être prudent (“j’espère que nous n’en aurons pas besoin”). Il est d’autre part difficile de penser qu’en mettant ce passage en exergue dans son texte très court (mais néanmoins classé dans ses textes “les plus populaires” en milieu de journée), RT n’ait pas eu un feu vert tacite des autorités officielles. Il est enfin difficile de ne pas penser que Poutine et les personnes concernées n’ont pas dit et laissé paraître ces quelques membres de phrase sans une arrière-pensée qui ne peut concerner que le simple constat que la possibilité de l’usage du nucléaire contre les terroristes n’est pas absolument banni. Le style “cela va sans dire mais cela va bien mieux en le disant” est évidemment le terreau pour toutes les arrière-pensées du monde.
On peut difficilement comparer l’affirmation d’un candidat à la désignation d’un parti (Cruz disant qu’il entend utiliser du nucléaire), qui plus est aux USA où l’on dit tout et son contraire jusqu’au n’importe quoi lorsqu’il s’agit de terrorisme et de batailler au niveau de la communication, et une remarque qui semble accessoire mais qui ne l’est pas nécessairement d’un président en exercice qui conduit un conflit avec une extrême détermination, sauf à remarquer que le déclaration de Poutine, malgré sa prudence, a bien entendu plus de poids que celle de Cruz. Les deux concourent à donner à la lutte contre Daesh, – celle qu’on prétendrait mener “si l’on est élu” et celle qu’on fait effectivement, – une dimension de communication (n’allons pas plus loin dans la qualification de la chose) d’une réelle gravité et en constant processus d’aggravation. Insistons bien là-dessus, il ne s’agit que de communication, avec assez peu de rapport avec les faits, mais avec un rapport très puissant avec la psychologie ; et l’on sait, certes, l’importance que nous accordons à la psychologie. De ce point de vue, il se confirme chaque jour que le facteur-Daesh, ou le concept-Daesh comme nous le désignions le 4 décembre (la représentation type-blockbuster hollywoodien, extrêmement efficace auprès du public) a introduit une impulsion de dramatisation remarquable par sa puissance. Que cela corresponde ou pas à une vérité-de-situation n’a guère d’importance à ce point, la vérité-de-situation se cantonnant au constat de cette perception d’aggravation par les psychologies.
Au reste, il paraît de plus en plus assuré que les Russes, dans cette affaire, sont décidés à aller très loin et très fort. Cela concerne aussi bien leur attaque contre le terrorisme que la démonstration de leurs capacités militaires à l’intention du bloc-BAO aussi bien que des pays de la région moyenne-orientale. On trouve d’ailleurs diverses remarques dans la conversation Poutine-Shoigou qui confirment cette volonté de démonstration au travers de l’expérimentation en conditions de guerre des systèmes les plus puissants de la Russie. Comme celle du 7 octobre partir d’un navire de surface, l’utilisation du Kalibr par un sous-marin en plongée n’était absolument pas requise pour les tirs qui ont été effectués, d’ailleurs Shoigou insiste sur le fait qu’il obéit dans cette affaire aux consignes générales du président d’expérimentation de ces systèmes : “Oui, Monsieur le Président, le sous-marin a fait des tirs en plongée parce qu’en mai dernier vous nous avez donné instruction de tester nos nouveaux systèmes d’arme dans tous les environnements où ils peuvent être utilisés, – dans les airs, sur et sous les eaux” (« Yes, Mr President, the submarine made underwater launches because in May you gave instructions to test our new weapons in all environments where it can be used – in the air and in water. »)
Il apparaît parallèlement de plus en plus évident que le bloc-BAO ne s’oppose pas, et n’a pas l’intention de s’opposer, ou d’interférer gravement dans l’action des Russes, comme si cette action était finalement jugée profitable à tous en prenant l’affaire Daesh en main. (Cela même si d’autres sources plaident d’autres interprétations, notamment avec l’affaire de la destruction du Su-24 appréciée selon certains points de vue.) Quoi qu’il en soit, le constat est bien celui de cette poursuite, avec montée en puissance constante, des pressions et des démonstrations de capacités militaires de la part des Russes. Le passage sur les capacités nucléaires du Kalibr relève d’une psychologie effectivement concernée par des défis pouvant mettre en cause le cœur de la sécurité nationale, à propos de laquelle les Russes n’ont jamais caché leur détermination d’user de tous les moyens en leur possession, – c’est-à-dire, y compris le nucléaire. Le fait remarquable est que ce qui n’a jamais été dit explicitement du côté russe lors de la crise ukrainienne (bien que cela ait été affirmé du côté BAO par l’appareil de propagande), est suggéré potentiellement au détour d’une phrase par Poutine à propos de la Syrie et de Daesh.
Nous avons déjà largement développé le thème qu’en passant de la crise ukrainienne à la crise syrienne (Syrie-II avec l’intervention russe), on avait évolué d’un cran plus haut dans le développement de la Grande Crise Générale, et que les Russes, acteurs de premier plan dans les deux crises, sont conscients de ce phénomène. Plus que jamais notre analyse est bien qu’il ne s’agit pas d’une crise limitée à son aire géographique mais d’une progression de la Crise Générale, et que, dans cette occurrence, les Russes prennent toutes les précautions possibles et sont prêts à toutes les actions nécessaires, – cela, sans en savoir plus pour autant... :
« Peut-être même l’homme [Poutine] navigue-t-il à vue, nullement par ignorance mais par expérience (il a vécu la dissolution-expresss de l'URSS), se contentant d’appréhender au mieux les spasmes de ses “partenaires” et de protéger à mesure les intérêts de la Russie, tout en n’espérant pas trop dans la manufacture de plans importants à long terme, de Grand Dessein ou de Grand Jeu. Ce serait sans doute l’hypothèse la plus intéressante finalement, intégrant deux aspects en général reconnus de sa personnalité, qui sont une vision froidement réaliste des choses et une prudence constante dans l’action, y compris dans les actions les plus décidées et les plus rapides ; et, surtout, impliquant que Poutine ne serait pas loin d’admettre que le système général du monde, – bref, le Système, dont lui-même fait nécessairement “partie-en-partie”, – n’est pas vraiment réformable et qu’il faut donc attendre des bouleversements majeurs en acceptant l’idée qu’on n’en soit ni l’initiateur ni le maître. »
Mis en ligne le 10 décembre 2015 à 14H33
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