ROW-Europe & USA, de la méconnaissance à l’inconnaissance

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ROW-Europe & USA, de la méconnaissance à l’inconnaissance

Nous reconnaissons avec une certaine irritation, ou bien un certain sens de l’urgence c’est selon, que nombre d’attitudes vis-à-vis des événements en cours aux USA ne cessent de provoquer chez nous un jugement pour le moins intrigué et plus sûrement négatif. Ce sentiment va certes à la presse-Système et ceux qui s’y réfèrent, mais là sans aucune surprise, et l’irritation est assez peu intense, du type feeling as usual ; il va aussi et surtout à certains domaines du commentaire sérieux, de l’antiSystème, de ceux qui persistent à tenir ces événements (américanistes) comme négligeables au profit de ce que nous pourrions commencer à nommer une sorte de “syndrome syrien” (il n’y a que les évènements en Syrie, ou la crise Syrie-II comme nous la nommons, qui importent). Cela ne nous semble pas très raisonnable. (Ajoutons en complément que ce refus, ou cette impuissance, de prendre la crise US “au sérieux” se trouve dans toutes les institutions et gouvernements européens où l’option “président Trump” est en général complètement ignorée, et encore plus les changements que cela pourrait impliquer. Mais, pour ce cas, cette méconnaissance ne peut que nous réjouiur, parce qu'elle présage nombre de surprises désagréables pour ces institutions et gouvernements.)

Nous prendrons un exemple précis où l’on trouve justement, les deux attitudes, – le désintérêt et l’intérêt pour les événements US, – et à partir de deux sources qui sont de même origine culturelle et nationale, et qu’on trouve en général sur une ligne similaire, même s’il y a des nuances sérieuses entre elles. On aura ainsi un bon exemple de ce que nous voulons dire, avec la thèse et l’antithèse. (Les deux sources étant russes [y compris le Saker-US, qui ne dissimule pas qu'il parle en tant que Russe, ou d'origine russe], cela explique que nous ayons employé l’expression ROW [Rest Of the World-Europe], plutôt que le terme “Europe” ou “bloc BAO”, – puisque, bien entendu, c’est aussi et surtout en Europe que nous rencontrons cette attitude.)

• Il y a ces deux phrases d’introduction du Saker-US d’un texte (du 3 mars 2016) concernant quelques–unes de nombreuses activités illégales de Hillary Clinton, lorsqu’elle était secrétaire d’État : « Foreword by the Saker: to be honest, I have not been following the latest presidential race in the USA.  Simply put, I have long lost any hope to see any change come from any election in the USA.  Changing the puppet makes no difference as long as the puppeteer remains the same one. »

Il s’agit d’une logique en cercle fermé, c’est-à-dire tendant à un nihilisme qui ne dit pas son nom, que l’on rencontre souvent ; affirmer qu’on a perdu tout espoir de quelque changement que ce soit aux USA parce que “changer de marionnettes ne fait aucune différence aussi longtemps que le montreur de marionnettes reste le même”. Il faut tout de même avoir la lucidité d’admettre qu’au moins l'une des “marionnettes” présente cette fois une allure singulière, qu’elle pourrait bien ne pas être marionnette du tout, qu’elle pourrait même s’avérer capable, non pas de changer, mais de bouffer le montreur de marionnettes. Nier cela dans la circonstance présente qui est si extême revient à nier qu’on puisse jamais espérer changer de “montreur de marionnettes”, et c’est alors en arriver à la position complètement nihiliste que nous signalons puisque c’est admettre que le Système actuel aux USA est  indestructible; c’est donc admettre que rien de fondamental ne changera car ce n’est pas une “victoire” russe en Syrie (nous n’y sommes pas encore) ni même un BRICS en peine expansion (nous en sommes loin) qui changeront ontologiquement la situation face à un Système appuyé sur un système de l’américanisme qu’on juge inexpugnable.

• La deuxième source que nous sollicitions, c’est Alexandre Douguine, à nouveau après avoir souligné hier une intervention de sa part. Après les observations écrites sur son site, Douguine est intervenu sur un DVD, sur le site Katehon.com, pour mieux présenter sa position. Il confirme ainsi l’aspect très original et assez audacieuse de sa position telle que nous l’avons évaluée dans le premier texte que nous lui consacrions hier. Le résumé du propos pour cette seconde intervention de Douguine se trouve en conclusion : « Il s’agit réellement de la première élection intéressante aux États-Unis. Elle montre que les États-Unis se trouverait face à une révolution si les élites ne transfèrent pas volontairement le pouvoir au peuple. » Voici le texte complet de son intervention (traduction de Kristina Kharlova pour FortRus.com, le 3 mars 2016) :

« Donald Trump can be considered the most right-wing candidate from the Republican party, but not in the sense of possessed cripple McCain or former Trotskyites neocons, obsessed with the idea of world domination. These would be to the right of Trump, but in the direction of the same policy.

» Trump is the voice of the real right America, which could care less about foreign policy and American hegemony. It cares about the second amendment, the good old traditions of one-story – in the best case, two-story America, predictable routine on the ranch and the freedom to use freedom as you'd like, and not as prescribed by liberals. It's a quite nice America, often religious, sometimes silly, narrow-minded, unpretentious – in short, people like people without special talents, but without deviance. In the American elite there are few of those or none at all. Trump is an exception. Normal American in some kind of elitist abnormal American zoo.

 » Trump has new unexpected supporters. Recently, the leader of the Black Islam Louis Farrakhan endorsed him. And he has more than 15 million followers. The explanation is simple: Farrakhan shifted to Iran and cut ties with Saudi Wahhabis. Great choice! So you have to vote for Trump.

» Then there is the phenomenon of Bernie Sanders. He is, conversely, far left wing. With one foot he stands in the ultra-liberal establishment, but flirts with socialism, outlawed in the U.S. by the same elite. His encounter with the wife of the saxophone player attracts the attention of the Democrats: the wife of the saxophone player invariably loses, but well-organized Hillary's storm troopers successfully fake the results and take care of the electoral college. There is no more dumber and corrupt voting system than American. This is a disgrace and not a democracy: the vast majority is for Sanders, and Hillary wins, buying off the votes. And these people dare to teach us human rights and how to fight against corruption?

» Now Sanders. He is the voice of American left. Normal left America passionate about pursuing social justice. Here of course I would be careful about the lack of deviations as in case of normal right, but still we must admit that contrary to liberal dogma, ordinary Americans don't believe in self-reliance and really wouldn't mind if the State would really start to care about them. And this is, pardon the expression, socialism.

» And here's the thing: the real American majority – the silent American majority and even the dispossessed American majority -- which does not have proper representation in the elite will be somewhere between Trump and Sanders, but on the opposite side of Hillary, Rubio and Cruz. That is, the American society is simultaneously to the right of Trump and to the left of Sanders. This is the real America, American America, held hostage by the globalist liberal sects, possessed by the new world order and fulfilling the order not of the American majority, but the global financial elite.

» It's really the first interesting election in the United States. It shows that America is facing a revolution, if the elite will not voluntarily give power to the people. »

• Cette dichotomie, cette tendance à séparer les deux crises (Syrie-II et le reste d’une part, USA de l’autre) nous paraît relever d’une problématique très importante. Elle tend à méconnaître l’importance respective des événements, donc à mal distinguer sinon à perdre de vue ce qui est Système et ce qui est antiSystème, ce qui est accessoire et ce qui est essentiel dans la bataille entre Système et antiSystème.

Nous préparons un Glossaire.dde sur “l’inconnaissance” dans lequel nous avons inséré un passage qui renvoie aux relations entre ces deux crises, en utilisant les concepts antagonistes d’“inconnaissance” et de “méconnaissance” (la méconnaissance équivalent dans ce sens à une sorte d’ignorance de la puissance et de l’importance de la crise aux USA). Ce passage traite de la problématique exposée plus haut au travers de deux exemples, – russes, mais dont les arguments antagonistes se retrouvent chez nombre de commentateurs européens, y compris antiSystème. Le passage est présenté avec l’intertitre “La méconnaissance n’est pas l’inconnaissance” ; nous le présentons ci-dessous entre guillemets pour marquer qu’il s’agit bien d’un extrait d’un texte qu’on retrouvera les jours prochains dans le sujet “inconnaissance” du Gloddaire.dde.

« A ce point qui pose la question de l’inconnaissance en la nourrissant des événements contemporains les plus pressants et les plus immédiats pour montrer combien ce concept est très loin de la pure spéculation, il faut ajouter un autre constat, tiré de l’actualité immédiate, qui est un travers terrible né du refus de l’inconnaissance. “Actualité immédiate”, certes, parce que tiré de l’expérience immédiate que nous recueillons d’un parallélisme en cours : d’une part, la fraction moyenne-orientale/européenne de la Grande Crise (en gros, la crise Syrie-II et ses conséquences vers l’Europe par ce que nous nommerons pour ce cas la “sous-crise” du flot des “migrants-réfugiés” venus du théâtre moyen-oriental) ; d’autre part, la formidable crise américaniste qui a littéralement connu sa déflagration avec la séquence des primaires des présidentielles et ce que représente le “phénomène-Trump”. (Sur ce deuxième cas, citons par exemple Larry King, avec son plus d’un demi-siècle d’expérience de communication au plus haut niveau de la politique américaniste : « Je peux vous dire que, selon mon expérience, je n’ai jamais, jamais vu quelque chose comme cette année électorale. Il n’y a rien qui puisse l’expliquer ; c’est un événement extraordinaire dans la vie de la politique américaine ; c’est incroyable. Sanders est un cas incroyable, Trump est un cas incroyable... »)

» A cette occasion, on identifie non pas ce qu’il devrait être impératif d’y voir : une fusion entre les deux crises qui est le produit de leur parenté impérative, c’est-à-dire l’extension du cœur de la Grande Crise jusqu’alors situé autour de Syrie-II aux USA. Au contraire, on constate une démarche intellectuelle inverse. Alors que les USA s’enfoncent dans le bouillonnement extraordinaire de cette crise brutalement paroxystique et qui met en cause le système de l’américanisme, l’Europe enregistre cette crise comme un cahot un peu plus spectaculaire d’une affection congénitale ces dernières années et n’y trouve qu’un argument de plus pour se plonger encore plus profondément dans le détail des convulsions de sa propre crise déclenchée par les conséquences de la crise Syrie-II élargie hors de son théâtre (migration venue du Moyen-Orient ). On se trouve plongé alors dans une pléthore de détails très complexes sur les mécanismes, les tendances considérées à l’aune des frustrations européennes, de la crise arrivée au paroxysme de l’américanisme. Ces convulsions américanistes et l’interprétation réductrice qu’on en a alimentent les débats continentaux et nationaux sur les questions identitaires, ethniques, sociétales, etc., qui sont certes des produits de la Grande Crise comme tout ce qui se passe partout puisque tout est devenu crisique et donc lié à la Grande Crise, mais qui, considérés comme ils le sont nous tirent vers le bas, vers les micro-réflexions chargées d’un affectivisme brouillant complètement le jugement des diverses entités, là aussi vers le fractionnisme et le réductionnisme.

» Nous sommes alors dans le contraire de l’inconnaissance : l’acharnement à une micro-connaissance, avec les polémiques qui l’accompagnent, conduit à une complète méconnaissance du développement de la Grande crise en ignorant complètement l’importance formidable de l’épisode américaniste, – nécessairement formidable parce que l’américanisme est bien le cœur brûlant, le nœud central du Système, et donc de la Grande Crise. Au contraire, les jugements sur elle, en Europe, particulièrement en France, suivent les lignes habituelles et totalement réductionnistes et fractionnistes de l’habituelle dialectique-faussaire : Trump représente-t-il le populisme, la xénophobie, le racisme ? Trump représente-t-il l’affirmation identitaire structurante, la cohésion culturelle, la défense des “valeurs traditionnelles” des USA ? Visions opposées, progressiste et conservatrices, héritées des seuls débats internes européens, et donc immensément fractionnistes et réducteurs, par rapport à la puissance formidable de l’événement américaniste. La méconnaissance triomphe en ignorant la question de l’antiSystème contre le Système, alors que l’inconnaissance permettrait au contraire d’en venir, ou d’en rester à l’essentiel antiSystème-Système, et d’identifier ainsi toute la puissance de cette crise US pour les raisons évoquées plus haut (“l’américanisme est bien le cœur brûlant, le nœud central du Système, et donc de la Grande Crise”).

» Cet aspect où l’inconnaissance volontaire et enrichissante est remplacée par la méconnaissance qui asservit encore plus les esprits ne fait que renforcer l’incompréhensibilité que nous avons mentionnée plus haut à propos des explications des événements qui nous sont détaillés. Pire encore, ce remplacement de l’inconnaissance par la méconnaissance renforce l’incompréhensibilité identifiée plus haut d’une autre incompréhensibilité, structurelle celle-là, concernant la Grande Crise elle-même, c’est-à-dire une incompréhensibilité mortelle pour l’esprit. »

 

Mis en ligne le 4 mars 2016 à 11H53