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3918En Turquie, ces deux derniers jours, le schéma habituel d’un putsch militaire avorté a été respecté, avec réaction populaire importante participant à cet avortement opéré dans l’urgence. Les considérations sur l’origine du “coup” sont diverses mais se résument finalement à deux options majeures : soit un coup inspiré sinon monté par Fethullah Gulen, ennemi juré d’Erdogan installé aux USA depuis 1999 et disposant de connexions sérieuses avec la CIA et avec la “maison Clinton” qui retiennent l’attention ; soit un coup type-false flag monté par Erdogan lui-même pour lui donner un argument pour éliminer certains opposants, dont et surtout le fraction-Gullen, et renforcer dramatiquement son pouvoir. La détermination entre l’une ou l’autre option (avec beaucoup moins d’intérêt pour l’option-false flag) est d’un intérêt extrêmement secondaire. Ce sont les conséquences de politique extérieure qui sont particulièrement importantes et nous intéressent particulièrement pour pouvoir permettre une observation féconde de l’évènement.
Il semble cette fois qu’il y ait une certaine unanimité dans les réactions, commentaires, etc., notamment sur deux points : 1) les conséquences du putsch avorté seront importantes sur la politique extérieure et affecteront aussi bien le bloc BAO (précisément dans l’immédiat, l’OTAN et les USA), que les relations de la Turquie avec la Russie, que la situation dans la région. 2) La tendance est clairement un réalignement d’Erdogan après sa politique extrême de la période depuis 2011-2012, parfois difficilement compréhensible et en rupture avec son comportement intéressant jusqu’alors ; et ce réalignement devant le mener à un rapprochement déjà en cours avec la Russie (rencontre prochaine Erdogan-Poutine), et surtout une tension désormais extrême avec les USA assortie d’une sorte d’ultimatum (l’expulsion de Gulen des USA vers la Turquie) et de mesures immédiates sévères dont on ne sait si elles sont symboliques, temporaires ou durables (blocage complet de la base d’Incirlink, qui joue un rôle-pivot pour l’action US en Syrie et en Irak).
• Comme on l’a laissé entendre plus haut, le personnage de Fethullah Gulen devient donc central à la crise et, du coup, les tensions qui en naissent, essentiellement et très fortement entre les USA et Erdogan, affectent d’abord la lutte pour le pouvoir en Turquie, donc Erdogan lui-même, la situation intérieure turque, mais aussi et d’une façon peut-être radicale, l’évolution de la politique extérieure... (Notamment dans ce dernier cas, les relations avec la Russie, jusqu’à des circonstances précises lorsqu’une source affirme notamment que l’un des pilotes qui a abattu un Su-24 russe en novembre 2015 faisait partie de ce que le langage codé employé dans l’épisode actuel nomme l’“État parallèle” qu’entretiendrait Gulen en Turquie au travers de ses partisans implantés dans divers services et réseaux officiels, en même temps qu’il a établi un réseau mondial d’influence et d’éducation renvoyant à ses conceptions islamistes et qui servent de relais à certaines influences connexes, – comme celle de la CIA, éventuellement. Objectivement, on peut noter que ce putsch intervenait au moment d’un tournant radical de la politique d’Erdogan, peu avant la rencontre Erdogan-Poutine devant sceller ce tournant : quelles qu’eussent été les intentions des putschistes, il est évident que cette dynamique de rapprochement eût été, en cas de succès de l’opération, complètement freinée sinon mise en danger d’être complètement paralysée au moins pour une période d'incertitude.)
Beaucoup de choses ont été écrites sur Gulen, et on trouve un développement conséquent à son propos dans un texte de Osman Softic, de openDemocratie.net, le 6 février 2014. Softic cite notamment une “lanceuse d’alerte” célèbre, transfuge du FBI où elle occupait les fonctions de traductrice des documents venant de Turquie, Sibel Edmonds et ses mémoires Classified Woman: Sibel Edmonds Story. Edmonds décrit les liens de Gulen avec la CIA et ses activités à partir des USA, notamment pour la mise en place et l’entretien de ce fameux “État parallèle”. (Les “récents évènements” dont parle Softic ne concernent évidemment pas le ptsch avorté mais l'agitation de type regime change qu'avait traersée la Turquie.)
« Edmonds claimed that the key link between Fethullah Gülen and his movement with the CIA was Graham Fuller, a prominent intelligence analyst at the RAND Corporation, former CIA station chief in Kabul and Vice President of the National Intelligence Council.
» Although he dismissed the allegations about the role of Gülen’s schools in hiding CIA operatives, Fuller admitted that he provided a reference to Gülen at the time the US immigration authorities planned to expel him in 2006. Fuller wrote a letter to the FBI and the US Department of Homeland Security in defence of Gülen. Fuller wrote that he believed Gülen was not a threat to America. Due to this support, Gülen was allowed to stay in the United States. Another person who also wrote a similar letter in defence of Gülen was Morton Abramowitz, former CIA operative in Turkey who later served as a US ambassador in that country.
» Although Gülen argued all along that the mission of his movement was not political but educational, the latest events in Turkey show that his ultimate goal was to establish political control over the institutions of the Turkish state, but without the sort of transparency witnessed during the formation of a political party and through participation in electoral politics. Rather, he planned to do so through infiltration into state structures. »
• L’autre aspect de l’activisme de Gulen, qui est d’un intérêt immédiat et pénètre au cœur de la crise actuelle aux USA, ce sont ses liens avec la “maison-Clinton” par l’intermédiaire de la désormais très-fameuse Huma Abedin, la conseillère politique et intime de Clinton dont les connexions islamistes sont connues. Deux textes sont à recommander, du reporteur Chuck Ross sur DailyCaller.com. Celui du 16 juillet, qui traite de la situation en Turquie durant les évènements des dernières 48 heures mais surtout, pour notre propos, un texte du 13 juillet, quasiment prémonitoire (?) en un sens, qui traite des liens Clinton/Abedin-Gulen, et notamment de donation de personnes et de filières dépendant de Gulen au fonds électoral de Clinton et à l’inévitable Clinton Foundation. On lira donc ce texte plein de détails précis, avec cette introduction :
« A newly-released email and lobbying documents filed with Congress reveals new ties between Clintonworld and members of a network operated by a mysterious Islamic cleric from Turkey. Connections between Clinton and acolytes of the imam, Fethullah Gulen, could muddle the complex relationship between the U.S. and Turkey, a key NATO ally, if the former secretary of state wins the White House. »
• ... Tout cela nous conduit à l’évaluation générale de la passe d’armes des deux derniers jours, dont Erdogan est sorti vainqueur. Quelle que soit l’explication qu’on donne du putsch avorté, – encore une fois, explication d’une importance très marginale, – il reste que l’appréciation générale, comme on l’a dit, est de voir les liens USA-Turquie sortis très endommagés, d’autant plus que s’est engagée une partie de bras de fer dans la communication, avec perte de face à la clef pour qui céderait. Erdogan veut Gulen, les USA répondent pour l’instant qu’il faut des preuves pour exiger une extradition, et l’on peut raisonnablement conjecturer que si Gulen est vraiment un précieux “CIA’s asset” en même temps qu’un proche de Clinton par la filière chérie Abedin, il va bientôt y avoir un verrouillage US à cet égard. La tension USA-Turquie se mesure notamment au bouclage et à “la prise en otages” par les Turcs de la base de Incirlink, maillon stratégique majeur de l’interventionnisme US dans la région. Pour l’appréciation générale, que le coup soit d’un cru false flag ou pas, et mis à part les réalignements et renforcements internes avec l’affrontement extra-transatlantiques Erdogan-Gullen, l’évaluation très majoritaire est que la séquence est une lourde défaite pour les USA, sinon pour l’OTAN (et l’UE), et une victoire pour la Russie. On peut lire notamment, dans ce sens, MK Bhadrakumar, Peter Lavelle et Israël Shamir.
• ... C’est dire si, avec Erdogan, et avec Clinton certes, on ne s’ennuie jamais. Le dictateur-postmoderne Erdogan est devenu, avec ce coup et après des années d’errances interventionnistes jusqu’à la tension antirusse extrême où l’on alla jusqu’à parler de conflit armé il y a six ou sept mois, un dictateur-post-postmoderne avec une nouvelle politique extérieure en cours d’élaboration. Tout cela va mettre un peu plus dans l’embarras l’UE et ses réfugiés-migrants, et les divers autres compères du bloc BAO, d’autant que l’on pourrait être en mesure d’attendre désormais une franche et triomphante rencontre Erdogan-Poutine.
Les USA sont effectivement coincés dans leurs liens adultérins et reptiliens avec Gulen, et aussi vis-à-vis d’Erdogan, avec en plus les embarras consécutifs aux complications d’un pouvoir washingtonien multipolaire. Le nonchalant et très-humanitaire BHO avait d’abord, dans les premières heures de l’opération, averti les militaires pseudo-putschistes qu’il fallait respecter les normes démocratiques... Puis, les instructions de la CIA étant parvenues à destination, toute la communication officielle s’est retournée contre le couple Erdogan-Incirlink sur un ton sévère. Le Pentagone a un peu pédalé dans la semoule, annonçant que tout était normal à Incirlink et que les raids se poursuivaient, avant de laisser dire par un “officiel anonyme” que, finalement, pas du tout, Incirlink était quasiment pris en otage, avec ses précieuses bombes nucléaires B-61.
L’on parle donc d’un grand tournant de “réalignement stratégique” majeur. Nous serions réticents à employer de ces termes qui supposent une politique structurée et ordonnée, sans repousser un instant l’idée d’un changement important de l’orientation d’Erdogan, l’épisode des deux derniers jours devant faire de la réconciliation avec la Russie un événement beaucoup plus sonore mais dont les prémisses étaient déjà complètement en place. Nous penserions que les conséquences, y compris de ce rapprochement, seraient plutôt de l’ordre de l’accroissement du chaos (ce qui n’est pas mauvais en soi) plutôt qu’une perspective d’un nouveau rangement. Erdogan est et reste un partenaire instable ; il est bien entendu beaucoup plus avantageux pour les Russes de le voir de leur côté, et même éventuellement, de le voir modifier sa politique syrienne, mais cela paraît de toutes les façons insuffisant pour faire penser à un apaisement de la tension dans la région, moins encore à une remise en ordre générale.
Les effets par rapport au chaos en accroissement pourraient être, d’une façon plus affirmée, nettement louables et bénéfiques sur le front du bloc BAO, notamment en fragilisant considérablement l’OTAN et l’UE pour des raisons différentes, mais essentiellement pour ces deux organisations parce tout frein à une cohésion de ses membres pour quelque raison que ce soit (stratégique pour l’OTAN, migratoire pour l’UE) suscite un effet déstructurant majeur dans le cadre de structures déjà fortement ébranlées. La même chose peut être dite des structures de sécurité des USA, avec les menaces contre la base d’Incirlink qui doivent effectivement être vécues comme un danger majeur aussi bien pour l’érosion de l’influence US que pour le fonctionnement de la machinerie d’hégémonie stratégique du Pentagone. Enfin, le même effet d’accentuation du chaos du fait de la politique US de l’administration doit se manifester sur la scène intérieure, où Trump a déjà exploité les évènements de Turquie comme le résultat de la déstabilisation que ne cesse de susciter cette même politique.
Encore n’a-t-on pas vu le “facteur-Gulen” jouer à plein, tant s’en faut : si cette affaire devient vraiment un enjeu de communication important entre la Turquie et les USA, les diverses manigances autour de Gulen, y compris les liens de Clinton avec lui et l’implication de Clinton dans des réseaux islamistes que cela implique, devraient jouer un rôle polémique non négligeable. Cela est d’autant plus notable que, cette fois, au contraire d’autres interventions d’Erdogan auprès des USA à propos de Gulen, Erdogan semble vouloir aller jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à une crise ouverte avec les USA, notamment parce qu’il est persuadé, à juste raison ou pas, que la stabilité de la nouvelle puissance de son pouvoir dépend complètement de l’élimination de Gulen. Dans ce cas, il y aurait effectivement une crise extrêmement dure avec les USA puisque les deux acteurs antagonistes se trouveraient porteurs d’un enjeu de communication engageant leur prestige et leur influence.
Il y a, une fois de plus, la démonstration de la remarquable imbrication, quasiment systématiquement, des affaires intérieures dans leur aspect le plus déstabilisant, et des affaires extérieures dans leur sens des changements les plus radicaux. L’exemple est ici très remarquable, que ce coup d’État raté ait potentiellement comme un des effets possibles d’interférer dans la campagne présidentielle US dans le domaine déjà bien rempli de la corruption politique et des liens incestueux de candidats, c’est-à-dire de la candidate bien connue, avec des personnalités et des organisations du type lié d’une façon ou l’autre au bouillonnement islamique. La globalisation joue à plein, dans tous les sens.
Mis en ligne le 17 juillet 2016 à 12H26
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