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1619Est-ce une coïncidence si, en même temps que Donald Trump semble débouler vers une désignation certaine du parti républicaine, pour une collision avec une Hillary Clinton pétrifiée d’horreur à l’idée de l’affrontement épouvantable au niveau de la communication qui l’attend, elle et ses casserolles, le chaos français offre de plus en plus d’occasion d’envisager, dans les perspectives électorales, l’hypothèse d’une victoire de Le Pen en mai 2017 ? Il est hors de question, à notre sens, de lier organiquement ces deux dynamiques tant le paysage, la culture et les coutumes politiques des deux pays diffèrent, et tout aussi hors de question de ne pas lier fondamentalement les deux dynamiques si on les place dans la situation du courant crisique qui ravage en même temps qu’elle active le chaos du monde. Entre la chaîne que forment le “chaos français” illustré par Le Pen et le “chaos américaniste” révélé par Trump, et le “chaos du monde”, le second (le “chaos du monde”) a nécessairement prééminence, et finalement l’“exception française” et l’“exceptionnalisme américaniste” y devraient occuper leur place, nous dirions presque prioritairement.
Le “chaos du monde” étant ce qu’il est, c’est-à-dire l’ultime transmutation du désordre, ou encore un désordre qui posséderait tous les éléments permettant éventuellement de restructurer une nouvelle perspective après la rupture chaotique, l’idée de “révolution”, dans un mode très différent des exemples que nous donnent l’histoire mais selon un esprit commun renvoyant la métahistoire, l’idée de “révolution” donc est de nouveau audible. Les citoyens américains sont un peu en avance, comme leur élection présidentielle, dans la mesure où des gens qui ne sont pas du tout partisans de Trump commencent à envisager clairement que Trump soit l’“outil”, la “clef” nécessaire à l’épisode révolutionnaire à venir, sans nécessité aucune de partager un programme trumpiste ; cela est d’autant plus aisé que le programme en question est extrêmement vague, confus, contradictoire, – sauf sur un point qui efface tout le reste, l’État-nation contre la globalisation, où ces termes décrivant des outils de circonstance se traduisent fondamentalement dans l’équation générale de l’antiSystème contre le Système. C’est ce que Justin Raimondo, qui est loin d’épouser toutes les sinuosités furieuses du The Donald, exprime de cette façon le 29 avril :
« But there is more to it than that. If we step back from the daily news cycle, and consider the larger significance of the Trump phenomenon, the meaning of it all is unmistakable: we haven’t seen anything like this in American politics – not ever. Revolution is in the air. The oligarchy is tottering. The American people are waking up, and rising up – and those who try to ignore it or disdain it as mere “populism” will be left behind. [...] We are living in revolutionary times. Every political movement and tendency will be put to the test. Some will be found wanting, and they will fall by the wayside. Others will adapt and prosper. Whether we have the courage to face the future is an issue that will soon be decided, and it is we who will do the deciding – because our fate is in our hands. »
Hors des machinations certes terroristes mais intellectuellement dérisoires du “mccarthysme de l’antiracisme” qui est l’outil dialectique favori du Système, il est clair aux yeux de nombreux commentateurs US que Trump reprend le flambeau d’une très vieille tradition US plus ou moins bien honorée, du président Jackson au président Theodore Roosevelt pour la transcription-Système, et pour divers autres mouvements qui échouèrent tout au long des presque deux siècles et demi de l’histoire des USA. Nous parlons bien entendu du populisme, que certains, aussi bien à gauche qu’à droite, pourraient même assimiler à l’idée de “démocratie localiste” de Jefferson.
En France, le populisme n’a pas bonne presse ; il est pourtant plus fréquentable que l’objet de l’inquisition du “mccarthysme de l’antiracisme”. (“Antiracisme”, le “communisme du XXIème siècle, selon l’Académicien réactionnaire-péguyste et fier de l’être Alain Finkielkraut.) Aux USA, on ose en parler sans crainte d’être foudroyé sur place : il était évident par exemple, avant que le démocrate perde l’essentiel de ses chances et passe pour l’instant au second plan, que Sanders exprimait un “populisme de gauche” alors que Trump exprime un “populisme de droite” (largement ouvert vers cette même gauche) ; en France c’est différent, – ou bien “c’était” différent ? L’excellent commentateur de gauche Jacques Julliard (anciennement au Nouvel Obs, présentement à Marianne) a ceci à nous dire, – notamment car le reste est aussi intéressant, – dans une interview du bimensuel Éléments (n°159, mars-avril 2016) :
Éléments : « Si l’on en croit Christophe Guilluy, la lutte des classes redémarre avec le clivage qui s’accentue entre ceux qui profitent de la mondialisation et ceux qui en souffrent. Guilly va jusqu’à dire que le vote Front National est devenu un “vote de classe”. C’est votre avis ? »
Julliard : « Le grand mérite de Christophe Guilluy a été de donner une explication sociologique forte au phénomène du divorce de la gauche et du peuple. Le vote Front National n’est pas un vote de classe à l’état pur (le vote communiste nr l’a jamais été non plus !), mais il repose sur un noyau populaire incontestable, tout à fait comparable à celui dont disposait le PC au début de la IVème République. Cela signifie qu’il est en train de se produire quelque chose de complètement nouveau, en l’occurrence la conjugaison d’un vote dirigé contre les élites dirigeantes, qu’il s’agisse de la bourgeoise mondialisée ou de la technocratie gouvernante, et la recherche d’un point moyen où les classes populaires pourraient à nouveau exister autrement que de manière marginale.
» Historiquement, le populisme n’a jamais débouché sur une formule politique bien précise. Y parviendra-t-il un jour ? Ce n’est pas impossible, compte tenu de l’incapacité de la classe politique à remettre en cause le vieux système de la représentation synonyme d’exclusion du peuple. Le populisme exprime la volonté du peuple de se voir réinséré dans le processus de décision. C’est au fond le statut même du politique dans une société d’opinion et de communication multiple qui est en cause. »
Ce que dit Julliard à propos de Marine peut être parfaitement repris pour The Donald, simplement en remplaçant “le peuple” et “les classes populaires” par “la classe moyenne”, – car nous avons ainsi les deux symboles de l’accomplissement des deux révolutions, la française et l’américaniste, si contemporaines et si proches malgré leurs considérables différences. Ces deux symboles sont absolument en danger d’anéantissement du fait de la globalisation déstructurante et dissolvante, et les deux susnommés deviennent le moyen de leur riposte. La chronologie favorise l’opération, car pour nous il faut absolument lier une possible/presque probable victoire de Trump (à notre sens, malgré les sondages, et en raison de la dynamique de la campagne qui vient) à une possible victoire de Le Pen. Les taux différents de possibilité, et les climats régnant, font qu’il est à l’avantage de ce phénomène en cours que l’élection US précède la française : Trump va servir de formidable démineur à Le Pen... Ainsi notre appréciation présente, à l’heure d’aujourd’hui, est-elle que les deux élections sont liées : si Trump l’emporte, Le Pen a un boulevard qui s’ouvre devant elle, car nous sommes à l’ère de la globalisation, où la machinerie antiSystème, grâce au système de la communication, peut utiliser à son avantage (inversion vertueuse) les caractères de cette situation.
Pour cette fois, la France pourra utiliser l’exemple de son “grand allié” américain (la France, inspiratrice de la naissance des USA et “seul grand pays à n’avoir-jamais-été-en-conflit-avec-les-USA”) pour inspirer sa propre démarche dite-“révolutionnaire”... On jugera donc que ce n’est pas nécessairement un hasard si RT-français nous propose ce 29 avril un rapide petit catalogue des bruits déjà entendus et encore courants des uns et des autres envisageant une victoire de la présidente du Front National aux présidentielles de 2017.
« C’est un épouvantail avec lequel une partie de la classe politique et médiatique joue à se faire peur. Et si Marine Le Pen entrait à l’Elysée ? Depuis plusieurs mois, personnalités politiques et écrivains n’écartent plus cette possibilité. Dernier en date ? Manuel Valls. Dans un entretien au magazine Society, le locataire de Matignon fait une déclaration qui sonne comme un avertissement : “Ceux qui expliquent que l'extrême-droite ne peut pas gagner se trompent. En quoi, elle ne pourrait pas gagner ? Si c'est un candidat de gauche qui se qualifie contre elle au second tour, une partie de l'électorat de droite peut ne pas suivre.” D’autres poussent l’analyse jusqu’à l’affirmative. La fille de Jean-Marie Le Pen réussira là ou son père a échoué. Tour d’horizon des convaincus.
» Le 25 octobre [2015], Malek Boutih était l’invité de BFM Politique. Le député socialiste de l’Essonne semblait résigné. Sur un ton mélangeant dépit et frustration, il a lâché cette bombe : “2017, c’est un peu joué d’avance. Ce n’est pas une question de casting. A jouer le casting, c’est encore refuser de voir les choses.” Jouée d’avance l’élection ? Malek Boutih s’est montré affirmatif : “En l’état actuel des choses, je ne vois pas comment Marine Le Pen ne gagne pas la présidentielle. S’il y a un peu de changement, ça ne suffira pas. Il faut se préparer à une crise politique majeure.” A l’époque, le pronostic avait fait grand bruit. Et avait apporté à l’ancien président de SOS Racisme, son lot de critiques. “Je désapprouve cette stratégie qui consiste à surjouer la peur du Front national, méthode dangereuse à effet-boomerang garanti”, avait [observé] son collègue sénateur, Gaëtan Gorce.
» C’est plutôt à gauche que les personnalités politiques aiment à se faire peur. A l’été 2014, Jean-Luc Mélenchon [était] en pleine traversée du désert. Les échecs électoraux du Front de gauche [avaient] entamé sa détermination. “A un moment, il faut s’arrêter de courir. Parce que si on court tout le temps, on va finir par se mettre dans le vide. Et là, j’ai besoin de dormir, de ne rien faire, de bailler aux corneilles”, avait déclaré le co-fondateur du Front de gauche. Un moment de résignation qui donne cette déclaration : «Madame Le Pen récite des morceaux entiers de notre programme. Leur ligne, c’est d’occuper l’espace politique de la gauche. […] Pourquoi elle va y arriver ? Parce que la société est en train de se vider de l’intérieur. Parce que la société est en train de se diriger vers le point ‘qu’ils s’en aillent tous’. Et quand le point ‘qu’ils s’en aillent tous’ est atteint, tout saute en même temps.”
» Le milieu politique n’est pas le seul à parler ouvertement d’une victoire de Marine Le Pen. Plusieurs œuvres de fictions ont récemment vu le jour. Elles ont un point commun. Celui de l'affubler du costume de présidente. Quand Michel Houellebecq imagine un président arabe dans Soumission, François Durpaire et Farid Boudjellal sortaient en novembre dernier La présidente.
» L’historien spécialiste des Etats-Unis et l’auteur de bandes dessinées ont imaginé une France dirigée par la présidente du Front national. Si François Durpaire s’est engagé dans ce projet, c’est pour une bonne raison. Il est certain que la réalité rattrapera sa fiction. “J’ai la conviction qu’elle sera élue en 2017”, a-t-il déclaré. Et à le croire, l’homme est un bon parieur quand il s’agit de miser sur la politique : “J’ai fait cette BD pour ouvrir les yeux des gens. En 2007, j’ai fait la BD biographique d’Obama en disant qu’il allait été être élu même si Hillary Clinton était favorite dans les sondages. Marine Le Pen ne gagnera pas forcément au premier tour mais elle gagnera au second.”
» Dans son scénario, l’historien imagine un Nicolas Sarkozy remporter les primaires car “il tient le parti”. En résulte une division à droite ajoutée à une forte abstention. “Je prends une comparaison sportive : vous êtes à la tête de l’équipe de France de tennis, vous leur proposez de jouer sur terre battue contre les Espagnols, c’est suicidaire !”, analyse François Durpaire. “Les choix des thèmes de campagne aujourd’hui ne vont pas. On est plus proches d’une Marine Le Pen à l’Elysée qu’un président musulman à l’Elysée comme l’avait imaginé Houellebecq”, poursuit l'auteur.
» Au petit jeu des prospectives politiques, les deux compères ne sont pas seuls. Le sociologue Michel Wieviorka a suivi le mouvement. Ce proche de Martine Aubry, à l’origine, avec Daniel Cohn-Bendit, de l’appel à une primaire à gauche, s’est spécialisé dans le racisme et les fractures sociales. Le 3 mars dernier, il publiait Le Séisme, un ouvrage au titre et à la couverture éloquentes qui imagine la chronique d’une France post élection de Marine Le Pen. Le tout sous la plume d’un journaliste américain vivant à Paris. Une nouvelle fois, l’idée n’est pas le fruit du hasard. Michel Wieviorka en est sûr, si Marine Le Pen se retrouve face à François Hollande, elle l’emportera : “Une partie de la droite préférera voter pour elle. Et les électeurs de gauche sont tellement déçus qu’ils se mobiliseront peu en faveur de Hollande.”
» Quelques jours après la sortie de ce livre, Philippe Guibert, ancien directeur du Service d'information du gouvernement, signait une tribune dans Slate. Son titre ? Oui, le FN peut gagner en 2017. L’essayiste Guillaume Faye s’est livré à un exercice de politique fiction sur le site Metamag. Là encore, tout tourne autour d’une hypothétique présence de Marine Le Pen dans le fauteuil de l’Elysée. Récemment, c'est l'économiste Jacques Sapir qui, sur notre plateau, affirmait qu'il ne fallait pas exclure une victoire frontiste.
» Ces exemples ne sont qu’une partie des initiatives de ce genre qui se multiplient depuis des mois. Les derniers sondages indiquent que quelque soit la configuration, la présidente du Front national sera au second tour. Mais tous la donnent battue. »
Il ne s’agit pas ici de prendre parti ni de s’engager dans une orientation politique, encore moins idéologique, mais bien d’esquisser la mesure, – on aura bien souvent l’occasion d’y revenir car la chose ne quittera plus notre esprit, – d’une voie nouvelle, de dimension multinationale, qui semble s’ouvrir vers des conditions révolutionnaires. Ni Trump ni Le Pen (ni Sanders ni Mélenchon, ni d’autres combinaisons dans d’autres circonstances dont rien ne dit que leur réalisation soit exclue) ne constituent notre avenir ; si nous parlons de la sorte, c’est parce c’est notre conviction que nul ne peut prétendre à cela, à “être notre avenir”, qu’il s’agisse d’individus ou de collectivités, – sans parler de programmes, d’idéologies, etc.
Pour mieux définir les personnages nommés qui ne peuvent figurer que dans l’antiSystème, qui n’existe politiquement que dans l’antiSystème, on pourrait les représenter comme des “passeurs” ou, dans tous les cas, ceux qui sont les mieux à même d’être des “passeurs” vers des conditions révolutionnaires qui se forment devant nous, autour de nous... Il doit être entendu que ces “conditions révolutionnaires” précèdent l’apparition des “passeurs” ; qu’elles se sont mises en place de leur propre chef, parce que la situation crisique générale a atteint ces dernières années un point de fusion dont nous avons pu sentir, au jour le jour et chaque jour davantage, la puissance, l’élan, l’énergie extraordinaire qui s’y trouvent rassemblés ; qu’elles ne se définissent enfin par aucun schéma ni aucune élaboration politiques de composition humaine. Encore heureux que nous puissions voir et observer cela, c’est-à-dire voir et observer notre destin en trains de se faire.
Car c’est bien notre privilège de voir cela, d’observer cela, exactement comme l’on se trouve “aux premières loges”. C’est la magie extraordinaire du système de la communication, et son ambiguïté formidable aussi, sa fonction-Janus, puisque, né du Système évidemment il nous donne à voir le spectacle de l’effondrement du Système dans lequel notre tension psychologique a sa place, pour jouer son rôle. Nous voulons dire par là que plus il y a d’observateurs et de commentateurs de la chose (l’effondrement du Système) grâce au système de la communication-Janus, plus la chose accélère son rythme à cause de la tension qu’impliquent cette observation et ce commentaire.
Nous reviendrons sur ce phénomène sans cesse et sans cesse, dans ce « We are living in revolutionary times », car il constitue l’objet indépassable de notre justification d’agir, à notre façon et selon nos moyens. Chacun est à sa place et chacun doit tenir sa place, quitte à bousculer ses convictions, ses croyances et ses engagements. L’Histoire défile devant nos yeux, avec toute sa puissance grondante.
Mis en ligne le 30 avril 2016 à 16H54
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