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1856Quelles sont les capacités et les actions militaires développées par les Russes en Syrie, telles qu’elles se révèlent à nous ? Il est difficile d’en juger par le détail, et en plus en tenant compte du fait qu’une formidable “guerre de la communication” accompagne évidemment les évènements militaires comme dans tout événement à une époque où le système de la communication joue un rôle absolument fondamental dans l’équation de la puissance. Les Russes ne sont pas avares de communication et diffusent énormément de documents filmés, montrant qu’ils largement maîtrisé la technique de la communication et confirmant l’arrivée à complète maturité de leur complet changement d’attitude depuis le temps de l’URSS et avec une période intermédiaire entre 1989-1991 et autour de 2005. Jusqu’ici, la riposte de communication du bloc BAO a été massive dans l’orientation de l’hostilité envers la Russie avec l’habituelle et massive russophobie qui s’exprime d’une façon de plus en plus primaire et automatisée ; mais dans ce cas de la Russie, cette “riposte massive” apparaît, deux semaines après le début de l’intervention, toujours imprécise, dispersée, manquant d’éléments frappants même fabriqués qui pourraient ravir la “une” de la communication aux comptes-rendus des frappes russes. La situation de la “guerre de la communication” correspond bien à la situation opérationnelle et diffère des débuts de la crise ukrainienne, où les Russes furent pris par surprise dans ce domaine, bien qu’ils aient réagi assez vite et avec brio au niveau opérationnel. Cette fois, la surprise est en leur faveur dans tous les domaines...
Effectivement, notre impression à cet égard est que l’effet de la campagne russe en Syrie a été, au niveau de la communication, assez semblable à l’aspect opérationnel pour le bloc BAO : la machine de communication du bloc BAO n’arrive pas à reprendre son souffle perdu lors du choc initial, ni à rassembler ses forces pour une contre-offensive efficace. On ajoutera à cela la dispersion des forces et des orientations au sein du bloc BAO, notamment entre les pays d’Europe et les USA, avec notamment le flottement politique US qui est plus que jamais évident, d’ailleurs ressenti à Washington même. On a déjà rapporté qu’à la plus récente réunion des délégués des Etats-membres de l’UE venus parler à la fois de crise des “réfugiés-migrants” et de la crise syrienne, la question la plus importante débattue in fine par tous, qui ne figurait en aucune façon à l’ordre du jour et qui n’obtint aucune réponse satisfaisante d’aucune des délégations vers les autres, était celle-ci : “Quelqu’un sait-il ce que veut faire le président Obama à propos de la Syrie ?”
Finalement, c’est une impression semblable que l’on ressent devant les opérations menées par les Russes, – et nous parlons d’une perception dont les sources sont difficilement identifiables ou qu’il serait fastidieux d’identifier, et enfin qu’il n’est pas vraiment nécessaire d’identifier ; nous parlons d’une perception comme l’on dit de ce fameux “bruit de fond” de la communication qui, dans ces temps d’échanges massifs d’information invérifiables et manipulées, vous restitue pourtant une atmosphère, un sentiment et un jugement généraux dégagés des manœuvres faussaires et des apriorismes habituels, et vous fait réaliser qu’il y a là une vérité de situation. Cette impression est que les Russes agissent très vite, avec précision et décision, par conséquent avec efficacité parce qu’ils prennent tout le monde de vitesse.
Militairement, une image très originale et qui, selon nous, embrasse bien cette vérité de situation, est celle qu’offre le colonel Pat Lang sur son site Sic Transit Tyrannis le 9 octobre, en citant l’analogie du très-fameux général sudiste Stonewall Jackson, sans doute l’un des chefs tacticiens les plus brillants de l’histoire militaire. Nous lui empruntons pour notre titre cette analogie qui correspond effectivement à notre appréciation du grand général sudiste, lui-même (Pat Lang) la présentant sous le titre sympathique de « Stonewall Jackson and the jihadis » (Pour IMO, lire In My Opinion.)
« IMO it is a great mistake to think that war is a matter of technology and little else. War is a social activity, fought by armed groups. It is a process in which the mind of the enemy commander is the principle objective. Stonewall Jackson understood that. He had learned that in an autodidactic process of many years of study in his modest home in Lexington, Virginia where he taught.
» [Stonewall Jackson] understood that in war one must move fast, fast enough to get “inside” your enemy's cycle of information, decision and action and once inside that cycle you must remain there, dominating and in some cases paralyzing his movements by your dynamism. That truth remains.
» Stonewall's first and perhaps best biographer was Colonel GFR Henderson of the British Army. The British have always appreciated Jackson more than the US Army, whom he abused fearfully. General Sir Richard O'Connor the man who so badly defeated the Italian Army in Libya before the Germans sent Rommel was asked from whom he learned to operate with such purpose, drive and speed. “From Stonewall Jackson” was the reply.
» IMO the Russians learned the Stonewall way of thinking not in Afghanistan but rather in Chechniya and Georgia. They seem to be applying it [in Syria]. »
En gros, l’impression qui prévaut est que les Russes ont, sur le terrain, en Syrie, bousculé, du côté des adversaires de la Syrie, un peu tout le monde qui sommeillait dans des habitudes opérationnelles ; les djihadistes divers qui se battent surtout en faisant des ronds bruyants, des alliances changeantes et de circonstance, et en entretenant soigneusement leur réputation de barbarie et d’intolérance aveugles marquées par la cruauté et le goût de la destruction ; les Israéliens et les Turcs, qui réalisent depuis des mois leurs incursions sans grand risque dans l’espace aérien syrien qui leur est proche et qu’ils considèrent comme étant les leurs ; les diverses factions du pouvoir américanistes (CENTCOM, CIA, etc.) qui distribuent sans fin argent et armement, également selon des tactiques en cercles où se perdent leurs classifications et identifications sans nombre, cela surmonté et plaisamment illustré par les révélations surréalistes du général Austin annonçant que CENTCOM a quatre ou cinq combattants “modérés” engagés au combat ; enfin, pour rappel, l’offensive anti-Daesh (US + les membres très nombreux de la “coalition”) effectuant ses raids à un train de sénateur. C’est tout cela que l’intrusion russe a secoué furieusement, surprenant tout le monde par un rythme effréné complètement inattendu ; c’était effectivement appliquer la leçon de Stonewall Jackson : “pénétrer dans le cycle d’information, de décision et d’action de votre ennemi et, une fois installé dans ce cycle et y demeurant, dominant et dans certains cas paralysant les mouvements de cet ennemi par votre dynamisme...”
On a un exemple récent de cette forme d’activité russe qui prend tout le monde à contrepied par la nouvelle donnée le 9 octobre par le site DEBKAFiles après une visite de deux jours du chef d’état-major adjoint russe, le Général Nikolaï Bogdanoski, venu clarifier avec le chef d’état-major israélien les règles de sécurisation et de coordination entre Israël et la Russie pour éviter des incidents aériens entre les deux forces. Alors que ces règles ne sont pas encore complétées après ces deux jours de discussion, DEBKAFiles laisse surtout percer la préoccupation et l’incertitude complète des Israéliens quant aux intentions des Russes concernant les domaines les plus proches d’Israël. (« Uncertainty still hangs over Moscow’s precise intentions regarding its air force flights over the Golan close to Israel’s border – even after two days of discussions on coordination [...] So it is still not clear to Israel what is supposed to happen if Russian fighters and bombers enter the Syrian-Israeli border district and slip over into Israeli air space. »)
Les Russes dominent donc l’art de la guerre de la communication à la manière de Stonewall Jackson, aussi bien que l’art de la guerre tout court. Ils maintiennent avec constance le fameux “fog of war”, à leur avantage également dans ce cas de la communication, laissant tout le monde dans l’incertitude inquiète quant à leurs intentions, avec en plus la préoccupation plus qu’inquiète de l’expérience répétée chaque jour que les Russes, une fois l’intervention décidée en un point, frappent vite et dur.
« Israeli and Western aviation and intelligence experts don’t see how Israel can prevent Russia providing air cover for Syrian and Hizballah forces when the war moves close to the Israeli and Jordanian borders of southern Syria.
» Last week, Russian Su-30 and Su-24 warplanes twice violated Turkish air space in the southern province of Hatay (called Alexandretta on Syrian maps). Although after the Russian defense ministry apologized for the the first intrusion as accidental and lasting just a few seconds, our military sources are certain that the Russians were in fact deliberately testing Turkish air defenses. This scenario may well repeat itself over the Golan in the very near future.
» Gen. Bogdanovsky made no secret of Moscow’s intention to use its air power against rebel targets in battles taking place near the Israeli border. According to our exclusive military sources, Israel braced for this eventually Wednesday night, Oct. 7. Syrian, Hizballah and pro-Iranian Shiite forces then launched a ground offensive with Russian air cover against Syrian rebel forces in the Hama region. This was their first ground operation since the start of the Russian military buildup in late August. Intelligence was received that a second Syrian-Hizballah offensive, covered by Russian fighters and bombers, was scheduled to start at the same time in the Quneitra area, directly opposite the Israeli Golan.
» For some reason, it was not launched when expected, but it is unlikely to be deferred for long. After firing Kalibr-NK-SS-27 Sizzler cruise missiles last week to soften rebel resistance to the Syrian government offensive in the Hama area, the Russians may well aim them at the Quneitra arena too in support of another Syrian operation. »
• On observera d’une façon plus précise sur le plan opérationnel que les Russes disposent d’une remarquable coordination avec les forces alliées qu’ils ont au sol, Syriens du gouvernement et Hezbollah, et également Iraniens éventuellement. Le renseignement semble par conséquent une de leurs grandes forces, leurs propres services devant être en pleine activité à cet égard, avec des capacités bien supérieures à celles des pays classiques du bloc BAO pour comprendre précisément l’état d’esprit et les intentions des multitudes d’acteurs au sol. Ces points essentiels qui recèlent le secret des actions victorieuses semblent effectivement avoir été préparés avec une très grande minutie.
• Le tir, il y a quelques jours, de missiles de croisière à partir de la flotte, les Kalibr NK-SS-27 mentionnés par DEBKAFiles, a constitué bien entendu un acte tactique militaire sans doute efficace, ensuite un avertissement général lancé au bloc BAO concernant les capacités militaires russes, et enfin et l’on dirait surtout un acte extrêmement réussie de StratCom, selon l’acronyme en vogue à Washington et jusque dans le bureau ovale, pour Strategic Communication. Jusqu’ici, les tirs de cruise missile à partir de la flotte et contre des objectifs terrestres étaient l’apanage des USA (de l’US Navy), avec l’illustration (l’image) classique de ces départs de missiles qui frappe les esprits, suggérant la réalité irrésistible de la puissance américaniste, la seule puissance capable de déployer de telles capacités. Désormais, les Russes font les mêmes opération et, du point de vue de la communication, illustrent la même démonstration de puissance. Cette image-là est effectivement une avancée stratégique (StratCom).
Le constat général peut être établi de différence façons mais toujours dans le même sens, à partir de cette observation de base que fait Alastair Crooke le 9 octobre (Huffington Post) : « For the past few decades, NATO effectively made all the decisions about war and peace. It faced no opposition and no rival. Matters of war were effectively a solely internal debate within NATO -- about whether to proceed or not, and in what way. That was it. It didn't matter much about what others thought or did. Those on the receiving end simply had to endure it. But whilst its destructive powers were evident, its strategic benefits have been far from evident – especially across the Middle East. What probably irks the West most is that Russia has unfolded – and begun – a sophisticated military campaign in the flash of an eye. NATO bumbles along much more slowly with its complicated structures. Iraqis have long complained that in military terms, assistance promised by the NATO powers takes (literally) years to materialize, whereas requests to Russia and Iran are expeditiously met... »
... Le même constat général, renforce celui que nous avions déjà fait lors de l’opération d’investissement de la Crimée de mars 2014, cette opération que certains chefs de l’OTAN, notamment, avaient accueilli avec une réelle surprise : la très grande souplesse, la capacité d’adaptation, la capacité de préparation très discrète et la détermination et la très grande rapidité d’exécution une fois prise la décision d’agir. Il est toujours question de Stonewall Jackson, comme il est question de Sun Tzu : “Gardez vos plans aussi impénétrables que l’obscurité de la nuit, et, quand vous décidez d’agir, frappez comme un coup de tonnerre.”
Du point de vue plus précis et concret de l’observation, il s’agit de la confirmation d’une évolution révolutionnaire de la forme et de la dynamique de l’emploi de la force par les forces armées russes. Il s’agit d’un changement complet par rapport à la mystique du nombre qui a dominé la pensée et les conceptions militaires russes depuis le XIXème siècle, et particulièrement tout au long du XXème, que ce soit dans le chef de la Russie et dans celui de l’URSS. Par ces diverses démonstrations depuis la guerre de Géorgie, et désormais avec cette démonstration en Syrie impliquant un bouleversement stratégique en plus des bouleversements techniques et méthodologiques, les Russes introduisent une énorme inconnue dans la situation de la puissance dominante que constitue le bloc BAO en général avec les USA comme force directrice.
Cette inconnue concernant l’équilibre des forces est renforcée par son aspect technique, conduisant à l’observation politique et surtout psychologique fondamentale, que la situation vécue depuis peu ou prou la fin de la Guerre froide de la “fin de la guerre” sous sa forme traditionnelle par absence d’adversaire à la mesure des USA (de l’OTAN, du bloc BAO) est complètement pulvérisée par ce qui se passe en Syrie avec l’intervention des Russes. Cette possibilité était envisagée théoriquement mais les évènements actuels mesurent la différence entre l’hypothèse théorique qui permet à l’esprit de vivre sur une rente d’originalité non confrontée aux faits et ainsi de laisser voir venir, et une vérité de la situation (une de plus) qui jaillit avec une telle rapidité et une telle détermination. Ce n’est plus “le rouleau-compresseur russe” caractérisé par une lourdeur qui semble aujourd’hui plutôt l’apanage incertain des pays du bloc BAO et de l’OTAN, c’est le “4x4 turbo” ou l’“hydroglisseur supersonique”... D’une façon générale, on envisagera que le premier effet sera d’introduire un élément de division puissant entre les pays du bloc BAO dans ce domaine de la stratégie et de la force, par la perte de la prépondérance des USA. Le désordre général ne peut qu’en être accentué, simplement par le fait de la poursuite, sinon l’accélération de la destruction de l’“ordre américaniste”, de la situation oxymorique de pseudo-Pax Americana qui dominait également depuis 1989-1991.
Mis en ligne le 10 octobre 2015 à 16H13
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