RapSit-USA2020 : See You in Hell, Brother !

Brèves de crise

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RapSit-USA2020 : See You in Hell, Brother !

La question centrale aujourd’hui, encore inexprimée hier, peut-être transformée en ultimatum cosmique demain, est de déterminer la mesure de l’événement du 3 novembre. La folle élection USA2020 est en train de morpher dans nos esprits en un énorme affrontement de la globalisation, avec les pour et les contre en ordre de bataille, où chacun des deux camps qui regroupent de très-singuliers alliés de circonstance, voient de plus en plus son existence même engagée. Des alarmes et des déclarations pressantes sonnent partout, comme ce Tweet du général Flynn, – simple illustration de l’état de l’esprit, – décrivant un événement équivalent au Déluge, avec une forte connotation biblique bien entendu. Nous croyons sans le moindre doute que le Général Flynn ne monte pas un spectacle dans cette courte communication, qu’il laisse au contraire parler son jugement.

Là où il n’y avait, hier encore, qu’une étape cruciale dans le torrent crisique qui nous emporte, on distingue désormais un pic hystérique de première importance, – sans bien entendu qu’il soit question d’un prolongement décisif, mais en sous-entendant qu’il s’agit de quelque chose qui pourrait aussi être un prolongement décisif, – qui donc reconnaîtra les siens pour nous donner quelque assurance où la tragédie véridique apparaîtrait presque comme un apaisement ?

A propos de Guillaume II confronté à la défaire de l’Empire en novembre 1918, Gustave Thibon (dans Entretiens avec Gustave Thibon, de Philippe Barthelet) distingue une réaction hystérique du personnage, « le vide intérieur [de l’empereur Guillaume dans ce cas] ayant toujours besoin d’être comblé par d’innombrables sensations factices... », – ce qui implique un appel à la réaction du simulacre, renvoyant à la définition de l’hystérie que propose le philosophe allemand Klages cité par Thibon, comme une « réaction du besoin de représentation sur le sentiment de l’impuissance ». Nous avons absolument besoin d’une capacité colossale de représentation, tant l’événement est pressenti comme colossal.

(S’il n’en est rien, la ridicule montagne aura accouché d’une rachitique souris, et le simulacre sera piteux, – ce qui ne peut être en vérité, d’où la nécessité de l’événement catastrophique, car sans lui la chose est catastrophique....)

Ce qui est absolument remarquable dans l’épisode que nous vivons, et d’ailleurs comme une illustration un peu plus piquante d’une situation générale, c’est qu’il n’y a pas vraiment d’agresseurs, mais des accusations qui volent de tous les côtés, faisant de l’adversaire un comploteur en marche pour briser la légitimité des peuples. Il n’y a pas une menace de coup d’État contre laquelle prétend se défendre l’agressé, mais partout des accusations d’attaque illégale contre l’autre. Chaque concurrent se pare d’avoir le droit et la légitimité pour lui, face à la menace brutale de l’imposteur tentant de prendre le pouvoir par la force ; d’une part, la dénonciation du danger fasciste, d’autre part la mise en évidence du danger marxiste-léniniste ; d’une part, Trump-Hitler en marche en mars-1933, d’autre part les marxistes-léninistes regroupés pour un nouvel Octobre-1917.

Bien qu’il se fasse à coup de références vieilles d’autour du siècle, l’affrontement est bien de ces heures sombres du mois de novembre 2020, complètement et tout à fait d’actualité. Pire encore, il se fait en complète état de conscience, car les regroupements faits autour de l’un et de l’autre parti (Trump & Biden, pour faire bref, puisqu’il s’agit de USA2020 pour le coup, en attendant les répliques d’extension) concerne des dizaines de millions de personnes, ou de citoyens si vous voulez, qui agissent non pas manipulés ou trompés, non pas sans la sensation d’une conscience de l’enjeu, mais au contraire proclamant qu’ils ont une conscience claire et nette de l’enjeu ; proclamant qu’ils ont une conscience claire et nette des causes de leur position et de leur action... Même si l’on peut, dans tous les cas envisagés, réciproquement et antagonistement mais sans la moindre certitude de la justesse du jugement, douter de la justesse de ces positions et de ces actions, il n’est en rien assuré que cela ou autre chose soit, – d’accord ? L’incertitude règne absolument, mais ne décourage en aucun cas, ni la rage, ni la haine, ni la volonté d’agir.

C’est dans cette circonstance, dans ce contexte, dans cette crise profonde de l’environnement psychologique et politique, qu’a lieu demain l’élection du 3 novembre. La seule chose qu’on peut affirmer sans le moindre risque, c’est qu’il s’agira d’un événement historique, même si l’événement s’avère faussaire et simulacre ; même si ceux qui démontrent qu’il y a du faussaire et du simulacre dans l’événement, peuvent eux-mêmes être mis en cause comme faussaire et du simulacre... Nous vivons une véritable (r)évolution, au sens spatial que signalait infatigablement Hannah Arendt : une élipse qui fait retour à son point de départ. Partis d’un désordre innommable que constitue l’histoire en devenir, le Khaos originel, nous aboutissions à un désordre innommable qui caractérise la métaHistoire que nous avons cru conduire à bon port, et qui répond en fait à d’autres suggestions, à d’autres consignes, à d’autres impulsions, qui règne de beaucoup plus haut.

D’où et plus que jamais, notre repli sur une conception transcendantale du phénomène de l’événementiel, supposant une posture d’humilité, d’une courageuse humilité, face aux événements incompréhensibles que nous affrontons et dont nous sommes les jouets autant que les acteurs consentants et bernés d’une part ; les jouets autant que les acteurs furieux et haineux d’autre part. Le dédoublement, la schizophrénie des perceptions et des actes sont générales et irrésistibles. Tout cela nous permet, à nous les Happy Few qui pratiquons le sport favori de l’homme qu’est l’ironie, d’annoncer avec une joyeuse ironie jouant ironiquement à figurer la pompe de la Grande Histoire, notre complète ignorance de ce que sera la situation le 3 novembre au soir, le 4 novembre au matin et ainsi de suite...

(On observera pourtant une certaine cohérence dans le suivi des choses : le 4 novembre succédant au 3 novembre, et ainsi de suite.)

Ainsi en est-il de la dernière réplique du film Elmer Gantry de 1960, d’après le livre de Upton Sinclair, où Lancaster-Gantry salue le narrateur-témoin pour qui il a une sorte d’estime, de cette aventure de la manipulation humaine et de la foi mystérieuse et grossière dont l’intrigue semble être un complet simulacre parsemé peut-être de vérités profondes, dont personne ne pourra dire jamais quelle en fut la vérité-de-situation sinon en s’en remettant à quelque intuition salutaire (et à moins que nous en sachions nous-mêmes là-dessus, plus que nous ne voulons en écrire) :

– See You in Hell, Brother !

.. Si tant est, effectivement, qu’il y a un lendemain après le 3 novembre, et si, après tout, l’enfer existe vraiment. Même Elmer Gantry, alias Donald Trump ou Joe Biden, ne saurait nous le dire ; ce n’est pas pour rien qu’il existe aux USA une Cour Suprême (SCOTUS) toute neuve.

 

Mis en ligne le 2 novembre 2020 à 10H45