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7680Le président russe Poutine est sans le moindre doute ni discussion nécessaire le seul dirigeant politique du triste temps présent à mesurer (notamment) l’ampleur et la gravité de la menace d’un conflit dévastateur, au niveau nucléaire, qui figure dans les menaces générales (pour tous les acteurs) pesant sur nous. Le nombre des interventions majeures où le président russe aborde cette question est élevé par rapport à l’indifférence, – ou la mention en passant, sans conviction, – où les autres dirigeants tiennent cette question. Cette indifférence, surtout dans le chef des dirigeants du bloc-BAO (USA et autres) est d’ailleurs un thème majeur accompagnant les interventions de Poutine sur le sujet. Ainsi PhG notait-il dans son Journal-dde.crisis, le 23 juin 2016, à propos d’une intervention de Poutine concernant la possibilité de l’évolution vers un conflit nucléaire planétaire, en présence d’une dizaine de journalistes de ces pays du bloc :
« “C’est précisément à vous [journalistes] qu’ils disent tous ces bobards et vous les acceptez, et vous les répercutez auprès des concitoyens de vos pays ; et, de ce fait, vos concitoyens ne réalisent en rien le sentiment du danger imminent, – et c’est ce qui me préoccupe tant. Comment ne pouvez-vous ne pas comprendre que le monde est en train d’être poussé vers une direction irréversible, alors qu’ils prétendent que rien ne se passe. Je ne sais quoi faire de plus que ce que je fais pour vous pénétrer de cette réalité...” (J’ai choisi cette traduction de “vous pénétrer”, qui n’est pas la plus élégante, mais pour rendre compte de l’expression “how to get through you anymore”, qui rend bien compte que Poutine parle de quelque chose qui ressemble à une cuirasse psychologique interférant complètement sur la communication, qu’il ne parvient pas à percer.) »
Il se trouve, évidemment très logiquement, que la tension et les possibilités de conflit ne cessent d’augmenter, à mesure de l’augmentation du paroxysme de la Grande Crise de l’Effondrement du Système. Cette montée de la tension ne cesse pas depuis plusieurs années et elle suit depuis trois ans une très profonde crise du système de l’américanisme que nous avons symbolisé sous l’expression de “D.C.-la-folle”.
• Cette tension à cause de la possibilité d’une guerre, qui pourrait être nucléaire et d’annihilation réciproque, se retrouve dans les psychologies courantes des personnes les plus concernées à cet égard. Military Times du 17 octobre 2018, publie un sondage au sein des forces armées US en septembre 2018, suivant un autre en septembre 2017 sur le même sujet : « Pensez-vous que les États-Unis vont être entrainés dans un nouveau conflit l’année prochaine ? ». En septembre 2017, 5% des soldats interrogés répondaient positivement, “oui les USA vont être entraînés dans un nouveau conflit”, 46% en septembre 2018 ; 67% pensaient que ce ne serait pas le cas en septembre 2017, 50% pensent dans le même sens en septembre 2018. Ce sentiment est en accord avec celui des chefs lorsqu’il se laissent aller à la confidence ; en décembre 2017, le général Ropert Neller, Commandant du Marine Corps, confiait à un contingent de Marines qu'il visitait en Norvège :
« J’espère me tromper mais je pense qu’une guerre arrive... »
(L’expert militaire deGazeta.ru, Mikhail Khodarenok, ancien officier de l’Armée Rouge du temps de l’URSS, publie un article, repris par RT, où il analyse notamment à partir de ce sondage les possibilités de guerre USA-Russie pour 2019. Sa conclusion est “optimiste” : il met en doute la cohérence de ce sondage, tout comme la possibilité d’un tel conflit, selon les arguments rationnels qui ont prévalu dans la Guerre froide. Nous sommes nous-mêmes en profond désaccord avec cette analyse, parce que le rationnel en tant que dynamique positive de la pensée n’a aujourd’hui plus aucune pertinence, qu’il s’agit d’un rationnel-faussaire, du déterminisme-narrativiste, etc., et notamment à propos de la guerre nucléaire.)
• Sur le “front intérieur”, alors que les crises courantes (l’affaire Khashoggi, l’affrontement démocrates-républicains, etc.) se poursuivent, le front antirusse est réactivé (dans WSWS.org, le 20 octobre 2018). Il conjugue autant la dénonciation d’un prétendu activisme russe aux USA, en connexion avec les prochaines élections selon la narrative désormais rodée du Russiagate, que des mesures effectives de type conflictuel cette fois sur le théâtre européen dans le sens de la désintégration des structures de sécurité mises en place entre les USA et l’URSS jusqu’à la fin de la Guerre froide. Il s’agit pour ce dernier cas d’une sortie possible imminente des USA du traité le plus important de la période des années 1980, et surtout du seul traité prévoyant la disparition complète d’une catégorie complète d’armes nucléaires, les armes nucléaires de moyenne portée.
« Lançant une nouvelle escalade de la campagne anti-russe des agences de sécurité nationale, les procureurs fédéraux ont publié hier des accusations criminelles pour “ingérence” dans les élections de mi-mandat de 2018 contre un ressortissant russe. Le même jour, le directeur des services de renseignement nationaux, du FBI et du ministère de la Justice ont publié une déclaration commune qui met en garde contre les “campagnes en cours” non précisées de la Russie, de l'Iran et de la Chine – toutes les cibles principales de l'agression militaire américaine – pour saper et infiltrer la démocratie américaine. et influencer les prochaines élections.
» Les deux déclarations ont été rendues publiques sans aucune justification, ni la moindre preuve, mais elles ont été immédiatement acceptées comme une vérité évangélique et amplifiées par [la presseSystème]. Le New York Times et le Washington Post ont publié en quelques heures quatre rapports en ligne sur les accusations. [...]
» [Cette campagne médiatique] vise à présenter les États-Unis comme étant en état de siège et à préparer l'opinion publique à une nouvelle intensification des tensions militaires avec la Russie et à des préparatifs de guerre. Toujours hier après-midi, le New York Times, porte-parole central de la campagne anti-russe du groupe de sécurité nationale, a annoncé que le gouvernement Trump se retirerait du traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) avec la Russie.
» Le traité sur les FNI a été signé par le président américain Ronald Reagan avec l'Union soviétique. Il interdit les missiles de moyenne portée lancés depuis le sol, capables de frapper des cibles situées entre 500 et 5 500 kilomètres. Washington a accusé à plusieurs reprises la Russie d'avoir violé le traité FNI, mais n'a fourni aucune preuve à l'appui des allégations. La Russie a nié avoir violé l'accord. Le retrait du traité marquerait une nouvelle étape dans la position de confrontation de l'armée américaine vis-à-vis la Russie et des préparatifs de la guerre nucléaire. »
• C’est aussi en fonction de cette montée de la tension que la dernière sortie de Poutine sur la question de la menace d’une guerre nucléaire a, – du moins pour le ton, et nous verrons plus cet aspect plus en détails, plus loin, – un aspect un peu particulier qui peut être l’objet de sarcasmes. In petto, les sarcasmes ne doivent effectivement pas manquer chez les adversaires de Poutine mais ils marquent également une évolution psychologique très spécifique chez lui. Cela se passait avant-hier au 15ème Forum international de Valdaï, organisé chaque année par les Russes :
« La Russie aura recours à l'arme nucléaire uniquement en cas de frappe nucléaire lancée contre son propre territoire, a déclaré Vladimir Poutine dans le cadre de la 15e édition du club de discussion Valdaï à Sotchi. La doctrine nucléaire russe ne comprend pas la notion de frappe préventive, a rappelé jeudi le chef du Kremlin.
» “Notre doctrine ne prévoit pas de recours à l'arme nucléaire pour une frappe préventive, mais en réponse à une frappe ennemie. Cela veut dire que la Russie est prête à employer son arme nucléaire «uniquement si nous sommes persuadés qu'un agresseur potentiel a lancé une attaque contre la Russie”. [...]
» Selon Poutine, la doctrine militaire russe avertit l'éventuel ennemi de conséquences inévitables. “L'agresseur doit être conscient que la vengeance est imminente et qu'il sera détruit dans tous les cas”, a souligné le Président. “Nous, comme les victimes de l'agression, nous irons au Paradis comme les martyrs, alors qu'eux, ils crèveront sans suite [sans rédemption], car ils n'auront même pas le temps de se repentir”, a observé le président russe.” »
Il est effectivement remarquable de trouver chez Poutine une considération qui ressemble soit à une sorte de plaisanterie macabre, soit à une remarque empreinte de naïveté pseudo-religieuse au premier degré : “nous mourrons mais nous irons au paradis tandis que nos adversaires mourront (crèveront)”, sans avoir le temps ni l’opportunité de sauver leurs âmes par le repentir (pas de paradis pour eux, plutôt l’enfer). A notre sens, cette remarque et l’état d’esprit qui y président, pour nous en tenir à l’évolution de la rhétorique “nucléaire” de Poutine, ne sont certainement pas dus au hasard. Ils sont la marque d’un complet désabusement catastrophiste coloré de dédain et de dérision pour “les adversaires”. Cela procède, selon nous, de plusieurs points.
• Encore une fois, si nous nous en tenons à la rhétorique de Poutine nous observons qu’il semble bien en être arrivé à un stade où il lui paraîtrait extrêmement possible sinon probable (voire inévitable ?) qu’il y ait un conflit avec les USA, avec la quasi-certitude que ce conflit tournerait à l’affrontement nucléaire. Poutine lui-même est persuadé de cet enchaînement (conflit devenant nucléaire), comme le sont nombre de commentateurs.
(La croyance des experts, surtout russes, est que la perspective d’un enchaînement vers un conflit nucléaire implique un effet dissuasif décisif pour le déclenchement de la guerre. Nous sommes très loin de partager cette appréciation en raison de la forme et de l'agitation de la psychologie actuellement en cours à “D.C.-la-folle”, et de moins en moins persuadés que les militaires US soient capables de jouer un rôle modérateur.)
• Poutine a essayé vainement d’avertir ses “partenaires-adversaires” de ce danger depuis au moins 2014 et la crise ukrainienne, soit par la rhétorique raisonnable du danger commun du nucléaire, soit par la pression d’armements nouveaux rendant vain tout espoir d’échapper à une destruction complète en cas de guerre nucléaire. Tout cela, sans la moindre amorce du moindre résultat...
• Désormais, pourrait-on croire, c’est le fatalisme qui prévaut chez Poutine, avec son discours de Valdaï, où s’expriment dérision, plaisanterie macabre, observations courantes du type populaire et religieux, etc. Notre appréciation est qu’il s’agit d’une évolution tragique du caractère/de la psychologie de Poutine : cet homme rationnel, plutôt modéré, qui place les arrangements diplomatiques au-dessus de tout, se heurte depuis quatre ans au moins à un mur infranchissable (“stonewalling”) d’irrationalité et de désordre. Qu’il réalise cet état de sa psychologie, qu’il veuille ou non le faire sentir, il reste que cette évolution tragique finit à notre sens par apparaître dans ses attitudes et ses interventions.
• En fait, nous nous trouvons depuis quatre ans au moins avec cette perspective apparue d’une guerre nucléaire, dans une situation d’incertitude totale et de basculement très possible de la psychologie au sein du bloc-BAO. Cette remarque vaut aussi bien, et encore mieux comme on le comprend, pour “D.C.-la-folle” dans sa période actuelle. Cela rend la perspective d’une tension où soudain on réaliserait, à “D.C.-la-folle” et aux USA, la possibilité de la guerre nucléaire à sa juste “valeur”, extrêmement incontrôlable par le fait d’un paroxysme psychologique dont nul ne sait l’effet. Nous envisagions pour la première fois d’une façon aussi nette une telle possibilité dans l’immédiat effet du “coup de Kiev” du 21 février 2014, et ainsi l’observation ci-dessous est-elle nettement identifiée à cette crise, à la chronologie courte de cette crise, – mais l’idée fondamentale de l’évolution psychologique reste valable...
« La crise ukrainienne, et la réalisation que les pressions du Système (du bloc BAO, son factotum) peuvent conduire à l’extrême catastrophique des affaires du monde, peuvent aussi bien, grâce au “formidable choc psychologique” dont nous parlons et à l’immense crainte qu’il recèle, déclencher une autre dynamique d’une puissance inouïe. Notre hypothèse à cet égard, rencontrant l’idée de la formidable puissance symbolique du centenaire de la Grande Guerre (voir le 2 janvier 2014), est que cette dynamique est celle de l’effondrement du Système dont rien, absolument rien ne réclame qu’il se fasse dans l’apocalypse nucléaire, parce qu’alors elle pourrait bien être, cette dynamique, le fruit de la panique psychologique totale naissant de la perspective soudain apparue que le risque de la guerre nucléaire existe plus que jamais. »
Mis en ligne le 20 octobre 2018 à 13H12
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